Sortir de la croissance, mode d'emploi,, Eloi Laurent
Editions LLL, 2019 (+ poche 2021), 208 pages.
Quatrième de couverture: La croissance et le PIB ne sont pas, ne sont plus la solution : ils sont devenus le problème. En effet, nous vivons une révolution des données, un nouvel ordre empirique: jamais les données n'ont été aussi nombreuses et accessibles et jamais elles n'ont été aussi puissantes dans l'organisation des sociétés et des vies humaines. Mais nous utilisons de mauvaises données pour nous gouverner. Alors que la crise des inégalités bouleverse nos démocraties et que les crises écologiques ravagent nos écosystèmes, le débat démocratique et les politiques publiques demeurent obsédés par la croissance.
L'auteur: Économiste français né en 1974, chercheur à l'OFCE (Observeatoire Français des Conjonctures Économiques), enseignant à l'Institut des sciences politiques de Paris, membre du Cabinet su Premier ministre Jospin durant deux ans. Il enseigne aussi à Standford (USA) et Harvard(GB).
Avertissement: J'aurai tant voulu classer ce livre d'Eloi Laurent dans la catégorie des "livres postmonétaires"! Mais en relisant ces notes déjà anciennes, je me dis qu'il mérite au mieux la catégorie du "pas suspendu de la cigogne". On se demande en effet comment il arrive à défendre des idées qui contredisent ses analyses, comment il peut s'inscrire dans le programme politique de la NUPES (actuellement Front populaire) tout en déclarant que l'on est à deux doigts de sombrer dans le chaos le plus total. Sans doute est-ce son attachement à la foi catholique qui lui donne, en même temps, cette générosité qui le caractérise, et l'impossibilité mentale de sortir d'un cadre de pensée aussi rigide que celui d'une "église apostolique et romaine".... Il reste que c'est un esprit brillant qui amène plein d'eau à notre moulin et qui mérite donc cette deuxième classe!...
Extraits commentés:
p.9. La croissance, illusion ou mystification ? Les humains n’ont jamais produit autant de données (2,5 trillions d’octets par jour). Les chiffres qui nous gouvernent sont des constructions sociales derrières lesquelles se cachent une vision du monde et des choix méthodologiques subjectifs et discutables.
p.11. Le big data devrait nous conduire à vouloir gouverner l’empire des données mais c’est généralement l’inverse qui se passe. Il nous faut devenir numériquement lettrés pour déchiffrer le monde. Cette première remarque rejoint le slogan des Postmonétaires pour qui le principal problème est que les usagers ont été progressivement privés de leurs usages et qu'il est urgent de leur en redonner la maîtrise.
Dans cette entreprise de libération, l’économie standard ou conventionnelle constitue un formidable obstacle. Plus précisément, les trois horizons de l’humanité qui sont le bien-être, la résilience et la soutenabilité échappent à peu près complètement à nos systèmes actuels de mesure et de pilotage économiques. Et effectivement, l’économie se moque bien du bien-être des usagers, de la résilience face aux dégâts qu’elle crée, de la soutenabilité de ces usages, l’essentiel et unique objectif étant le profit. Or, si ce ne sont pas toujours les humains qui courent après le profit, le système, lui, nous y contraint dès le premier euro investi dans les nécessités de notre survie matérielle.
p.12. Le bien-être peut se mesurer de manière objective et subjective et à différentes échelles géographiques, mais ne nous dit rien sur l’évolution humaine dans le temps (à quelles conditions pouvons-nous espérer maintenir dans le temps un état de bien-être ?...Comment évaluer la capacité d’une communauté, d’un territoire, d’une nation, de la planète à s’adapter aux changements climatiques, à faire face aux chocs économiques, sociaux, environnementaux sans dépérir ?... A l'évidence, le bien-être dans notre société capitaliste est de plus en plus provisoire. Ce qui émerge de plus en plus ce sont l'écoanxiété, la frustration, la crainte de procréer, la consommation toujours croissante de neuroleptiques…, autant de signes alarmants mais jamais mis en lien avec l'économie…
p.13. A long terme, il est nécessaire d’évaluer comment le patrimoine peut être hérité, entretenu, transmis de génération en génération. L'héritage est sans doute ce qui produit et préserve le mieux la richesse. C'est à n'en pas douter la pratique la plus inégalitaire qui soit et en même temps celle à laquelle nos contemporains restent le plus accrochés. Perdre un bien que l'on a mis une vie à acquérir et sans pouvoir le transmettre à ses enfants est toujours vécu comme une "spoliation intolérable". Or, la seule façon de contourner ce sentiment de spoliation est de passer de la propriété privée à la propriété d'usage, chose en totale contradiction avec l'esprit capitaliste!
p.14. Plus exactement, il s’agit de replacer les trois horizons (bien-être, résilience et soutenabilité) au cœur de l’analyse économique. Chez les Grecs anciens (Aristote, Xénophon, Diogène...), le bien-être était le point de départ de toute économie. Une vie réussie était pour eux une vie heureuse, avec ou sans fortune… En réalité, l'humanité a vécu bien plus longtemps dans l'esprit de Xénophon que dans celui de nos modernes "super-riches". Nous avons pourtant le sentiment que, de tout temps, les gens ont couru désespérément après la fortune plus qu'après le bien-être. L'argent étant déifié, nos comportements ont été naturalisés. Ce n'est pourtant qu'une vue de l'esprit savamment entretenu. Je compare souvent cette croyance avec le préjugé d'une "jeunesse qui se dégrade moralement, intellectuellement, politiquement". Les Grecs et Romains de l'Antiquité s'en plaignaient déjà !
p.16. Qu’est-il arrivé à l’analyse économique pour qu’elle oublie à ce point ses propres origines intellectuelles ? Au début du XX° siècle, les économistes ont décidé de séparer leur discipline de la philosophie et de l’éthique et de tenter d’en faire une science de l’efficacité modelée sur la physique. Puis après la seconde guerre, la discipline économique s’est rêvée en science de la croissance. De là est apparu le fameux indicateur du PIB (et PNB), couronné roi de toutes les statistiques, étalon du pouvoir et du succès, donc du progrès. Il n'est pas absurde de relier cela à l'étendue des connaissances qui jadis pouvait se contenir dans les cerveaux de Diderot et d'Alembert et en une vingtaine de volumes. Aujourd'hui, personne ne peut se targuer une culture réellement encyclopédique. Les grandes catégories de la connaissance se sont subdivisées en une longue arborescence de sous spécialités. Les économistes ont abandonné la philosophie, la sociologie, la psychologie pour tout mettre en formules mathématiques, en algorithmes. Le contexte économique étant concurrentiel et non collaboratif, ils ont même perdu l'habitude de confronter leur savoir à d'autres. Aucune vision systémique ne résiste à ce "saucissonnage" du savoir.
p.17. On ne peut pas dire que ce PIB n’ait pas été contesté : en 2007 la Commission européenne a organisé une conférence internationale pour ‟dépasser le PIB”. Dans la deuxième décennie, les conférences se sont multipliées pour proposer d’autres indicateurs (17 objectifs de développement durable -ODD à l’ONU). Mais comment imaginer qu'une assemblée internationale, généralement composée d'experts d'un unique domaine, ait les compétences pour analyser un contexte mondialisé et en tirer des conclusions aussi générales?...
p.18. Le sacrifice du bien-être, de la résilience et de la soutenabilité sur l’autel de la croissance a un coût humain et environnemental considérable. Le début du XX° siècle se caractérise par trois crises connexes et angoissantes : la crise des inégalités, la crise écologique et la crise démocratique. Tout le monde le sait, mais rien ne change, les gouvernements de tous les pays les plus riches restent dans la croissance, la concurrence, le déni des pénuries d’énergie, des matières premières, des politiques progressistes. Il est difficile d'imaginer qu'en pleine crise économique de l'Union Européenne, dans un monde en totale guerre économique, un gouvernement comme celui de la France actuelle, avec ses ministres choisis pour leurs seules capacités de communicants, trouvent des solutions aux problèmes sociaux ou environnementaux qu'ils ont eux-mêmes produits?
p.20. Le pouvoir d’achat dépend des choix de redistribution et non de l’état de la production… Les responsables qui continuent de se fier à la croissance sont rendus aveugles aux deux dimensions les plus essentielles de l’existence : la santé du corps et de l’esprit et la vitalité de la biosphère. Ils confondent croissance et progrès social. Ils dégradent les écosystèmes tout en croyant l’améliorer.
p.21. La croissance n’est donc pas une solution à nos problèmes, c’est un double obstacle à leur résolution… La croyance dans la croissance est soit une illusion, soit une mystification. Les défis du XXI° siècle ne peuvent être compris et encore moins être pris à bras-le-corps avec des indicateurs conçus dans les années 1930. Le pire étant que les responsables politiques sont sous la double épée de Damoclès de devoir promettre la lune pour être élus et d'échapper à la mise à jour de leurs faiblesses que prouvent les bilans objectifs de leurs politiques.
p.22. Pourquoi l’écrasante majorité des économistes et des responsables politiques restent-t-elle attachée à la croissance ? Forcenés ou utilitaristes ? Bonne santé des marchés ou des personnes ?... Faute d'éthique, de philosophie, de culture générale, les économistes ne peuvent fonctionner que par dogmes, par croyances, lesquelles, par définition, ne se discutent pas. De tous temps les nations ont tenté de croître et objectivement, il en est souvent sorti des effets sociaux qualifiés de progrès. De la à avoir une foi inébranlable dans la croissance et de prendre les décroissants pour des "terroristes économiques", il n'y a qu'un pas, qui en plus est commode et gratifiant!
p.25. Le symbole le plus frappant de la façon dont les USA dilapident leur prospérité au nom de la croissance est sans doute l’état calamiteux de leurs infrastructures (ponts, routes, écoles, réseaux d’eau et d’énergie, digues, etc.)
p.26. « la croissance de l’économie des États-Unis s’est établie à 3,2% en rythme annuel au premier trimestre 2019 » pouvait-on lire dans Le Monde le 26 avril 2019. Si les forcenés manient la mystification, les utilitaristes eux, se bercent d’illusions.
27. Plus la croissance est forte, plus les émissions de gaz à effet de serre augmentent. Il faut donc désormais proposer des alternatives et bâtir de nouvelles institutions. C’est la voie dans laquelle se sont engagés la Finlande et la Nouvelle-Zélande en 2019 en réformant leurs finances publiques pour viser le bien-être humain au lieu de la croissance. C'est en effet le réel et lui seul qui peut contraindre les décideurs à changer leur fusil d'épaule. Et le réel, comme disait Lacan, "c'est quand on en prend plein la gueule!" Voir le réel, par exemple le nombre de seuils objectivement franchis de façon irréversibles (6 sur 9, selon le GIEC), c'est effectivement admettre que l'on va vers le mur en entraînant derrière nous l'humanité et une bonne part des espèces vivantes… Qui le premier osera une telle démarche s'il a une once de pouvoir, donc de responsabilité?...
p.31. L’Europe dévorée par les nombres : Le nombre d’or, 1,61803…, apparu pour la première fois dans les écrits d’Euclide a été rebaptisé proportion divine par le franciscain Luca Pacioli au XVI° siècle. Il s’est ainsi trouvé doté d’un caractère mystique qui a perduré jusqu’à ce jour.
p.32. Le pouvoir de ce que nous appelons aujourd’hui les données est intimement lié à l’émergence de l’État-Nation, institution par excellence de l’ère moderne, qui a usé et abusé de la comptabilité pour établir sa souveraineté. Mesurer les personnes et les ressources disponibles est au fondement même de l’économie politique… Pour autant, la comptabilité reste utile si elle n’est pas abusive. Elle est utile quand il s’agit de connaître la quantité d’un stock, abusive quand on associe l’augmentation de ce stock au bien-être. Mais la pénurie de choses essentielles à la survie entraînant le mal-être, est ce qui a justifié le calcul de l’abondance comme une recherche de bien-être. Le fait que la pénurie chiffrable soit associée au malheur est indissociable de l’abondance qui serait associée au bonheur. La même pratique comptable est utile ou douteuse selon la place où l’on met le curseur en positif ou en négatif. Prudence donc avec les chiffres…
p.33. Ce gouvernement par les nombres, comme l’a qualifié Alain Supiot, est le produit du règne de l’économie sur la politique et efface peu à peu le gouvernement par le droit… L’UE a été fondée sur la base d’une méfiance viscérale à l’égard du politique. Les règles économiques du traité de Rome (1957) se sont transformées en critères quantitatifs avec celui de Maastritcht (1992)… …lequel s'est "amélioré" avec le traité de Lisbonne. Si les Pères de l'Europe ont eu quelques visions d'un monde meilleur, les Institutions européennes d'aujourd'hui n'ont plus qu'une préoccupation, maintenir le train sur ses rails en camouflant soigneusement la direction prise, l'état des rails, l'essoufflement de la locomotive…
p.34. La Commission européenne, la BCE, le FMI se sont échiné à faire respecter les ratios européens de finances publiques en période de récession, imposant des conditions de vie dramatiques à la population grecque.
p.36. IDH : Indicateur de Développement Humain de l’ONU. Il montre que dans l’UE il augmente jusqu’en 2000, point de basculement, et se dégrade ensuite jusqu’à devenir nul en 2014.Et pour la première fois, une majorité d’Européens pensent que l’avenir de leurs enfants sera moins bon que le leur. La confiance vis-à-vis de l’UE tombe à 36% en 2016. Un nouveau sondage sur le sujet en 2024 donnerait certainement un pourcentage encore plus bas. L'UE n'a plus aucune légitimité démocratique, juste des impératifs de survie…
Avons-nous encore besoin du PIB ? Trois démentis, technique, pratique et symbolique:
p. 46. A partir de Bretton Woods, une nation serait considérée comme développée si son PIB par habitant atteignait celui des pays les plus riches. … Le progrès social signifie la croissance, et la croissance signifie la croissance industrielle. Et c’est toujours le discours de l’immense majorité des politiques, de l’extrême droite à l’extrême gauche…Chaque élection donne le spectacle désolant d'une fracture entre les peuples et leurs élites. Mais le peuple pas plus que ses gouvernant n'a de roue s=de secours pour sauver le véhicule de la res publica…
p.47. Lorsque les bons indicateurs sont utilisés à mauvais escient, ils deviennent de mauvais indicateurs. Lorsque les bons indicateurs sont inadaptés au monde dans lequel ils sont utilisés, ils deviennent des obstacles à sa compréhension. C’est ce qui arrive aujourd’hui au PIB.
53. La croissance est assimilée au progrès, parce que le mot même est compris en référence au corps humain et à la santé. C’est ici la mythologie de l’économie comme médecine du corps social héritée du XVIII° siècle qu’il faut dissiper. Autant demander à un arracheur de dents de se comporter comme un dentiste, à un truand notoire d'être vertueux…
57. Regarder en arrière, regarder vers l’avant : Les données les plus récentes montrent que l’explosion du développement humain doit beaucoup plus à la santé et à l’éducation qu’à la croissance du PIB, non seulement dans les pays développés mais aussi dans les pays en développement.
p.67. L’acide des inégalités :
p.70. …faire la distinction entre une inégalité, une iniquité et une injustice… ?!? Exemple typique de la bataille sémantique qui tient lieu de programme, de projection vers un avenir autre et supposé meilleur… La langue française se prête parfaitement à la rhétorique, à la logique dans l'enchainement des concepts. Elle est donc fondamentalement dangereuse pour qui veut faire prendre aux autres des vessies pour des lanternes. Les périodes électorales sont de plus en plus des caricatures de verbiages hors de toute logique et les mots pour le dire sont vidés de leur sens ou affublés d'un sens contraire propre à empêcher de penser? L'émergence des qualificatifs, séparatistes, communautaristes, complotistes, wokisme, islamogauchisme, antisémitisme, souverainistes, partenaires sociaux, ascenseur social…, ne servent qu'à empêcher de penser et c'est un dictionnaire entier qu'il faudrait rédiger tant ils s'accumulent. C'est si facile de détourner un mot. Il suffit de le répéter souvent, mais toujours dans le nouveau sens qu'on lui aura attribué.
p.72. Fondamentalement, l’inégalité est un acide qui ronge la coopération humaine : elle amoindrit la confiance entre les personnes et à l’égard des institutions, et entrave la recherche de connaissance partagée.
p.73. L’idée que l’intérêt personnel et l’efficacité seraient les principales motivations des comportements humains est éminemment douteuse. Armatya Sen a démontré que les humains ressemblent beaucoup plus à des fous rationnels qu’à l’homo œconomicus, alors que la recherche de l’équité semble être un moteur bien plus puissant de l’action humaine que la recherche de l’efficacité..
p.74. De nombreux économistes ont documenté la montée des inégalités nationales et entre pays : au cours des trois dernières décennies, les inégalités de revenus se sont creusés dans toutes les régions du monde à des rythmes différents et à partir de situations initiales différentes.
p.81. La fin du loisir : Deux hypothèses trompeuses : la première qui lie l’augmentation de la croissance à l’augmentation de l’emploi ; la seconde qui postule une séparation nette entre travail et loisir, l’un étant censé être l’inverse de l’autre.
p.84. Il est déroutant d’observer que dans les économies à haut revenu, la lente croissance des salaires coexiste avec la reprise de la croissance du PIB et la baisse du chômage, note l’OIT. Les salaires qui stagnent sont un obstacle à la croissance économique. Donc, si l’injuste rémunération des travailleurs pose problème, ce serait parce qu’elle entrave la croissance. On se demande alors pourquoi les capitalistes n’augmentent pas les salaires pour croître et donc faire plus de profits, ou pour rendre le travail suffisamment attractif et donc lutter contre le chômage et la pénurie conjointe de main d’œuvre. Si la réalité est toute autre, que le chômage augmente et que les salaires augmentent moins vite que le coût de la vie, il n’y a que deux explications, soit les patrons sont fous, soit ils mentent…
p.87. La maladie de la croissance : Quand on décide de sortir de la croissance comme l’a fait la Nouvelle Zélande en 2019 en adoptant son budget du bien-être, la première exigence est de donner la priorité à la santé, physique comme mentale. La maladie de la croissance est justement la pathologie qui empêche de voir la dégradation manifeste du bien-être humain au nom de la bonne santé du PIB…
Les USA qui avaient l’une des plus hautes espérances de vie de la planète dans les années 1960, présentent désormais l’incroyable particularité de voir leur espérance de vie reculer, alors même que les dépenses de santé y sont les plus élevées au monde.... La question c’est de comprendre comment la Nouvelle-Zélande qui reste toujours dans le cadre capitaliste arrive à privilégier le bien-être du plus grand nombre. Certes, c’est un petit pays (5 millions d’habitants en 2018) relativement riche (21° au classement mondial du PIB/hbts en 2013) et déjà favorisé en qualité (16° au classement IDH 2017). Quant aux USA, la baisse de l’espérance de vie globale recouvre une hausse pour la part blanche et bourgeoise de la population et une grave baisse pour la part Noir et prolétaire du pays. Actuellement, la Russie a rattrapé et dépasse l’espérance de vie des USA. Peut-on en déduire que la qualité de vie des américains est moins bonne que celle des Russes ? Les inégalités qui se creusent entre riches et pauvres, sujets sains et malades sont telles que les moyennes ne veulent plus rien dire. Il n'y a pas que le PIB qui fausse la vision du réel, il y a aussi tous les biais cognitifs des statisticiens… Exemple : 100 français gagnent ensemble 280 000€ par mois. On peut en déduire que la moyenne française des salaires est de 2 800€ par mois et que la vie est belle pour tous. Mais si un seul gagne 240 000€ en un mois, les 99 autres gagneront seulement 400€ par mois, soit moins qu’un RSA, et seront donc dans la misère. La moyenne de 2 800€ ne veut donc rien dire et ne reflète ni la réalité du très riche ni la misère des plus pauvres. Le salaire médian est une autre moyenne absurde : c’est le salaire correspondant à celui pour lequel 50% des français gagnent plus et 50% des français gagnent moins. Dans l’exemple pris ici sur 100 Français, 99% gagnent moins et 1% gagne plus! A la lecture ses statistiques produite par l'INSEE, on a très vite l'impression que tout est fait pour que l'on n'ait aucune idée de la réalité. C'est vrai pour les salaires, le fameux panier de la ménagère, l'augmentation du pouvoir d'achat. "Je ne crois aux statistiques que lorsque je les ai moi-même falsifiées" disait Winston Churchill!
p.89. USA : La crise des opioïdes visant à atténuer la dégradation de la santé elle-même masquée par l’augmentation de croissance, a simultanément rapporté des milliards de dollars et coûté des centaines de milliers de vues humaines. Aux USA, on peut littéralement dénoncer les ravages de ‟l’opium de la croissance”. Le suicide compte parmi les dix principales causes de décès chaque année depuis 2008, et les taux de suicide ont augmenté pour atteindre 14/100 000 en 2017 (contre 10,5/100 000 en 1999)… Le problème de la pollution/ urbaine est un fléau mondial dont les conséquences en terme de mortalité et de morbidité se mesurent désormais précisément.
p.90. En France, la pollution par les seules particules fines occasionne plus de 48 000 décès chaque année, soit environ 8% de la totalité des décès. Si on y ajoute l’impact sanitaire de deux autres polluants atmosphériques majeurs (ozone et dioxyde d’azote) c’est environ 58 000 morts prématurées qu’il faut déplorer (10% du total). Et ne sont pas comptées ici les pollutions chimiques émises par l’industrie dans l’air, l’eau, les sols, les adjuvants inutiles introduits dans la nourriture industrielle, les intrants de l’agriculture… Au total, bien plus de morts que le Covid qui auraient dit-on provoqué une pandémie. La pandémie industrielle ou pandémie du fric, c’est sans doute 50 000 morts de plus, soit un total de 100 000 morts par an. (Rappelons que le chiffre des décès Covid officiel est de 118 000 morts entre mars 2020 et novembre 2021. A l’évidence la médiatisation du Covid par rapport à la pollution industrielle est sans commune mesure, les modes de calcul aussi !
p.94. Les indicateurs permettant de prévoir les dépenses de santé : La "valeur de vie statistique” attribue une valeur monétaire à la vie humaine et calcule ensuite la valeur agrégée pour la rapporter au PIB. Calcul contestable! Le terme est faible, tout dans l’énoncé est sujet à question : la vie peut-elle être chiffrée en euro ? C’est quoi la valeur agrégée ? Où est le rapport au PIB ?...
Cette valeur de vie agrège les pertes en termes de consommation ou de revenus induits par un décès prématuré. C’est ce qui permet d’élaborer les réglementations (pollution, accidents…). Quel prix sommes-nous prêts à payer pour réduire un risque fatal ?... Si cela peut se concevoir financièrement, éthiquement c’est très fragile. Rapporter ce coût au PIB laisse entendre que la perte d’une vie humaine est un problème en ce sens qu’elle retire une personne du marché, donc de la croissance.
p.95. En clair on ne montrerait pas que la pollution urbaine coûte 250 milliards d’euros soit 0,5% du PIB mais un an d’espérance de vie et 10% des dépenses de santé. On passerait ainsi d’une logique comptable à une logique humaine. Même problème théorique que celui posé par Pierre de Jean Olivi, l’économiste franciscain du XIII° siècle: y a-t-il un ‟juste prix”. Payer pour sauver des vies ou économiser les dépenses de santé ?… Quel est le juste prix de la vie ? Si la vie d’un Américain de Californie peut valoir plusieurs millions de dollars, pourquoi celle d’un Camerounais vaudrait quelques centaines d’euros ?... quand un problème se repose sans cesse et dans les mêmes termes du 13° au 21° siècle, c'est vraisemblablement qu'il est mal posé!
p.97. La mondialisation de la solitude : Les habitants des différents pays partagent-ils la même conception du bonheur ? Voir le rapport annuel mondial sur le bonheur (World Happiness Report 2019) Du 1er (la Finlande) au 156ème (Soudan du sud), la France étant 24ème.
p.99. On peut en tirer la conclusion : l’importance des liens sociaux pour le bonheur. Ce sont avant tout les autres qui font le bonheur. Cela se constate sur les pays riches ou pauvres, du Nord ou du Sud. Si le revenu peut jouer sur le bonheur, ce serait donc dans une moindre proportion. Dans l’ordre, le rapport 2019 de WHR : les liens sociaux (34%), le PIB par habitants (26%), la liberté de choisir son mode de vie (11%), la générosité (5%), l’absence de corruption (3%)… On peut en conclure que si les États veulent le bonheur des gens, ils doivent compter sur le lien bien plus que sur la croissance, sur le ruissellement de la richesse. La solitude des individus tend à croître partout, dans toutes les générations et niveaux de vie. L’empreinte du numérique n’y est pas pour rien. L’écran isole.
p.102. Il s’agit d’un phénomène social complexe qui résulte vraisemblablement d’un faisceau d’explication : angoisse d’une professionnalisation de l’enfance (performance scolaire + activités para scolaires), l’hyper connexion numérique, l’urbanisation anonyme, la possibilité technique de survivre seul, solitude au travail et travail isolement social par le travail…
p.104. L’isolement social est d’ailleurs en train de devenir un marché, des entreprises « bienveillantes » proposant d’y remédier par des outils technologiques. Le raisonnement est le suivant : le vieillissement étant un phénomène mondial, l’isolement social ne peut que croître, et son remède est la connexion numérique. On propose pour lutter contre l’isolement social ce qui constitue la cause de l’isolement. C’est oublier un peu vite le poids des politiques néolibérales, désormais confrontées très directement à des impasses systémiques, qui sentent bien que la révolte gronde. Le plus simple moyen de prévenir la gronde, c’est de diviser, d’atomiser les groupes sociaux. Si le numérique tient lieu d’outil d’isolement parfait, il est clair que la défense de la 5G par le gouvernement français pourrait s’expliquer par la perception de cette technologie comme outil de fragmentation. De là à penser à l’isolement par confinement et couvre-feux sous prétexte de Covid, il n’y a qu’un pas, les Gilets Jaunes en sont la preuve. Les CRS n’en sont pas venus à bout, le Covid si !
p.107. La récession démocratique : La reprise économique après la crise de 2009 a coïncidé avec la récession démocratique. Il est bien possible que l’élévation des niveaux de vie entraîne naturellement l’expansion des libertés civiles et des droits politiques, mais la réalité est plus complexe. L’Arabie saoudite est très riche et peu démocratique… …le Bhoutan est pauvre et bien plus démocratique. La France de 1945 était exsangue et a produit le CNR, la France de 1981 était riche et a produit le libéralisme le plus sauvage de l’histoire du capitalisme.
p.109. La Hongrie est passée du statut d’espoir au statut de menace… La part des partis extrémistes en Europe est aujourd’hui de près d’un quart de l’électorat. Cette part a progressé dans les votes dans 17 pays sur les 28 de l’UE.
p.113. Cette vague de polarisation politique est mondiale. L’immigration, l’explosion des inégalités et l’insécurité (ou l’instrumentalisation médiatique que l’on en a faite) n’y sont pas pour rien, la faillite des élites incapables de proposer de vraies solutions non plus. Que pense aujourd'hui Eloi Laurent de la dissolution par Macron et de la percée du RN dans les sondages (37% des intentions de vote)?...
127. La croissance chinoise ou les trois flûtes sacrées : L’histoire contemporaine de la Chine est l’illustration la plus éclatante et la plus éclairante des limites fondamentales de la croissance économique. Sa trajectoire vertigineuse de développement dissipe trois mythologies économiques : 1. La croissance économique ne réduit pas les inégalités et n’augmente pas le bonheur 2.La croissance économique nourrie le libéralisme économique et n’engendre pas le libéralisme politique 3.La croissance économique n’est pas la solution aux crises écologiques. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la Chine se rapproche de la même récession que les pays occidentaux et riches : la croissance ralentit, les inégalités se creusent, les dégâts environnementaux explosent…
138. Le 18/10/2017 Xi Jinping déclare : « Nous sommes à présent face à une contradiction majeure entre un développement déséquilibré et inadéquat et l’aspiration pressante des Chinois à une vie meilleure » La plus grande expérience de croissance économique de l’histoire de l’humanité vient de se terminer ! Ceci dit, un régime communiste, surtout chinois, ne s'embarrasse guère du bien-être de son peuple. Le cadre monétaire du libéralisme est bien plus puissant que les aspirations des humains, en France comme en Chine. Si Eloi Laurent appuie son raisonnement sur la Chine avec cette légèreté est inquiétant. Peut-être que sa formation d'économiste l'empêche-t-elle d'attribuer à l'outil monétaire une responsabilité dans la dégradation du bien être, où qu'il soit et dans quelque configuration politique que ce soit…
Transition du bien-être, mode d’emploi.
p.143. Réussir la transition, en trois étapes : Transition = un processus dynamique, non pas seulement un but à atteindre, mais un chemin à tracer. Soit un état souhaité, un état à dépasser et une voie praticable d’un état à l’autre. Nous sommes mal barrés et j'hésite à penser que Laurent Eloi s'en rende compte ! En effet, aucun signe avant-coureur ne laisse suggérer une possible transition. Il est bien plus probable que le véhicule économique ne s’arrêtera qu’une fois écrasé contre le mur. De fait, une lente transition d’étape en étape est quasiment utopique. Le véhicule hors de service est encastré dans le mur. Le conducteur et ses passagers, s’ils s’en sortent indemnes sont soit blessés soit choqués par la brutalité de l’évènement. Si le choc s’est produit, c’est que personne n’avait suffisamment évalué le risque auparavant et qu’aucun but à atteindre n’avait été prévu à l’avance, aucun projet post-crash. Il y a donc un moment T du crash et de suite un moment T+1 où il faudra tout réinventer, dans l’urgence et avec des ressources sérieusement affaiblies. Plus qu’une transition, c’est une rupture brutale qu’il faut analyser, cher Eloi !
p.144. 1° constat, la sortie du capitalisme n’induit pas la sortie de la croissance et de ses effets destructeurs (le communisme ne vaut pas mieux). Mais si on reprend les différentes catégories marxistes, on ne peut dissocier l'argent et la valeur, la marchandise et le travail, l'État et le marché. C'est à prendre ou à laisser comme un ensemble mathématique, un paquet cadeau dont on doit accuser ou récuser la réception. Comment ne pas regretter qu'Eloi Laurent se soit arrêté en chemin et se soit concentré sur la croissance au nom de sa juste décroissance, sans pour autant ouvrir le "paquet cadeau" déjà bien conceptualisé par Marx ?...
p.145. 2°.Au Japon, la croissance s’est arrêtée il y a 30 ans, et pourtant le capitalisme continue d’y prospérer (le développement humain, l’espérance de vie, aussi). La dette publique s’élève à 250% du PIB ce qui souligne l’absurdité des critères de discipline budgétaire. Donc le capitalisme à la japonaise pourrait se passer de croissance. Et cet exemple japonais enfonce le clou. Il n'est pas besoin de s'appesantir sur le marché et ses marchandises pour décroitre… Je n'ai aucun doute qu'il finisse par y venir tant les événements nous y pousse!...
p.146. 3°. Le capitalisme est-il foncièrement incompatible avec le bien-être humain ? Les pays nordiques (Norvège, Suède, Danemark) sont en tête des classements et sont pourtant indéniablement capitalistes. Il n’y aurait donc pas de capitalisme uniforme dans le temps et l’espace. Il a d’ailleurs connu de nombreuses métamorphoses depuis le XIX° siècle.
p.147. Il faut donc faire une distinction entre le libéralisme économique, l’économie de marché, et le capitalisme. On voit poindre l’altercapitalisme pourtant largement en contradiction avec la démonstration de l’impasse systémique des 142 pages précédentes… Un capitalisme tronqué par les soins attentifs d'un Eloi Laurent, resterait toujours un capitalisme, avec ses milliardaires et ses prolétaires, sa publicité mensongère et son obsolescence programmée, avec ses Institutions antidémocratiques et ses peuples dépossédés de tout…
p.148. Ici, il convient d’être précis dans la critique. La discussion sur le capitalisme et la nécessité d’en sortir, voire de l’abolir ou de le détruire, généralement engagée et alimentée par des citoyens et des chercheurs sincèrement préoccupés par ses dommages sociaux et écologiques, est trop souvent focalisée sur des abstractions, alors qu’il s’agit de débattre du rôle des institutions et de politiques spécifiques, telle que la fiscalité, la redistribution et la réglementation. Pour ne prendre qu’un exemple, l’idée que la sortie du salariat serait une solution à la crise actuelle des inégalités est à la limite de l’absurde. Le capitalisme digital est occupé à accélérer cette sortie du salariat avec pour conséquence directe une précarisation accrue des travailleurs et un accroissement des inégalités.
p.149. La raison pour laquelle le capitalisme danois n’est pas aussi destructeur que le capitalisme américain tient au rôle de l’état dans la mise en œuvre d’une législation environnementale qui contrecarre l’inclinaison du système économique actuel à traiter les ressources environnementales du seul point de vue de la rentabilité à court terme. Chapeau l’artiste ! Il existerait un capitalisme organisé sur le long terme et avec un souci modéré de la rentabilité. On croit rêver… C’est nier les effets mécaniques de l’argent et de l’échange marchands malgré une expérience plurimillénaire !...
p.149. Quelle coalition politique saurait porter une véritable transition sociale-écologique capable de réduire simultanément les inégalités sociales et les dégradations environnementales dans un cadre démocratique ? Aucune tant qu’il y a échange marchand ! L’État providence, on l’a déjà tenté. Le communisme à visage humain aussi. Le capitalisme à la norvégienne aussi (même de celui-ci, on en revient). Le fordisme qui promettait l’american way of live ? Le keynesisme qui promettait l’égalité ? L’UE qui promettait la fin du chômage et la paix ?....
p.151. Transition réussie : exemple le tabagisme qui a été sérieusement éradiqué… 60 ans de tabagisme ne m’ont pas tué, 70 ans pour mon voisin… En revanche, depuis que les français fument moins, ils sont devenus les champions des neuroleptiques, somnifères, et tranquillisants divers. Bravo ! On n’arrivera pas plus à éradiquer totalement le tabac sans substitut pires que le tabac que l’on arrivera à « faire entrer les indicateurs alternatifs à la croissance et au PIB dans leur troisième âge ». Ce n’est pas en inventant un ODD (objectif de développement durable), un IDH (Indice de développement humain) qu’on empêchera le véhicule économique de s’écraser contre le mur de la logique et de la physique.
pp.195 à 203 : Conclusion : Deux définitions du développement : Pour François Perroux : la combinaison des changements mentaux et sociaux d’une population qui la rendent apte à faire croître cumulativement et durablement son produit réel (1961). Pour Armartya Sen : le développement est le processus d’expansion des libertés substantielles dont les gens disposent (2001)
On sait depuis 1970 que le système nous entraîne vers une extinction de masse et en 2024, on en est au même point ou presque. On a compris les enjeux, les mécanismes qui nous entraînent à la chute. Le bateau prend l’eau, il est sur le point de couler et on propose d’y mettre des rustines, on regarde la maison de Chirac brûler sans rien faire, on voit les espèces animales et végétales disparaître sans broncher, on constate que le thermomètre monte régulièrement chaque été et on oublie que le permafrost, en fondant, va libérer plus de méthane qu’on en a produit depuis un siècle…On axe toutes les actions et revendications sur la planète, qui elle subsistera bien mieux sans nous, quand c’est l’espèce humaine qui est en danger. « Il faut (y’a qu’à) réduire massivement les consommations de ressources naturelles, les pollutions et les déchets » nous dit en 203 pages Eloi Laurent. Merci, on le sait depuis un demi-siècle (1970-2024). Pourquoi cela ne durerait pas encore 30 ans (jusqu’en 2050) ? Parce que le mur est à une décennie, deux au mieux et qu’on est toujours dans l’accélération du processus, pas dans le ralentissement, pas dans le freinage, encore moins avec l’idée que l’on pourrait s’arrêter en 10 ou 20 ans.
Une seule issue, se fabriquer un airbag pour amoindrir le choc et inventer aujourd’hui ce que pourrait être le lendemain sans l’argent, les Institutions, le salariat, la valeur, le marché, les ressources abondantes, etc.