Devant l'effondrement, essai de collapsologie, Yves Cochet
Editions LLL, 2019, 256p.
Quatrième de couverture: La période 2020 - 2050 sera la plus bouleversante qu'aura jamais vécu l'humanité en si peu de temps. L'effondrement de notre civilisation industrielle s'y produira à l'échelle mondiale, probablement dans les années 2020, certainement dans les années 2030. L'ouvrage examine les origines écologiques, économiques, financières et politiques de cet effondrement et, surtout, leurs relations systémiques.
Biographie: Né en 1946, Yves Cochet fait une thèse de mathématique et devient enseignant à l'INSA de Rennes. Politiquement, il est écologiste EELV, député de 1997 à 2011, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement entre juillet 2001 et mai 2002 (10 mois sous Jospin), puis député européen de 2011 à 2014. Il vit dans une maison de campagne (7 ha) près de Rennes où il se prépare à l'effondrement…
Yves Cochet est un modéré, au départ européiste (il a fait campagne pour le OUI en 2005), de la gauche classique et longtemps persuadé que des réformes étaient possibles. En fin de carrière, il reconnait n'avoir rien pu faire de décisif, ni en tant que député ni en tant que ministre de l'écologie. Les solutions qu'il propose face à l'effondrement, ce n'est pas de changer radicalement de modèle politique, mais de limiter au mieux l'activité humaine qui nous conduit vers le mur. Sa maison de campagne est quasiment autonome, il a prévu un attelage de chevaux pour ses déplacements, ses terres sont 100% écolo…, mais à aucun moment il n'a pensé qu'une abolition de l'argent serait la seule solution assez radicale pour changer la donne.
Critique du livre:
On se demande bien pourquoi Yves Cochet n'a pas tiré les leçons de sa longue expérience politique, et comment il peut se préparer à l'effondrement sans imaginer le basculement dans un autre système global, une société enfin débarrassée du capitalisme. Yves Cochet fait partie de la caste "du pas suspendu de la cigogne"! Il adhère à toutes les thèses de la collapsologie et reprend la définition de Pablo Servigne: « l’exercice transdisciplinaire d’étude de l’effondrement de notre civilisation industrielle, et de ce qui pourrait lui succéder, en s’appuyant sur les deux modes cognitifs que sont la raison et l’intuition, et sur des travaux scientifiques reconnus. » (Servigne, Stevens, 2015, p. 253). Lui-même donne une définition très claire, pages 29-30 de son livre : « le processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, mobilité, sécurité) ne sont plus satisfaits pour une majorité de la population par des services encadrés par la loi. Ce processus concerne tous les pays et tous les domaines de l’activité humaine, individuelle et collective ; c’est un effondrement systémique mondial. »
Un effondrement systémique mondial ne peut se résoudre avec un peu moins de pollution et des toilettes sèches! Refaire un État du même style que celui qui aura failli dans ses devoirs d'assurer quelques services à la société et au point de nous mener au chaos, cela paraît un peu naïf. Yves Cochet apparaît dans ce contexte comme un pessimiste ("c'est foutu") individualiste ( "nous devrons nous attendre à une extrême violence, qu’elle soit inter-étatique ou entre les communautés locales"). Pourtant, Yves Cochet est lucide sur beaucoup de points. Il a même daté la suite des événements: "la fin du monde tel que nous le connaissons (2020-2030), l’intervalle de survie (2030-2040), le début de la renaissance (2040-2050)". (p. 115)
En somme, le livre d'Yves Cochet peut nous intéresser pour ce qu'il ne dit pas de ce que pourrait être la renaissance. Personne n'adhèrera à un bouleversement civilisationnel sans un récit crédible de ce que pourrait être cette renaissance, quelles structures sociales seraient susceptibles de former une colonne vertébrale à la société sans reproduire les mêmes effets pervers du capitalisme néolibéral triomphant! Les postmonétaires ont déjà produit quantité de projections plausibles, sous forme de fictions ou d'essais, pas toujours cohérentes, mais qui, au moins, ouvre une porte sur un monde décolonisé de ses tares les plus anciennes…
Quelques citations:
p. 9-10: « Ce n’est plus l’économique qui est déterminant en dernière instance, c’est l’écologique. » Et ce serait l'évènement le plus opportun pour apprendre à se passer de l'argent et de l'échange marchand et inventer une économie a-monétaire. A défaut de révolution postmonétaire, il n'est pas impossible que nous soyons amenés, dans l'urgence et le chaos, à considérer que l'argent est devenu obsolète, au moins pour répondre aux besoins vitaux et locaux. Visiblement, Cochet a du mal à s'y résoudre et propose un "bricolage" en attendant que nous puissions nous organiser en société postmonétaire qu'il n'ose même pas nommer!...
p.115: « la période 2020-2050 sera la plus bouleversante qu’aura jamais vécu l’humanité en si peu de temps. À quelques années près, elle se composera de trois étapes successives : la fin du monde tel que nous le connaissons (2020-2030), l’intervalle de survie (2030-2040), le début de la renaissance (2040-2050). »
La vision d'Yves Cochet est en tout état de cause une façon de nous prévenir qu'il est déjà trop tard pour une solution en forme de "révolution tranquille". Il imagine une décennie entière d'une pagaille monstre, génératrice de projets inédits, suivie d'une autre décennie de lente reconstruction. Nombre de militants postmonétaire sont en effet dans l'idée d'une transition d'abord subie, puis acceptée comme inéluctable. Puisque j'écris ce commentaire en février 2024, si Yves Cochet a raison, nous allons nous enfoncer dans une longue période chaotique qui pourrait être sinon évitée du moins raccourcie en préparant dès aujourd'hui cette société autant postcapitaliste que postmonétaire. Il est tout de même plus aisé de rassembler toutes les compétences et énergies autour de l'élaboration d'un projet de société, avec les services de l'électricité, de l'Internet, du supermarché, des moyens de transports que sans! Le premier combat logique serait d'étouffer les polémiques autour de ces trois étapes si bien datées. Le bon Pascal aurait certainement ressorti son histoire de pari s'il était parmi nous. En effet, prenons la chronologie de Cochet, prémonitoire ou farfelue, peu importe. S'il s'est trompé dans la date de l'effondrement, à la baisse nous serons prêts plus vite. S'il s'est trompé à la hausse, nous aurons plus de certitudes et d'expérience pour la suite. Si la "Renaissance" est plus précoce nous aurons des excuses de n'être pas prêts, plus tardive, nous serons plus sereins. Qu'importent les dates exactes, si les trois étapes sont à ce point probable! Les railleurs n'ont pas le monopole de la vérité et de la lucidité.
Néanmoins, la transition selon Cochet ou selon les altercapitalistes, c'est le risque évident que, par peur de l'inconnu, nous nous contentions d'un "altercapitalisme", à peine tronqué de ses tares essentielles et qui permette de reculer pour mieux sauter. Est-ce un choix judicieux? On peut en débattre mais c'est me semble-t-il jouer avec le feu, prendre le risque d'entrer dans une longue période de dictature, forme toujours séduisante de réponse au chaos.
p.202: Cochet est en même temps réaliste, pragmatique (en bon mathématicien) puisqu'il exprime sa propre peur en ces termes: « je suis trop rationnel pour souhaiter un désastre. » Voilà bien un argument pervers mais récurent que j'entends sans cesse. Au motif que nous souhaitons la sortie du monde marchand nous serions favorable à l'effondrement global. C'est stupide. Si effondrement il y a, après des années de déni de cet éventualité, c'est une bonne moitié de l'humanité qui risque de disparaître dans des guerres, des actes de vandalisme, des épidémies, des carences en eau et nourritures. Au nom de quoi ne rechercherions nous pas à imaginer un après qui soit réalisable, ne serait-ce que pour sauver un minuscule pourcentage de l'humanité? 0,1% de vies sauvées à l'échelle de l'humanité c'est tout de même 80 millions de personnes. Cela vaut la peine d'en prendre "le risque" et de supporter les ironiques remarques des gens sérieux!....
Il est clair pourtant qu'il ne manque vraiment pas grand-chose pour qu'il adhère à nos idées et principalement à celle de base: nous ne pourrons échapper à l'abolition de l'argent, volontairement ou par défaut. Mais le discours d'Yves Cochet est si clair que nous l'hésitons pas à le placer dans la catégorie du "pas suspendu de la Cigogne!"
Pour compléter et nuancer mon sentiment sur le livre de Cochet, on peut aussi lire le commentaire en PDF signé Bruno Villalba pour OpenEdition. Voir