Un monde sans argent, Thierry long
Éd. Connaissance & savoirs, 82p.
4ème de couverture: N'a-t-on jamais eu autant besoin de rêver qu'aujourd'hui ? Pouvons-nous encore sortir des paradis artificiels afin de nous sublimer et de nous projeter vers des horizons attirant individuellement et collectivement ? C'est ce que nous propose ici Thierry Long, cinq siècles après l'essai remarquable de Sir Thomas More, « l'île d'utopie » (1516). Ce chercheur convoque les connaissances scientifiques et philosophiques actuelles et passées pour penser un monde humaniste régulé sans argent. C'est justement à l'orée de ces connaissances que l'auteur décline les contextes les plus épanouissants pour les êtres humains afin de construire un système social coopératif, cohérent et durable. « L'île d'utopie » pourra-t-elle alors se transformer en un « monde d'utopies » ?... À vous d'en juger, de le critiquer, de l'amender, de le faire progresser et pourquoi pas d'en profiter aussi pour rêver de nouveau, le temps d'une lecture remplie d'humanité et d'espoir...
Thierry Long: Maître de conférences en psychologie morale appliquée, université Nice-Cote-d'Azur.
Les limites du système, la recherche en fait état quotidiennement à travers des communications écrites, des conférences ou des rapports de recherche rendus aux collectivités publiques. Pléthore d’écrits scientifiques soulignent ainsi les effets délétères de nos modes de vie actuels, pourtant soutenus par l’ensemble des institutions publiques et privées.
- Une régulation basée sur la concurrence:
Le caractère désintégrateur de la logique de performance est clair: isolement de l'individu, faible estime de soi, peur d'autrui, replis communautaires… Pourtant, c'est dès l'école que l'on apprend la compétition, à commencer par les notes et les classements.
- Un monde désenchanté:
L'atomisation des individus dévitalise la société. Le sport est devenu le nouvel "opium du peuple".
- Une nature mise à rudes épreuves:
90% des terres agricoles empoisonnées, 90% de la biomasse en moins dans les mers, déforestation massive, raréfaction de l'eau… et pas d'études épidémiologiques sur les "morts du capitalisme"...
- Humain-nature: nous avons perdu pied:
L'être humain doit s'élever de son état naturel vil et primitif, d'où le peu de place fait au corps, aux pratiques sexuelles, aux activités physiques, trois éléments qu'il faut contrôler pour avoir une civilisation "digne de ce nom".
- L'argent, pierre angulaire du système:
L’argent dépasse en effet largement ses uniques fonctions d’échanges commerciaux et financiers. Il génère maintes croyances, conflits, émotions, comportements et modes de vie. Il dépasse en effet largement ses uniques fonctions d’échanges commerciaux et financiers. L'argent donne la possibilité à l'individu de passer d'une dépendance humaine à une dépendance matérielle, de l'être à l'avoir. Il nous promet l'universalité en échange de nos différences marquantes. (Marx passage du MAM' au AMA', soit de l'argent moyen à l'argent but: "L'argent est la marchandise qui a pour caractère l'aliénabilité absolue, parce qu'il est le produit de l'aliénation universelle de toutes les autres marchandises." -Marx, 1867, p.94). Donc l'humain et l'environnement sont passés exclusivement dans la sphère marchande. "Nous sommes de plus en plus ce que nous valons financièrement".
La société, telle que je l'aperçois en l'an beau
Le cadre de notre utopie doit être mis en place sur le plan mondial. Donc les frontières n'existeraient plus. Les gens pourraient se réapproprier leur mode de vie sans être soumis à un système unique dominant… Un monde sans argent serait basé sur l'eudémonisme, la préservation de la nature.
- La régulation professionnelle: qui fait quoi et pourquoi
La régulation professionnelle serait basée sur la réalisation des désirs de la communauté. Les gens ne souhaitant pas participer aux tâches collectives seront privés de tout sauf nourriture et logement décent. Donc, c'est la gratuité sous condition et une forme d'exclusion alors que je préconise pour ces gens inactifs la recherche d'une fonction sociale qui permette l'exonération pour cette minorité "inadaptée" des tâches collectives (originaux, artistes, handicapés psychiques, etc.) Mais tout individu contribuant socialement peut avoir droit à tout… Mon système évite cette contradiction (tâches collectives versus limitation des droits) Un médecin/un éboueur (mêmes droits) qui des deux mérite plus?...
Aujourd'hui, c'est le salaire qui donne sens au travail et pas le désir, le goût, le besoin de faire…. Un médecin est essentiel pour maintenir les gens en bonne santé, sans éboueurs, la ville devient vite insalubre et les maladies se propagent: => égalité de valeur.
Calcul de la valeur travail en fonction du degré de compétences. Mais cela se mesure comment? Former un bon ébéniste est aussi long que former un bon médecin…. Dans les deux cas, cela demande des compétences particulières. Reste l'utilité, la santé est primordiale, le beau meuble de l'ébéniste serait secondaire ? Ça se discute…
Par exemple, s’il y a vingt heures d’agriculture nécessaires à faire par semaine, ces vingt heures peuvent être partagées en deux s’il y a deux agriculteurs. On est toujours dans la comptabilité. Mieux vaut un agriculteur passionné qui fait 20h que 2 agriculteurs qui font 10h contraintes par la nécessité de produire. Laissons faire les choses si les usagers ont la maîtrise de leurs usages. C'est deux points de vue: l'économie solidaire ou la liberté de participer….
L’argent peut-il augmenter et déterminer la motivation et le choix professionnel ? Rien de sûr là-dedans…
La régulation par l'argent finit par devenir une régulation par le marché. Pourquoi et comment le marché peut réguler le partage des tâches, les salaires, la valeur travail?... Le marché permet qu'un individu puisse gagner des millions en poussant un ballon avec ses pieds!
- La régulation sociale: place à "l'inutile"
Ce monde promeut le retour des activités qualifiées "d’inutiles" aujourd’hui, c’est-à-dire des activités qui sont essentielles du point de vue existentiel (le festif, le ludique, le rêve…, qui ne servent qu'à se sentir vivant). Ce qui est aussi important que la santé et la culture…Cette nouvelle régulation serait marquée par un retour à l'esthétisme, la recherche du beau. Les anciens étaient fiers quand ils effectuaient de la "belle ouvrage" aujourd'hui, ce bel ouvrage est une perte de temps et d'argent, une perte de profits. Le beau est du luxe, bon seulement pour les riches au titre de marqueur social…
La lenteur du temps épouse davantage la santé des individus et apaise leurs relations … Si time is money, adieu la santé individuelle et sociale!...
- La consommation
Pour ce faire, il est au préalable nécessaire que les besoins élémentaires soient assouvis (manger, boire, dormir, être en sécurité…) Après quoi, les besoins supérieurs peuvent venir… mais seulement après, qu'il y ait argent ou pas…. Cela rejoint l'idée que 9 planètes seraient nécessaires pour assumer la consommation globale de niveau américain. Le mot dépenser est étymologiquement le contraire de penser! Plus on se détache du monde matériel, moins on dépense, et plus on pense!
Moine boudiste (Rinpoché) lors d'une interview sur la crise: -Un intervenant: Maintenant que c'est la crise, je n'achète plus que ce sont j'ai besoin. -Rinpoché: Et on appelle ça la crise!...
Maffesoli dans "La raison sensible": Il s'agit d'accompagner le rêve pour qu'il ne devienne pas cauchemar, pour enfin lier raison et émotion. D’où l'idée de à substituer l'éducation (verticale) l'initiation (proche de la maïeutique, horizontale).
- La régulation politique : vers une réappropriation populaire éclairée
Le régime proposé est la démocratie directe, mettre fin à la démocratie verticale (représentative) et instauré la démocratie horizontale (directe). Le peuple souverain n'est plus constitué de "sujets de l'État". Long embraye alors sur la démocratie participative, ce qui est un pléonasme dû à la survivance de la représentation du peuple. Une démocratie doit être par principe participative. Dire que l'on participe en démocratie, c'est comme dire que l'on sort dehors!
Les frontières n'existeront plus, car elles forment des lieux de tension. Frontière fait référence à front et affrontement. Ce qui comme parfaitement aux conflits frontaliers, aux taxes de douane et au protectionnisme…
Maffesoli (2014) s’appuie sur Simmel qui parle de cette énergie latente, de cette utopie « stagnante », de ces rêves actuels qui deviendront la réalité de demain et qu’il nomme : « le roi clandestin d’une époque ». Le "roi clandestin" de notre temps se cache derrière les Soulèvements de la terre, les Décroissants, les bifurcateurs, et bien entendu les postmonétaires…. Cella prouve que nous sommes bien en période de profondes mutations sociétales…
L'idéal d'un "homme maître et possesseur de la nature" est au fondement même du paradigme moderne et nous n'avons pas encore inventer la paradigme postmonétaire… On y voit les signes dans l'idée nouvelle que la nature est un partenaire avec lequel il faut compter, biologiquement et symboliquement.
L'usage abusif du terme de "développement durable" indique que celui-ci est en crise. Les peuples qualifiés de "primitifs" ont généralement une spiritualité qui aujourd'hui commence à nous influencer. Juste retour du boomerang…
Salamatou Sow, anthropologue et sociolinguiste du Niger: "peut-être qu'une restauration de la mémoire du ciel et de la terre dans les esprits et dans les cœurs pourraient aider l'homme moderne à se libérer de l'appareil monétaire qui le chosifie et tue sa mémoire." D'où deux perspectives qui s'affrontent: celles qui conçoivent des habitats naturels et celles qui les conçoivent comme des habitats hautement technologiques afin de mieux utiliser les énergies renouvelables.
- Une éducation humaniste, pierre de voûte de la durabilité
La réussite est ce qui est recherché par tous, dès la petite enfance, et l'école y participe durablement! Or étymologiquement, réussir c'est renaître, sortir de nouveau. Un examen scolaire donne-t-il un sentiment de mieux exister?.... On peut en douter. L'éducation traditionnelle vise à permettre d'accéder plus tard à un emploi honorable, pas à mieux exister….
Mes parents m'ont envoyé à l'école pour que je devienne avocat, ingénieur, enseignant. Ma fille a réussi à concilier la préparation d'une agrégation et sa fille, donc ma petite-fille, rechigne à passer ses journées à la fac et ses soirées devant sont ordinateur. L'avenir étant ce qu'il est, elle risquerait de perdre sa jeunesse et de ne pas avoir une bonne vie pour autant. Les "lendemains qui chantent" sont devenus "le bonheur se mérite", puis "carpe diem" en seulement trois générations… Il y a quelque chose qui ne va plus!
L'école, comme la société dont elle est le miroir, excelle dans les techniques de dévalorisation! L'école: "ces chambres mortuaires où s'essoufflent nos vies corsetées dans la norme, toutes occupées à ne pas fleurir, à ne pas rayonner, à ne pas dépasser les limites du possible et de l'impossible." (Christiane Snger) Dans un monde sans argent l'éducation suivrait beaucoup plus les principes des éducations alternatives (Montessori, Freinet, Steiner…).
Suit un développement intéressant sur le cadre scolaire et l'enseignent, les programmes…
C'est en comprenant que la révolution écologique ne passera jamais par une somme de "petits gestes", mais par le rêve retrouvé de "grandes enjambées" que les jeunes en auront envie… La vie est une acceptation d'un monde tel qu'il est, éphémère, inachevé, précaire. Mais il peut y avoir dans une telle acceptation quelque chose de ludique. C'est bien cela qui serait la marque de la sociabilité postmonétaire!... La durée de l'éducation pourrait s'étendre plus longtemps qu'aujourd'hui puisqu'il n'y aurait ni nécessité économique ni enjeu de survie individuelle. Une éducation possible tout au long de la vie… L'école ne serait pas réduite à un bâtiment mais à toutes sortes de lieux, ouverte, sans murs…
Conclusion:
Comment passer outre les barrières de la nécessité économique sinon en ôtant ce paramètre de l'échiquier. Il n'y a pas de moralisation du capitalisme possible, pas de régulation par la compétition. Ces rêves fous sont des apories (une absence de passages, une impasse, une difficulté impossible à résoudre, une contradiction insoluble dans un raisonnement). Espérer qu'un jour on puisse sauter du quatrième étage de l'immeuble est une aporie en vertu de la loi de la gravitation. Un "capitalisme à visage humain", c'est de cet ordre…