Gratuité, Véronique Perriot

Éditions Dandelion 2022, 152 pages

4ème dCouve couverture: Né de l'expérience de terrain, cet ouvrage est une rencontre joyeuse avec soi et avec l'autre. Au-delà des systèmes de dons-dettes et d'échange, la gratuité ouvre un espace de libre contribution au commun. Avec la remise en circulation de l'inutile s'invitent le sentiment de satiété, le plaisir du partage et de la trouvaille. L'autre n'est plus concurrent ou instrument, mais allié. La gratuité se joue avec l'autre plutôt que face à lui. Finie l'ère des relations duelles: la gratuité génère un rapport pacifié au vivant. Et si elle était une clef ouvrant sur un autre rapport au monde? Le fil pour coudre une autre société?
L'auteure: Tombée dans le chaudron d'Ivan Illich, j'ai été déscolarisée à 11 ans. Je passe mon bac en candidat libre avant de suivre des études de sociologie et sciences politiques. A 22 ans, je suis responsable d'une agence pour l'emploi. A 25ans, je vis à Hong-Kong, puis aux USA.  A mon retour, je travaille comme correspondante de presse, chargée de mission pour des collectivités territoriales puis attachée parlementaire.  Parallèlement j'élève mes quatre filles, je suis élue municipale, je participe à des habitats alternatifs, j'anime des éco-lieux et diffuse activement une réflexion sur la gratuité avec organisation de cercles de gratuité.  J'ai écrit plusieurs livres: "Gratuité", "Le meilleur à venir", "parler d'effondrement avec ses enfants", "L'amitié une clé pour s'accorder". Je publie désormais au sein de L'ouvrâge, un collectif d'auteurs coéditeurs.

                Les postmonétaires sont généralement partis d'une réflexion sur l'impact négatif de l'argent, Véronique Perriot a fait le chemin inverse. Elle est partie de la gratuité, au départ pour se débarrasser d'objets inutiles et en est arrivé à une recherche ontologique: qu'est-ce que c'est qu'être au monde aujourd'hui? Elle démontre par là que l'expérience précède la pensée, et que c'est en faisant acte de de gratuité ou en profitant d'un geste, d'un lieu de gratuité qu'on se réapproprie le monde. Ces expériences de gratuité naissent un peu partout dans le monde sous des noms divers: les "donneries" en Belgique, les magasins gratuits en France, les gratiferias, zones de gratuités, marchés libres ailleurs… "En participant à un cercle de gratuité, on retrouve ce goût de faire les choses sans rien attendre en retour, sans calculer ou évaluer ce qu’on fait, juste parce qu’on a la joie d’être vivant et de participer." Et plus loin…, "Gratuité et gratitude viennent de la même racine." L'ère de l'instrumentalité a commencé au XI° et XII° siècle et nous entrons dans l'ère de la gratuité… La gratuité est le contre-feu de notre civilisation en voie d'extinction.
       Ça commençait très bien mais très vite ça dérive: "On croit qu'un monde gratuit est un monde sans argent. Mais un monde sans argent. Mais un monde sans argent peut-être un monde de troc, de domination, d'exploitation, de pouvoir. On peut instrumentaliser les gens même sans argent."
       A propos des transports gratuits comme on le voit dans certaines villes, l'auteure explique que  "Là, c'est du "Gratis  ou du gratos". Il y a deux mots avec des étymologies différentes: gratus qui désigne ce que l'on fait de son plein gré (à son gré), et gratia qui a donné grâce. Quand on parle de bus gratuits c'est l'exonération d'un coût, on vous fait grâce du ticket de transport. Il est payé par le contribuable.
           Pourtant, elle reconnaît que c'est le profit qui est cause de la prédation et de l'exploitation et que retirer le profit, revient à faire une société de la gratuité. Mais c'est pour annoncer aussitôt la gratuité n'est qu'un outil, certes utile puisqu'elle crée des cercles d'entraide, des liens de convivialité: les besoins des êtres humains sont toujours situés. Je propose donc un revenu universel en monnaie locales, ce que j'appelle "une dotation d'autonomie locale".[…] Un autre outil est de développer la propriété d'usage: est propriétaire d'un bien celui qui en fait un bon usage, qui en prend soin. […] On ne peut multiplier les espaces de gratuité sans la mettre en place aussi  dans nos assiettes. La gratuité suppose d'avoir une alimentation qui n'instrumentalise pas d'autres êtres vivants, animaux et végétaux.
          Véronique Perriot nous dit être tombée dans la bassine d'Ivan Illich dès l'âge de 12 ans, mais visiblement sa vision de la gratuité, de l'argent, des institutions en général semble être du Illich un peu édulcoré. Sans être spécialiste d'Illich, il me semble qu'il allait plus loin que la simple fraternité qui s'instaure dans un espace de gratuité… Reste l'analyse comportementale qu'elle fait des membres de ses "cercles de gratuité". On se demande simplement pourquoi, mettant à jour en eux des changements de conduite, des réflexes d'empathie, de générosité qui n'existaient pas avant leur expérience de gratuité, elle ne pense pas qu'une abolition de l'argent ferait le même effet mais sur l'ensemble de la société et non pas sur ces seuls quelques cercles d'expérimentateurs de la gratuité…
             La gratuité est sans aucun doute un outil, si elle a pour objectif l'abolution de l'argent ou a minima le contournement du système monétaire. Mais les calculs en points, en heure de la plupart des Systèmes  Locaux d'Echanges, la contrainte d'un quelconque service pour avoir accès aux espaces de gratuité vont très vite attirer l'attention des pouvoirs publics qui y verront du travail au noir et des rémunérations déguisées. Par une décision en date du 16 octobre 2024, la chambre criminelle a précisé sa définition du produit de l’infraction de travail dissimulé en revenant sur ce qu’inclut la notion d’ « économie réalisée par la fraude ». Ce qui a motivé cette décision, c'est une entreprise roumaine qui trouvait du travail à des chauffeurs roumains et retenait sur leur paye un "dédomagement". On dit qu'un espace d'échanges totalement gratuit a déjà subit l'application de cette nouveauté et a été contraint de fermer leur local et leur activité pour travail et commerce dissimulé. En effet, un comptage de points ou d'heures dans un SEL peut s'apparenter à du travail au noir, voire à de la concurrence déloyale. C'est là que l'on voit que le moindre échange impliquant des questions de valeur (même l'échange d'un cours de guitare contre une heure de ménage) c'est une sorte de troc, donc une « économie réalisée par la fraude ». Une monnaie locale, même réduite à un tout petit groupe d'adhérant et sans équivalence avec l'euro peut être assimilée à du faux monnayage. Cela montre que l'argent est polymorphe (or, billet, coquillage ou heure) et que le commerce est un travail qui doit être rémunéré selon des normes communes, travail de l'employeur compris. En somme, la plupart des alternatives de gratuité peuvent être phagocitées par le système. Il faudra très vite être en mesure de prouver qu'une alternative de ce type n'utilise aucune "monnaie déguisée", se cantonne à du strict bénévolat et non à du travail rémunéré en nature ou en services. La seule chose de grave dans cette affaire c'est que l'infraction sanctionnée autant que l'autorisation d'ouvrir un espace de gratuité sera de facto une reconnaissance du système que l'on veut combattre et qui nous détruit...
      L'Etat a déjà un excellent arsenal pour contrer nos initiatives anticapitalistes ou postmonétairesles, les textes suivant étant suffisamment flous pour se transformer en redoutables "bâtons dans nos roues"!  
   Articles L. 8221-1 à L. 8221-8 du Code du travail (travail dissimulé)
       Articles L. 8224-1 à L. 8224-6 du Code du travail (sanctions pénales)
            Articles L. 8272-1 à L. 8272-5 du Code du travail (sanctions administratives)
                  Article 121-7 du Code pénal (complicité)
         Malgré tout cela, le texte de Vé"ronique fourmille de belles idées et de géniales initiatives. Nul doute que Véronique Perriot finira par se poser la question essentielle, comment sortir de l'économie marchande, de l'argent, de la valeur, du capitalisme, de l'échange marchand, bref, du système qui nous détruit depuis la nuit des temps !... C'est pour cela que j'ai classé son livre dans la catégorie "du pas suspendu de la cigogne".