Le climat après la croissance, Miller et Hopkins

           Éditions Post Carbon Institute, 2013, PDF 32 pages

         PDF en accès libre ici

Asher-Hopkins.jpegAsher Miller est le « directeur exécutif » du Post Carbon Institute. Le Post Carbon Institute guide la transition vers un monde plus résilient, équitable et soutenable, en fournissant aux individus et aux communautés les ressources requises pour comprendre et faire face aux crises économique, énergétique et écologique interdépendantes du 21e siècle. Ses trente membres font partie des experts en soutenabilité les plus respectés au monde.

Rob Hopkins est l’un des écologistes les plus influents du Royaume-Uni. Il est cofondateur du réseau des Territoires en Transition et de Transition Town Totnes, et fondateur du mouvement de la Transition, qui a été décrit par la BBC comme « le plus grand mouvement de pensée urbain du siècle ». Le réseau des Territoires en Transition a été mis en place en 2007 pour promouvoir et répondre à la rapide expansion des initiatives de Transition dans le monde, dont le nombre s’élève à plus de 1400, dans 44 pays.

                La question posée dans ce texte est d'expliquer pourquoi les écologistes doivent comprendre et accompagner l''économie post-croissance et la résilience locale. La question que nous pouvons nous poser est de savoir s'il y a identité entre l'économie post-croissance et l'économie post-monétaire…

p.4: «La Nouvelle Norme Économique: Nous sommes arrivés à la fin de la période de croissance. Malgré des interventions sans précédent de la part des banques centrales et des gouvernements, le prétendu rétablissement de l’économie aux États-Unis et en Europe a été anémique. […] Le débat entre relance et austérité n'est qu'une diversion…»   Le point de départ de nos réflexions est donc identique, nous sommes déjà en transition vers un autre modèle économique. Aussi longtemps que la préoccupation principale de nos dirigeants reste le retour à une solide croissance économique, aucune politique du climat – nationale ou internationale – ne sera capable de faire le minimum écologique nécessaire. Ce qui nous fait dire qu'une économie postmonétaire est le préalable à tout progrès social. Reste donc à savoir si la réponse donnée par Miller et Hopkins, " établir la résilience locale" est identique à notre "désargence", c’est-à-dire à une sortie la plus rapide possible du système monétaire dont tout dépend. La toute nouvelle économie souhaitée par ces auteurs n'est pour l'instant définie comme "une économie constituée de personnes et de communautés prospérant dans le cadre des limites de notre planète, belle mais finie".  Est-ce suffisant?...
p.5: «Heureusement, des innovations servant à bâtir la résilience locale surgissent partout, et sous de multiple formes : production et distribution d’énergie renouvelable en copropriété « énergie citoyenne », systèmes alimentaires locaux et soutenables, nouveaux modèles coopératifs, économies de partage et de mutualisation, réappropriation des savoir-faire et bien plus encore. Bien que relativement simples et par nature locaux, ces projets essaiment rapidement et ont des impacts tangibles.»     Connaissant les capacités d'adaptation et de récupération de toutes les alternatives du capitalisme (l'exemple du logiciel Open-source en est le parangon), on peut douter que "l'essaimage local" puisse aboutir à une révolution systémique, quelles que soient les qualités et l'intérêt de ces alternatives et les fédérations et "archipélisations" possible au niveau global…
   «À eux seuls, les projets de résilience locale ne peuvent pas venir à bout des défis environnementaux, économiques, et d’équité sociale qui nous font face. Tout cela va requérir des efforts coordonnés aux niveaux mondial, national, régional, local, au sein des entreprises, des quartiers, des foyers et au niveau individuel. Mais le mouvement de la résilience locale peut aider à créer les conditions dans lesquelles ce qui est à l’heure actuelle « politiquement impossible devient politiquement inévitable »    C'est là que la divergence entre eux et nous devient visible: Tous les efforts de résilience locale et régionale émergent dans le cadre monétaire du capitalisme, donc avec des limites imposées par le système, y compris sur le plan de l'imaginaire d'un autre monde. La décolonisation mentale dans un tel contexte est un obstacle colossal. En somme, cela demande à tous les acteurs de la transition de repenser, du moindre détail au système lui-même, avec des critères inconnus ou tout au moins disparus de nos habitus depuis des siècles. Un échange de services (SEL) par exemple, qui vient en remplacement de "l'économie de service",  continue à penser l'échange sur le mode marchand, la plupart du temps en tenant une comptabilité en points ou en heures de ces échanges. Inévitablement, deux "classes" se forment entre ceux qui ont "capitalisé" quantité de points et ceux qui sont perpétuellement débiteurs, endettés vis-à-vis des premiers. Dans une société intégralement marchandisée, un SEL sans comptabilité des services, est toujours compliqué et parfois récupéré par une entreprise. Le covoiturage totalement a-monétaire, une belle initiative locale, s'est vite transformé en Blablacar, société commerciale opaque dont les principaux actionnaires sont domiciliés au Luxembourg, à Jersey, Delaware ou Chypre! 
p.6: «La plupart des institutions nationales et internationales ne peuvent ni comprendre ni prendre en compte les enjeux de la crise climatique. Pour la plupart de leurs électeurs, le pouvoir d'achat est prioritaire sur le climat. Les avantages immédiats de la croissance économique sont des présupposés si implicites qu’ils ne sont presque jamais remis en question…»     Et dans ce cas, la plupart des alternatives à succès restent dans la réparation des dégâts du système et non dans le changement de système. Plus les "Resto du cœur" se développent, plus le nombre des demandeurs s'accroît! L'irrationnel de la croissance continue sur une planète finie est vite oublié au profit de l'urgence vitale des fins de mois. Le slogan "Fin du mois, fin du monde, même combat" n'a pas fait monter la mayonnaise…
p.7:  « L’impératif de croissance est la cause sous-jacente de la crise climatique». S'il semble judicieux de s'attaquer à la cause (la croissance) pour résoudre l'effet (la crise climatique), la cause reste le "gros morceau" impossible à avaler. Il est plus facile de camoufler sa peur par un militantisme de bon aloi, cantonné aux effets. Un "altercapitalisme" est plus simple qu'une abolition du système monétaire, c'est vrai. Et pourtant, il faudra bien y arriver puisque c'est le principal responsable…
«Disons-le sans détour: nous sommes dépendants à la croissance économique, et la croissance économique est dépendante aux combustibles fossiles bon marché…»  Au moins, Miller et Hopkins sont honnêtes en reconnaissant cette dépendance au système qui nous détruit, en même temps que sa fragilité en raison de sa dépendance aux énergies fossiles. Deux dépendances qui s'emboitent et brouillent les pistes…
«La transition vers un nouveau paradigme sera un défi à relever, mais plus tôt on agira, meilleures seront nos chances d’y arriver.» On comprend bien qu'il s'agit d'abattre le paradigme de la croissance, mais rien encore ne dit que cette croissance est la conséquence du choix de l'échange marchand, un autre paradigme qui englobe tout, y compris son outil favori, l'argent. Le "gros morceau" évoqué plus haut paraît encore plus gros si on y ajoute l'échange marchand et l'argent. Il est carrément "inavalable" et de surcroît, il dépasse de très loin le local, le régional et même le national, et appelle donc une réponse globale, pas locale ! Ceci dit la nécessité de penser global n'enlève rien aux avantages de l'action locale, bien au contraire. Il y a deux erreurs identiques, compter en tout sur le local ou en tout sur le global, qu'il s'agisse de le penser ou de l'agir.
       Nos auteurs citent Daniel Gilbert, psychologue à Harvard: «Le changement climatique est arrivé assez lentement pour que nos cerveaux le considèrent comme normal, ce qui en fait précisément une menace mortelle, parce qu’il échoue à déclencher l’alarme dans notre cerveau, nous laissant profondément endormis dans un lit en feu.»  En effet,  le risque d'effondrement global, c'est pour demain, après demain, voire plus tard encore.  La fin du mois c'est le 30, parfois le 25 du mois, voire moins…, et quand il y a des bouches à nourrir, il est logique de privilégier l'urgence. Dans toutes les conférences que j'ai pu présenter face à des "camarades syndiqués", à des Grecs en pleine crise et autres accidentés de la conjoncture, la première objection qui m'a été opposée, c'est de me demander si je ne voyais pas quelques urgences incontournables avant de supprimer l'argent… C'est logique et entendable, mais totalement inconséquent. Si on risque de perdre la vie pour cause de cancer, le plus urgent est-il de soigner les maux de crâne qu'il nous provoque?...
p.9: Un baril de pétrole contient l'équivalent de 11 ans de travail humain sur la base de 40h par semaine!  Suivent alors plusieurs pages sur des considérations techniques d'extraction des énergies fossiles, de prix du baril, d'efficacité du renouvelable… C'est bien vu, bien fait, dotés de graphs édifiants, mais le problème est-il là?...
p. 13: «Voici ma blague préférée : l’Australie orientale a eu des chutes de pluie dans la moyenne ces sept dernières années. Les six premières ont été les six années les plus sèches jamais enregistrées, et la septième a tout noyé sous des inondations sans précédent.»       
p.15: La nouvelle norme économique: «Nous pourrions tout aussi facilement avoir une économie basée sur le soin de l’avenir plutôt que sur son pillage.» Ne pas oublier que cette étude a été réalisée en 2013 et qu'en onze ans, il s'est passé des choses au plan économique: endettement des États, banques en difficultés, récessions, inflation généralisée…, la liste des symptômes est longue.
«Le débat économique est largement centré sur la meilleure façon de retrouver la croissance – relance ou austérité. Mais, aucune des deux méthodes n’est susceptible de nous ramener une croissance économique soutenue.»  On peut remarquer à ce stade de la lecture, que le déni environnemental est chose courante et que ceux-là même qui le critique opèrent le même déni vis-à-vis de l'économie. Si la relance est aussi inefficace que l'austérité et qu'il n'y a pas d'autre issue sur le marché des idées, c'est que le système économique est à bout de souffle et qu'il faut en changer. Mais rien n'y fait, la grande majorité des gens, experts compris, ne cherchent qu'à réparer l'irréparable au lieu de changer de système. Le politicien Périclès, au 4° siècle avant J.C, l'avait compris et personne ne l'a écouté: "Quand veut quelque chose que l'on n'a jamais pu avoir, il faut inventer quelque chose que l'on n'a jamais fait!", par exemple une abolition de l'argent!

«En 2011, le Fonds Monétaire International –sur la base de 173 exemples historiques– a montré que les actions gouvernementales (hausses d’impôts et/ou coupes budgétaires, collectivement appelées "consolidation fiscale") avaient pour caractéristique de réduire les revenus et d’augmenter le chômage.» Si cela n'est pas être dans le déni de l'évidence, les mots n'ont plus de sens. Au bout de 173 exemples n'importe quel scientifique aurait arrêté l'expérience et posé une nouvelle hypothèse de recherche. Les experts du FMI ne sont donc pas des scientifiques, CQFD.
p.18: «Cet avenir différent doit être basé, non pas sur la croissance économique, mais sur la résilience locale. S’ils sont menés à bien, ces efforts serviront de socle à une toute nouvelle économie, une économie englobant les personnes et les communautés locales, qui prospéreront dans les limites de notre planète finie.» Jacques Lacan a dit un jour que "le réel, c'est quand on en prend plein la gueule!" Faudra-t-il attendre cette fâcheuse situation, quand une hyperinflation mondialisée paralysera en trois jours toute capacité des États à fournir les services habituels encadrés par la loi. Dans nos mégapoles qui ont au mieux trois jours de provisions, où plus rien ne fonctionne sans électricité, on peut imaginer le pire. Le réel en pleine gueule, localement autant que globalement !  La seule chose qui est juste dans les prévisions de Miller et Hopkins, c'est que ceux qui auront "devancé l'appel" en organisant des circuits courts entre producteurs et consommateurs, ceux qui se seront équipés pour survivre en autonomie, ceux qui auront constitué un réseau d'entraide, ceux-là souffriront moins et leurs idées jadis "bobo-écolo-amish" feront recette… Reste que les grosses infrastructures (production d'énergie, hôpitaux, transports, etc.) devront inventer de nouvelles structures et modalités de production qui ne sont pas expérimentables en local. D'où l'intérêt du travail des postmonétaires qui, débarrassés de cette obsession du local, auront pensé à l'avance ces infrastructures….
p.19: Ce que nous entendons par résilience:  «Le concept de résilience suggère un effort différent et complémentaire d’atténuation (des chocs à venir) NDT : pour repenser nos constitutions, donner aux communautés locales le courage de prendre les choses en main, encourager les expérimentations et l’innovation et soutenir les gens par des moyens qui les aiderons à être prêts et à faire face aux mauvaises surprises et aux perturbations, même si nous travaillons pour les éviter.» (Andrew Zolli & Ann Marie Healey, Résilience : Pourquoi les choses rebondissent, 2012.)
Selon nos deux auteurs, «…depuis bientôt quarante ans, des scientifiques ont étudié la résilience des écosystèmes et découvert que leur degré de résilience dépend de trois paramètres clés : L’importance du changement qu’un système peut subir, tout en conservant sa fonction et sa structure ;  le degré d’auto-organisation dont le système est capable ; l’aptitude à établir et améliorer la capacité d’apprentissage et d’adaptationCe n'est pas très éloigné de la résilience selon Boris Cyrulnik au niveau individuel. Mais il manque un aspect toujours occulté et en tous domaines, c'est que l'adaptation à un système malade n'est pas pronostic satisfaisant de bonne santé. Un système qui disparaît et qu'un nouveau remplace oblige à transposer toutes les stratégies préparées, pour cause d'obsolescence. Plus que la résilience individuelle ou locale, je pense que l'entraide et la coopération est la seule issue réaliste… C'est peut être le seul réel avantage du local: une bonne partie des liens sociaux sont déjà en place, ce qui est précieux quand il n'y a plus de biens…
p.27: Conclusion: «Le dilemme opposant protection environnementale et croissance économique est faux : les dégâts environnementaux dus aux changements climatiques pourraient couler l’économie, et la croissance économique» Il suffirait de remplacer le verbe pourraient  par celui de vont pour que la conclusion soit opérante. Faire sauter le déni de l'effondrement empêche de construire le récit d'une autre société, cette fois résiliente et non mortifère. D'où le classement de ce texte dans la catégorie du "pas suspendu de la cigogne"!!!
 «Nous pouvons certainement avoir de la croissance dans certains secteurs de l’économie, et globalement, l’équité exige que les pays les plus pauvres du monde puissent s’appuyer sur le bon type de croissance. Mais la croissance solide et sur le long terme de l’ensemble de l’activité économique, telle que la mesure le PIB, appartient au passé.» Il suffirait de sortir du paradigme de la concurrence pour entrer dans celui de l'entraide pour que la décroissance soit effective au profit de la croissance du bien-vivre, ce qui offrirait une écologie attractive et non punitive…  
«Au lieu d’essayer de renflouer le navire en perdition d’une économie mondialisée, alimentée par des combustibles fossiles, inéquitable et basée sur la croissance, la communauté écologiste devrait construire un bateau différent.» Une société postmonétaire serait un nouveau bateau sur lequel il devrait être tentant d'y monter…
«S’occuper des inégalités sociales et économiques et construire la cohésion sociale nécessaire pour résister aux périodes de crise, et peut-être, de manière plus fondamentale encore, montrer un chemin différent.» Une abolition de l'argent et de l'échange marchand conduirait de facto vers une société en réseau et non hiérarchisée, qui donc rendrait aux usagers la maîtrise de leurs usages, donc une cohésion sociale non imposée, donc désirée et respectée. Le "pas suspendu de la cigogne"…, sautez-le messieurs les écologistes