L'économie basée sur les ressources, Pierre-Alexandre Ponant
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Ce texte présente le point de vue d'un collectif postmonétaire qui est parti sur la question des ressources et de leur gestion comme point central. Comment, sans le système monétaire, les ressources et les besoins peuvent être mis en concordance de façon équitable. Cette approche pratique a l'avantage d'être très concrète et compréhensible par tous, mais l'inconvénient de manquer parfois de bases théoriques et d'occulter quelques aspects particuliers pourtant essentiels. Il est donc à rendre pour ce qu'il est et non comme synthèse globale de ce que recouvre le terme générique de "postmonétaire"…
p.8: Imaginez un monde débarrassé de la pauvreté et des désastres écologiques, un monde d‘abondance dans lequel l‘homme vivrait en harmonie avec la nature tout en jouissant d‘une qualité de vie jamais égalée au cours de l‘histoire l‘humanité.
P.A.Ponant ouvre cette réflexion par la proposition d'une "expérience de pensée". Pour envisager une autre société ayant résolue les impasses que produit le système actuel, il faut commencer par prendre cette proposition comme un postulat, c’est-à-dire comme un fait imaginaire dans le but de voir ce qu'il produit. Et en effet, une fois accepté ce principe, on s'aperçoit vite que les possibilités sont immenses et les solutions évidentes. Hors du principe de base de l'échange marchand et de l'argent, ce monde qui nous dépasse et paraît ingérable s'éclaire et s'ouvre sur quantités de possibles, décolonise nos imaginaires coincés par les dogmes monétaires. C'est ce qui est arrivé aux membres de ce collectif qui annoncent dès l'introduction l'étendu de ces "possibles":
- Un nouveau modèle économique complet qui nous sort d‘une économie basée sur le profit, la compétition et la rareté
- La réforme complète de la notion de marché économique avec un modèle qui favorise une demande qui viendrait directement du consommateur
- Un système de gestion holistique et écologique des ressources qui a pour but d‘optimiser au maximum l'utilisation de nos ressources terrestres en ne dépassant pas leurs capacités de renouvellement et en produisant de manière locale
- Une économie basée sur l‘accès et l‘abondance dans laquelle notre temps de travail obligatoire serait diminué de 75 % grâce à la gratuité et à l‘automatisation des tâches pénibles
- Un modèle industriel écologique, s‘inspirant du biomimétisme, avec de nouveaux standards de durabilité et de recyclabilité permettant de ne pas surexploiter nos ressources naturelles et de vivre en harmonie avec la nature
- Un modèle de centres de distribution de biens de consommation que l‘on appellerait « objetothèques » qui fonctionnent selon le principe de bibliothèques de prêts d‘objets
- Un nouveau modèle de gouvernance vraiment démocratique qui nous permet de nous affranchir d‘un gouvernement et qui redonne le pouvoir aux citoyens….
L'auteur, affirme que la politique actuelle n‘est pas à la hauteur de nos connaissances scientifiques et techniques. Et notre modèle économique n‘est pas adapté pour répondre à ces problématiques, et il a raison. En revanche, il paraît tout aussi évident que ce modèle économique induirait la refonte totale de tout ce qui fait société: le droit, la justice, la division du travail, la valeur, l'État, le choix d'un système social pyramidale ou en réseau, la gestion globale des grands sujets tels que l'éducation, la santé, la sécurité, les relations internationales…
Pour prendre un seul et simple exemple: il est fait souvent allusion à la technologie qui, sans réflexion éthique, axiologique, poétique, pourrait nous conduire aux mêmes impasses systémiques que le capitalisme. C'est ce que souligne très justement l'astrophysicien Aurélien Barrau quand il explique qu'avec un bulldozer entièrement construit avec des matériaux recyclables, mû par une énergie totalement verte et durable et pour produire des biens essentiels de façon sociale et solidaire, on peut éradiquer l'Amazonie! C'est aussi le problème qu'occulte l'excellent technophile Idriss Aberkane avec sa biotechnologie. En copiant les fabuleuses techniques de la moule, du bigorneau, on peut certes fabriquer des fils chirurgicaux et des céramiques de rêve, mais si c'est pour opérer les seuls "ultrariches" ou fabriquer des "missiles intelligents", est-ce souhaitable? Est-ce parce que l'on peut faire quelque chose qu'il faut à tout prix la faire? Un homme doit-il faire tout ce que ces possibilités lui permettent de faire ou à l'inverse, et comme le disait Albert Camus, "un homme, ça s'empêche…
Après cette critique sur le fond, il faut reconnaître les vertus de ce long et dense texte de Pierre Alexandre Ponant sur l'EBR. Ce n'est pas parce qu'il est incomplet qu'il faut rejeter ce qu'il a de juste.
Il en va de même sur le plan économique, même si on prend ce terme en son strict sens étymologique, "la gestion de la maison", aujourd'hui de la "maison terre". Dès la page 15, Ponant affirme que la circulation de l‘argent devrait en réalité être un bien public puisque c‘est l‘État qui garantit cette possibilité grâce à la création de billets de banque. C'est donc l'État qui est garant du bon fonctionnement économique. A ramener l'économie à sa seule fonction de facilitatrice de l'échange, on en arrive à donner sens à la conservation de ce qui nous détruit. Il n'y aura d'écologie et de justice sociale qu'au prix d'une abolition pure et simple du système monétaire, même si ce système est un temps conservé au titre d'une transition. Il faut choisir entre l'accès et le système marchand de façon plus radicale, faute de quoi, la société postmonétaire restera dans la marge de la page capitaliste…
Pour autant, la démarche de l'EBR reste essentielle, une vraie et grande porte pour enfin se débarrasser du profit, de l'accumulation, du productivisme, de tout ce qui met en péril l'humanité autant que la planète. Sans doute qu'aucun des mouvements postmonétaires ne renversera l'hydre au mille têtes, mais tous réunis, du plus prosaïque au plus poétique, certainement…