Gratuité Vs Capitalisme, Paul Ariès

Editions Larousse, 2018,  399p.

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Une partie du texte est mis en accès libre sur le site des éditions Larousse (case "feuilleter"Ariès), le reste est en vente sur papier ou version numérique. Au vu des 45 pages en accès libre, j'ai failli abandonner la lecture tant Paul Ariès me semblait "alter-capitaliste" et non "anti-capitaliste" comme le suggère le titre.

                En définitive, la version numérique complète mérite d'être consultée. Il change de discours et se montre plus proche des postmonétaires qu'on pouvait le penser. Mais Ariès, souffle le chaud et le froid, nous annonce que la gratuité est inséparable de l'impôt et de la création monétaire!  Le voilà rétrogradé à la case du Pas suspendu de la cigogne!!!   

                Paul Ariès, né à Lyon en 1959 est un politologue essayiste politiquement engagé, proche des ONG tiers-mondistes, spécialiste des sectes, décroissant militant tout en regrettant que les décroissant aient perdu la bataille des imaginaires. Il est également féroce vis à vis de la mondialisation.  Il est centré aujourd'hui sur la question de la gratuité. Qu'il ne se soit pas encore déclaré pour l'abolition de l'argent après un tel parcours peut paraître étrange. Nous verrons peut être dans cet ouvrage s'il croit à la simple extension des zones de gratuité ou pour un monde sans argent…  

                Dès l'introduction, Paul Ariès déclare que nous somme face à une crise affectant l'intégralité de nos existences. "Cette crise n'est pas seulement globale, elle est systémique, au sens où quelque chose fait lien ses multiples facette…" [Cette chose], c'est le fait que le paradigme fondateur de la civilisation marchande soit entré en dissonance. Nous crevons tout autant de la marchandisation qui a rendu marchand  tout ce qui pouvait l'être, qu'à l'impossibilité structurelle de ce même processus de se poursuivre au-delà. Cette crise n'est pas une crise des méfaits de la marchandisation mais un blocage structurel lié à la logique de la marchandisation elle-même."

On ne peut pas dire plus clairement  qu'il n'est plus question de réparer le système mais d'en sortir. Pourtant,  Ariès ne le dit pas encore…  

                "Cette gratuité n'est pas la poursuite du vieux rêve mensonger «Demain on rase gratis» ; elle ne croit plus aux «lendemains qui chantent» car elle veut justement chanter au présent; elle ne promet pas une liberté sauvage d'accès aux biens et services, mais relève d'une grammaire, avec ses règles et ses exceptions. Tout ne peut être gratuit dans chacun des domaines, ne serait-ce parce que la gratuité est le chemin qui conduit à la sobriété. Enfin, le passage à la gratuité suppose de transformer les produits et services existants dans le but d'augmenter leur valeur ajoutée sociale, écologique, démocratique.

                La gratuité, Ariès l'imagine dans le cadre capitaliste actuel qui pour l''instant domine. Il expose tous les secteurs où la gratuité peut s'instaurer, et les secteurs où il faut tenter de produire ces biens et services avec de l'argent pour enfin, un jour, les rendre gratuits. Le système est sans doute sympathique mais garder l'argent, c'est aussi garder le profit, la nécessité de dégager de toute activité une plus value et donc un salariat comme condition à l'accès, aux communs… Qui dit argent, dit nécessité d'inventer une croissance infinie sur une planète pourtant finie, c'est le creusement mathématique des inégalités sociales, la guerre économique via la concurrence et la compétitivité… C'est confiner la gratuité dans des zones marginales occupées par des bénévoles. Ce changement est possible mais n'a rien de "systémique".  Au contraire, cela peut être une bouffée d'oxygène pour le capitalisme, un temps de répit avant sa chute…

                On a le droit de croire dans ces alternatives de gratuité, mais historiquement nous n'avons aucun exemple d'ilots qui se soient agrégés en archipel et encore moins en continent, sinon chez les épiciers qui se sont mués en hypermarchés et les artisans ayant mutés en multinationales. La République d'Athènes avait dès le IVème siècle av. J.-C. créé certains de ces îlots et le XIXème siècle fut rempli de phalanstères, de communautés fraternelles, d'usines œuvrant pour le bonheur des masses laborieuses. Les jardins partagés actuels deviendront des cultures maraichères qui se regrouperont en Scop, puis créeront ensuite des centrales d'achats  qui aboutiront à des Crédits agricoles et à l'agro-alimentaire… Périclès avait raison: "quand on veut quelque chose que l'on n'a jamais pu avoir, il faut faire quelque chose que personne n'a  jamais faite", par exemple la gratuité totale, du semis des carottes à leur transformation et à leur distribution, la fabrication des engins agricoles comprise… Et l'utopie des îlots renversant le capitalisme n'empêche pas la création de ces îlots au titre d'expériences, d'expérienciations, d'exemples et d'incitation   

                "Le paradoxe veut que nous n'en soyons pas conscients car nous manquons d'outils intellectuels et de la sensibilité permettant de percevoir et de comprendre ce qui émerge comme le signe annonciateur, une épiphanie prometteuse d'un autre futur."

                Ariès a pris conscience du lien qu'il y a entre l'argent et les inégalités sociales, mais aucune redistribution n'a jamais fonctionné. La seule conscience écologique ne permet pas de comprendre que tant qu'il y aura de l'argent les profits feront des dégâts, et ce sans fin puisqu'ensuite les dégâts font de nouveaux profits! Il en va de même pour la maîtrise que les usagers devraient avoir de leurs usages qui est sans cesse enrayée mécaniquement par l'argent. La maîtrise est le domaine des "argentés",  et les plus faibles économiquement n'ont d'autres ressources que de se vendre au plus offrant pour survivre. S'il faut appeler un chat, un chat, il faut admettre que l'argent ne peut tolérer ni la liberté, ni l'égalité, ni la fraternité et qu'il n'y a qu'une sortie de route possible, celle de bifurquer vers un monde sans argent du tout, d'oublier le mot même de gratuit qui ne peut s'entendre qu'en relation avec son contraire le payant!

                En résumé, la thèse d'Ariès serait la suivante:

1° Le Monde va vers la gratuité, c'est dans l'air du temps, mais le capitalisme est encore dominant.

2° Il faut donc profiter de ces espaces de gratuité possibles et les étendre par ilots puis les fédérer en archipel. C'est l'enjeu du XXI° siècle!

3°  Il reste que la gratuité ne peut échapper à l'instauration de règles (donc à gestion politique commune), à des systèmes sociaux de réparation (revenu universel peu à peu démonétisé et versé en nature),  à une révolution sémantique (passer de la gratuité de la culture à la culture de la gratuité), à la prise en compte des coûts (La gratuité peut se passer du prix, pas du coût), et donc à la création monétaire, à l'impôt)…

                Cette transition qu'Ariès appelle de ses vœux c'est une lente "démarchandisation". Il reste alors le problème de l'effondrement global, la chute forcée du capitalisme dont personne ne peut assurée qu'il advienne et encore moins dans quel délai. Aurons-nous le temps d'une transition lente et progressive?....

                Ce texte de Paul Ariès "donne à penser" quantités de sujets et ses développements, que l'on soit d'accord avec lui ou pas, balayent un large spectre de notre temps. Il est souvent très proche de nos idées postmonétaire, parfois réticent mais avec des arguments intéressants. Cela mérite donc une lecture plus rapide que ces quelques lignes. Pour ceux qui ont le temps de s'y pencher, je mets sur ce site l'intégralité de mes notes de lectures (26 pages), prise à chaud, au fur et à mesure. A chacun d'en faire la synthèse, d'en cueillir ce qui l'intéresse…   Voir le commentaire long