Günther Anders - Le rêve des machine

 

éd. Allia, dec.2021, 132p.

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Traduit de l'anglais et de l'Allemand par Benoît Reverte, ce texte reproduit deux lettres adressées au pilote de l'US Navy Francis G. Powers et le chapitre sur les machines, écrit en 1960. Ces écrits passés inaperçu ont été traduit par Benoît Reverte en 2021, ce qui est fort étonnant pour des textes d'une telle actualité. Ils attendaient dans les archives de l'auteur déposées à la BN de Vienne, dans un dossier mystérieusement intitulé "le rêve des machines".

Gunther Anders (1902-1992), philosophe allemand, a été élève de Husserl, puis de Heidegger et a épousé Hannah Arendt durant son exil à Paris entre 1929 et 1936, puis il s'est'exile aux USA. Il revient en Europe en 1950 et s'installe près de Salzbourg en Autriche où il enseigne. Le parcours intellectuel d'Anders est marqué par la Shoa, les bombardements nucléaires d'Hiroshima et Nagasaki, l'accident de Tchernobyl. D'où son intérêt pour la critique de la technique qu'il a manifesté dans les deux tomes de "L'Obsolescence de l'homme" traduit en 2011 (on lui doit l'expression "l'homme superflu").

 

p.15: Lettre à M. Francis G. Powers, le 6 août 1960: G Powers a été abattu au dessus de la Sibérie en mai 1960 alors qu'il était chargé de réaliser des photos aériennes des sites sensibles. Capturé, il a été emprisonné à la Loubianka de Moscou où Anders lui écrit. Il lui parle d'un autre "ami" américain qui, comme lui, a commis en toute innocence un acte historique.

.."Car il y a une règle selon laquelle les événements qui n'ont pas été assimilés sont condamnés à rester présents, une façon de punir, pour ainsi dire cette omission; ils ne sont pas autorisés à appartenir au passé."

L'acte de Powers est d'avoir espionné l'URSS en pleine guerre froide et d'avoir mis fin à la première tentative de "détente", annulé ainsi la conférence de Paris entre Khrouchtchev et Eisenhower et failli déclencher une guerre atomique entre les deux blocs.

p.17: Lorsque mon ami accomplit son acte, il tira simplement sur un levier, il ne savait simplement rien, il était l'incarnation de l'ignorance.

L'acte de l'ami cité ici, est celui du major Eatherly qui a donné le feu vert météo au largage de la première bombe atomique sur le Japon. De la même manière, combien d'actes anodins sont commis chaque jour à travers le monde et produisent des conséquences dramatiques sur des êtres bien vivants à l'autre bout du monde? Qui pense aux enfants de RDC qui meurent ensevelis dans une galerie des mines de coltan indispensable à la fabrication de tout smartphone? Qui pense aux sableurs silicosés qui partout dans le monde délavent nos jeans? Qui est choqué par le poulet breton de mauvaise qualité, exporté moins cher au Sénégal, tuant ainsi tous les petits producteurs locaux de poulet bio? Oui, mais le texte de Sandres 'na été traduit qu'en 2021! On ne pouvait pas savoir!...

p.18: Notre homme ne considérait pas cette ignorance comme une calamité, mais comme quelque chose de l'ordre du devoir moral! […] Les tabous dont ces morales se composent rendent tout effort moral superflu. Et ils le font en supprimant non seulement l'accomplissement de nos désirs, mais même leur éclosion. C'est bien la morale du devoir de consommer qui nous fait acheter des objets farcis de coltan, de la morale du devoir d'équilibrer la balance commerciale de la France qui nous fait exploiter les Sénégalais….

p.19: En fait, Eatherly était un parangon de vertu: car il prouva son excellence non seulement en exécutant l'ordre donné, non seulement en renonçant à la compréhension de cet ordre, mais aussi en s'interdisant pour lui-même le désir de comprendre cet ordre.

p.20: Le cerveau de mon ami avait été lavé, et même lessivé! Nous devons prendre cela au sérieux. Je me demande si vous le savez, mais dans le soi-disant "monde libre" nous sommes souvent soumis à des brainwashing(lavages de cerveau, par les médias, la propagande d'État, la publicité… Une folie répétée mille fois devient un trait de génie!)

p.21: Vos producteurs qui vous ont ainsi transformé en un être ignorant et irresponsable, ont trouvé en plus scandaleux que leur "produit" ne soit pas résistant face au lavage de cerveau des Russes…

C'est ce qui est bien avec le pouvoir des États: chacun affirme éduquer et former, et accuse l'autre de faire de la propagande. La vérité et la morale est donc des deux côtés, ce qui est pratique pour justifier une guerre et convaincre le peuple d'y participer, des deux côtés bien sûr, sinon il serait impossible de guerroyer!

p.22: Le système fonctionne sur la séduction: Eatherly a été formaté par la confiance qu'on lui a accordé qui appelle en retour la confiance en ses maîtres. Le système capitaliste fait confiance au consommateur qui n'aurait, face au marché, que des comportements rationnels et qui donc, en retour, fait confiance au système. Le capitalisme est rationnel, sans alternative possible et globalement positif. Anders compare ce jeu à celui de l'amoureux qui pour se faire aimer déclare hautement être aimé… Quiconque critique l'être aimé est de facto disqualifié, qu'il s'agisse de relation amoureuse, de guerre ou de critique du système monétaire…

p.23: La confiance naît légitimement quand nous sommes confrontés à un homme d'honneur…D'où l'usage de la notoriété, du savoir, du statut d'expert mondial dont use le système pour que le citoyen ordinaire fasse confiance à ses maîtres même quand ceux-ci énonce des contre-vérités ou des absurdités logique aussi évidente que la croissance infinie! Comment un innocent garçon du Texas aurait-il pu savoir que confiance et honneur n'allait pas de pair? Comment aurait-il pu désobéir à l'ordre donné par ses supérieurs?...

p.26: Ce qui importe, c'est qu'ils ont créé un fossé d'une ampleur incommensurable entre notre force physique et le pouvoir de notre connaissance pour nous transformer en outils efficaces d'annihilation. Le fossé décrit ici par Anders, c'est le geste simple de déplacer un levier (peu de force à déployer, peu d'intelligence pour exécuter le geste) et de l'autre côté, la puissance d'un État qui décide de carboniser 200 000 personnes innocentes par ce geste. Nos concitoyens sont aujourd'hui devant le même fossé: d'un côté un système bien rodé par trois millénaires d'usages, qui a permis l'invention de la force atomique et de la couche culotte, l'accroissement de l'espérance de vie de 25 ans en 1740 à 80 ans en 2021 ; de l'autre côté des farfelus qui proposent d'abandonner ce beau système marchand, d'en saper les bases, sans même être en mesure de prouver qu'un nouveau système serait meilleur. Le fossé est trop incommensurable pour être franchi nous dit Anders.

pp.28-29: Le pilote américain Claude Eatherly était heureux de piloter le Straight Flush (l'avion de reconnaissance météo d'où il a donné l'ordre de largage de la bombe sur Hiroshima). Il a fini sa vie ruiné, misérable, rongé de remords, comme un homme sachant enfin ce que ne pas savoir implique! Cessez d'être un instrument, Powers. Devenez un être humain!

Nous cherchons souvent des slogans qui aideraient nos contemporains à sauter le fossé, à voir l'effondrement qui vient, à comprendre les causes profondes qui nous ont conduits là malgré notre puissance technologique, à accepter l'évidence d'une société passant de l'échange marchand à l'accès. Anders nous en donne peut-être un bon: "Devenez un être humain!"

p.30: Anders rappelle à Eatherly une lettre de ses parents qui regrettaient que leur fils ait "fait une chose qui ait de si grandes conséquences, sans le consentement de sa famille […] sans demander à aucun membre de l'humanité son consentement…" Si rien n'arrête la marche à grande vitesse de notre société marchande vers l'effondrement, qui l'aura décidé? Ceux qui ont accepté de n'être que des consommateurs?... Ceux qui ont voté pour les tenants de l'extractivisme? Ceux qui ont accepté de survivre en produisant des bombes ou des pesticides?... Ont-ils obtenu le consentement de leurs enfants? Aujourd'hui, ces enfants sont en pleine "écoanxiété", au point de refuser même de faire des enfants et de bifurquer après dix ans d'études supérieures? A ces contemporains collaborateurs du système, Anders répondait Devenez des êtres humains, et Camus rappelait que "un homme, ça s'empêche!" Et les postmonétaires les préviennent que "plus le profit fait des dégâts, plus les dégâts font des profits" et qu'une fin heureuse relève du conte de fées… Ils ne se marieront plus, n'auront plus d'enfants et mourront dans la souffrance parce qu'inaccomplis!

p.39: Première partie

Lettre à Francis Powers, 25 août 1960: Lettre écrite à Powers, mais surtout, à tous les "Powers du monde", surtout à ceux qui considèrent que le pilote à trahi son pays du fond de sa cellule de la Loubianka. Il cite un des officiers affecté à l'unité spéciale du "projet Polaris" (voir) "Je savais alors que j'étais prêt à mourir pour quelqu'un. Je ne pouvais pas me souvenir si c'était pour l'amiral, pour le président, pour ma mère, pour le chef des boy-scouts ou je ne sais qui -mais mourir, frère, j'étais prêt."

p.42: Anders fait remarqué à Powers: "…vous étiez privé de la liberté de conscience et, ainsi condamné à l'irresponsabilité, vous étiez simplement dégradé. Or, à quelle classe appartient un être qui a, certes, l'obligation de travailler, mais n'a ni le droit ni la compétence de porter la responsabilité de son activité? A la classe des machines et des pièces de machines…" La réponse de nos ancêtres auraient été "à la classe des esclaves". Mais il n'y a plus d'esclaves à l'ère industrielle, nos parents les ayant remplacés par les machines dans laquelle ils ont transféré la servitude. Ils l'ont fait la tête haute et avaient raison d'être fiers. Comment auraient-ils pu prévoir qu'un jour ce transfert se retournerait en son contraire? Le transfert dont parle Anders, c'est la "révolte des choses esclaves" sur l'homme, qui prennent le pouvoir sur l'humanité. Aujourd'hui on parle souvent de nos esclaves énergétiques (plus ou moins 500 par humains selon Jancovici) et leur triomphe sur l'humanité n'est pas loin. C'est ce qu'Anders développe ensuite dans "Le rêve des machines".

 

Première partie:

 La révolte des choses esclaves -Le monde désapproprié

p.44: Anders signale que l'on parle "d'appareil" à propos de l'État et de ses administrations. Un tel appareil n'est plus une pièce isolée, ni un dispositif auquel nous pourrions non confronter souverainement, mais quelque chose dans lequel nous vivons et dont nous devenons de plus en plus de simples pièces. Je connais vos arguments [tout dépend de ce que nous faisons de ces outils] jusqu'à la nausée tant ils retentissent aussitôt de toutes parts, avec fracas, avec pour seul effet de nous aveugler par le caractère révolutionnaire de ce qui a lieu. Cette révolution consiste en ca que les machines, après avoir pris en charge nos efforts, se sont octroyé la charge de fixer les finalités. Elles se sont constituées en parcs, elles sont notre monde, une structure avant même que nous ayons pris nos dispositions, au point que nous soyons contraints de nous conformer à leurs exigences.

p.45: Mais ceci signifie que cette coalescence (fusion d'éléments qui sont en contact) des instruments en un monde d'instruments a révolutionné jusqu'à la nature de la propriété et des propriétaires, et ce de manière plus radicale encore que les bouleversements sociaux jusqu'ici. Lors de ces bouleversements, la propriété est passée d'une classe à une autre, ou à l'État en tant que totalité, mais demeurait intacte en tant que propriété.[…] Ce faisant, même ceux qui sont juridiquement propriétaires du monde des instruments tomberont à leur tour sous son diktat et finiront par lui obéir.

L'exemple du smartphone, qu'Anders n'a pu connaître, lui a donné raison. Il a fallu un siècle pour que l'imprimerie tue les copistes, un demi siècle pour que le rail remplace les diligences, une petite décennie pour que le smartphone ne quitte nos mains uniquement pour entrer dans nos poches, qu'il rende notre mémoire obsolète, médiatise nos relations humaines, autorise chacun à avoir une opinion sur tout…, et en définitive qu'il soit impossible de vivre sans cette béquille numérique, y compris ceux qui l'ont créée. C'est un progrès en forme d'amputation…

p.46: Anders déclare à propos de la bombe atomique, mais en fait pour tout objet produit: Mais la bombe était là. Et comme le triomphe des appareils tient au principe "existence oblige", autrement dit, ils nous forcent, par leur simple existence à reconnaître ce qu'ils peuvent comme un devoir légitime, pour ne pas dire moral, à être utilisé… judicieuse remarque!

p.47: Hegel a mis en lumière l'évolution des rapports de domination en lui associant le modèle théorique "du maître et de l'esclave": le maître, qui ne peut plus se passer de l'esclave perd alors le pouvoir et se dégrade automatiquement en "esclave de l'esclave". C'est exactement ce que l'on a vu pour la voiture individuelle ou l'électroménager et aujourd'hui pour le smartphone.

 

p.49: Le règne eschatologique des instruments:

p.51-53: La théorie de "l'homme machine" du philosophe français La Mettrie, selon laquelle nous, les hommes, serions semblables à des machines, ou simples rouages de plus grandes machines, en définitif nous conduit à n'être plus que "la machine" hors de laquelle il n'est point de salut, le rêve de la félicité "instrumentoeschatologique". Le rêve des mondialistes néolibéraux!

p.54: La machine est de nature expansionniste et intégrationniste et à s'occuper de tout.

p.57 La défaite totale: La situation est celle d'une "l'inversion totale", où ce n'est plus la machine qui est là pour l'homme mais l'homme pour la machine. Nous ne sommes plus dans monde d'hommes où se trouvent quelques machines, mais dans un monde de machines où se trouvent, en autres choses, des hommes.

p.61: Lorsque nous parlons de "notre monde", nous ne pensons jamais aux machines , mais au schéma que les machines ont élaboré pour leurs possibilités et leurs prétentions.

p.62: La révolution copernicienne: Anders part de l'idée que nous nous faisons du mot "étranger". Notre monde des appareils nous classe avec mépris comme des "corps étrangers". D'ailleurs, quiconque n'est pas capable d'obéir aux injonctions de l'ordinateur ou du smartphone est aussi étrange qu'un Persan au Paris de Montesquieu, qu'un illettré au 20° siècle. On parle alors de la fracture sociale qui s'est installée entre les connectés et les non-connectés. Ne dit-on pas de ces inadaptés qu'ils ne sont pas branchés (jusqu'au 18° siècle, être branché désignait être pendu à une branche!)?

p.66: Nous sommes "finis": L'alternative à laquelle nous sommes confrontés dans le monde des appareils est la suivante: Extermination totale ou assimilation totale. L'assimilation totale, c'est aujourd'hui la situation courante. Il est vrai que ce processus de tous les jours est presque imperceptible. Non parce qu'il serait trop insignifiant, mais au contraire parce qu'il tourne à plein régime sans la moindre pause. La rigueur des machines est sans précédent dans l'histoire et aucune tyrannie n'a atteint un niveau comparable.

P.76: Nous sommes employés comme liquidateurs de produits: La production, et tous les produits visent le profit. Un fabricant de chaussures qui produirait à seule fin de nous éviter de marcher pieds-nus, personne aujourd'hui n'en a vu. Nous les hommes, nous ne sommes pas le but de la production. Il faudrait effectivement être un parfait consommateur, totalement réduit à cette fonction pour croire le contraire (consommateur de chaussures autant que des arguments de la production!). Anders nous compare à des oies que l'on gave: Les oies se laissent bravement gaver pour Noël croyant sans doute que c'est pour leur bien. Elles ne s'interrogent pas sur les bénéficière du gavage, ne savent rien de l'échéance de Noël qui cèlera leur sort… Il est d'ailleurs probable qu'une oie tentant de convaincre ses congénères qu'elles seront mortes à Noël serait accusée de "complotisme"!

Note: Anders a écrit en 1938 une fable "La catacombe de Molussie", éditée à l'Échappée en 2002, qui illustre la montée du nazisme allemand.

p.82: Même la mort relève de la consommation: La production d'armes est la branche de produits la plus puissante et ne sert qu'à accélérer la mort pour le plus grand nombre possible de gens. Anders ne parle pas de l'industrie mortuaire, elle aussi lucrative, et sans problème puisque les clients décédés viennent rarement se plaindre de la prestation qu'on leur a fourni. Et leurs survivants ne sont pas souvent en état de "marchander"… Mais au temps d'Anders, les "pompes" funèbres n'avaient pas le niveau d'indécence d'aujourd'hui…

p.92: Interversion de m'offre et de la demande:

p.94: Les deux rêves en conflit: Anders explique que la logique des machines ne peut qu'aller dans le même sens: toujours plus d'emprise sur les comportements humains. On peut faire la même réflexion au sujet de l'argent, qui de l'idée logique et pratique d'instituer un "équivalent universel facilitant les échanges" nous amène à marchandiser la totalité de la vie. De même, l'argent induit mécaniquement le profit, donc la croissance infinie et, in fine, l'effondrement de l'ensemble du système. Aménager des systèmes complexes de ce type, c'est se condamner à réparer ce qui nous détruit. Les plus belles alternatives ne font qu'accélérer le processus. Hiver 1954, l'abbé Pierre lance un émouvant appel à la solidarité en faveur de quelques milliers de "sans abris", appel pour "l'insurrection de la bonté"! En janvier 2023, le rapport Emmaüs (326 pages, voir PDF) sur "L'état du mal-logement" annonce 4,1 millions de personnes mal logées, 12,1 millions de personnes fragilisées par rapport au logement, 1,1 millions de personnes à la rue. Une belle alternative réussie!!! On peut faire le même constat avec la belle alternative des restos du cœur créés en 1985 par Coluche. Il proposait alors de fournir 2 à 3 000 repas gratuits par jour. Les Restos du cœur ont fourni 10 millions de repas en 2023 et se demande s'ils vont réussir à réponde à la demande qui explose durant l'hiver 2024. Une belle alternative réussie!!! Pour revenir aux propos de Günther Anders: Alors émergera l'image eschatologique d'espoir que ces pulsions obscures des machines poursuivront comme idéal: l'image de la machine universelle, où d'une part toutes les machines s'engrenant ensemble fonctionneraient comme des rouages et où, d'autre part, il n'existerait plus rien d'autre que des pièces de machines, bref: la situation dans laquelle l'équation "monde = appareil" serait réalisée.

p.96: Notre monde des machines fonctionne et continue à fonctionner, non parce qu'il prend du plaisir à ses propres émotions kaléidoscopiques, mais plutôt parce qu'il doit produire et continuer à produire; cela n'est possible que si ces produits déjà stockés sont détruits en permanence, c’est-à-dire consommés; raison pour laquelle nous sommes employés à accomplir cette tâche de liquidation, aussi promptement et sans rechigner que les machines accomplissent leur travail de production. Le même processus est à l'œuvre dans la croissance des machines, de la production, de la consommation, des déchets, (déchets de produits=pollutions, déchets humains=chômage, déchets de la "machine-argent"=hyperinflation, etc.). Il est bon de revenir de temps en temps vers les précurseurs qui ont vu tout cela avant tout le monde: Anders et ses machines, René Dumont et son verre d'eau, Gandhi et son autonomie faite du symbolique rouet, Edward Bellamy qui en 1887 imagine une société sans argent en l'an 2000, Kropotkine qui en 1906 dénonce la concurrence et prône l'entraide, etc.

Et la sentence d'Anders ressemble étrangement au TINA de Thatcher: Le couple idéal production-consommation est vain; il est irréalisable. Au bout du compte, que l'on aménage la production ou la consommation, cela ne change rien. Cela signifie que l'écart entre le volume de production et le volume optimal de consommation se creuse jour après jour. Le fossé se creuse entre le rêve d'expansion (par la consommation) et l'échec de la "consommation idéale" et le danger inexorable de la catastrophe va croissant… On ne peut être plus lucide!...

p.100: Comme les deux rêves [ le rêve techniciste qui nous rend soumis et le rêve consumériste] se tiennent face à face dans un terrible conflit, la catastrophe doit advenir, et nous travaillons en fin de compte à notre naufrage!... Voilà qui résonne étrangement d'actualité et induit les seules réponses raisonnables et réalistes: extinction, rébellion, désargence, décroissance, bifurcation… Tout le reste n'est que vanité ou cécité!

 

p.105: Deuxième partie.

p.105: Le suicide comme produit fini: Comme l'aviateur Powers avait dans ses bagages une seringue pour mettre fin à ses jours en cas de capture, nos donneurs d'ordres actuels sont capables de nous mener au suicide collectif pour éviter la confrontation au réel.

p.114: Nos défauts résident dans nos excédents: L'équation de la machine c'est: "être = performant". A ce jeu là, l'homme est perdant. Nous sommes des créatures imparfaites, grotesques, incapables de réaliser en plusieurs mois l'opération que réalise l'ordinateur à la nanoseconde… L'obsolescence de l'homme est en cours!

p.117: Cogitat-ergo non sit (en français, "il pense, donc il n'est pas.") Quiconque pense est en effet complotiste, écoterroriste, anarchiste, séparatiste, amish….

p.117: Ce qui est transcendant pour l'appareil: la situation Pour les appareils, les situations sont transcendantes.Par nature, ils obéissent sans état d'âme à ce que leur impose une situation. L'humain devenant un élément de machine y perd son immanence.

p.123: fin provisoire: Une telle critique de la technique est facile à écarter avec les mots d'antiprogressiste, luddite, rétrograde… Mais c'est aussi éluder la question de "la réversibilité de l'existence humaine". Nous existons en tant qu'espèce mais pouvons aussi ne plus exister. Il en est de même pour "la roue irréversible du progrès" qui pourrait très bien changer de sens.

p.125: Mise au pas -peur: Faut-il avoir peur que le monde des machines nous "mette au pas" ? Un seul exemple en passe de devenir réalité, la fin du cash: Christine Lagarde défend cette idée depuis des années et elle a convaincu la BRI que la carte bancaire remplaçant l'argent liquide empêcherait tous les trafics, toutes les évasions fiscales, tout "travail au noir". Les paiements via le smartphone d'ailleurs se généralisent et rendent obsolètes billets et pièces de monnaie. Mais imaginons un "écoterroriste" par trop encombrant: en un simple clic, l'État peut bloquer sa carte et le rendre "socialement mort", incapable de se nourrir, de se déplacer, de communiquer… Qui peut assurer que jamais un État se privera de cette forme d'élimination?

p.128: Conclusion: Les règles morales ne peuvent pas concurrencer la consigne… L'allégation que nous n'avons pas à porter la responsabilité des actes que le salariat, l'État, l'argent…, nous contraint de poser est d'une insupportable hypocrisie et une dangereuse porte ouverte aux pires abus… les réseaux sociaux en sont une belle illustration. Mais il n'y a aucun moyen d'abattre "le mur entre travail et action" ce que les Postmonétaires expriment en disant qu'il faut: "franchir le mur du sou…" ou accepter que le "mur de l'argent", vers lequel nous roulons à grande vitesse, nous pousse à l'extinction, comme de vulgaires dinosaures !