Le pain et la monnaie, Pierre Persat
éd. La pensée universelle, 1982, PDF 67p.
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Présentation: Ceci fut écrit dans les années 1979-1981, quand les théories économiques les plus bétonnées de certitudes, mises obstinément en application par les gouvernants de l'époque, n'aboutissaient qu'à provoquer un accroissement des chutes d'entreprises sans pour autant freiner l'inflation qui à leur grand dépit atteignait des records. La réalité économique ne voulait pas obéir à leurs théories, d'où leur colère. Pour y comprendre quelque chose, il fallait tout reprendre à zéro, revoir clairement ce qu'est la monnaie, comment elle naît, comment elle fonctionne, comment elle réagit aux fluctuations des échanges, comment on asphyxie l'activité d'une économie si on l'empêche de jouer son rôle. Tel fut le but de ce petit livre. (Pierre Persat)
Pierre Persat, après une vie militante, laisse derrière lui un rejeton qui publie un petit journal sous le pseudo de Trazibule qui mérite le détour pour le choix des sujets et l'humour qu'il y déploie… voir son site . C'est sans doute par fidélité politique que Pierre Persat n'a pas sauté le pas vers les Postmonétaires, car tout l'y menait, son livre en témoigne. Il peut être utile de le lire pour mieux comprendre les ancrages mentaux qui bloquent tant de nos proches dans "le pas suspendu de la cigogne"…
Introduction:
Un explorateur stellaire débarque en France pour un premier contact avec les habitants de notre planète et se trouve fort intrigué lorsqu'il apprend que notre pays compte trois millions de chômeurs. C'est par cette fable digne des Usbek et Rica de Montesquieu que Pierre ouvre son livre pour montrer à quel point le système monétaire est devenu absurde. Il a raison de le trouver absurde et en même temps, il conclut que c'est un mystère. L'explorateur de son côté repart en consignant la conclusion de son voyage: Planète habitée par des cinglés. Stade : énergie nucléaire. A classer zone dangereuse.
La question que pose d'emblée Pierre, c'est de comprendre comment cette situation absurde ne mène pas à une révolution, à minima à des émeutes! Et cette absurdité du chômage n'est pas la seule: plus d'appartements vacants que de sans abris, une consommation d'énergie qui menace les humains autant que leur environnement, des solutions techniques qui font plus de dégâts que de laisser les choses en l'état, etc. Une planète de cinglés, Pierre à raison. Mais après?…
p.3: Quand les théories ne rendent plus compte de la réalité, le moment est venu de les mettre à l'écart et de reprendre tout à zéro… Bien Pierre, reprenons à zéro! Personnellement je vois deux causes premières à ce foutoir: l'argent et le pouvoir. Le chômage n'est pas la cause mais la conséquence. Il faut donc une société sans argent, ce qui mécaniquement réduira considérablement les possibilités de prendre le pouvoir sur les autres.
Pierre s'en rend compte et imagine que le pécheur offre ses poissons, l'agriculteur offre son blé, le forgeron les outils dont les autres ont besoin… Les échanges se font sur la base de la valeur naturelle des objets ou services rendus. Et c'est déjà le commencement de la fin, cher Pierre, la valeur n'est pas naturelle et relève toujours de l'appréciation conjointe d'un donneur et d'un receveur. Elle varie en fonction du travail que cela a exigé, du moment de l'échange, du lieu, de l'envie du demandeur, de la rapacité du donneur, de la rareté, etc. Pierre en a tout de même conscience:
…Mais comme la productivité et les besoins varient constamment, par bonds ou par lentes fluctuations, un marché ne sera jamais en équilibre, mais toujours à la recherche de son équilibre. Tout comme un équilibre biologique, soumis à des fluctuations naturelles brusques ou progressives, est toujours à la recherche de lui-même… Exact, Pierre, même si un objet ou un service a une valeur précise et invariable, les besoins modifient la valeur de tout ce qui constitue "un marché". Si l'on veut une stabilité des prix, il ne faut pas les transformer les choses en marchandises, les humains non plus d'ailleurs. Les seuls échanges acceptables sont ceux qui ne sont pas marchands, comme les échanges de bons procédés. Pourtant, Pierre a encore des réflexes monétistes:
…la valeur naturelle d'un produit est celle qui s'est établie d'elle-même d'après le libre jeu de l'offre et de la demande.
Attention Pierre, tu es déjà en train de déraper: si la valeur dépend de l'offre et de la demande, on entre dans des rapports de pouvoir. Si personne ne veut acheter les outils du forgeron, il n'aura plus rien à manger. S'il produit plus d'outils qu'on en réclame, il devra les solder et donc manger un peu moins… De là à inventer la publicité et le jetable pour alimenter la demande, il n'y a qu'un pas… De là à créer la pénurie artificiellement pour faire monter les prix et s'enrichir et la communauté humaine explose dans la guerre économique. Donc introduire la valeur, c'est ouvrir la boite de Pandore! Il faut prendre le modèle familial pour régler le problème, pas le modèle marchand. Présente-t-on la note après le repas des enfants? La mère a-t-elle besoin d'un équivalent universel pour faire les gâteaux en haut quand le père, en bas, coupe du bois ?... Pourquoi la société s'est-elle organisée autour de l'échange marchand et de la valeur relative? Parce qu'elle n'a pas de suite réalisé que c'était un piège tendu par les plus puissants, les princes, les états, les généraux, les prêtres, les marchands. Ce sont les seuls gagnants. Mais au fond d'eux, ils savent que le bon modèle est non marchand, mais familiale, amical si on élargit un peu la famille, clanique si on n'a pas encore d'état…
Dans notre île où vivent cent familles nous avons constaté que s'établit entre elles une situation économique de complémentarité. Mais nous observons aussi que plusieurs familles se mettent à exercer le même métier. De complémentaires de métier à métier, elles deviennent donc concurrentes au sein du même métier…
L'exemple de l'île ne vaut rien pas plus que celui de l'archipel. Je reprends celui de la famille: quelle concurrence peut-on imaginer au sein de la famille? Qui penserait à affamer un des membres en prenant plus de parts de gâteau que de raison? Une chienne qui a cinq petits les nourris tous à égalité. Les chiots peuvent être goulus et éliminer le plus faible en l'empêchant de boire. Mais une fois adultes, les chiots abandonnent la concurrence. Ils sont éduqués à la coopération au sein de la meute. Dès qu'il y a valeur et profits, il y a concurrence, et in fine guerre économique de tous contre tous. Les chiens sont en meute, les humains en guerre! La meute surveille les possibles dérives des uns et des autres, la communauté humaine valorise le prédateur en tant que premier de cordée, se moque des sans-dents qui servent de proies!
p.6: Si nous allons au fond des choses, nous découvrons que le jeu de la complémentarité et de la concurrence n'est possible que parce que les familles sont autonomes, c'est-à-dire qu'elles ont la liberté de leurs choix, choix qu'elles orienteront vers ce qu'elles estiment de leur plus grand intérêt…
Non Pierre, il y a tromperie: l'exemple de l'échange entre les briques des maçons contre le pain des boulangers est excellent mais mal interprété. Au départ une brique = un pain, puis en fonction de la conjoncture, un pain = 2 briques. C'est l'inflation! L'un y gagne, l'autre y perd. On est bien dans l'échange marchand. Dans la famille, les biens étant communs, personne n'a intérêt à nuire à l'autre ou à détruire ces biens. Il n'y a pas d'échange "gagnant -gagnant" dans le commerce, en famille oui.
La reconnaissance de dette mentale apporte un remède à la rigidité du troc. Elle marque donc un progrès parce qu'elle permet des transactions qui n'auraient pu se passer autrement… sauf si un débiteur meurt par exemple et que le créditeur avait besoin d'être payé pour vivre.
La création de la monnaie a doncpu paraître une bonne chose. Mais à l'usage, on voit bien que c'est faux. L'argent empêche bien plus qu'il ne permet, sauf à être très riche en fabriquant des pauvres…, d'autant que le service rendu par le créditeur mérite un petit intérêt, un gros intérêt si le crédit était élevé. C'est d'ores et déjà l'invention de la lutte des classes!...
Parvenus au point où nous en sommes, une conclusion commence à s'ébaucher, discrète encore. Si le chômage sévit chez nous, et à grande échelle, alors que nous sommes en économie de monnaie, ne faut-il pas en rechercher la cause quelque part dans cette économie de monnaie, laquelle est fondée sur l'argent sous toutes ses formes ?...
Quand il manque quantités de travailleurs pour quantités de travaux, cela ne peut être qu'en raison du coût du travail, lequel coût n'est dû qu'à la nécessité d'avoir de l'argent pour vivre. Sans argent, chacun trouverait le travail qu'il lui plaît de faire, en changer quand il en a assez. Fallait-il dix pages pour en arriver là?... N'est-ce pas le signe que nous réfléchissons mal?... Quant au troc remplaçant la monnaie, il reste une question d'importance, celle de ceux qui n'ont pas grand-chose à troquer et sont affamés, ceux qui ayant trop peuvent différer leurs offres en attendant le plus offrant. On réinvente de nouveau la lutte des classes entre ceux qui ont des dettes et ceux qui ont des créances!...
La monnaie, dit-on, a une valeur conventionnelle. Beaucoup de conventions qui n'avaient plus de raison d'être ont été balayées par des révolutions sans que la société ait cessé de fonctionner. Bien des préceptes sociaux, médicaux, sexuels... se sont effondrés lorsqu'on a pris conscience de leur caractère de simples croyances alors qu'on les prenait pour des fondements de l'ordre social. Conventionnel signifie alors non fondé. Mais conventionnel signifie aussi résultant d'une convention conclue entre des individus ou des groupes…
En effet, la monnaie n'est qu'une convention sociale qui aurait pu être toute autre. L'erreur est de croire que cette convention n'a pas été conclue entre des individus ou groupes à l'origine. C'est une convention très moderne qui présuppose que l'argent est indispensable et que s'en passer interdirait tout progrès. Personne n'a jamais signé une telle convention et ce n'est que par une puissante propagande qu'on l'a mis dans la tête des gens. C'est une escroquerie intellectuelle, certes astucieuse puisque de brillants intellectuels autant que de travailleurs manuels dotés d'un sérieux sens des réalités, d'un bon sens que l'on dit populaire, se sont fait berner… Désolé, Pierre. Tu t'es fait berner comme les autres, comme je l'ai été jusqu'à ce que je découvre le pot aux roses…
La reconnaissance de dette n'a qu'une valeur éphémère. Elle est destinée à aboutir à un paiement terminal en valeur concrète, marchandise ou service. Lorsqu'elle revient à son signataire lors de la livraison de la marchandise ou du service, elle perd toute valeur. Elle est morte. Son signataire peut la brûler ou l'encadrer. Elle est morte. Il en va de même pour la monnaie. Une fois de retour à la banque centrale, elle est morte...
C'est ce que nos banquiers et nos économistes tentent de nous faire croire. Il suffit pourtant de brûler un billet de banque en public pour constater le tollé que cela provoque, quand ce n'est pas une répression de police et de la justice allant d'une amande à de la prison ferme selon les pays. Quand Gainsbourg a brûlé un billet de 500 francs sur un plateau de télévision, en mars 1984, c'était encore illégal en France mais cela ne l'est plus depuis l'entrée en vigueur de la loi du 16 décembre 1992.
La monnaie, ou si on prend son nom habituel l'argent, n'est pas un bien, n'est pas une marchandise, n'est même pas le titre de propriété désignant qui les possède. C'est une reconnaissance de dette.
Cette curieuse conception est propre à embrouiller les esprits. Si j'ai en poche 1000 euros en billets, c'est comme si je possédais un objet du même prix. J'en suis propriétaire et à ce titre, nul n'a le droit de me le prendre. Si c'est une reconnaissance de dette vis-à-vis de la banque qui m'a donné ces billets, cela ne signifie rien d'autre que le fait de ne pas être le créateur de ces billets contrairement à la banque. Si je suis propriétaire de ces 1000 euros, je peux les échanger contre des dollars moyennant la commission de l'agent de change. C'est exactement le même processus qui me permet troquer un euro contre un peu de pain. L'argent est donc bien une marchandise comme les autres. C'est ce qui permet tous les trafics de devises et de paquets de devises différentes (les fameux "produits dérivés"…).
De même que la santé de l'organisme dépend de la quantité et de la qualité du sang qui en assure les échanges, la santé d'une économie dépendra de la quantité et de la qualité de la monnaie qui en assure également les échanges. La comparaison entre l'argent et le sang est souvent évoquée. Entre 5 et 7 litres de sang circule dans le corps humain (masse monétaire), mais circule intégralement dans tout le corps chaque minute. Si la masse monétaire doit être stable pour ne pas exiger des transfusions régulières, la rotation monétaire est encore plus importante. S'il n'y a pas cette rotation, la santé économique ou physique est immédiatement en danger. Arrêt de la circulation = infarctus, AVC, arrêt de la rotation monétaire = récession, chômage, pénuries, faillites! Avant de savoir si une monnaie est bonne, saine, fiable, il faut regarder à quelle vitesse elle circule. Et cette rotation constante induit la croissance perpétuelle, la nécessité de réaliser des profits pour en augmenter la masse. C'est même l'une des principales raison d'abolir au plus vite l'argent si l'on se veut écologiste, socialiste, humaniste…
Le crédit est un système indispensable à la bonne marche de l'économie. Sans lui l'argent serait bloqué par l'épargne et le marasme s'installerait provoquant ce paradoxe : une masse d'argent immobilisée en face d'une masse de besoins à satisfaire. Tiens, tiens ! Cela ne vous rappelle rien ? Cette découverte ne nous fait-elle pas pressentir que nous approchons de l'explication du chômage, masse de travailleurs immobilisés en face d'une masse de besoins à satisfaire ?
La question du chômage qui taraude Pierre, en bon socialiste, commence à s'éclaircir. Il est visible que le chômage est une aubaine pour les producteurs de travail. Si une masse de chômeurs est immobilisée, le coût du travail baisse et les profits de l'employeur augmentent… Dans le cadre de la guerre économique permanente, c'est une bonne affaire…
Lorsqu'une banque accorde un prêt, elle crée de la monnaie ex-nihilo. La banque ne prête que du vent. Tout se passe donc là aussi comme si la banque avait prélevé le montant de son prêt dans la poche des citoyens en provoquant une inflation pendant toute la durée de ce prêt....
C'est sans doute un peu caricatural mais pas entièrement faux. La question alors n'est plus le chômage, simple conséquence de la logique monétaire, mais cette logique surprenante, faite de faux-monnayeurs légaux, de taux d'intérêts indus qui ramènent un argent public entre des mains privées.....
En aucun cas le crédit sain ne peut provoquer l'inflation. Il contribue au contraire à la baisse réelle des prix en aidant les entreprises à améliorer leur productivité. Il empêche l'argent de stagner et s'accumuler en un point donné du circuit…
Cher Pierre, si dans le cochon tout est bon, dans la monnaie rien n'est gai!... De même, si le saucisson se coupe en tranches, la monnaie est un paquet cadeau qu'il faut avaler entier… Il n'y a pas de crédit sain, sinon celui qui serait sans intérêt ni échéances de remboursement. A moins d'imaginer une monnaie gratuite…, mais là, on est dans l'utopie pure!
La concurrence est le premier garde-fou à l'avidité du boulanger. D'où dans une économie l'intérêt de la liberté de concurrence… C'est exactement ce que les capitalistes veulent nous faire croire. Dans son exemple de l'île aux 100 familles, Pierre Persat imagine qu'il y ait 3 boulangers, 3 savetiers, 3 médecins. Si l'un d'eux augmente ses prix, ses clients vont voir ailleurs, il fait faillite. Faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages: les trois médecins, qui ont été aux écoles, imagineront très facilement de très bons arguments pour augmenter le prix de la visite en même temps. Le savetier et le boulanger ne penseront pas à augmenter les prix du pain et de la savate. Ça fait des siècles que ça dure. Il faut vraiment être socialiste pour ne pas voir que la liberté de concurrence ne pourrait marcher que si tous étaient aussi libres, ce qui serait un drame pour les capitalistes!...
Il n'y a que deux moyens de se procurer de l'argent : ou en le gagnant ou en le prenant aux autres. C'est clair ?
Je sens que l'on va nous demander de moraliser nos comportement sociaux… En résumé, on met en place un système, puis on accepte tacitement qu'il soit le seul possible et le meilleur. Ensuite on découvre qu'il provoque des inégalités, qu'il favorise la guerre économique, qu'il nous met tous en concurrence quand il faudrait s'entre-aider. Que change-t-on, le système ou les gens? Le génie du capitalisme a été d'exonérer le système et de nous charger tous individuellement des fautes induites par le système.
Les économistes sont des hommes froids qui manient des chiffres, des formules, des statistiques, surtout des statistiques, sans jamais s'en écarter, sans jamais évoquer la dignité humaine et la morale. Le feraient-ils, qu'ils en perdraient leur crédibilité. A-t-on vu faire du sentiment en affaires ?
En somme, on crée un métier de fous (les économistes), on leur confie nos vies, et on s'étonne d'être maltraités. C'est comme confier son porte-monnaie à un escroc notoire, confier ses enfants à un pédophile, se croire en sécurité en confiant la surveillance de son magasin à un mafieux…
Est-ce donc faire du sentiment ou simplement une constatation objective que de dire que l'économie d'une société dépend de sa morale ?...
Est-ce réaliste de demander à des économistes, qui ne savent que compter, de s'intéresser à la morale? il est aussi peu réaliste de demander à l'homme d'aimer son prochain que d'en faire un loup pour l'homme. Si le problème était moral, il y a longtemps qu'il aurait été résolu, ne serait-ce que par intérêt. Le problème est dans le système et on ne peut demander à un système de développer lui-même ses qualités morales...
Pierre Persat, nous donne ensuite les liens de cause à effet du chômage: Le travail à faire est sans limite, chacun n'en faisant qu'une partie doit échanger son travail contre celui des autres, cet échange passe par l'intermédiaire de l'argent, donc tout déséquilibre monétaire accumule l'argent chez les uns au détriment des autres et les inégalités sociales se renforcent. Les autres sont alors obligés d'en demander plus, on leur refuse ce plus par divers procédés de blocage, ce blocage paralyse l'échange et sans échange pas de travail…
Pierre nous décrit là un cercle vicieux, ce qui explique que le capitalisme n'avance que de crise en crise. Si tant de brillants esprits, d'Aristote à Piketty, n'ont pas réglé ce problème systémique, c'est parce qu'il n'est pas soluble. Le problème fait partie de la logique du système. Changer la configuration politique, éduquer les populations à la bonne gestion, n'élire au pouvoir que des gens intègres et formés aux problèmes des systèmes complexes, rien n'y fera. Un système complexe arrive tôt ou tard au bout de sa logique. On ne peut qu'en changer, radicalement. De ce fait, cela appelle une révolution d'un type particulier que l'on nomme "copernicienne" en référence à l'héliocentrisme qui a changé non seulement notre conception de l'univers, mais nos croyances religieuses, philosophiques, nos comportements moraux et nos habitudes technologiques…
Le chapitre sur l'impôt montre que Pierre Persat accepte la TVA comme l'impôt le plus intelligent ou au moins le moins mauvais, puisque nul ne peut échapper et qu'il affecte ceux qui consomment le plus. C'est oublier un peu vite que payer 18% de taxes sur un yacht affecte beaucoup moins que 18% sur des dépenses aussi contraintes et principales que l'alimentation de base. Une personne au SMIC ne fait généralement aucune économie, sa paye suffisant juste au strict nécessaire. On pourrait mettre une taxe de 80% sur les plus grandes fortunes sans que leur niveau de vie en soit affecté et cela a été fait, y compris dans les pays anglo-saxons les plus accrochés au néolibéralisme. Quelques milliardaires proposent même de mettre des TVA progressives en fonction de la richesse: 90% sur les yachts et les jets privés, 0% sur le pain, la viande, l'énergie, les vêtements…
Ainsi l'argent se concentre de plus en plus sur une minorité restreinte de gens fortunés, reléguant au rang d'assistés, ou de non-assistés, un nombre de plus en plus grand de citoyens dans un pays, comme un nombre de plus en plus grand de pays dans le monde.
Ah! Tout de même, enfin une remarque sur cet aspect de l'argent qui ne changera jamais. L'homme n'a rien à voir à cela sinon du fait d'accepter l'effet mécanique d'accumulation sans le remettre en cause. Plus le capitalisme s'est perfectionné et plus les écarts de richesse se sont creusés. Les grands principes (démocratie, liberté, égalité, fraternité...) sont inapplicables tant que le moindre sou sera en circulation. La démocratie devient tôt ou tard ploutocratique. Tant que les gens n'auront pas compris que la condensation de l'argent est un phénomène aussi mécanique que celui de la pierre que l'on jette en l'air et retombe sur notre tête. Mieux vaut refuser tout usage de l'argent… Faute de quoi, l'ami Pierre pense que l'idéal utopique engendre la tyrannie, que le communisme imposé est à la libre solidarité économique ce que le viol est à l'amour… Sans argent, l'entraide devient une nécessité de survie, avec l'argent le moindre service devient un pouvoir sur l'autre. Quand on reçoit un don, un service, un geste de sympathie, on dit Merci, sans voir que l'expression française complète est ''je suis désormais à votre merci", donc votre obligé, votre débiteur, votre esclave. De quoi remercie-t-on le médecin qui nous soigne, le boulanger qui cuit notre pain? N'ont-ils pris aucun plaisir à ces actes? N'ont-ils pas reçu en retour une reconnaissance sociale "qui n'a pas de prix"? A quoi rime de payer deux fois sinon à mettre l'autre également "à notre merci"?..
Il est vraiment dommage que des gens aussi sympathiques que Pierre Persat, aussi généreux et intègre, persiste à dire merci patron, merci les prolétaires, merci l'aide sociale dans un contexte monétisé. Le mot vient du latin merces: salaire, récompense, il a pris ensuite le sens de grâce accordée au perdant d'un duel, ce qui n'est pas loin de la pitié. Respecte-t-on celui qui fait pitié?... Le livre de Pierre Persat mérite toutefois la lecture pour ce qu'il est: un concentré des affres du monde monétaire et des biais cognitifs qui nous empêchent d'en prendre conscience!