
Aristophane - Ploutos, 408 av.J.-C.
Traduction les Belles Lettres, 1983, 162p.
Quatrième de couverture: Après la bataille d'Aigos Potamos, en 405 avant J.-C., la situation d’Athènes est désastreuse : l’armée défaite, les longs murs rasés, le trésor épuisé, le bref mais meurtrier gouvernement des Trente est contesté... Tous ces malheurs, en quelques années, ont fondu sur Athènes ; et la brillante cité qu’avait connue le poète au début de sa carrière est désormais exsangue. Le ton de son œuvre s’en ressent : les circonstances sont si lamentables que le poète n’a plus guère le cœur d’en rire. La satire politique, qui n’est cependant pas absente de cette pièce, s’adoucit pour laisser la place à une comédie plus axée sur les mœurs et la société, mais tout aussi désopilante. Ploutos, Dieu de la Richesse en personne, guéri de la cécité à laquelle Zeus l’a condamné, instaure lui aussi un ordre nouveau, où sont récompensés les justes, au grand dam des sycophantes et de quelques vieilles n’ayant plus de quoi entretenir les complaisances de leurs mignons. Pour Aristophane, la richesse est un dieu aveugle, mais en passe de devenir maître du monde.
Les quatrièmes de couverture des éditions Belles-Lettres sont généralement très consensuelles. Exceptionnellement (merci Aristophane), celle-ci est révolutionnaire. Traduite en français vernaculaire cela donne ceci: «La richesse est aveugle, et récompense uniquement les plus riches appauvrit les plus pauvres. Les inégalités sociales deviennent totalement indécentes. Les milliardaires continuent à chercher fortune alors qu'ils ne pourront jamais dépenser celle qu'ils possèdent déjà. Les Grecs du temps d'Aristophane aurait parlé "d'hubris" (outrance doublée d'orgueil). Un économiste borné s'est fait soigner par un certain Asclépios et a trouvé une martingale pour réduire ces inégalités, la richesse n'est plus aveugle, depuis le revenu universel, dit-on. Elle sera mieux répartie. C'est l'ordre nouveau, au grand dam des financiers et des riches "cougars" craignant de ne plus pouvoir payer leurs gigolos. Tant pis pour eux, la richesse ne sera plus la grande maîtresse du monde.»
Mais, voulant abolir la richesse mais pas l'argent, le but mais pas l'outil qui est devenu but ultime, on s'aperçoit vite que rien n'a changé et qu'il faut passer à l'étape suivant, l'instauration d'une civilisation sans argent. Revient Aristophane, tu avais vu juste avec 24 siècles d'avance!...
Lire ce texte ou l'entendre dans l'une ou l'autre adaptation théâtrale ne manque pas de piment pour peu que l'on fasse le lien entre l'antiquité grecque et l'hubris du monde actuel. A chaque personnage, on peut trouver son équivalent moderne. Presque chaque réplique peut être adaptée aux circonstances qui sont nôtres….
Les personnages: Ploutos est le dieu de la richesse, il est aveugle de naissance. C'est en effet depuis l'origine que la richesse se partage entre les hommes de manière très inégalitaire. Sur le conseil de l'oracle de Delphes (équivalent de l'analyste économique), le citoyen Chrémylos (l'argent en grec se dit chrima ) convainc Ploutos de se faire soigner par Asclépios (demi dieu capable de soigner les gens, son bâton entouré d'un serpent est devenu l'emblème des médecins). Ce fou de Ploutos, une fois guéri, se met à faire le bonheur des honnêtes gens! Karion, l'esclave de Chrémylos, suit Ploutos à la trace et constate que, quoiqu'il fasse, Ploutos laisse
Aristophane derrière lui des mécontents: Chrémylos est devenu riche mais pas assez à son goût. Pénia et sa bande (les prolétaires du coin: pénia peut se traduire par "la Dêche") trouvent que Ploutos est ingrat. Ce sont eux qui font le monde et ils n'ont que des miettes. Arrivent ensuite un sycophante (un délateur professionnel) ruiné, une vieille femme rejetée par son mignon, etc. L'aménagement de l'outil monétaire n'entraîne que des désordres, voire de l'insécurité. Entre l'insécurité et la richesse il faut choisir, sauf pour les aristocrates qui ont l'argent et la sécurité, la liberté en prime!...
Étymologie de "tragédie": le mot grec ancien tragéodia vient de tragos (le bouc) et de ôdia (le poème chanté), donc le chant rituel lors du sacrifice du bouc et par extension, le poème (tragique ou comique) accompagné de chants, la comédie musicale au temps d'Aristophane. Quand on sait cela, on comprend que l'effondrement que l'on nous annonce, ne présage ni de la comédie ni de la tragédie, mais simplement que cela va nous faire chanter ou pleurer, rire ou déprimer! Tout dépend de la façon dont on l'imagine et l'écrit… Aujourd'hui, il y a aussi des Aristophane qui font de brillantes analyses économiques (Lordon par exemple), des comiques qui nous font rire face aux misères (Coluche était bon dans ce genre), des tragédiens qui parlent de fin du monde (les collapsologues), les agitateurs jamais contents (généralement de gauche), les mafieux, proxénètes et autres trafiquants qui sans argent seraient au chômage, privés même du vol à l'arraché…
Ce serait bien qu'un dramaturge nous refasse le coup d'Aristophane : un "Ploutos" moderne!....