
Crises, Léon de Mattis 1
Quatrième de couverture: En octobre 2008, le système financier mondial a failli s'écrouler. Depuis, la crise financière s'est muée en une rise de la dette publique qui s'aggrave de semaines en semaines. Le fonctionnement de l'économie, à l'heure actuelle, repose la croyance en la capacité des États à maintenir la valeur de la valeur. Que cette croyance s'effondre et le système péit. Crises saisit l'occasion de la crise pour poser une question que les économistes évitent toujours : pourquoi l'argent vaut-il quelque chose plutôt que rien ? Répondre à cette question c'est s'interroger sur les fondements de la valeur dans le capitalisme. À l'heure où beaucoup s'indignent de la situation actuelle en croyant naïvement que l'on pourrait revenir à l'économie « régulée » des lendemains de la seconde guerre mondiale, il faut rappeler que le rapport social capitaliste ne peut être combattu qu'en s'attaquant à sa racine. Tant qu'il y aura de l'argent, il n'y en aura pas assez pour tout le monde.
Léon de Mattis: Engagé dans un parti de gauche, allant jusqu’à se présenter sur une liste de candidats aux élections municipales, il a tiré de ce triste passé de citoyen exemplaire une conviction jamais démentie : les élections sont un piège à cons et la démocratie est l’ennemie de la liberté. Léon de Mattis n’a plus pris part à aucune élection, comme candidat ou comme électeur, depuis 1989. Il est proche des milieux libertaires, ce qui se voit de plus en plus au cours de sa carrière d'écrivain: en 2015, "Qu'est-ce que l'argent? Rien. Qu'est-ce que la lutte des classes ?, Tout!" , un petit pamphlet de 7p. ; en 2021, "Utopie 2021" dans lequel il imagine un monde postmonétaire ; en 2023, "Mort à la démocratie" pour dénoncer les deux dogmes indépassables de notre temps, le capitalisme et la démocratie. Il est aussi auteur de nombreux articles sur des blogs et dans des journaux. Pour mieux comprendre sa posture politique, on peut lire une suite de quelques uns de ses articles: Voir https://leondemattis.wixsite.com/leondemattis
p.8: N'importe quel échange économique, même celui d'une petite coopérative indépendante, est tout autant conditionné par l'ensemble du rapport social capitaliste que celui des firmes multinationales. Il n'y a aucune différence entre la compagnie Coca-Cola et la modeste entreprise qui fait du "commerce équitable". Le ton est donné, ce n'est pas le capitalisme dont il va être question mais bien du système marchand dans son ensemble, pas des capitalistes mais de nous tous, les humains.
p.9: La valeur n'existe pas de manière plus tangible dans l'économie de tous les jours que dans la sphère de la finance. Elle est de la même manière dans l'échange quotidien et dans les spéculations monétaires ou boursières.
p.10: Ce que l'on appelle "la financiarisation de l'économie" n'est guère que l'expression, sous une forme financière des impasses structurelles du mode de production capitaliste. […] C'est l'incarnation même de la valeur, la monnaie, qui ne peut plus valoir que dans la mesure où la valeur s'accroît à l'infini. Et vlan, pour les décroissants qui espèrent une société marchande hors de toute croissance. Si la société décroît, l'argent disparaît car il n'a plus de sens. L'argent, la monnaie est antinomique avec la décroissance. Si l'on veut décroître, il faut abolir l'argent, si on abolit l'argent, on peut enfin construire une société décroissante… C'est à la lumière de ce prérequis que Léon de Mattis analyse la crise de 2008 (rôle du crédit, bulle immobilière, intervention tardive des États, impasse de la régulation…)
p.42: Si la garantie de l'État est quelque chose qui jusqu'à présent n'a fait défaut dans le monde capitaliste que de manière ponctuelle et locale, il n'en ira pas forcément toujours ainsi. […] Un des indices de la défiance des marchés envers les États, c'est le montant des CDS a explosé pour des pays comme l'Irlande, les États-Unis, l'Allemagne…. Le CDS (credit default swaps) est une assurance contre les risques du crédit. Le swap est un produit financier dérivé dont la valeur dépend de la fluctuation des cours des matières premières, donc de la fluctuation du prix d'un autre produit qui lui sert de référence. C'est un crédit croisé consenti sur une période consentie au départ, de quelques jours ou quelques années. Arrivé à ce stade de sophistication, il est logique que les acteurs économiques concernés s'y perdent eux-mêmes, et toujours au dépend de ceux qui ne sont pas concernés, les plus petits revenus…
p.43: Le déficit structurel de la Grèce a imposé l'adoption par l'Europe d'un plan d'urgence, au début de mai 2010 qui devait servir à couvrir d'autres défaillances éventuelles d'États européens, au prix de plans d'austérité qui se traduisent par la paupérisation croissante de la population. C'est un jeu de domino qui a une limite: après l'Allemagne ou les États-Unis, il n'y a plus rien et ce n'est pas la Chine qui rachètera le monde!... Si les crises n'ont cessé d'affecter un pays après l'autre, pour la première fois dans l'Histoire, l'hypothèse d'une crise mondiale, sans le recours possible d'une grande puissance ou des multiples instances internationales (BM, FMI, BRI, OMC, AID…). Comme au jeu de Monopoly, en fin de course personne ne gagne, ni les joueurs en faillite ni le soi-disant vainqueur qui se retrouve avec tout l'argent disponible sans pouvoir le dépenser faute de consommateurs et avec des maisons, gares, hôtels, rues que plus e=personne ne peut ni louer ni acheter: Game over mondial! La dette mondiale de 2023 a atteint 100% du PIB, soit 100 000 milliards de dollars! Si au plan environnemental il y a 7 seuils irréversibles sur les neuf qui ont été répertoriés, au plan économique, il y a au moins le seuil de la dette qui, si la dette est mondiale, sera elle aussi irréversible et donc aporétique (sans solution intellectuellement pensable).
p.45: La tentation est grande de penser qu'il suffirait de réformer la manière dont est créé et géré l'argent pour éviter le retour de la crise financière. Il n'en est rien car on ne réforme pas l'argent avec un peu de bonne volonté et de coopération internationale. L'autre tentation est celle de la redistribution: si l'on partage l'argent qui reste en part égales entre tous, certains perdraient leur fortune mais tous aurait au moins de quoi vivre modestement. La première tentative a été faite par les juifs des temps bibliques avec la pratique du "jubilé" (vers 1200 av. JC). La dernière théorie "distributive" est celle de Bernard Friot qui voudrait étendre les principes du CNR à toute l'économie. C'est séduisant mais cela ne fonctionnera pas mieux que le jubilé: partant du même capital, en dix ans on retrouvera Job pleurant sur son tas de fumier et Salomon qui se sera approprié des mines d'or et vivra dans un palais!
p.47: Les biens ont une valeur relativement à leur usage. Mais une Ferrari vaut plus cher qu'une Twingo pour le même usage, la même utilité.[…] Au contraire, l'argent n'est utile que parce qu'il a de la valeur. […] Qu'est-ce qui donne alors la valeur à l'argent? Oui si l'on considère que sans argent il n'y aurait plus que le troc. En réalité, c'est une question sans réponse et les économistes se déchirent depuis des siècles sur la définition des fonctionnalités de l'argent et plus encore sur celle de la politique monétaire, sans que la réponse ne fasse consensus… En somme, il semblerait que l'argent, la monnaie, le marché ne soit qu'une institution, une convention sociale, au même titre que la Loi… Le système a été fétichisé et c'est la seule raison pour qu'il paraisse indéboulonnable, "tabou"!
p. 54: de Mattis suggère que l'argent est un instrument de pouvoir avant d'être un outil d'échange.
p.61: Pourquoi la valeur existe-t-elle? "Parce que l'homme est ainsi fait", répond en substance Simmel qui trouve le moyen d'écrire plus de 600 pages pour dire ce qui tient en six mots…
p.63: Pour Marcel Mauss, l'or de nos contemporains est du même ordre que le fétiche des peuples primitifs: "vous identifiez le fétiche quand le système de croyance vous est étranger, mais quand il s'agit de vos propres croyances [l'économie moderne] C'est sans doute Mauss, sociologue et non économiste, qui a raison. Les motifs de qualifier les pratiques actuelles de l'économie, et jusqu'à l'usage des algorithmes, de fétichisme sont de plus en plus évidente, chez les économistes traditionnalistes ou hétérodoxes comme chez les acteurs de banales transactions de gré à gré pour une bouchée de pain, un verre d'eau…
Il n'en reste pas moins que "la croyance n'est opérante que dans son rapport au tout social qui le fonde". Une société postmonétaire ne tombera pas du ciel ou de la volonté de quelques "éveillés", mais bien du tout social, ce qui induit que la société devra changer de croyances en même temps qu'elle change de système, faute de quoi, le changement sera éphémère et porteur de contre-révolutions….
p.67: Ignorer la question de la valeur ou la considérer comme quelque chose de simple (…), c'est condamner à l'insignifiance toute révolte contre les conditions de vie, aggravées par cette crise, qui nous sont faites…Si la valeur d'échange, l'argent ou encore le pouvoir et la hiérarchie sont des faits humains indépassables, alors sans doute faudra-t-il se plier éternellement à leurs lois. La question fondamentale devient dès lors: qui a intérêt, au fond, à ce que de telles lois soient vues comme éternelles? C'est effectivement ce qui rend contre productif les prétendues innovations, rebellions, alternatives qui restent dans le domaine purement individuel (les Survivalistes, les Colibris, certains néoruraux…), qui restent dans la seule réparation des misères intolérables (humanitaires, associations de services, groupes collaboratifs…), ou qui se cantonnent à un unique domaine (les fanatiques des monnaies locales ou des cryptomonnaies, certains écologistes et défenseurs de la cause animale…).
p.77: L'acte d'échange envisagé isolément ne nous révèle rien de la vérité de l'échange. Celle-ci ne peut se lire que dans la totalité du système, mais dans ce qui relie tous les actes d'échanges entre eux, c’est-à-dire dans la circulation de la valeur… C'est le problème des SEL (système d'échange local, des JEU (jardin d'échange universel) qui, aussi sympathiques, utiles, réparateurs soient-ils ne permettent en rien de comprendre le système global, voire, qui l'obscurcissent…
p.79: Il y a très longtemps que la circulation générale existe. Le capital commercial n'est pas une création récente. Dès le néolithique, il existe des formes d'activités quasi industrielles motivées par la commercialisation ultérieure de ce qui était produit (mines, poterie, taille de pierre…). Ces genres de constats, induisent généralement la naturalisation de la valeur, de l'échange, de la monnaie, ce qui interdit tout abandon du système marchand, soit nié comme on a nié les cultures des peuples premiers pour qu'elles ne remettent pas en cause notre propre ethnocentrisme. Seule une réflexion sur le sens de ces "antécédents", dans un cadre conceptuel totalement débarrassé des prérequis modernes, peut permettre que la projection dans un autre monde sans argent, sans inégalité, sans désastres environnementaux. C'est en effet si complexe que seule la coopération de tous, selon les compétences, les expériences, les niveaux culturels et culturels, peut y parvenir. Le monde postmonétaire ne peut vraisemblablement advenir à la condition d'être inclusive et de ne nier aucune culture, aucune classe, aucun particularisme.
p.91: L'argent est lié à la valeur circulante et cette circulation n'existe que par lui. L'argent peut donc prendre les formes les plus variées sans perdre ses caractères propres. Il y a une continuité historique entre ses formes diverses: le bâton de change, généralement en bois, utilisé dans la Grèce antique pour le petit commerce intérieur se retrouve aujourd'hui dans l'expression "émettre un chèque en bois" c’est-à-dire sans provision. Entre le bâton et le chèque, il y a le même mode de comptabilité, la même nécessaire confiance entre les deux parties, la question des valeurs attribuées aux objets de l'échange, les mêmes histoires aussi de fraudes, vols, dols, trafics…. Une nouvelle monnaie sociale et solidaire ne serait jamais qu'un "bâton de change" de plus!
p.97: L'auteur fait ici une distinction rarement évoquée entre la "circulation" et le "marché": On peut se passer du marché entendu comme le point de rencontre entre des acteurs économiques libres si on maintien la circulation. Dans le cas de l'économie soviétique, l'état centralisé prend en charge la circulation de la marchandise et de la monnaie en lieu et place du marché. Dans un monde fondé sur l'accès libre à tous les biens, services et savoirs (option postmonétaire), le marché disparaît en même temps que la valeur et seule subsiste la circulation des biens en fonction des besoins et des ressources, laquelle exige un autre type d'organisation, d'institutions et d'usages…
p.101: Il faut distinguer deux entités: le capital fixe (bâtiments, matériel, outillage…) et le capital circulant (ce qui se renouvelle sans cesse comme les matières premières, les fournitures, la force de travail…). Or, le cycle A M A' ne s'accomplit pas au même rythme selon le type de capital. La rotation du capital fixe est beaucoup plus lente que le capital circulant, bien que les deux passent aussi par la circulation pour revenir nourrir, sous la forme de capital augmenté le capital accumulé. Le capitalisme ne peut survivre sans rotation ni capital augmenté, comme le corps humain ne peut survivre si c'est le cœur du système ne fait plus avancer le sang. C'est le point faible du capitalisme, son pied d'argile, son talon d'Achille. Tous les anticapitalistes devrait viser ce point faible. Il suffirait d'arrêter de consommer ce qui n'est pas vital pour que tout s'écroule! Les "objecteurs de la consommation" sont encore minoritaires mais tout de même de plus en plus nombreux tant le nombre des non-consommateurs contraints augmente du fait du creusement inévitable des inégalités sociales…
p.106: Chapitre sur l'unité du système capitaliste: La valeur de ma baguette de pain n'est pas coupée de la valeur des titres de créance alambiqués qui ont provoqué la crise financière. L'une et l'autre présupposent la totalité du système de la circulation pour exister telles qu'elles sont. C'est à mon sens ce qui explique que tant de contradictions se cachent derrière les affirmations péremptoires des économistes qui, généralement, ont un système de pensée analytique: un sujet-un discours, un problème-une solution, un secteur économique-une règle, etc. Mais la réalité, c'est que l'échange de la baguette de pain a lieu au sein du système de la circulation de la valeur, qui l'a objectivée en tant que valeur-travail, qui a fondé la possibilité de mon salaire comme produit de cette objectivation, qui a crée le système monétaire où le billet que je tiens dans ma main est créance sur une créance qui présuppose le phénomène de l'accroissement de la valeur circulante. Le billet de cinq euro que je tends à mon boulanger présuppose la totalité des circuits de la finance et de l'économie contemporaine, et ne vaut au fond que par eux. Tant que l'on n'a pas compris la globalité de ce geste banal, on ne comprend rien à l'économie et les "solutions" que l'on trouve aux problèmes économiques sont caduques avant même d'être mises en œuvre.
p.109: Dans le mode de production capitaliste, le maintien de la valeur par sa circulation n'est possible que parce que la valeur s'y accroît. Une somme d'argent A revient sous la forme A' qui représente une augmentation de valeur. Dès lors, la force de travail apparaît comme la seule marchandise qui, achetée par le capitaliste, transmette davantage de valeur au produit que ce qu'il aura fallu dépenser en valeur pour l'obtenir. On comprend alors qu'un "bullshit job" soit acceptable dans un monde monétisé mais aberrant dans un monde a-monétaire… Cette "survaleur" ajouté à la marchandise par le travail est quantitative, la valeur ajoutée d'un monde postmonétaire ne peut être que qualitative. Cela change tout car il est inimaginable qu'une activité de valorisation (partir d'une graine pour arriver à un kilo de tomates, ou prendre un bout de bois pour en faire une table) puisse, sans argent, créer une inégalité sociale, offrir un pouvoir au planteur de la graine sur le mangeur de tomates!... C'est toute la différence entre salariat et activité choisie, entre travail abstrait et travail concret.
p.112: Il y a un grand nombre d'emplois qui certes concourent à l'existence du mode de production capitaliste, sans lesquels le capitalisme n'existerait même pas, mais qui pour autant ne sont pas productifs (créateurs de survaleur): tel est le cas des assistantes sociales, des professeurs, des éducateurs ou des policiers qui servent à entretenir , domestiquer, formater ou soumettre la force de travail. N'est pas non plus productif le travail des banquiers, financiers et autres traders sans lesquels il ne pourrait y avoir ni argent ni capital. Ce travail non productif est payé par le transfert d'une part de la survaleur au cours de la circulation. Mais c'est aussi ce qui induit mécaniquement l'abandon progressif de ces activités non productives, leur dévalorisation sur le "marché du travail" et donc l'état déplorable du service public en général que seule une société a-monétaire peut revaloriser durablement.
p.115: …à mesure que s'étend la production, la masse toujours plus énorme du travaille d'autrefois tend en proportion à réduire la part du travail actuel, qui seul pourtant peut créer la survaleur. […] Le temps de production est de plus en plus consacré à revivifier de la valeur passée pour la transmettre à la valeur nouvelle, et de moins en moins destiné à en créer de la supplémentaire.(Marx parle de travail vivant et de travail mort et ce qu'on appelle aujourd'hui la baisse tendancielle du taux de profit). C'est aussi ce qui explique le chômage structurel qui ne peut qu'augmenter dans le temps quelles que soient les mesures sociales que l'on mette en place. A l'intérieur du système de la survaleur, pour augmenter cette survaleur il n'y a pas d'autres solutions que de d'allonger la journée de travail ou de réduire les salaires. Les seules limites à cette variable d'ajustement sont l'épuisement des travailleurs et la résistance qu'ils peuvent opposer…
p. 117: …et dans ce cadre contraint, appeler à la décroissance ne peut qu'entretenir l'illusion qu'un capitalisme modéré et adepte du "développement durable" pourrait voir le jour. En effet, le mouvement de la décroissance ne favorise pas vraiment la prise de conscience qu'il faut sortir du système monétaire… (c'est sans doute un peu moins vrai pour les Objecteurs de croissance…). Idem pour l'environnement, l'écologie, les contraintes de la valorisation interdisent de prendre en compte les risques environnementaux. Donc les "écolos non-anticapitalistes" ont du chemin à faire, à moins qu'un blocage quelconque s'immisce entre la production et la consommation, car là, c'est la crise et… patatrac!...Mais ma position sur ce sujet reste très controversée. La doxa dit que les crises régulent le capitalisme…entre 1970 et 2007, il y a eu 124 crises bancaires, 208 crises de change et 63 crises de la dette souveraine. Y a-t-il des seuils irréversibles dans l'économie comme il y en a dans l'environnement? Je pense que oui mais encore faut-il le démontrer…
p.143: A voir les hommes ainsi dominés par leurs propres productions, il est tentant de les exonérer de la responsabilité, ou au contraire de les considérer tous coupables, ce qui revient au même. Tout le monde n'est pas logé à la même enseigne. Et en outre, le pouvoir est toujours quantitativement corrélé au capital que l'on possède. S'il est vrai que nul n'est coupable du désordre généralisé, la responsabilité n'en est pas également partagée. Si dans une situation particulière des acteurs adultes et enfants sont mêlés et qu'un délit apparaît, personne ne penserait à juger les enfants coupables au même titre que les parents…
p.145: Ce n'est pas le capitaliste qui crée la valorisation mais c'est la valorisation qui fabrique le capitaliste… Argument difficile à manier car il pourrait induire le fait que la valorisation est une loi naturelle, donc éternelle et incontournable… C'est ce qui a conduit Marx à parler de la valeur comme d'un "sujet automate".
p.149: L'exubérance de l'argent est la marque visible et impossible à cacher de la perpétuation des liens maître-esclave. Tant que l'argent et la valeur existeront, sous quelque forme que ce soit, nous vivrons toujours dans une société de classe. …ou de castes si la valorisation passe par des fonctions (intouchables et brahmanes). Et pourtant la notion de classe est en train de disparaître dans les pays occidentaux développés. Le hiatus entre le ressenti d'une fin des classes et l'évidence de la création de classes par la valorisation est sans doute lié à l'accès à la consommation de masse qui a crée une immense et majoritaire classe moyenne bourgeoise. Cette bourgeoisie cache le rapport direct entre capitalisme et classes sociales sans réellement supprimer les classes.
p.150: L'homme ne descend pas du singe mais d'une bande de singes. Il a été social avant même d'être humain. D'ailleurs, l'observation des chimpanzés a récemment permis de comprendre que ces chimpanzés organisaient au sein du groupe des relations éminemment politiques, avec des stratégies de pouvoir, de coalition, de soumission, d'asservissement, de répression des règles communes, etc. Cela permet d'affirmer que l'individu dans la société capitaliste n'est pas l'individu naturel mais seulement l'individu social de notre époque
p.151: L'individualisme capitaliste est donc en un sens une illusion mais, comme illusion sociale, il possède évidemment une certaine réalité, en ce qu'il est la traduction du fonctionnement réel du rapport social capitaliste. Cette remarque permet de comprendre que l'individualisme que l'on constate, souvent pour le déplorer, n'est pas un effet de la "nature humaine", un effet du capitalisme. Faute de quoi, à l'idée d'une abolition de l'argent, on projette cette illusion sur la vision d'une société postmonétaire. Inévitablement, on nous dit alors que cette société sans argent serait idéale mais impossible en raison de la "nature humaine. C'est un biais cognitif d'autant plus dur à éviter qu'il s'origine dans une expérience largement partagée et quotidienne du spectacle capitaliste. En ce sens, une désargence, c'est-à-dire un processus réflexif de décolonisation à l'argent, est le préalable à toute entrée dans le cadre postmonétaire, entrée souvent longue et douloureuse!... L'abolition de l'argent est un problème mental bien plus que technique!
p.157: L'autogestion ne peut rien être d'autre que l'autogestion de la circulation de valeur et donc l'autogestion de sa propre exploitation. Il ne sert à rien de prendre le pouvoir dan l'entreprise pour gérer celle-ci en suivant les règles de la production marchande capitaliste; et prendre le pouvoir dans l'entreprise c'est nécessairement se condamner à la gérer suivant les lois du capital. Il ne s'agit donc pas de l'emporter sur le pôle dominant, mais bien de s'abolir en tant que classe en détruisant le rapport dominant-dominés lui-même. On peut faire la même objection à ceux qui pensent à une transition lente entre l'ancien et le nouveau système via une prise de pouvoir politique. Un Président postmonétaire élu au suffrage universel serait prisonnier du système. C'est l'État qu'il faut abolir, le choix de la démocratie représentative qu'il faut abandonner, en même temps que le salariat, la valeur, le marché, etc. Ce n'est pas de l'extrémisme, de la radicalité, mais une simple posture systémique, ce qui est logique puisque, depuis le début, on ne parle que de système….
Conclusion On est soumis identiquement par le seigneur et le pouvoir féodal, par le colon et par la colonisation, par l'argent et le capitalisme. Un jour, dans six mois, six ans ou soixante ans, le capitalisme s'effondrera sous le poids de ses propres contradictions structurelles. Encore qu'une survie de soixante ans, ou même de six ans du capitalisme semble très hypothétique. La conjonction avec des effondrements environnementaux, sociaux, politiques et d'une énième crise capitaliste, pourrait nous entraîner dans un collapse encore plus rapide. S'il n'est pas possible de dater un tel événement, il serait à l'évidence très imprudent de ne pas faire comme si l'effondrement allait arriver demain matin. L'urgence seule peut nous contraindre à collectivement préparer la période postmoderne qui suivra. A défaut, il faudra tenter l'aventure dans le chaos, le sang et les larmes..., seule la petite minorité de postmonétaires s'y étant préparé.