Capitalisme, la chute et ensuite..., Michel Cornillon
PDF 121 p., février 2014.
Michel Cornillon (1943- ), vieux militant de gauche, anticapitaliste, écrivain… Qu'importe son parcours, il l'a laissé derrière lui pour se consacrer à la littérature: Plusieurs romans, trois essais politiques, un livre pour enfants (destiné avant tout aux parents). Et un blog qui fut d'abord un blog littéraire, puis vira peu à peu au blog militant. Et pour des raisons bassement mais raisonnablement financière, il a également pratiqué le rewriting et les écrits de commande.
4ème de couverture: À l'heure où le capitalisme triomphe sur la totalité du globe, il peut sembler présomptueux de déclarer sa fin aussi inéluctable que proche. Pourtant, comme il en fut de son ancien adversaire, vaincu par un cancer qu'il s'est lui-même fabriqué, il s'apprête à sombrer. À cela, trois raisons principales : L'humanité, pour avoir "tué le père" en 1792, approche de sa maturité, et remet en question la domination du productivisme et de la finance. La planète ne va pas supporter longtemps les maux que lui inflige la concurrence à tout-va, exacerbée qu'elle est par l'addiction de quelques uns à des profits qu'ils conservent pour eux.
Comme à la veille de la révolution, l'homme dispose aujourd'hui d'un outil qui, déjà, remet en question l'organisation de la société. Livre tourné vers le positif, l'avenir et la libération de l'être humain, avec toutefois ce bémol : la déraison actuelle risque de nous mener à une action suicidaire qui nous fera disparaître..., ce qui n'empêche nullement l'humour d'accompagner ces pages!
p.2: En exergue, Michel Cornillon donne une citation anonyme du XX° siècle: "On n’a pas créé l’ampoule électrique en améliorant la bougie. On n’a pas instauré la république en ravaudant la monarchie. Ce n’est pas en rafistolant le capitalisme que nous parviendrons à la société de demain." La première phrase était souvent lancée par Jean-Paul Lambert. Qui des deux l'a piquée à l'autre, car ces deux militants se connaissaient!... Si Jean-Paul en est venu à abandonner le capitalisme pour inventer la "désargence", Michel est resté fidèle aux idées de gauche au motif que la sortie totale du capitalisme était un trop gros morceau, que la lutte serait encore longue et qu'il fallait inventer des étapes. Ses étapes à lui ont été de quitter le clan Mélenchon, de manier l'humour et la dérision pour déciller les neurones contemporains, avec son blog, ses écrits, ses réaction à chaud sur le blog des lecteurs de Médiapart…
p.4: François Hollande, pour s’attirer des voix, n’a pas craint de mener l’électeur en bateau. Au point qu’il ne fallut guère de temps pour deviner que les réformes promises ne verraient jamais le jour, que le salaire minimum continuerait de stagner, les hauts fourneaux de s’éteindre tandis que le chômage irait en augmentant. "Notre principal ennemi"…, disait-il! L'expérience des prestations de Mitterrand puis de Hollande aurait dû rendre méfiant les militants vis-à-vis de la politique soi-disant démocratique. L'issue à l'évidence ne viendra pas de cette "confrérie"…
p.5: Mais les peuples les moins évolués possèdent l’étincelle de bon sens manquant aux esprits détraqués par la drogue des profits, entendez les “élites“ qui nous imposent la course à l’infortune, en vérité un ramassis d’aveugles menant en toute impunité nos sociétés à la faillite. […] Ce naufrage annoncé, refusons-le. Avant qu’il ne soit trop tard, avant que la droite néolibérale et marchande ne nous permette plus d’exister que par nos appétits, ne nous transforme en forcenés de la consommation avant de nous jeter, exténués, dans les poubelles de son opulence, arrachons lui son masque, ouvrons sa boite crânienne, voyons que faire des sottises attachées à chacune de ses décisions. Voilà pour le tableau dans lequel baignait Michel Cornillon en 2012 peu après la trahison du "socialiste" Hollande…
10. Plutôt qu’un choix, c’est la peur de perdre ce que nous possédons qui nous interdit de bouger… La peur de l'inconnu (une hypothétique nouveauté) est plus forte en effet que la sécurité de ce qui est connu (le capitalisme). La plupart des arguments contre une société postmonétaire relèvent en effet de cette peur irrationnelle… Il faut en tenir compte!
p.20: Et de la même façon que l’aurait formulé La Boétie, s’il avait profité des lumières médiatiques, nous affirmerons que Sapiens, tant que lui sont assurés son emploi, son casse-croûte et le plein de sa voiture, accepte la servitude… En effet, que demande le peuple sinon d'accéder au niveau économique de la classe sociale située juste au-dessus de la sienne? Cela fait penser aux slogans de l'humoriste Pierre Dac: "Du pain, du ricard, du gazoil!..." ou "Tous pour un, un pour tous, 3%!..." En 2025, moment où j'écris ces lignes, force est de constater que les slogans actuels sont de ce type. La société postmonétaire n'émergera pas sans une véritable "éducation populaire" et sans un récit susceptible de donner envie d'autre chose…
p.23: Le souhait des Sans-culottes est demeuré lettre morte sous l’action d’aigrefins décidés à nous exploiter, nous, arrière-arrière-petits-enfants d’une fraternité contre laquelle s’était dressé tout ce que l’Europe comptait de dentelles, de soutanes et de couronnes…, et l’argent est revenu aux commandes. La révolution française a été bourgeoise dans la logique du cycle historique de la période moderne. Mille signes montrent qu'une parenthèse se ferme sur cette période, qu'une autre parenthèse s'est déjà ouverte, encore discrètement, sur un nouvelle période, celle d'un monde sans argent, sans hiérarchie, sans classes sociales…
p.26: Si nous souhaitons nous sortir du guêpier où nous ont plongés le capital et son productivisme, en fin de compte le matérialisme, reprenons notre évolution stoppée net par l’enterrement des "Jours heureux", programme rédigé sous l’occupation par le CNR. C'est peut être l'un des points de friction que je peux avoir avec l'ami Cornillon. Que le CNR ait été une formidable avancée sociale, c'est évident. Mais il a été pensé par des gens formés et éduqués par la "période moderne" en un temps où l'on pouvait encore croire à des aménagements du système. Michel Cornillon lui aussi est de cette période et pense dans ce cadre qui aujourd'hui se disloque, se fracture de toutes parts… C'est ce qui lui fait rêver d'une VIème République, cet ultime aménagement du système pour que rien ne change à la racine…
p.27: Tant que nous n’aurons pas rétabli le pouvoir du peuple, nous pouvons donc effacer de nos tablettes le mot démocratique. Et tant qu'il y aura la moindre pièce de monnaie en circulation, le peuple n'aura pas le pouvoir, cela irait mieux en le disant
p.30: Après plusieurs pages sur le constat de l'état du capitalisme, l'auteur conclue: "Voici l’ennemi au bord de l’infarctus, poussons-le dans le trou qu’il a lui-même creusé."
p.35 Non, la faute n’en revient pas à Voltaire, ni à Rousseau, non plus qu’au salarié travaillant pour gagner sa vie. […] Peut être aux plus cupides des très riches … et encore… Les pages suivantes exonèrent les très riches de leur addiction à la richesse en suggérant que la faute revient au système marchand (capitaliste comme communiste) qui a perverti à ce point des gens faibles parce que trop riches et trop accroc au fric… Là Michel Cornillon n'a pas tord.
p.39: Mais laissons ces précieux (les riches) à leur trouille, croisons les bras pour assister à l’effet domino qui, parti d’un lieu quelconque de la planète, va bouleverser la belle entente capitaliste et financière… L'effet domino dont parle Cornillon, c'est un mélange d'hyperconsommation programmée, de délocalisation, de bulletins de vote pour l'enfer capitaliste…
p. 45: La Droite, afin d’en détourner l’électorat qui n’y comprend plus rien, profite de la moindre occasion pour mettre tantôt Front de gauche et PS dans le sac d’une même gauche impuissante, tantôt Front de Gauche et Front National dans celui d’un populisme méprisable. Égaré de la sorte, le citoyen devient victime d’un enfumage particulièrement tordu… Dans le genre enfumage, on pourrait ajouter aujourd'hui l'accusation d'antisémitisme pour tous ceux qui aurait quelques préventions contre le sionisme, l'accusation d'apologie du terrorisme pour tous ceux qui s'émeuvent du sort des Palestiniens, d'agent à la solde de Poutine quiconque critique la culture de guerre du gouvernement ukrainien, d'anti-américanisme primaire quiconque évoque le rôle de l'OTAN à l'Est de l'Europe, de Gauche extrême tout sympathisant de Mélenchon, etc. L'anathème a très commodément remplacé la réflexion!
p.46: Fichu, le système ! Le vent de l’Histoire nous le chante à l’oreille…
p.54: À nous d’inverser le mouvement menant nos sociétés au désastre… L’argent est le dernier ricanement du singe…
p.56: De plus, si l’on ajoute à cela la propension du poète à chercher le mot juste tandis que l’énarque préfère le rail de la logique marchande, le publicitaire le maquillage et la supercherie, et que ce sont ces deux derniers qui se taillent la part du lion, on réalise que se comprendre entre voisins relève du tour de force.[…] Quant à l’homme de la rue, il en viendra à se réclamer du tous-pourris, du qu’on-est-bien-chez-soi entretenus par le FN
p.69: Après une bonne douzaine de pages servant essentiellement à descendre en flamme le traitre Hollande, l'auteur revient à la chute: À l’évidence, la fin du capital s’inscrit dans le capital lui-même, dans le système que l’aveuglement a permis de mettre en place et qui, sentant venir sa fin, incapable de la dissimuler derrière une morale bafouée depuis toujours, répand sa pestilence sur la totalité du monde…
p.83: Malgré de belles envolées lyriques sur l'état du monde il nous faut attendre cette page pour voir resurgir un semblant de projet: Ils [les capitalistes] demeurent nos semblables, accordons-leur une chance, invitons-les à placer leur argent dans le bas de laine de la communauté plutôt que sur le tapis vert du casino, et nous leur pardonnerons. […] …Et ce sera à nous, citoyens de nations tirées de leur sommeil, d’abattre les barrières interdisant la progression de tous. La Grande Révolution est à remettre sur ses rails, à diriger vers l’universalité dont l’ont détournée la consommation jusqu’à plus faim, la production jusqu’à plus rien…
p.86:… nous voici en errance, privés de nos repères, ne sachant à quel saint nous vouer. A défaut d'avoir été au-delà de la critique, Michel Cornillon doute visiblement qu'une issue puisse être résolument révolutionnaire et ne sait plus à quel saint se vouer. C'est honnête, mais attendre la chute pour construire quelque chose, c'est un risque irraisonnable. Sans un réel travail de "désargence" les meilleurs militants, les plus brillants des analystes n'ont pas de saint à qui se vouer. Par désargence j'entends le travail mental qui consiste à rejeter systématiquement les modes de pensée du vieux monde et de poser enfin les problèmes dans un autre cadre, non capitaliste, non marchand, non monétaire, puisque c'est ce que très justement Michel Cornillon critique. Les solutions ne peuvent émerger du système en faillite et surtout pas des institutions, des lois et des pouvoirs que le système à engendré. La résistance dont témoigne l'auteur quant à la "désagence" que je propose donne une idée de la complexité de ce travail mental quand on le demande à ceux qui n'ont pas derrière eux des années de réflexions et de combats, qui ont admis le système par négligence, s'en sont nourris et parfois l'ont pris pour un projet viable…
Et pourtant, Michel n'en est pas loin quand il écrit sur la même page: Liberté, ou sécurité ? Révolte, ou résignation ? Nous voici confrontés pour la énième fois aux problèmes de toujours : ou bien nous nous tournons vers l’utopie, l’aventure, la chimère, ou bien nous demeurons tels que nous sommes, attachés à nos certitudes, recroquevillés dans la chaleur de notre lisier. Cette vieille alternative entre réalisme et utopie, est distillée par tous les gens de pouvoir (pouvoir de l'argent, des gouvernants, des partis politiques…). Un réalisme qui rassure est le meilleur moyen de rassembler (des fortunes, des gouvernements, des militants), le seul moyen d'assurer une quelconque pérennité de ces trois institutions. A l'évidence, ces trois pouvoirs sont peu à peu pris dans des logiques de croissance, donc de guerre entre eux. Seule l'utopie est capable de renverser la vapeur et d'apporter un quelconque progrès. Les systèmes en place sont eux-mêmes issus d'anciennes utopies aujourd'hui obsolètes. Quiconque cède à la peur de l'utopie se condamne à reproduire les mêmes choses. Chaque début des grandes périodes historiques ne s'est ouvert qu'en refermant la parenthèse précédente, en proposant une nouvelle utopie comme seul réalisme possible. Notre époque n'échappera pas à la règle, n'en déplaise aux académies, aux financiers, aux gouvernants, aux partis politiques…
p.106: En cette heure où finit l'Empire rassemblons nos idées: L'humanité sort de l'adolescence et s'apprête à entrer dans la maturité… le danger d'un suicide collectif nous fait espérer un retour à l'équilibre… et nous avons un nouvel outil, l'informatique…Nous amènerons l'utopie dans la réalité… Que le capitalisme s’effondre de lui-même, comme le prédit l’Histoire, ou que nous le jetions bas, son dépassement ne s’alignera sur aucun des schémas antérieurs…
p.112: …Sous peine de ne jamais nous émerveiller, rendons à l’argent sa fonction, et arrêterons-nous là. Dans la société de demain, personne ne sera privé du droit de s’enrichir. Chacun devra cependant, au seuil de sa disparition, remettre à la communauté ce qu’elle lui aura permis d’acquérir. Que le bénéfice de son labeur ne soit plus attribué à sa seule descendance, mais qu’il se mêle à l’héritage universel… Que l’on soit homme ou femme, on ne naît pas humain, on le devient… Échappons au mirage de l’argent, passons outre au capitalisme redevenons humains… Très logiquement, Michel Cornillon espérait en 2015 rendre à l'argent sa seule fonction d'échange, l'héritage en moins. En mars 2023, il publie un nouveau livre sous le titre "Huit milliards de terriens à portée de Satan" dans lequel il propose de trancher le nœud gordien des multiples impasses actuelles (environnementales, politiques, économiques…) d'un coup de sabre ayant compris enfin que le nœud résisterait à toute tentative de démêlage. Michel a la tête encore dans les étoiles et ses pieds restent encore ancrés dans la réalité du 20ème siècle. Et pourtant, comment ne pas compatir et le garder envers et contre tout dans la catégorie de ceux qui ont le pied levé dans la posture "du pas suspendu de la cigogne", prêts à le poser plus loin, vers l'abolition pure et simple de l'argent…