Le genre du Capital, Céline Bessière & Sibylle Gollac

Edition La Découverte, 2020, 324p.

Bessière-Gollac.jpeg4ème de couverture: On sait que le capitalisme au XXIe siècle est synonyme d'inégalités grandissantes entre les classes sociales. Ce que l'on sait moins, c'est que l'inégalité de richesse entre les hommes et les femmes augmente aussi, malgré des droits formellement égaux et la croyance selon laquelle, en accédant au marché du travail, les femmes auraient gagné leur autonomie. Pour comprendre pourquoi, il faut regarder ce qui se passe dans les familles, qui accumulent et transmettent le capital économique afin de consolider leur position sociale d'une génération à la suivante. Fruit de vingt ans de recherches, ce livre analyse comment la société de classes se reproduit grâce à l'appropriation masculine du capital. Les autrices enquêtent sur les calculs, les partages et les conflits qui ont lieu au moment des séparations conjugales et des héritages, avec le concours des professions du droit. Des mères isolées du mouvement des Gilets jaunes au divorce de Jeff Bezos et MacKenzie Scott, des transmissions de petites entreprises à l'héritage de Johnny Hallyday, les mécanismes de contrôle et de distribution du capital varient selon les classes sociales, mais aboutissent toujours à la dépossession des femmes.

Céline Bessière, née en 1977, sociologue française spécialiste de la famille dans ses dimensions économiques, enseignante à Paris-Dauphine, depuis 2017 directrice de recherche à l'EHESS.
Sybille Gollac,  sociologue et chercheuse au sein du CNRS. Ses recherches portent sur les mobilités sociales et le rôle du patrimoine dans la reproduction des rapports sociaux de classe et de sexe, ainsi que sur la place de l’économique et du juridique dans les relations de parenté et les inégalités de genre.

«La famille est une institution ruineuse pour les femmes. […] Tout au long de leur vie familiale, les femmes sont lésées…»      Il n'y a rien de neuf sous le soleil et les féministes ont depuis longtemps dénoncé les méfaits du patriarcat et l'inégalité sociale des sexes. En revanche, les deux autrices entrent dans le détail, mais cette fois dans une optique résolument économique. C'est l'accumulation des symptômes qui donnent sens au sexiste capitaliste. Quand elles parlent de la famille comme d'une institution ruineuse pour les femmes, c'est à propos de l'inégalité de salaire, des successions, des notaires qui jouent si bien le jeu des mâles, du travail gratuit non reconnu (tâches ménagères et parentales), faiblesse des prestations compensatoires, montant des pensions alimentaires en cas de séparation, prestations sociales individuelles qui prennent en compte les revenus du conjoint, ridicule des pensions de reversions, etc. Seule l'AAH a été "déconjugalisée" depuis 2023, et après un long combat. Le  droit formellement égalitaire est devenu "un mythe de l'égalité déjà là"… 
       On se demande pourtant comment ces deux autrices font pour produire une telle analyse sans déclarer clairement que le système monétaire est intrinsèquement machiste et qu'il n'y aura pas d'égalité des genres tant qu'il y aura de l'argent… Le vrai combat ne porte pas sur un supposé sexisme des hommes, pas dans leur peur de perdre des prérogatives de pouvoir et de puissance au profit des femmes, mais bien dans le système qui fait d'eux des agents économiques soumis à la concurrence. Comment hommes et femmes pourraient coexister dans l'entraide et la coopération si un cadre aussi contraignant leur impose la concurrence et la loi du plus fort? Au mieux, nous pouvons observer des "hommes féministes" qui, dans leur quotidien vont partager équitablement les tâches ménagères et parentales, qui vont veiller à n'empiéter en rien sur la liberté de leur partenaire, mais qui parallèlement et souvent "à l'insu de leur plein gré" vont éliminer une collègue de travail, ou s'empresser d'aider une femme comme on le ferait avec une enfant… On peut lutter contre soi-même, lutter sur le terrain des idées, militer pour des juridictions équitables, mais de là à lutter pour s'échapper un système global  qui nous formate depuis des siècles…, la bataille est inégale!

                Nul doute que ces deux brillantes intellectuelles sont encore dans "le pas suspendu de la cigogne" mais que tôt ou tard, elles finiront pas sauter le pas…   On se demande souvent comment on peut être écologiste sans être postmonétaire, socialiste tout en préservant le capital, décroissant sans éliminer l'échange marchand, mais rarement comment l'on peut être authentiquement féministe et trouver acceptable l'argent, la valeur, l'État, le marché, le salariat, la marchandise… S'il est étonnant que si peu d'hommes font le lien entre l'argent et la condition féminine,  mais il est pltôt étrange que si peu de femmes posent le problème du patriarcat en ces termes!