Crise, champagne et bain de sang, Revue Jaggernaut

Éd. Crise et critique, PDF 38p.

Jaggernaut                Ce PDF ne comporte pas la revue entière mais seulement l'éditorial qui présente les différents articles. Se voulant une passerelle entre les mondes germanophone, lusophone et francophone, Jaggernaut constitue la première revue en langue française liée aux courants internationaux de la « critique de la valeur » et de la « critique de la valeur-dissociation ». Inspirée par Marx mais sans s’y limiter, la critique de la valeur-dissociation procède d’une critique radicale du travail et de l’argent, de la marchandise et de la valeur marchande, de l’État et du patriarcat, du sujet moderne et des idéologies de crise.

                La plupart des textes de la revue se retrouvent également sur le site Palim Psao, que je recommande vivement. Le PDF présenté ici n'en est que l'éditorial du N°2 de la revue.

Éditorial:  Les intellectuels regroupés autour de la réflexion sur la "valeur-dissociation" sont convaincus que le capitalisme est "autophage", c’est-à-dire qu'il est en train de se dévorer lui-même et qu'il ne peut que s'effondrer, à court ou moyen terme. Ils ont de commun avec nous d'être ouvertement pour l'abolition de l'argent, de l'échange marchand, de l'État, du salariat… Ce sont donc nos alliés objectifs et ne se différencient de nous que par la posture résolument théorique qu'ils adoptent. Partant des analyses marxistes, mais conscients des limites historiques de Marx, ils sont qualifiés de "marxiens" plus que de "marxistes". Entrer dans le concret des choses, c'est risquer de perdre la valeur de l'analyse théorique et de la transformer en "programme politique", ce qui n'est pas la fonction du philosophe.

                Les concepts utilisés et le style rhétorique peut surprendre ou rebuter mais nous avons, nous postmonétaires avec les mais dans le cambouis, tout intérêt à nous appuyer sur ces intellectuels, pour nous  doter d'une assise solide et réaliste…

     

p.5: La crise déclenche l’obsolescence du capitalisme, mais sans instaurer d’autre ordre social. Cela, les individus doivent l’accomplir eux-mêmes. […] La critique du capitalisme devient une question qui se pose inéluctablement, quel que soit le point de vue social où l’on se place. (Robert Kurz, dans Lire Marx). [...] La crise de 2008 a été suivie par près de dix ans d’une croissance mondiale atone qui a fait craindre aux acteurs économiques une «stagnation séculaire».

                Pour ceux qui en douterait encore, la situation actuelle du capitalisme est belle est bien une suite continue de périodes qui semblent se diriger en droite ligne des trente glorieuse à l'effondrement en passant par la stagnation, puis la baisse continue et généralisée de la croissance , la crise de 2008 …    

p.6: Ensuite durant l’été 2017, on a assisté à un bref rebond de la croissance mondiale qui semblait démentir ces inquiétudes. Toutefois, il n’en est rien […] Cependant, avec la montée en surface ces dernières décennies des limites interne (celle des potentialités de valorisation du capital) et externe (écologique celle-là) d’un système dont le seul but est de transformer 100€ en 120€, la menace désormais n’est plus extérieure à cette société, mais est partout endogène.[…] la société capitaliste globale se montre toujours plus une société autophage, qui scie inexorablement la branche sur laquelle elle est assise, en dévorant ses propres enfants. […]  Il nous est apparu indispensable de problématiser cette crise et d’insister sur le fait qu’elle n’est pas seulement de surface, mais structurelle, pas seulement cyclique, mais finale…

                Généralement, les élites se refusent à voir et à admettre ce constat pourtant validé par quantité d'évènement: virage à droite des grands patrons de l'industrie et des gouvernements, contradictions internes permanentes, démolition en règle de fleurons de l'industrie, etc. Le président Macron en est le parangon: après avoir construit sa campagne autour du rapatriement des usines délocalisées, il est favorable à la fermeture de l'usine Stellantis dans le 93, qui doit être délocalisée en Turquie. Les ouvriers de l'usine sont en grève depuis plus de six mois et pas un journal n'en parle. Visiblement cela doit se faire sans tambour ni trompette! Il n'y a même pas de raison objective de fermeture. L'an dernier l'usine a fait des profits record, mais juge que cela ne suffit plus. La seule variable d'ajustement qui leur reste, c'est la main d'œuvre évidemment moins coûteuse en Turquie….   

p.8: Du centre aux périphéries et marges effondrées de la planète-capital, le capitalisme à la Mad Max est déjà partout sous nos yeux. Dans le même temps, l’ère néolibérale s’est ouverte sur la diminution des impôts sur les riches pour favoriser leur capacité de placement dans l’industrie financière.[…] La croissance mondiale a ainsi ralenti dans 90% des économies nationales (autant dans les économies avancées, que dans les émergentes).

p.9: l’important dans le capitalisme, c’est le travail. Tout tourne autour. Dans la chaudière de la croissance économique tout est là, le but n’est jamais de satisfaire des besoins ni de répondre à quelque utilité.

p.11: Avec la troisième révolution industrielle à partir de la fin des années 1960, chaque nouveau niveau supérieur de productivité sur une ligne de production ou une chaîne logistique nécessite de moins en moins de travail vivant attaché aux différents postes de travail pour une quantité croissante de richesse matérielle. […] La quantité de force de travail exploitée de manière productive – au sens de la valorisation du capital – diminue, et la production de valeur réelle se contracte. Ce qui asphyxie le capitalisme est la diminution absolue du travail vivant impliqué dans le processus de production immédiat et la chute en conséquence de la masse de survaleur sociale….

p.17: Depuis les années 1980, l’histoire économique de l’ère néolibérale peut être comprise comme une succession de bulles spéculatives et de vagues de dettes qui ont gagné en ampleur et en élan. Ce sont dès lors ces bulles, les circuits déficitaires et l’endettement généralisé qui portent structurellement un simulacre de conjoncture économique en croissance relative, mais aussi la forme spatiale de cette économie-là, la mondialisation…..

p. 18: Avec une hausse de l’endettement mondial désormais situé à 322% du PIB mondial au troisième trimestre 2019 (soit 253000 milliards de dollars11), en particulier aux États-Unis, en Chine et dans les pays émergents, le spectre du krach financier mondial de 2007-2008 hante toutes les têtes.

P.20: Dans ce contexte, après l’époque néo-libérale, la nouvelle configuration géo-économique du capitalisme est celle du retour de la frontière. Partout on observe le retour en force à la nation, aux régionalismes, au protectionnisme, à la réaffirmation des idéologies de crise excluantes (le racisme, l’antisémitisme, etc.), à la constitution de territoires-forteresses marqués par un impérialisme d’exclusion et l’hypostase des identités culturelles et religieuses (y compris dans la gauche postmoderne en cours de décomposition).

Le site Palim Psao et la revue Jaggernaut restent les deux supports les plus intéressants sur le plan théorique que l'on puisse trouver dans l'Héxagone. Le style philosophique peut parfois rebuter mais avec un peu d'effort, ce courrant philosophique devient vite incontournable dès que l'on s'y plonge...