Godelier couverture

L'énigme du don, Maurice Godelier

Editions Flamarion, avril 2008, 320 pages. 

 

Godelier.couvMaurice Godelier (1934- ), un des tout premiers partisans de l'intégration du marxisme dans l'anthropologie. Il a passé sept années à observer les Baruyas en Papouasie-Nouvelle Guinée. Il est issu d'une famille modeste pour qui « les riches vont au lycée et les pauvres chez les catholiques ! » Un professeur le remarque, l'inscrit d'autorité en hypokhâgne et lui obtient une bourse. A la faculté de Lille, il rencontre Michel Foucault avec qui il se lie d'amitié. Foucault le pousse à intégrer l'Ecole Normale supérieure. Il obtient une agrégation de philosophie en 1959 et très vite se lance dans l'anthropologie qui lui permet de traiter des questions économiques et sociales, ce qui l'intéresse au premier chef. Entre 1964 et 2021, il publie de nombreux ouvrages, dont cet essai sur le don dans lequel il fait le point sur l'état de la recherche après Marcel Mauss, Franz Boas, Lévi-Strauss..., et y introduit une analyse marxiste visiblement influencée par le courant de la Vertkritik.
         C'est presque à regret que j'ai classé cet essai dans la catégorie du "pas suspendu de la cigogne". Si  Maurice Godelier ne s'affirme pas explicitement pour une société a-monétaire, toutes ses explications du système de don et contre-don qu'il découvre avec le peuple des  Baruyas, en Papouasie-Nouvelle Guinée, nous ramènent au système capitaliste. Le va et vient continuel entre la culture des Baruyas et la nôtre donne une formidable envie de classer ce livre dans la  catégorie "postmonétaire"...

 « Alors qu'ailleurs il faut appartenir à un groupe pour vivre, un clan, une communauté villageoise ou tribale, et que ce groupe vous aide à vivre, dans notre société appartenir à une famille ne fournit pas à chacun, pour la vie, ses conditions d'existence quelle que soit la solidarité existant entre ses membres. »
Dès l'introduction, Godelier fait le parallèle entre nos deux civilisations: à chacun sa part d'ombre et de génie. Par certains côté, les Baruyas sont plus civilisés que nous, par d'autres nous avons la chance inouie d'échapper à la cruauté de ces tribus dites primitives...
« Le paradoxe propre aux sociétés capitalistes, c'est que l'économie est la source principale d'exclusion des individus, mais que cette exclusion ne les exclut pas seulement de l'économie. Elle les exclut de la société et les chances d'y être à nouveau inclus sont de plus en plus faible. »
L'exclus économique est quasiment sur un toboggan : dès qu'il commence à descendre, sa vitesse de chute s'accélère de façon exponentielle. La mise à mort de l'ennemi capturé ou du déviant dans la société Baruya est certes "rafinée", mais elle est rare, alors que dans les pays capitalistes, la mort sociale est lente, silencieuse et solitaire. C'est le progrès moderne ! 
« Il ne peut y avoir de société, d'identité qui traverse le temps et serve de socle aux individus comme aux groupes composant la société, s'il n'existe pas des points fixes, des réalités soustraites aux échanges marchands ou échanges de dons. […] Dans ce mouvement, s'est trouvée éclairée la nature de cette chose si familière qui semble menacer la pratique du don et ne pénétrer dans le domaine du sacré que pour le profaner et le détruire, l'argent. »
Selon Mauss, le don est possible quand les choses données prolongent les personnes et que les personnes s'identifient aux choses possédées ou échangées. Il précise que la différence entre eux et nous, 
c'est que le "Potlatch" est marqué en profondeur par une économie morale du don alors que chez nous, tout don est marqué par une morale et une économie de marché, de profit. La différence vient sans doute du fait que le don oblige à un contre-don car l'objet donné emporte avec lui une partie spirituelle du donateur qui logiquement est diminué dans sa qualité même. Le contre-don vient réparer "l'amputation" du donateur par un autre objet dont le donataire peut se décharger sans amputation puisqu'il n'a rien perdu en recevant le don. Voilà qui nous ramène de suite aux fondements de toute société, la nôtre étant à ce point naturalisée que nous oublions que, du néolitique au TINA de Margaret Thatcher, c'est une construction de conventions sociales successives qui nous a conduit là où nous en sommes, très près de la société autophage dont parle Anselm Jappe, «...l'origine symbolique de la société expliquant pourquoi la vie sociale est fondamentalement "échange" et se compose de systèmes symboliques (les règles matrimoniales, les rapports économiques, l'art, la science, la religion, etc.) structurés par des structures mentales inconscientes...»         
      Les postmonétaires
 sont arrivés sur le "marché des idées" avec l'intuition que toute société évoluée est fondamentalement échange et que ce qui doit être remis en cause n'est pas l'échange (aujourd'hui marchand) mais la symbolique qu'une convention sociale lui confère. S'il faut abolir l'argent, ce ne peut être qu'en changeant la symbolique primitive qui le caractérisait. En cela l'idée de passer de l'argent à la notion de « libre accès » en est le fondement. La symbolique du « libre accès aux biens, services et savoirs» ne peut en rien coïncider avec celle des marchands, des économistes. C'est en même temps ce qui fait la complexité du processus de « désargence », le passage d'un état (avec ou sans majuscule) à l'autre. Changer l'objet est simple, les tenants du bitcoin le prouve, mais cela ne change rien. Changer la symbolique change tout ce qui relevait de l'argent, soit l'intégralité des liens sociaux aujourd'hui totalement marchandisés. L'argent outil est devenu le paradigme dominant. Et Godelier explique : 
« Avec Lévi-Strauss, la vie sociale devenait un mouvement d'échanges perpétuels par lequel circulaient entre les individus et entre les groupes les mots, les biens, les femmes. Et nous étions invités à chercher l'origine de ce mouvement au-delà de la pensée consciente et des raisons explicites avouées, dans l'inconscient de l'esprit humain. Ce qui préoccupe Levi-Strauss, c'est évidemment d'expliquer comment les gens pensent et pourquoi ils pensent comme ils pensent...»
       Cette remarque explique bien le défi que nous lançons modestement : il s'agit bien d'expliquer comment, après trois millénaires de marchandisation, les gens pensent et surtout pourquoi ils pensent comme ils pensent. On voit bien alors l'intérêt pratique des magasins gratuits : jamais, dans un contexte marchand, de telles initiatives changeront quoique ce soit au pourquoi nous pensons en épiciers, mais au moins comment nous pensons le monde, et comment nous pouvons penser un autre monde. Ces magasins sont le lieu idéal pour comprendre la mutation mentale, la "désargence"à opérer (ni le marché capitaliste, ni le "potlatch" primitif, mais l'accès)...
« Dans son effort pour comprendre le monde, l'homme dispose toujours d'un surplus de significations qu'il répartit entre les choses selon les lois de la pensée symbolique qu'il appartient aux ethnologues et aux linguistes d'étudier... »
Et c'est sans doute ce qui nous est donné d'étudier avec nos faibles moyens ethnologiques et linguistiques pour décrypter comment le cadre monétaire a induit des constructions symboliques propre à l'argent qui ne répondent en rien au vrai ou faux, à la raison ou l'illusion, à la loi naturelle ou au dogme.... Sous ses aspects mathématiques, scientifiques, rationnels, l'économie capitaliste est bourrée de "signifiants flottants".... En grec, un symbolon, c'est le signe tangible d'un accord et par extention d'un contrat (nos actes notariés ou l'hypothèques). Le fonctionnement de notre économie, de la complexité des transactions boursières à la baguette de pain quotidienne que nous échangeons contre une pièce de monnaie, tout relève d'une pensée symbolique jamais évoquée. La main invisible du marché vaut bien l'explication mythologique du  Kula (le potlatch de Papouasie). La valeur marchande d'un objet n'est pas plus la valeur des échanges au sein d'un Kula. Chez nous, il y a la rareté des matériaux, le travail qu'à nécessité l'objet, sa rareté ou son esthétique, les profits cumulés de tout une chaîne de production et de distribution, la mode autant que l'utilité... Chez les Baruyas, il y a le symbole qu'il recouvre, la rareté, le rang social du donneur, plus la part d'âme que l'objet emporte avec lui au Kula... Nos marchandises ne sont pas plus rationnelles que leurs dons et contre-dons. Que l'on soit trader à Wall-street ou Bigman papou (grand chef, chamane ou descendant d'un Dieu) le juste prix est un mythe qui, de l'Antiquité au temps de l'IA, ne vaut pas plus que le totem planté au milieu de la tribu! Le choix d'une forme sociale telle que la nôtre (moderne, technologique, marchande) ne s'est pas élaborée différemment que celle de l'amazonien isolé au fin fond d'une jungle impénétrable : le signifiant précède toujours le signifié, que cela aboutisse à une société a-monétaire et non autoritaire ou au capitalisme totalitaire. Une société postmonétaire ne se construira pas autrement et nécessitera ce que certains appellent "un récit", d'autres un "grand projet".... Une "désargence" devra suivre le même parcours symbolique que la révolution copernicienne qui a remis en cause la Genèse, le récit littéraire de la création du monde par un Dieu, ce qui modifie profondément la compréhension que l'on peut avoir de l'homme, de la tribu, des déterminants biologiques, sexuels, culturels, bref, de tout ce qui constitue notre univers. Tout changer, du plus prosaïque au plus poétique, demandera certainement une participation active de tous sans exception, et vraisemblablement conjointement à un grand bouleversement, un déluge, aux sept plaies d’Égypte, à l'effondrement systémique..., appelons cela comme on veut !... C'est ce que résume Gondelier en disant que : « La pensée produit le réel social en combinant deux parties d'elle-même, deux pouvoirs distincts qui se complètent sans se confondre, la capacité de représenter, d'imaginer, et celle de symboliser, de communiquer les choses réelles et imaginaires. [...] Ce qui nous importe ici est de constater qu'avec Lévi-Strauss, comme avec Lacan et d'autres penseurs de cette époque, s'opérait un changement général de perspective dans l'analyse des faits sociaux, un déplacement du réel et de l'imaginaire vers le symbolique et l'affirmation du principe que, de l'imaginaire et du symbolique (qui ne peuvent exister séparément), c'est le symbolique qui domine et doit donc être le point de départ de toutes les analyses. »
De même que Lacan parlait du père réel (cet inconnu), du père imaginaire (celui que l'on croit être) et du père symbolique (celui qui est institué par la fonction paternante et paternel), la projection que nous faisont d'un autre monde fait de liberté, d'équité et de fraternité, autant que la stratégie pour y parvenir, devront tenir compte de ces trois points de vue, de ce panoramique, pour être audible. Cela implique quelques querelles théoriques, comme cela advint au sujet des sociétés traditionnelles entre Mauss, Lévi-Strauss et Godelier. Les sciences humaines ne sont pas plus exactes que les sciences dures dont les hypothèses ne valent que le temps de l'émergence d'une autre hypothèse.
« Le discours de l'économie politique, depuis des grands fondateurs, avait déjà produit cette distinction [celle des trois catégories : le réel, le symbolique et l'imaginaire] à propos d'un objet très privilégié, de l'objet d'échange par excellence dans la société moderne, la monnaie. » Il ne suffit pas qu'une monnaie existe pour que les échanges marchands se développe, il ne suffit pas se souhaiter une société du don pour que la vie soit idéale. Les Baruyas avait une quasi-monnaie, sous forme de barres de sel qui pouvaient s'échanger contre n'importe quoi, se diviser en demi, quart, huitième de barre, qui pouvaient s'accumuler tout autant que l'argent or, papier, virtuel ou la cryptomonnaie. Comme pour l'or, les barres de sel ont permis la constitution de classes ou de castes, donc des dominations, exploitations, soummissions et pouvoir d'une minorité sur la majorité. De là à imaginer que ces dominants soient des dieux, ou des descendants de dieux, au mieux des représentants des dieux, il n'y a qu'un pas. C'est aux dieux en général et au Pharaon en particulier que les Égyptiens croyaient devoir la vie, la fertilité, l'abondance. «Tout pouvoir contient des noyaux d'imaginaire qui ont été nécessaires à sa formation et à sa reproduction»,  nous dit Godelier, de Ramsès à Elon Musc! Serons-nous capable de renverser trois millénaires de marchandisation et d'instaurer des pratiques de dons, d'échanges agonistiques (sans antagonismes, sans guerre économique)? Il faut pour cela beaucoup d'imagination et de rigueur théorique à la fois...
         Partant du don institué par la kula, les Baruyas ont inventé une curieuse pratique que les anthropologues ont mis des années à comprendre. Dans l'échange d'objets, il est logique que les deux objets ait une valeur commune (ce que nous illustrons en disant qu'on n'échange pas un boeuf contre un oeuf). Pourquoi alors, les Baruyas ont inventé les échanges simultanés d'un même objet: je te donne un porc et tu me rends un autre porc de même taille et poids. Qu'y a-t-il a gagné à traverser la forêt avec un porc pour en revenir avec un proc totalement identique? Aussi absurde que cela paraisse, j'ai tenté d'instaurer cette pratique. Chaque matin, je prend un café en compagnie d'un ami. Ayant oublié un jour mon porte-monnaie, l'ami a payé mon café et le sien. Le lendemain, j'ai bien entendu payé les deux cafés. Il a fallu deux bonnes semaines pour que l'ami réalise que c'était un jeu à somme nulle totalement idiot. Un café par jour ou deux cafés tous les deux jours reviens au même..., sauf que le fait d'offrir le café un jour l'un un jour l'autre marque une amitié, une fidélité, un lien social que les paiements individuels occultent. De ce fait, le café prend une valeur qui ne vient ni du grain, ni de sa préparation, ni du sourire du barman, une valeur supplémentaire purement symbolique. Et ce n'est pas rien dans un monde soumis à la marchandise au point que nous soyons nous-même devenus des marchandises, des objets d'échanges qu'il faut bien louer pour avoir de quoi manger. L'idée de se vendre pour être en capacité de se payer un café aurait horifié un Baruya et nous ferait passer à ses yeux pour des sauvages à classer très loin en-dessous du cochon! Depuis, l'ami et moi payons le café à tour de rôle, au cas ou demain le société deviendrait a-monétaire et qu'il faille recréer tous les liens sociaux qui nous font humains!... «Le don et contre-don d'un même objet (un café contre un café), c'est peut être le déplacement minimal nécessaire pour qu'une prestation totale, un double rapport de dépendance réciproque, se mette en marche...» ajoute Godelier. Mise en marche, premier pas..., sans doute indispensable pour qu'une société soit autant créatrice de liens que de biens, ce qui n'est visiblement pas le cas dans notre Occident aussi riche que matérialiste.
L'auteur ajoute à cela que  «...le contenu imaginaire, immatérielle des choses échangées ne se résume ni à la rareté des matériaux, ni au contenu imaginaire, ni au donateur de la chose... » J'ai cherché ce qui subsitait dans nos sociétés qui soit encore des objets ne se résumant pas à une valeur marchande. Il faut y penser longtemps avant d'en trouver un et encore partiellement. Il y a bien l'oeuvre d'art qui est commercialisé, parfois jusqu'à la folie, mais qui porte en elle la marque de son créateur. D'ailleurs on n'achète pas un tableau qui se résume à une unique couleur noire, mais on achète UN Soulage! 
C'est un point clé des travaux de Godelier qui ajoute que dans toute société digne de ce nom, il y a «des choses, des biens, des personnes qu'on échange, il y a tout ce qu'on ne donne pas et qu'on ne vend pas et qui fait également l'objet d'institutions et de pratiques spécifiques qui sont une composante irréductible de la société comme totalité et contribuent également à expliquer son fonctionnement comme un tout. »
Qu'est-ce qui ne se vend ou se donne chez nous, à part l'air qu'on respire? Ce n'est même plus tout à fait vrai. Les riches habitent là où l'air est sain, les pauvres tout près des usines. Un même logement se vend plus ou moins cher selon l'air que l'on peut y respirer. Souvent on me dit qu'il reste l'amour, bien qu'il y ait de l'amour tarifé, et pas que dans la prostitution. Il suffit de voir les jeunes et jolies femmes qui entourent un vieux riche et obèse sur son yacht.  On se doute bien que ce n'est pas pour ses qualités érotiques ou sa tendresse qu'elles sont là. C'est même un signe encore de notre infériorité au regard des structures sociales dites "primitives"!
Mauss faisait du potlatch un "phénomène social total", concept que l'on peut observer dans toute civilisation, de la plus archaïque à la plus moderne. Cela rejoint la définition de l'effondrement que nous donne Yves Cochet: "une situation dans laquelle plus aucun service encadré par la loi ne serait en état de fonctionner". Un seul élément du système complexe peut, par effet domino, faire tomber un après l'autre tous les autres, jusqu'à en bloquer la totalité et le rendre obsolète.  Il se trouve que notre époque a accumulé toutes sortes de phénomène social total. Les six seuils irréversibles définit par le Giec, la finance débridée, la démographie, une guerre mondiale..., la liste est longuie de ce qui peut nous mener à l'effondrement à court terme. Sans le repérage de ces phénomènes, sans l'imagination d'autres phénomènes globaux possiblement mobilisateurs. notre existance pourrait bien être réduit aux seules stratégies de survie... C'est ce que résumait ainsi Jean-Paul Lambert : « Plus les profits monétaires font des dégâts, plus les dégâts sont source de profits ». Jean-Paul Lambert et Alain Caillé ont longuement débattu en amis sur ce principe, le premier s'engageant résolument dans la "Désargence" quand le deuxième élaborait son "Convivialisme", une sorte d'altercapitalisme, certes généreux et pouvant faire consensus, mais ne renversant en rien le phénomène social total ! 
« les individus aussi bien que les groupes, pris dans ce mouvement perpétuel sans pouvoir y échapper, en sortir (sauf , et ceci est significatif, pour quelques individus et groupes dont les fonctions et le statut les situent au-delà de toute compétition, comme les familles de chefs se réclamant d'une origine divine), tout se passe comme si les choses précieuses, données et reçues, avaient une existence qui les ferait se mouvoir en un mouvement sans fin entraînant avec lui les êtres humains qui de sujets deviendraient objets et se retrouveraient soumis, dominés par cette ronde de richesses qu'ils auraient eux-mêmes mise en mouvement. »
Cette  phrase sous la plume de Godelie est étonnante! I
l suffit de changer quelques mots pour qu'elle s'applique parfaitement au capitalisme en phase terminal. Le potlatch, c'est la bourse, la finance ; les groupes, c'est les partis politiques et les syndicats, autant que les mouvements contestataires ; les familles de chefs, c'est le forum de Davos et ses projections délirantes sur l'avenir ; les choses précieuses, ce sont la technologie numérique, l'IA, la géo-ingénierie... ; les sujets sont devenus des marchandises comme de vulgaires savonnettes et sont soumis, prisonniers d'un mouvement en roue libre, et la ronde des richesses est devenue délirante pour les plus riches, piège pour les plus pauvres qui croient être clients quand ils ne sont que produit... 
« les deux mondes, celui des dons et celui des marchandises, sont vraiment comparables. Au fétichisme des objets correspond le fétichisme des marchandises, au fétichisme des objets sacrés correspond celui de l'argent fonctionnant comme capital pouvant engendrer de la valeur, comme ragent capable d'engendrer de l'argent ? C'est cela la mythologie du capital. » Et quelques lignes plus loin, « dans les sociétés dominées par l'obligation de donner, ce sont les choses finalement qui semblent prendre la place des personnes et les objets qui se comportent comme des sujets. Dans les sociétés dominées par l'obligation de vendre et de faire de l'argent , du profit, ce sont les personnes qui sont traitées comme des choses. Mais dans les deux cas c'est un processus identique qui a fonctionné... » 
Cette comparaison entre les sociétés de potlatch et les sociétés capitalistes est rare. Généralement on se sert des premiers pour se croire supérieurement développés et de notre ethnocentrisme pour dénigrer les "sauvages", au mieux pour justifier les dégâts que l'on produit. De l'a à s'attaquer au salariat, à l'État, au marché, il n'y avait qu'un pas à franchir pour l'auteur: « Cette production d'êtres fantasmatiques dominant les humains est à l'origine lointaine des classes et des castes, et c'est elle qui explique pourquoi les gens consentent à travailler ou à partager les produits de leur travail avec ceux d'entre eux qui semblent les plus proches qu'eux des dieux, des esprits qui apportent abondance ou malheur, des prêtres, des chefs amis ou parents des dieux... »
C'est bien ce même sentiment de retrouver ces "êtres fantasmatiques" au sein de notre société qui se voit comme fin de l'histoire qui m'a amené à rejetter radicalement l'échange marchand et son outil monétaire, puis a prôner une société du don, et enfin à abandonner le don déjà largement expétrimenté,  pour en arriver à imaginer une société de l'Accès. En ce sens, il serait logique de classer Maurice Godelier dans la catégorie postmonétaire, bien qu'il ne l'ait pas affirmer aussi clairement que moi, ce qui m'étonnera toujours... L'absence d'une aristocratie dominante et massacrante ne peut s'imaginer sans abandon de tout ce qui lui a permis de se constituer, en partant n'importe quelle configuration politique. C'est donc bien l'imaginaire, le symbolique et le réel qu'il faut changer en un même mouvement. Et ce, sans aucune référence à un passé, à une mémoire ancestrale. Les peuples sans argent et sans pouvoir, sans esclaves ni aristocrates se réduisent à quelques tribus survivantes des diverses colonisations. Les Sans en Afrique, les Jarawas de l'insulinde, les Inuits de l'Arctique, quelques aborigènes et amérindiens sont les seuls rescapés qui en gardent mémoire quelques usages utiles malgré notre impérialisme forcené. Nous sommes contraints d'inventer, d'innover, en nous méfiant de toutes les scories productivistes, extractivistes et néocoloniales dont nous avons hérité.
     Maurice Godolier en une phrase résume notre projet: «Il y a plus dans l'être social que dans l'addition de ses besoins ou de telle et telle nécessités sociales. Les hommes ne se contentent pas de vivre en société et de la reproduire comme les animaux sociaux mais doivent produire de la société pour vivre.» 
Produire une nouveau type de société, ni archaïque ni moderne, au moins "postmoderne" sinon "postmonétaire", est bien la seule issue qu'il nous reste. Faute de quoi, Godelier nous en prévient, 
les humains continueront à « être agis par les objets qu'ils donnent, vendent et reçoivent au lieu d'agir sur le cadre institutionnel qu'ils se donnent... Les causes deviennent effets, les moyens deviennent agents, l'agent devient moyen et l'objet devient sujet...» [...] « les deux mondes, celui des dons et celui des marchandises, sont vraiment comparables. Au fétichisme des objets correspond le fétichisme des marchandises, et au fétichisme des objets sacrés correspond celui de l'argent fonctionnant comme capital, comme valeur dotée du pouvoir d'engendrer de l'argent?  C'est cela la mythologie du capital. Notre actualité, c'est d'être dominé par l'obligation de vendre et de faire de l'argent, du profit, et donc les personnes sont traitées comme des choses. Argent ou don, dans les deux cas, c'est un processus identique qui fonctionne. » 

Un grand merci, Monsieur Godelier ! 

          

 

 

 

 

 

 

  


   

 


   
       

      

             

 

 

       


 


 



 



       

Bifurquer, Bernard Stiegler

Editions LLL poche, nov. 2021, 415 pages

BernaCouverture.jpegrd Stiegler (1952-2020) était philosophe français, spécialisé dans les mutations de notre temps et les technologies. Il a dirigé à partir de 2006 l'IRI (Institut de Recherche et d'Innovation). Successivement agent de planning, éleveur de chèvres, tenancier de bar à concerts, braqueur de banque, étudiant en philosophie pendant son incarcération (il est soutenu par Derrida), directeur des programme au Collège International de Philosophie, commissaire du centre Georges Pompidou, président d'un groupe de recherche à la BNF, une thèse soutenue à l'EHESS, membre du Conseil National du Numérique.... Un spécialiste de la bifurcation professionnelle!...       
Quatrième de couverture: Notre modèle destructif de développement atteint ses limites ultimes. Sa toxicité, de plus en plus massive et multidimensionnelle (sanitaire, environnementale, mentale, épistémologique, économique), est engendrée avant tout par le fait que l'économie industrielle actuelle repose sur un modèle physique dépassé qui dissimule systématiquement que l'enjeu fondamentale de l'ère Anthropocène est la prise en compte de l'entropie. Ce livre dessine le monde tel qu'il devrait être pour répondre aux grandes crises sanitaires, climatiques, sociales, économiques ou psychiques. En ces temps de graves périls, il nous faut bifurquer: il n'y a pas d'alternatives.

Analyse personnelle: Nous avons beaucoup à apprendre de ce livre sur le plan théorique, si toutefois nous surmontons le langage scientifique et philosophique, souvent abscons. De nombreux passages disent la même chose que nous, parfois en mieux, parfois sous un angle inattendu, souvent agaçants tant ils sont proches des thèses postmonétaires, mais sans le dire… Une rapide recherche de l'occurrence de trois mots a donné le résultat suivant: si le capitalisme est autant cité dans mes commentaires que dans les extraits de texte que je cite, la marchandise apparaît une fois, l'argent jamais. Cela dénote, malgré les limites de ce petit sondage, que je suis obsédé par mon sujet ou que Steigler et son équipe n'ont pas encore "bifurqué" sur les questions monétaires. Et pourtant, vous trouverez quelques passages qui montrent une étonnante proximité.   
p.11: Lettre de Hans Ulrich Obrist et Bernard Stiegler à Antonio Guterres, Paris, le 11 novembre 2019.
        Monsieur le Secrétaire Général de l'ONU, malgré les anticipations très documentées du GIEC et autres organismes et équipes scientifiques, les efforts menés à l'échelle internationale compatibles avec les objectifs de l'Accord de Paris ont été jusqu'ici largement insuffisants. Le fossé entre ce qui est requis de ce qui est réellement effectué traduit un manque de volonté (politique et collective) et une montée de l'apathie (politique et collective).[…] les investisseurs comme les populations, et en particulier les jeunes générations se demandent de quel monde elles vont hériter…[…] L'absence d'un cadre théorique nous permettant d'avoir une juste compréhension de ces défis fait obstacle à la réalisation d'actions susceptibles de renverser véritablement les tendances qui menacent la biosphère.         Ça commence mal! Le cadre est fixé depuis longtemps par quantité de spécialistes de la biosphère, de l'économie, des énergéticiens, des systèmes complexes, etc., mais se heurte à la résistance du cadre plus ancien du capitalisme, dont les seuls objectifs restent la croissance et les profits. Encore faut-il le dire clairement....
p.12: …Or la question de l'entropie a été négligée par l'économie "mainstream". Nous pensons par conséquent qu'un nouveau modèle macro-économique conçu pour lutter contre l'entropie est requis. […] Proche de ce que vous avez qualifié de "multilatéralisme inclusif", la recherche contributive vise à associer étroitement des chercheurs issus de différentes disciplines et des acteurs des territoires (habitants, entreprises, associations, élus et administrations publiques) dans de nouveaux réseaux territorialisés de recherche et d'expérimentation. 
      On peut d'emblée se demander si, face au modèle macro-économique actuel (résolument mondialisé, extractiviste et productiviste), on peut opposer un autre modèle mondial qui cette fois ne serait ni mondialiste, ni extractiviste, ni productiviste, sans aller plus loin et mettre en cause l'argent, la marchandise, le marché, la concurrence, etc. Si le problème est entropique, il faudrait en premier déterminer les causes du "désordre" dont nous sommes témoins, que nous subissons. Tous les spécialistes des systèmes complexes s'accordent à dire que le propre de ces systèmes est de tendre vers des limites indépassables qui nécessitent un changement de l'ensemble du système de pensée. Il est difficilement pensable qu'un système plurimillénaire, qui n'a évolué que sur des composantes du système, mais pas sur son orientation générale, puisse être remplacé de bon gré par ceux-là même qui défendent, encore et toujours, le vieux monde dont ils tirent profit à bien des égards…
p.13: Adopter une approche "territorialisée" c'est relire les réflexions de Marcel Mauss (La Nation, édition PUF 2013) en particulier son "concept d'internation" selon lequel les nations seraient appelées à coopérer sans pour autant effacer leurs dimensions locales. Que Marcel Mauss (1872-1950) n'a jamais réussi à vulgariser ses idées sinon au travers des "Maussiens" (Mouvement Anti Utilitaristes dans les Sciences Sociales) n'est pas un hasard. Il remettait en cause radicalement le modèle économique capitaliste, la notion de propriété privée, l'échange marchand au profit du don et des structures sociales inédites. 
       Afin d'établir un cahier des charges pour ces initiatives de territoires laboratoires et de leur mise en réseau, le collectif Internation Genève 2020 a défini un ensemble de questions théoriques  et d'axes thématiques susceptibles de structurer une telle approche.  Nous publierons ces travaux sur le site international World (voir site )

p.15: Avertissement: La pandémie qui a paralysée le monde révèle la vulnérabilité de l'actuel "modèle de développement".[…] Ce modèle est condamné à mort et nous condamnera avec lui si nous ne le changeons pas. […] Une grande partie du problème qui nous menace tous, est la bêtise sur laquelle ce modèle de développement repose fonctionnellement.
     Les postmonétaires sont quasiment tous des gens qui ont voulu changer le modèle avant de s'apercevoir qu'il s'agissait de changer de modèle… Attendons de voir s'il s'agit d'une tentative de réforme de plus ou si la proposition ira ensuite plus loin…
p.16: …ce modèle de développement est en réalité un modèle de destruction et cette destruction, longtemps considérée comme "créatrice", s'est accomplie ces deux dernières décennies à travers la guerre civile mondiale désormais conduite via les armes de destruction computationnelle massive qui s'imposent avec l'innovation réticulaire et disruptive…. J'ai gardé cette phrase pour prévenir le lecteur du style de l'auteur: sans un minimum de culture, mieux vaut se munir d'un dictionnaire pour comprendre ce que destruction créatrice, computationnel, innovation réticulaire disruptive veut dire! Pour la suite je tâcherai de traduire en français vernaculaire
      C'est pour établir un diagnostique précis que le présent ouvrage a été écrit en vue de rebâtir non pas une économie de guerre , mais une économie de transition vers une paix économique mondiale basée sur un nouveau pacte économique  à même de concrétiser un traité de paix. La promesse sera-t-elle tenue?...

pp.21-57: Introduction: Décarbonations et déprolétarisation:  
pp.22-24: …la mise en œuvre de mesures réellement décisives et efficaces pour combattre la réchauffement climatique et les désordres liés aux excès de l'anthropocène, suppose de modifier en profondeur les modèles scientifiques qui dominent l'économie industrielle depuis la fin su 18° siècle. [...] Cela suppose de modifier les axiomes, les théorèmes, les méthodes, les instruments et les organisations micro et macro économiques mondiales.
     Nous, postmonétaires, avons fait le pari qu'un
 tel discours peut devenir audible, et à brève échéance. Stiegler nous dit au contraire qu'il s'agit de créer une activité économique nouvelle, industrielle aussi bien qu'artisanale, agricole et de service, fondée sur  une démarche transitionnelle et en profondeur, non par la technologie, mais pour faire que la technologie renforce les capacités des individus et des groupes à lutter contre le désordre actuel (l'entropie). 

Chap.I: Anthropocène, exosomatisation et néguentropie.
      Un titre utile pour briller dans un repas entre amis où la conversation que le climat arrive au moment d'asthénie postprandiale (coup de barre d'après repas) générale! Nous traduirons au fur et à mesure de l'avancée --du texte...  
          Steigler y fait allusion au "Contributisme" ce qui présage la fause piste caractérisée: Il s'agit de promouvoir une économie où la création de valeur serait dédiée au bien commun et non au profit que la capitalisme appelle satisfaction des besoins primaires. La formule est belle et généreuse mais elle s'est toujours avérée aussi efficace que le ruissellement de la richesse vers les pauvres!  C'est apparemment la thèse de ce livre: créer un système économique qui permettrait à tout citoyen de contribuer au bien commun. Si c'est cela, rien ne sert de "bifurquer", le système monétaire produira toujours les mêmes effets: condensation de la richesse, rotation monétaire impliquant une permétuelle croissance, profits nécessitant quelques "dégats" et dommages collatéraux ! Mais voyons la suite...       
p.78: Le travail hors emploi doit être valorisé économiquement dans une économie de la contribution. Les activités qui ne sont pas encore marchandisées, comme la cuisine faite par les parents ou l'accompagnement au centre sportif de ces enfants, ou l'allaitement au sein de l'enfant par la mère et plus généralement tout ce qui est bénévolat, devrait être rémunéré au titre de la participation à la bonne marche de la société.
     Nous pensons au contraire qu'avec l'argent, toute activité devient un travail, quand sans aucun argent, tout emploi deviendrait activité. A vous de choisir entre l'économie contributive de Steigler et l'économie postmonétaire, l'échange marchand étant remplacé par l'accès sans condition au biens, services et savoirs.  

Chap II: Localités, territoires et urbanités à l'âge des plateformes et confrontés aux défis de l'ère anthropocène:
p.83: Nous faisons ici la même hypothèse quant à ce que l'on pourrait appeler l'urbanité numérique que celle qui concerne l'économie contributive en général: l'efficience de l'automatisation doit permettre la libération d'énergies et de temps mis au service de la délibération urbaine, à toutes ses échelles, et dans l'esprit de la coopération telle que les technologies contributives la rendent possible. Notre brillant philosophe a intégré le numérique dans sa vision d'une autre économie, mais en espérant qu'il libère nos énergies et notre temps. Nous pensons que c'est un outil fabuleux pour la gestion des ressources, tout en nous méfiant de sa consommation énergétique et sa capacité à centraliser les pouvoirs. Steigler ensisage deux scénarios  
1°) un scenario qui rend la ville automatique littéralement inurbaine, court-circuitant l'urbanité elle-même par une mise en œuvre immature de la technologie et de fonctions automatisées détruisant les relations urbaines (civiles et en cela civilisées)
2°)  Un scénario réinventant l'intelligence au sens du 18° siècle, lorsqu'il désignant d'abord et avant tout la sociabilité…
     A juste titre Steigler est tout aussi méfiant: la disruption constante, où les avancées technologiques prennent de vitesse les avancées sociales… Elle n'est pas soutenable en elle-même sur ses bases actuelles, qui créent de l'insolvabilité aussi bien que de l'incivilité.en biologie 
p.86: Il est possible d'avoir deux visions opposées de la ville: la ville comme machine et la ville organisme. A présent, la machinisation de la ville n'est plus seulement métaphorique. Il ne s'agit pas de choisir entre les deux, mais d'inventer une nouvelle dynamique urbaine organique dépassant une approche fonctionnaliste mécaniste…
      Nous voyons donc que Steigler est dans la même posture que nous vis-à-vis de l'informatique tant décriée par les écologistes comme particulièrement énergivore et gourmande en terres rares. En sortant du système capitaliste et marchand, il est possible d'imaginer une société à la fois écologique et technologique si on s'en donne les moyens et si on pose dans les structures politiques de cette société des limites cohérentes.   
p.87: L'homme vivant en société construit et institue lui-même des organismes exosomatiques de dimensions supérieures au sein desquels vivent des groupes humains. Certains exorganismes complexes sont petits et éphémères (comme un bateau et son équipage), d'autres sont vastes et durent des siècles (comme une ville). Exosomatique : exo-hors de,  et -somatique, qui traduit physiquement les effets d'un dérèglement, comme quand on dit qu'on en a plein le dos, qu'on a les boules ou que ça nous prend la tête...). Appliqué à la ville, des organismes physiques (immeubles, quartiers, rues...) influent sur le comportement des habitants).   
p. 27 : Les technologies de scalabilité et les économies d'échelles dans les localités urbaines réticulées:. La data économie permet de traiter des milliards de données simultanément et au niveau planétaire, réalisant ainsi des économies d'échelle sans précédent (et ajoutons: …sur le dos des systèmes de niveaux inférieurs (pays, ville, communautés, individus) qui fournissent les données qui alimentent les algorithmes… (Scalabilité: capacité d'un système à être utilisé à des niveaux de taille supérieurs ou inférieurs. localités réticulées: dont les éléments sont remiés entre eux, en réseau) 
p.90: Le programme de recherche contributive ici proposé consiste à consolider localement une conscience urbaine des nouvelles fonctions numériques en faisant de celles-ci des objets de capacitation en non d'incapacitation - et cela en concevant des services et des fonctionnalités sollicitant et renforçant systématiquement les capacités délibératives des divers groupes que forment les habitants du territoires. C'est semble-t-il ce que proposent les postmonétaire en disant qu'il faut inventer de nouvelles structures sociales et sociétales qui redonnent aux usagers la maîtrise de leurs usages. Pour ce faire il est nécessaire d'inventer des organes de débats, d'organisation, de recours à tous les niveaux géographiques et spécifiques et c'est bien ce que propose l'auteur... Ce serait une véritable révolution, toute la structure sociale actuelle étant hiérarchique et pyramidale...   

p.92 : La ville, représentation sociale de l'organisation industrielle et économique de la société: Les effets de l'introduction des technologies numériques dans la ville sont rarement médiatisés. Les liens profonds existant entre la production et les transformations de la ville sont rarement envisagés.
       Il est intéressant de s'attarder sur la ville du Moyen âge où l'arrivé des moulins et le développement de la mécanique transforment tout, jusqu'à la construction de grandioses cathédrales avec tout ce que cela implique dans la formation des artisans, la forme de l'habitat, etc. La ville s'est organisée en fonction des besoins de main d'œuvre et selon les modèles de développement. La mécanisation entraîne les serfs à quitter la campagne pour le bourg… Au 18° siècle, les processus de production conduisent à la séparation de la fabrication et de la commercialisation telle que l'avait installée l'artisanat dans la ville du 16° siècle.
       Nous avons en effet à apprendre du passé, à analyser le présent, à inventer le futur pour trier ce qui est à rejeter (et non plus faire table rase) et ce qui est à garder (et non plus dans une optique du "bon vieux temps).   
p.97: La nouvelle division du travail et la bataille pour ou contre le contrôle du nouveau génie urbain pourrait se restructurer autour de deux scenarii: de grandes entités de productions régionales fabriquant des pièces variées et pour de nombreuses marques en continuité avec les fablabs et indépendantes des industriels et des petites entités de proximité pour la fabrication de la marchandise, dépendant de la contribution du consommateur (adaptation au besoin, personnalisation, finition, montage…). 
      Là, nous percevons une différence notable entre la vision Stiegler et la nôtre: S'il doit y avoir de "grandes entités de productions, ce serait uniquement pour des contraintes techniques et cela nécessiterait des systèmes de contrôles pour veiller à ce que division du travail ne signifie plus une constitution de classes professionnelles étanches. La production en outre ne doit pas dépendre de la contribution du consommateur mais des besoins réels. La notion même de marques serait abolie du simple fait que sans argent, il ne peut y avoir de propriété industrielle et donc de brevets. Tout objet devant être fabriqué pour répondre à un besoin bénéficierait de ce qu'il y avait de meilleur dans tous les anciens brevets... Cela change beaucoup de choses, tant dans la production elle-même que dans le répartition et la quantité de travail nécessaire collectivement et individuellement. Notre vision d'une société débarrasée de l'encombrant argent évite non seulement la course au profit, mais la réduction du temps de travail nécessaire, la limitation des productions aux stricts besoins possiblement comblés en fonction de l'intérêt commun... Cela rendrait les conventions professionnelles et les redistributions de biens et services beaucoup plus souples, hétérogènes et  adaptées au contexte local... Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué!"  Supprimer l'argent supprime le salariat, la spécialisation forcée, le temps de travail normalisé, l'obligation de justifier d'une utilité sociale pour survivre, etc. Les Maussiens serait heureux de voir disparaître l'utilitarisme dans les sciences humaines et sociales...
p.102: Si ces transformations industrielles présentent le risque d'une standardisation de l'urbanisme et des modes de vie urbains (perte de biodiversité humaine!) elles ouvrent aussi de nombreuses potentialités pour la construction de nouvelles formes d'intelligence urbaine. Involontairement, Steigler nous donne raison: l'argent entraîne une standardisation de l'urbanisme, son abolition nous en libère. Quant à penser qu'une quelconque standardisation puisse entraîner de nouvelles formes d'intelligence urbaine, je demande à voir! La libération de l'homme de la nécessiter de "gagner sa vie" et de consommer immodérément pour que son salaire en soin assuré, c'est une perspective autrement émancipatrice!  
p.109: Dans le contexte de l'ère Anthropocène, plus que jamais, il appartient aux politiques d'élaborer un projet social, de définir une trajectoire cohérente et de se réapproprier les technologies utiles… Une approche holistique est ici requise. Est-ce possible?  Cette question, à ce point ancrée dans nos esprits par des siècles de lutte pour la centralisation des pouvoirs, n'a pas fini de nous diviser, y compris au sein des réformateurs que des révolutionnaires. Ce qui appartient "aux politiques" n'appartient donc plus au peuple. Or un projet social ne peut être opératoire que s'il est intégré par tous comme une condition de survie. Si l'ensemble de la collectivité ne signe pas le contrat social, si elle se contente de signer un bulletin de vote qui ne dit rien du contrat, le peuple est ingouvernable et les politiques sont incontrolables quelques que soient les contre-pouvoir que l'on puisse imaginer. J'insiste et me répète, il s'agit de rendre aux usagers la maîtrise de leurs usages, qu'il s'agisse de politique ou d'informatique!    
p.112: …tenir compte de la dimension "pharmacologique"  de toute technique: Toute technique en effet peut être à la fois une possible solution ou un problème, à la fois remède et poison, donc à peser soigneusement avant usage. Voir l'association d'habitant de Seine-Saint-Denis: Territoire Apprenant Contributif  (TAC) dirigée par (l'IRI).  L'Institut de Recherche et Innovation(IRI) s'oppose aux modèles dit "collaboratifs" et tente d'inventer une économie de la contribution, de bifurquer pour un avenir soutenable (formation, débats, ateliers d'écriture, valorisation des savoirs, ….).
C'est une idée intéressante: la population n'a pas à collaborer avec mais à contribuer à… Contribuer, c'est participer, partager avec d'autres une action, une recherche, une prospection, avoir part à quelque chose… Collaborer, c'est venir soutenir une instance supérieure, aider un chef d'entreprise. C'est une nuance aussi importante que celle qu'il y a entre un  syndicaliste et un partenaires social ! Il n'y a pas des sachants qui viennent former des ignorants, mais des scientifiques qui élaborent une idée conjointement avec des gens du peuple.  
p.114 : La noétisation: (vient de Noétique: étude ou théorie de la vie psychique dans sa composante intellectuelle). Ce que Steigler entend par noétisation, c'est une capacité "d'intellectualisation". La coopération entre des scientifiques et des personnes ne possédant pas les outils, le langage, le structures mentales, permet de partit d'une observation commune et d'élaborer des projets, des actions bien pensées, bien structurer, bien meilleur que n'importe quel projet conçu par le sachant seul ou l'homme de la rue seul. C'est ce que démontre n'importe quelle Convention citoyenne, l'émergence d'une Intelligence Collective (IC) qui s'avère toujours plus utile que l'intelligence artificielle (IA)...     
             l'économie de la contribution
p.126: Répondre au défi de l'anthropocène est impossible dans le cadre qui s'est constitué depuis 50 ans et cela suppose un nouveau modèle économique. Reste alors à définir ce que serait ce modèle économique. Les postométaires pensent une économie "a-monétaire", en opposition avec tous les "monétistes" qui n'arrivent pas à admettre la faisabilité d'une abolition pure et simple de l'argent.  Cela paraît en effet difficile, mais nécessaire puisque toute proposition "monétiste" trimballe avec elle quantités de scories du monde marchand qui la limite, la pollue, la handicape....    
p.130: Repenser le travail, l'ouvrage au-delà de l'emploi.
      Le travail doit ici être entendu au sens de l'ouvrage (work) et distinguer du labeur (labour). Il s'agit d'aller vers l'acquisition de compétences, une capacité d'innovation, d'invention, de création, c’est-à-dire désautomatiser les automatismes, afin de produire de la nouveauté, de "bifurquer".  Produire des singularités culturelles et sociales et des nouveautés historiques, c’est-à-dire produire de la néguentropie. Il s'agit donc d'élaborer un modèle économique et comptable capable de reconnaître la valeur positive des bifurcations, ce qui s'inscrit dans un contexte de transition et sur une recherche contributive.
      Qu'en termes élégants ces choses là sont dites! L'entropie: c'est le désordre, la néguentropie son contraire, le retour à l'équilibre (attention, Steigler utilise aussi le mot Néganthropie, soit le contraire de l'anthropie -l'action de l'homme, de l'anthropos, sur son environnement). Comment ne pas voir que depuis cinq milles ans, tout ce qui est touché par l'argent, de près ou de loin, finit dans l'entropie totale. Abolir l'argent, c'est éviter tous ces désordres, c'est donner aux individus le temps et les moyens d'acquerrir les savoirs et les outils de création, c'est favoriser la bifurcation au lieu de la marginaliser, c'est pousser à la contribution et à l'entraide au lieu de pousser à la concurrence. Encore faudrait-il le dire clairement, ce que ne fait pas Bernard Steigler qui ne mérite que la case "du pas suspendu de la cigogne". S'il n'était pas décédé si tôt, sans doute y serait-il arrivé...  
p.132 : Repenser la richesse: la valeur pratique des savoirs:
Pourquoi repenser la richesse quand on a compris que la richesse des uns faisait la pauvreté des autres? Et ce qui fait les riches et les pauvres, c'est l'argent qui donne une valeur marchande à tout, y compris à l'homme, à l'activité humaine, à lui même puisque l'argent est aussi une marchandise !!! Cela me fait sauter le chapitre sur le revenu contributif, l'économie contributive, des territoires en contribution, l'élaboration de "chantiers de capacitation", des labellisations de scenarii, des représentants mésoéconomiques, des centres réticulés de coûts et profits... Avouons  que la comptabilité postmonétaire est plus simple. Elle se réduit à trois questions: Il y a ou pas?  C'est utile ou pas? C'est renouvelable ou pas? 
Plus interessant est le paragraphe sur les technologies:  
p.161: Les technologies ont conduit à la prolétarisation des ouvriers, puis des consommateurs, puis de l'encadrement, puis du secteur tertiaire, puis des managers eux-mêmes, et finalement des scientifiques eux-mêmes. Nous pensons en effet que l'un des principaux avantage d'une abolition de l'argent et de l'échange marchand, c'est de rendre obsolète toute manoeuvre de prolétarisation. En outre, nous pensons que cela se fera naturellement,  sans atelier collaboratif sophistiqué, du simple fait que nul n'aura à vendre sa force de travail pour survivre.
       Steigler cite Aristote et sa théorie des 4 causes: matérielle, efficiente (ou technique), formelle et finale. Les désordres de l'Anthropocène devraient pouvoir être classés dans cet ordre des causes : Cause matérielle (l'espèce anthropos a cette capacité totalement unique dans la nature de pouvoir éradiquer en 50 ans la moitié des autres espèces vivantes),  cause technique (l'ignorance totale des lois de la thermodynamique dans l'industrie), cause formelle: (le système monétaire qui induit la croissance sans fin), cause finale ( l'argent induit mécaniquement les trois premières causes)

p.179, § 65: Introduction et rappel
               Les localités, à leurs diverses échelles, du hameau à la planète devraient expérimenter des démarches de recherche contributive et de créativité sociale visant à surmonter les limites de l'ère Anthropocène, au sein d'un dispositif institutionnel que nous appelons "Internation". Au chapitre 2, nous avons posé comme thèse que la légitimité de la décision collective est ce qui distingue les exorganismes complexes. Ce chapitre 5 posera des jalons théoriques pour l'émergence de l'internation comme exorganisme supérieur de référence.  Ce qui revient à sortir du modèle macroéconomique dominant par le processus d'expérimentations territoriales concertées basée sur la recherche contributive décrite au chapitre IV.
Internation: concept introduit par Marcel Mauss en 1920 (dans "La Nation ou le sens du social") auquel le "Collectif Internation" ajoute les contraintes thermodynamiques, organiques  et exosomatiques que Mauss ne pouvait pas connaître en 1920.
p.183: Premier temps de l'internation: 
      Le libéralisme ayant réduit le monde au marché a finit par le rendre immonde. La globalisation aplatit les mondes en niant les promesses anti-anthropiques et toute possibilité de bifurquer. L'internation fait de la nécessité de repenser les localités et les nations comme niveaux sur l'échelle des localités sa priorité.[...]  L'internation n'est ni l'a-nation ni le nationalisme. L'internation doit se poser bien au-delà du solutionnisme technocratique et de la singularité technologique des libertariens transhumanistes. C'est là une façon d'envisager l'intégration dans un même espace commun, le local et le global et non dans une opposition d'échelles. C'est en ce sens que le concept d'internation peut parfaitement s'intégrer à l'imaginaire postmonétaire…
Ce concept a toutefois des limites. Aussi séduisant soit-il, ne peut advenir dans un contexte marchand et monétaire qui met tout en relations hiérarchiques de dépendances et de dominations, de concurrence et non d'entraide. L'internation ne peut exister que dans une société a-monétaire. L'idée d'internation est aussi bonne que le slogan révolutionnaire de 1789 "Liberté, égalité, fraternité" dont on voit bien ce qu'il en reste 235 ans plus tard. Si l'internation était mise en œuvre en 2024, on peut parier sans risque qu'en peu de temps, elle serait aussi immonde que le libéralisme, si tant est qu'entre temps l'extinction de l'espèce humaine n'ait pas réglé la question environnementale.
La souveraineté:  La souveraineté est conditionnée exorganologiquement par l'internation comme communauté noétique des savoirs néguanthropiques mondiaux, qui appartient à une échelle de localité supérieure à celle de la nation-locale, mais qui pose en principe qu'elle ne peut maintenir sa supériorité que lorsqu'elle respecte la souveraineté de ses nations-localités précisément comme des localités noétiques constitutives d'une noodiversité primordiale.
      Ainsi dit, cela ne rissque pas d'emballer les foules et d'enthousiasmer les militants. Pourtant, en français ordinaire, l'idée n'est pas ininterressante. Du plus local au plus global, chaque communauté (hameau, village, ville, nation, monde), par son intelligence collective (noètique) est conditionnée par les organes physiques (urbanisme, infrastructures...) extérieurs (donc exorganologiquesaux personnes biologiquement vivantes et groupes humains. Quant aux savoirs néguanthropiques c'est ceux qui font baisser le degré de désorganisation du système mondial (contraire d'anthropie).  On peut surtout retenir de ce jargon que l'institution globale de l'Internation (une future ONU par exemple ) est souveraine à la condition que toutes les échelles inférieures soient tout autant souveraines (des nations aux plus petits hameau)". Il reste à définir quel pouvoir peut avoir une telle organisation et quel contre-pouvoir pourrait en contrôler les modes opératoires. Ce n'est pas gagné, à moins de croire à la vertu des membres éminents d'une telle structure!   
p.189 :  Seule l'humanité dans son ensemble peut répondre aux crises mondiales qui nous attendent. Mais les localités seules peuvent éviter l'entropie par des répondre localement adaptées. Des liens entre les différents niveaux sont la seule garantie de réussite, du plus petit au plus grand et l'inverse. 
    Cela fait penser aux deux approches opposées au sujet de la "Grande muraille verte du Sahel", celle théorisée et mise en œuvre par l'Union Africaine grace aux milliards des fonds Internationaux (15km de large sur un couloir de 7 800km sur onze pays) sans grand succès et l'initiative locale de Yacouba Sawadogo, l'homme qui a arrêté le désert au Burkina Faso, qui a reconstituer une immense forêt sans aucun moyen technique ou financier. Quantité d'experts occidentaux viennent consulter le paysan illettré Yacouba.  L'entropie institutionnelle d'un côté, l'institution locale à la pointe du progrès de l'autre, Les fonds internationaux d'un côté, un homme seul de l'autre... 
  
p.199: Ce qui constitue une nation-localité, c'est la vie quotidienne qui est partageable, sujette à transformation et constituant en cela des communautés d'expériences et des savoirs en tout genre. Cependant une localité-nation, en tant que lieu spécifique de l'objectivation spirituelle, existe à différentes échelles et ne peut donc pas être homogène, ni spatialement, ni temporellement. On n'appartient jamais à une seule nation-localité, mais souvent à plusieurs localités-nations…. Idée intéressante à développer dans un cadre postmonétaire pour trancher nombre d'interrogation sur l'identité nationale, les migrations, les particularismes régionaux, etc.
p.202 :  Les fondements de la "supériorité" L'état-nation apparaît en Occident à la Renaissance (14 et 15° siècle) sous l'influence des Lumières qui ferment la parenthèse de la période féodale et ouvre progressivement la parenthèse d'une autre période (la modernité). La parenthèse de l'époque Moderne est en train de se refermer et va s'ouvrir la parenthèse d'une autre période. Toute la question est de savoir qu'elle période voulons-nous ouvrir : postmoderne, postmonétaire, mondialiste, écologique, convivialiste, misarchique, communiste…
p.201:  Rehabiliter la raison La supériorité moderne aura été la supériorité de la science considérée comme étant le trait spécifique de l'Occident, étayant ainsi l'universalité de ses catégories économiques et politiques. La preuve de cette supériorité (sa reconnaissance) c'est le progrès, tous reconnaissant alors l'industrie comme une positivité fondamentale dont surgira le courant positiviste: le scientisme trouve sa forme supérieure.
p.213 : Évolution du processus d'individuation Face aux défis que constitue la nécessité de lutter contre l'entropie, seule une nouvelle union des nations permettra de rouvrir une perspective capable de mobiliser aussi bien les opinions publiques que les jeunes générations apprenantes  et chercheuses, les investisseurs économiques  et les institutions publiques dans l'accompagnement de territoires laboratoires  candidats à des expérimentations contributives. (ce qu'Einstein avait appelé "l'Internationale de la science"). Ce discours donne envie d'y adhérer.  Mais quand on voit les guerres intestines au sein de la communauté scientifique, les chercheurs transformés en vulgaires influenceurs par l'appât du gain, les contre-vérités diffusées par les revues scientifiques les plus sérieuses (celles qui finissent après l'orage par avouer quelques manipulations de la "vérité scientifique") seuls les naïfs y croiront longtemps... A moins qu'une révolution abolisse l'argent, donc la vénalité qui sans argent n'aurait plus guère d'intérêt...   
p.215 : La nouvelle internationale de la science: Les questions du rôle de la science dans ses rapports avec la politique et l'économie ont bien changés. Il est évident que les activités scientifiques ont été largement soumises aux prescriptions d'une économie industrielle devenue massivement productrice d'entropie et fondée sur la prolétarisation refoulant la question de la localité. Il s'agit donc de remettre la science au service du bien commun. C'est ce que disait André Gorz en parlant de "l'économicisme"! C'est aussi ce que disait Aristophane dans sa comédie "Ploutos". Et n'oublions pas ce que disait Périclès, le stratège inventeur de la démocratie quatre siècles avant J.-C.: "Quand on veut quelque chose que l'on n'a jamais pu obtenir, il faut faire quelque chose que l'on n'a jamais fait!" On veut une société saine et inclusive, ce qu'on n'a jamais eu, il faudra bien que l'on fasse ce qui n'a jamais été fait, par exemple abolir le système monétaire et ses marchands! 
p.218 : A propos de l'Europe et de la performativité du récit:  Nous avons à présent besoin et de toute urgence d'une révolution noétique sur la base des nouvelles avancées scientifiques qui ont validé bon nombre des hypothèses modernes. Cette révolution doit s'accomplir en forgeant de nouveaux concepts plutôt qu'en dressant des barricades. Les scientifiques grassement payés par l'industrie et les lobbies ont perdu beaucoup de leur éthique, et la guerre entre scientifiques mainstreams et scientifiques complotistes passe largement au-dessus des têtes des manifestants aux barricades. La révolution des localités contributives devra se battre contre une oligarchie ayant concentré entre quelques mains les pouvoirs financiers, politiques, médiatiques, répressifs et judiciaires, avec l'appui d'une moitié des scientifiques, l'autre moitié étant bâillonnés. Quant à forger de nouveaux concepts, encore faut-il que le peuple puisse participer à la fête avec la bonne centaine de concepts de ce livre, "expliquant" la nécessité de bifurquer, totalement inaccessible tant qu'ils ne seront pas traduits en Français vernaculaire!!!
p.221: La vocation de l'internation n'est pas de proposer de nouveaux récits, mais de proposer une constitution transitionnelle et expérimentale qui fasse émerger un exorganisme complexe supérieur de référence approprié à la lutte contre l'entropie et l'anthropie… Demain matin, j'essayerai d'expliquer cela au comptoir du café du commerce ou lors de la prochaine manif sur le pouvoir d'achat, contre l'augmentation du gasoil agricole ou pour la défense de l'Éducation Nationale qui peine à recruter… Peut être qu'un bon slogan composé avec les mots internation, noodiversité, organogénèse et noétisation ferait  de l'effet!.... «Scientifiques  et philosophoses sans gros mots avec nous dans la lutte !»
     Une société figée finit toujours par disparaître et ne survit à elle-même que dans la marche vers un monde meilleur. Et la marche vers un monde meilleur (le progrès par exemple, ou le mieux-être) induit un déséquilibre et donc une instabilité, que cette instabilité soit de l'ordre de la transition ou de la rupture (du saut).

p.231: l'institution comme métastabilisation : Métastable: Se dit de l'équilibre d'un système stable pour de faibles actions extérieures et instable pour des actions extérieures importantes.
p.232: Pour ce qui est des organismes vivants ou des institutions, leur métastabilité doit être reconnue comme leur condition vitale, et plus que vitale (reliant les générations)… Lutter contre l'entropie n'est possible ni pour des institutions stables ni pour des institutions instables, sauf à maintenir une "métastabilité" dans un processus de transformation du même, c’est-à-dire dans la radicalité de bifurcations potentielles. L'instabilité risque de nous être imposée avec l'effondrement global soit, selon Yves Cochet, plus aucun service encadré par la loi ne fonctionnant. Cela sera peut être une opportunité de reconstruire des institutions métastables!     
p.72 : Usages et mésusages de l'abstraction: Les recommandations des experts sur l'éthique et des comités d'éthique ne peuvent aller de pair avec le business as usual ni devenir des vœux pieux qui évitent de nommer le problème en passant sous silence la façon de mettre en œuvre ces recommandations afin de les transformer en des principes éthiques efficaces. D'où la question devenue fameuse de Greta Thunberg: "Comment osez-vous?" Seul ce type de courage permettra de reconstruire et de réinventer la puissance publique en tant que milieu d'actions éthiques à l'ère des algorithmes.
     Les Postmonétaires peuvent reprendre ce paragraphe quasiment mot à mot: Comment osez-vous produire de telles critiques du système économique marchand, de telles alertes quant à la perspective d'un effondrement global et suicidaire, sans accepter de regarder en face la puissance destructrice de l'argent et sa possible abolition?... Question que l'on pourrait poser à Bernard Stiegler et à ses co-auteurs de "Bifurquer" (Paola Vignola, Mitra Azar, Maël Montevil, Giuseppe Longo, Ana Soto, Carlos Sonnenschein, Giacomo Gilmozzi, Olivier Landau, David Berry, Sara Baranzoni, Pierre Clergue, Anne Alombert, Clément Morlat; Théo Sentis, Franck Cormerais, Michac Krzykawskin Noël Fitzpatrick, Colette Tron, Glenn Loughran, Uves Citton, Edouardo Toffoletto, Vincent Puig, Suzanna Lindberg, Gérald Moore, Marie-Claude Bossière, Marco Pavanini, Daniel Ross, Alain Supiot…)

p.275 : "Tout cela ne va pas". Abstraction, localités, noodiversité.
     Un changement systémique doit être opéré dans l'approche commune de l'éthique, ainsi qu'en ce qui concerne l'usage qui en est fait par les experts et comités d'éthique travaillant […] en tandem avec le monde économique.
   Si l'argent est le pivot autour duquel tournent toutes les catégories classiques du capitalisme qui nous ont conduits vers l'Anthropocène, il n'y aura pas de changement systémique vers une vraie révolution, mais juste quelques aménagements d'intérieur. Quand la maison est pourrie et que le sol sableux s'effondre, on ne convoque pas un expert décorateur, un architecte d'intérieur, aussi compétents soient-ils.
p.281: Si l'êthos commande ainsi la vie avec la force de l'inconscient, les algorithmes sociaux la gouvernent avec la force de l'impensé. Si l'êthos nous inculque l'idée que tout boulanger honnête a le droit de vendre son pain, cela devrait nous convaincre, là où il y a deux boulangeries,  d'acheter notre pain quotidien une fois chez l'un, une fois chez l'autre, quand toute la société nous incite à calculer le rapport qualité prix, à aller au plus près pour gagner du temps (time is money). Dès que nous avons un euro en poche, notre êthos est abandonnée au profit de l'éthique marchande. Cet euro au fond de notre poche est l'objet le plus impensé de notre existence alors qu'il est sans doute le plus souvent utilisé! Une bifurcation radicale pourrait être de commencer par penser le moindre euro de notre poche: Vais-je l'utiliser dans le sens des lois du marché (êthos d'un poids impensable) ou d'une éthique postmonétaire, entrer dans l'épicerie de proximité si utile à ma vieille voisine ou chez Lidl qui est moins cher ?... Pour que ce genre de questionnement devienne commun et reflexe, mieux vaux user de l'exemple du petit commerce bien connu que de celui d'Antigone que peu ont compris ce qui s'y joue.
p.287:  Si ces questions directes s'imposent, y répondre de manière sérieuse ne peut se faire sans interroger l'organisation hyper-industrielle de ces nouvelles technologies, qui consiste en une extraction de données au-delà de tout contrôle. Nous pouvons dire la même chose et dans les mêmes termes vis-à-vis de l'êthos et de l'argent. On ne peut réfléchir sérieusement à l'état de notre société, voire de notre civilisation, sans interroger la place qu'à pris l'argent, la marchandise qui consiste en transformation de tout acteur social en acteur économique, jusqu'à le réduire à un  consommateur-producteur-exploiteur de quelqu'un, à un extracteur d'une quelconque matière, à un financier d'un capital ou d'une infime bourse…Les explorateurs géniaux de l'économie contributive oublient simplement que leur analyse du numérique renvoie inéluctablement à une analyse de l'argent en tant que qu'argent tout aussi importante à faire si l'on veut passer de l'existence capitaliste à l'existence contributive…. Et quand ils expliquent que la libération de l'êthos est la condition d'une maîtrise de soi, c'est la même chose que ce que nous disons en souhaitant redonner aux usagers la maîtrise de leurs usages…
p.288 : Comment comprendre ces changements à partir de notre temps (2020) étant donné que notre paysage est façonné par le système technologique, composé de choses de plus en plus standardisées selon la tendance à l'unification  typique des nouvelles technologies.
      Comment comprendre à partir de notre temps (2024) les changements de notre paysage depuis qu'il est façonné par la marchandisation (et depuis bien plus longtemps que par le numérique, donc bien plus profondément) au point d'être en permanence acheteur ou vendeur de quelque chose, de nous-mêmes  si nous n'avons rien d'autre que nous à vendre (via le salariat ou la prostitution) ou à acheter (via le service quand le numérique nous fait travailler à la collecte de données, en nous faisant croire que l'on est un simple client, voir usager). La gratuité dans un monde marchand, c'est quand on est soi-même le produit…. "small is not beautiful" quand on est réduit à un produit!...
p.290 : Si le système technique [ou monétaire] totalisateur, unificateur et globalisateur constitue une menace c'est parce qu'il tend à détruire les localités [ou quiconque ne joue pas le jeu de l'argent] par le biais de la standardisation. … Parce que le système technique dans lequel nous vivons est global, nous avons besoin de réglementations éthiques globales pour la conception, la production et la commercialisation des éléments de systèmes techniques.
     Comme le système monétaire, cette fois totalitaire, standardisé et mondialisé, réduit l'individu à l'acteur, nous avons besoin d'un autre système qui cette fois soit inclusif et ne rejette personne au motif qu'il n'est ni producteur, ni consommateur, sous prétexte qu'il aurait bifurque vers une autonomie totale.  La vie éthique est insoutenable indépendamment de la technodiversité. La vie éthique est insoutenable indépendamment de "l'oeconodiversité". Or, on ne peut pas dire que l'argent soit un facteur de diversité sinon celle des revenus, lesquels tendent à se condenser jusqu'à l'absurde du Monopoly qui, à la fin produit un seul gagnant, doté d'immeubles, gares, et argent, face au reste entier des joueurs, sans toit ni argent. Game over!
p.293: Le processus de production d'alimentation carnée dans les élevages intensifs a inspiré à Primo Lévi "la honte d'être un homme". En effet, l'industrie animale exclut toute possibilité d'éthique animale. Les rapports entre les hommes et les animaux devront changer. Mais le marché de l'élevage, des élevages de poissons et coquillages, bientôt d'insectes est tel que si d'un seul coup, l'humanité entière devenait végane, l'économie entière s'effondrerait et avec elle, l'État, le salariat, l'argent, la valeur, la marchandise. Le meilleur moyen de respecter les espèces animales, c'est qu'elles deviennent indispensables à notre survie. Sous cette contrainte, les humains ne seraient pas plus idiots que les lions et les requins qui, aussi carnés et prédateurs qu'ils soient, n'ont jamais éradiqué la moindre espèce. Le lion n'a pas les moyens de fumer la viande, le requin ne sait pas mettre les sardines en boites. Or, si l'économie s'effondrait et que nous prenions cela comme une chance, on pourrait abolir tout profit, tout accaparement de valeur. Il n'y aurait plus aucun intérêt à faire des l'élevage intensif des porcs ou des usines à boites de sardines à un niveau mondial. Le local peut faire ce que l'homme a fait pendant quelques millions d'année, l'électricité en plus! La production et la distribution d'alimentation artisanale, dans une société de l'accès, peuvent être anti-anthropiques et même anti-entropique…
p.304: La stabilité mentale a un coût, et celui-ci devient d'autant plus important lorsque le stress va de pair avec ce qu'on pourrait appeler "l'exosomatose", c’est-à-dire des doses croissantes de technologie. Exosomatose: néologisme composé du suffixe -ose (désignant une maladie), exo- (ce qui vient de l'extérieur), -soma- (le corps physique), donc une maladie causée par un objet extérieur à l'individu (une technologie, une drogue, de l'argent…) et subséquemment, un levier extraordinaire de marchandisation en tout genre, du trafic de drogue à la mode en passant par les objets inutiles que fabrique l'industrie, face aux multiples brisures de liens sociaux (biologie de l'attachement)…

p.314, § 114: Culture, dopamine et attention: Le nœud de ce qui ressemble à notre pathologie collective tourne autour de la relation entre la culture et la dopamine dont les fonctions participent au lien social, à la facilitation de l'apprentissage expérientiel, à l'habituation et à l'anticipation. (La dopamine permet au cerveau de s'adapter face à un stress, a une angoisse. Les études sur la relation mère-enfant dans les tout-débuts de la vie montrent que c'est la dopamine qui établit le point d'ancrage des relations sociales et adoucit les impacts émotionnels). Le besoin irrépressible de drogue, d'argent, d'accumulation, etc., serait une réponse biologique au manque de dopamine face au stress.

p.320: Sphères, bulles, écume… Dans une société addictogène, le monde partagé succombe à la fragmentation en bulles hermétiques d'îles privées, de communautés fermées et de chambres d'écho d'Internet qui permettent d'échapper au désespoir. Cette recherche d'insularité et "d'espaces sûrs". "L'encapsulation" est une troisième voie possible pour les inadaptés au combat ou à la fuite.
    La "capsule" est en effet une bonne image de la toxicomanie, et en même temps, des options thérapeutiques qui ont émergé et ont pris l'ascendant sur toutes autres, la pharmacologie de la substitution (subutex, métadone, etc.), dont Bernard Kouchner, alors ministre de la santé est devenu le chantre (ou plutôt, le représentant de commerce!). Les centres de soins français, jadis enviés dans beaucoup d'autres pays européens, fonctionnent aujourd'hui comme des "mondes toxicomanes encapsulés"
Les effets symptomatiques de sevrage planétaire.
        Si le changement climatique est un problème du Capitalocène limbique (Limbique : qui se rapporte à la partie du cerveau dit limbique ou cerveau émotionnel.), c’est-à-dire un phénomène de consommation addictive induite par la prolétarisation généralisée, que cela signifie-t-il alors pour la façon dont nous le traitons? Il y a un parallèle frappant dans le traitement de la crise climatique et de la toxicomanie. La logique devrait conduire à la nécessité d'une rupture radicale avec les modes de consommation existants (La consommation de drogue, comme le consumérisme ordinaire généralisé et normalisé).
     Les propositions de sortie du capitalisme pour résoudre le problème de l'anthropocène sont aussi variées et conflictuelles que les propositions thérapeutiques pour la drogue: sevrage brutal et abstinence définitive (profiter de la crise globale annoncée pour abolir l'argent et la marchandise) ; modération dans la consommation (redistribuer la richesse, devenir tous végans, sobriété heureuse, revenu universel….) ; un coaching individualisé sur le mode alcoolique anonyme (les petits gestes comme éteigne la lumière inutile, les Colibris…); inventer des modes de vie plus séduisants que la drogue (convivialistes, communautés écologiques, survivalisme…). Liste non exhaustive! Le dégoût des symptômes de sevrage a été déployée de façon circulaire pour proscrire le diagnostic de la dépendance par rapport à la consommation pathologique de médias numériques. Les auteurs environnementaux ont également insisté pour que l'abstention de consommation technologique ne puisse tout simplement pas être une option!
p.336 : Aux origines du mouvement des Alcooliques Anonymes  - la thérapie contributive
     Une panoplie émergente d'alternatives aux programmes de réadaptation dominants identiques pour tous comprend des retours aux racines des AA dans la théorie anarchiste de "l'entraide mutuelle". A quoi s'oppose la proposition de Territoires Apprenant Contributif de Plaine Commune qui permet de se transformer, de revitaliser les environnements toxiques qui donnent lieu à l'hyperconsommation, comme réponse thérapeutique au désajustement. […] La thérapie contributive devient ainsi une technique pour inventer des formes de connexion émotionnelle et sociale qui transcendent l'individualisme commercialisé, de nouvelles formes de philia liées à la poursuite du bien commun qu'évoque Aristote. La Contribution au savoir permet aux gens de devenir ce qu'ils "peuvent faire et être".
     Autant on ne peut qu'applaudir à un tel programme quant à ses fins, nous pouvons l'augmenter de quelques remarques "expérientielles" (issues d'Expérienciations existentielles ou de "laboratoire"). Expérienciation: Terme issu de l'épistémologie désignant "un moyen d’acquisition de connaissances par expérience personnelle et dans un environnement propre à l’individu." La proposition contributive, s'affiche là en tant que thérapie sociale et la thérapie par définition est résolution d'une maladie. Certes notre société est malade et ne peut que nous rendre malade. Mais au nom de quoi voudrions nous la soigner. La médecine moderne nous a pourtant appris qu'il vaut mieux prévenir que guérir. En ce sens, un vaccin qui immunise vaut mieux que le remède qui soigne quand la maladie est là, qu'une bonne alimentation est préférable à toute intervention médicale. Ma pratique personnelle du soin auprès de toxicomanes (vingt ans dans un centre dit de postcure) m'en a convaincu. La solution la plus soutenable, la plus rapide, la moins coûteuse (en souffrance et en thérapie) est de proposer une autre façon de vivre radicalement différente de celle qui a conduit vers la toxicomanie et cela dans tous les domaines à la fois (donc de  façon systémique et non analytique). Un autre environnement plus cohérent, des liens sociaux apaisés, un rapport à la chimie réduit aux strictes nécessités vitales (un vaccin contre le tétanos est toujours préférable aux effets de la bactérie Clostridium tetani !), des habitus qui banalisent la confiance en soi et aux autres, des pratiques qui valorisent l'estime de soi, des arts qui permettent "de dire" là où les mots manquent, la découverte du lien qu'il y a entre l'assiette et le jardin, et mille choses encore qui fondent notre existence. Les cures en services psychiatrique offraient une guérison par la privation, nous offrions une renaissance par la découverte d'autres possibles.
p.364: Aujourd'hui, cette vision pourrait être réinterprétée en un sens selon lequel l'expansion révolutionnaire de l'automatisation  et de l'intelligence artificielle ouvrirait des perspectives pour l'émergence de nouvelles formes d'autonomie (en occultant, pour le moment de savoir ce que cela pourrait signifier que d'aller "au-delà d'une organisation capitaliste"). Ouf! L'auteur de ce chapitre [Daniel Ross, né en 1970 en Australie, philosophe et réalisateur de cinéma, thèse sur Heidegger, il a traduit en anglais 11 livres de Steigler] (Steigler a certainement validé ce passage) est dans la posture du "pas suspendu de la cigogne": pour la première fois, il nous parle d'une possible société non-capitaliste, chose qui a été le point de départ de la réflexion de tous les Postmonétaires. Il en est encore à se demander "ce que cela pourrait signifier" et n'a semble-t-il pas encore entrevue toutes les ouvertures que cela augure… Votre pied s'est déjà levé M. Ross. Il vous suffit de suivre cette piste pour tenter, ne serait-ce qu'au titre d'une "expérience de pensée", d'en explorer les potentialitée et les faisabilités. Vous y êtes presque…
p.365 :  le capitalisme hyper-industriel de consommation.
p.366 : Ce que Marx ne pouvait prévoir [donc l'intégrer dans sa théorie] c'est la portée des nouvelles technologies rétentionnelles (Internet, stockage et traitement des données…) qui ont permis le contrôle du consommateur et la grammatisation sa protention…(Protension: qui est tourné vers l'avenir)
p.367: Cela allait in fine se révéler autodestructeur pour le modèle consumériste lui-même, en ce que l'épuisement de l'énergie libidunale instaure une tendance à l'effondrement de l'économie libidinale (sur laquelle repose fondamentalement le modèle macroéconomique de la croissance perpétuelle: la capacité à stimuler la croissance perpétuelle de la consommation requise par l'économie consumériste est ainsi menacée. En clair, la croissance infinie est une vue de l'esprit, une absurdité mathématique. 
p.368: Ce qui change au 21° siècle [par rapport à la publicité] c'est que les consommateurs de contenu grammatisé renvoient constamment et en temps réel des données aux producteurs. Sur la base de ces données, les producteurs peuvent calculer encore plus finement la relation entre un type spécifique de contenu et un type de réponse de la part de "tranches" spécifiques d'utilisateurs. Les producteurs peuvent ajuster le contenu de manière rapide et ciblée, ce qui était tout bonnement impossible au 20° siècle. Cela provoque des ondes de choc informationnelles et protentielles, dont l'effet au niveau noétique est analogue au "bang supersonique". Belle métaphore que celle du mur du son que les postmonétaires utilisent souvent pour expliquer que l'argent conduit inéluctablement à l'effondrement et que le seul moyen d'y échapper c'est de changer de modèle économique pour enfin franchir le mur du sou !  

p.369 : L'antipolitique du populisme ultra-industriel dans l'entropocène: 
Derrière cette intention paradoxale qui consiste à produire les consommateurs, réside la croyance encore plus paradoxale que cette masse de consommateurs est à même d'alimenter sans fin le moteur de l'économie globale à la manière d'une machine à mouvement perpétuel, et à porter l'économie vers de nouvelles cimes. Il est en effet étrange que le mouvement perpétuel est un mythe, autant que le père Noël  ou la vie éternelle, et que de brillants esprits, pourtant munis de tous les outils cognitifs, persistent à parler de croissance infinie.  
p.371 : A propos de la cristallisation des palais de cristal
     Palais de cristal: métaphore utilisée par Gilbert Simondon, philosophe français du 20° siècle, à partir de la physique. Le cristal émerge de son "eau mère" à partir d'un processus de cristallisation catalysé par un germe... Il se demande "si le cristal n'est pas le siège d'un plus grand désordre que l'eau mère", en clair et sur le sujet qui nous occupe là, si l'outil numérique n'est pas pire que le capitalisme. Par exemple, la régularité du cristal donne lieu à l'illusion de ce qui semble être une organisation luttant contre l'entropie. La question posée ici est de savoir si l'idée postmonétaire (à titre d'exemple) ne parait pas la bonne façon de concevoir une société désirable du simple fait d'une illusion et si cela ne serait pas encore pire que le capitalisme. Nous avons eu, et aurons encore longtemps, cette critique qui nous sera assénée avec l'appui de références philosophiques prises au pied de la lettre… Il faudra bien y répondre dans les mêmes termes…
p.373: La disruption et la régression contemporaine sont précisément une forme d'illusion du même type que celle produite au niveau moléculaire par la cristallisation. Ce n'est pas simplement une question des palais de cristal du capitalisme industriel, mais aussi les palais de cristal de silicium qui forment le capitalisme algorithmique ultra-industriel. Ils peuvent bien être hautement ordonnés et normalisés: derrière cette façade trompeuse ils sont profondément entropiques, esclaves du marché… La réponse du berger à la bergère: l'illusion de l'efficacité ne peut plus être invoquée par un capitaliste en plein hubris face à une proposition encore inexpérimentée et vierge de toute entropie. En terme populaire, cet argument, c'est "l'hôpital qui se moque de la charité", c’est-à-dire, se moquer du défaut de l'autre, que l'on a soi-même mais en plus grave.

p.378 : Pour une théorie générale de l'entropie:
     L'élaboration d'une théorie de l'entropie nécessite selon Steigler: une recherche contributive transdisciplinaire de grande ampleur, impliquant des chercheurs à travers une grande diversité de domaines. Malgré cette complexité apparemment effrayante, une telle théorie générale de l'entropie est devenue aujourd'hui une nécessité […]:  réinscrire en totalité les vieilles valeurs en des termes nouveaux, générer de la richesse en tant qu'elle se distingue de la valeur économique, étant entendu qu'il s'agit d'ouvrir la possibilité d'un autre avenir… C'est uniquement sur la base d'une telle théorie que des perspective d'investissement anti-entropique ayant le potentiel de nous faire bifurquer de cette situation monstrueuse et mondialement dangereuse peuvent être identifiées, imaginées, inventées et réalisées. De telles bifurcations, et la théorie générale sur laquelle elles peuvent être établies, présuppose de reconsidérer les fondements même de la division des champs de savoir. Elles exigeront également une complète réorganisation des technologies, au moins aussi profonde que celle qui a été initié par la démonstration de l'héliocentrisme au temps de Copernic, mais dans un laps de temps extrêmement court. C'est exactement le pari lancé par les postmonétaire. Et là, Bernard Steigler apporte beaucoup d'eau à notre moulin. Remerciement posthumes Bernard!... La confrontation entre notre théorie et la sienne, entre nos bifurcations théoriques et pratiques et les leurs, entre nos visions d'un autre futur possible et le notre, avec notre approche pratique en termes prosaïques, tout cela pourrait être d'une formidable richesse. Ils ont la rigueur scientifique et philosophique, nous avons la capacité à la traduire en récit…
      De là à rêver de contributifs a-monétaires ou de Postmonétaires contributifs et pourquoi pas de décroissance contributive postmonétaire pour une société convivialiste réhabilitant les communs dans un esprit libertaire, démocratique et sur le mode des systèmes complexes… Voilà qui aboutirait à des laboratoires transvers   Steigler-portrait.jpeg            Bernard Steigleraux s de bon aloi!
     En bref, il s'agit d'être capables de faire face noétiquement à l'aporie de la soutenabilité, mais sur un mode "vernaculaire", "localitarisé" tenant compte des capacités d'assimilation, d'adaptation…, et de "supportation" comme disaient les manifestants des Caraïbes en mai 2012. Je rêve d'un trio de recherche entre postmonétaires, contributistes façon Steigler et critiques de la valeur façon Anselm Jappe!  

 

 

 

 

       

 

 

                     

Le pain et la monnaie, Pierre Persat

éd. La pensée universelle, 1982, PDF 67p.
PDF en accès libre 

PrésenPersat.JPGtation: Ceci fut écrit dans les années 1979-1981, quand les théories économiques les plus bétonnées de certitudes, mises obstinément en application par les gouvernants de l'époque, n'aboutissaient qu'à provoquer un accroissement des chutes d'entreprises sans pour autant freiner l'inflation qui à leur grand dépit atteignait des records. La réalité économique ne voulait pas obéir à leurs théories, d'où leur colère. Pour y comprendre quelque chose, il fallait tout reprendre à zéro, revoir clairement ce qu'est la monnaie, comment elle naît, comment elle fonctionne, comment elle réagit aux fluctuations des échanges, comment on asphyxie l'activité d'une économie si on l'empêche de jouer son rôle. Tel fut le but de ce petit livre. (Pierre Persat)

Pierre Persat, après une vie militante, laisse derrière lui un rejeton qui publie un petit journal sous le pseudo de Trazibule qui mérite le détour pour le choix des sujets et l'humour qu'il y déploie… voir son site C'est sans doute par fidélité politique que Pierre Persat n'a pas sauté le pas vers les Postmonétaires, car tout l'y menait, son livre en témoigne. Il peut être utile de le lire pour mieux comprendre les ancrages mentaux qui  bloquent tant de nos proches dans "le pas suspendu de la cigogne"…       

 Introduction:
         Un explorateur stellaire débarque en France pour un premier contact avec les habitants de notre planète et se trouve fort intrigué lorsqu'il apprend que notre pays compte trois millions de chômeurs. C'est par cette fable digne des Usbek et Rica de Montesquieu que Pierre ouvre son livre pour montrer à quel point le système monétaire est devenu absurde. Il a raison de le trouver absurde et en même temps, il conclut que c'est un mystère. L'explorateur de son côté repart en consignant la conclusion de son voyage: Planète habitée par des cinglés. Stade : énergie nucléaire. A classer zone dangereuse. 
      La question que pose d'emblée Pierre, c'est de comprendre comment cette situation absurde ne mène pas à une révolution, à minima à des émeutes! Et cette absurdité du chômage n'est pas la seule: plus d'appartements vacants que de sans abris, une consommation d'énergie qui menace les humains autant que leur environnement, des solutions techniques qui font plus de dégâts que de laisser les choses en l'état, etc. Une planète de cinglés, Pierre à raison. Mais après?…
p.3: Quand les théories ne rendent plus compte de la réalité, le moment est venu de les mettre à l'écart et de reprendre tout à zéro… Bien Pierre, reprenons à zéro! Personnellement je vois deux causes premières à ce foutoir: l'argent et le pouvoir. Le chômage n'est pas la cause mais la conséquence. Il faut donc une société sans argent, ce qui mécaniquement réduira considérablement les possibilités de prendre le pouvoir sur les autres.
    Pierre s'en rend compte et imagine que le pécheur offre ses poissons, l'agriculteur offre son blé, le forgeron les outils dont les autres ont besoin… Les échanges se font sur la base de la valeur naturelle des objets ou services rendus. Et c'est déjà le commencement de la fin, cher Pierre, la valeur n'est pas naturelle et relève toujours de l'appréciation conjointe d'un donneur et d'un receveur. Elle varie en fonction du travail que cela a exigé, du moment de l'échange, du lieu, de l'envie du demandeur, de la rapacité du donneur, de la rareté, etc. Pierre en a tout de même conscience:  
      …Mais comme la productivité et les besoins varient constamment, par bonds ou par lentes fluctuations, un marché ne sera jamais en équilibre, mais toujours à la recherche de son équilibre. Tout comme un équilibre biologique, soumis à des fluctuations naturelles brusques ou progressives, est toujours à la recherche de lui-même…       Exact, Pierre, même si un objet ou un service a une valeur précise et invariable, les besoins modifient la valeur de tout ce qui constitue "un marché". Si l'on veut une stabilité des prix, il ne faut pas les transformer les choses en marchandises, les humains non plus d'ailleurs. Les seuls échanges acceptables sont ceux qui ne sont pas marchands, comme les échanges de bons procédés. Pourtant, Pierre a encore des réflexes monétistes: 
    …la valeur naturelle d'un produit est celle qui s'est établie d'elle-même d'après le libre jeu de l'offre et de la demande.
     Attention Pierre, tu es déjà en train de déraper: si la valeur dépend de l'offre et de la demande, on entre dans des rapports de pouvoir. Si personne ne veut acheter les outils du forgeron, il n'aura plus rien à manger. S'il produit plus d'outils qu'on en réclame, il devra les solder et donc manger un peu moins… De là à inventer la publicité et le jetable pour alimenter la demande, il n'y a qu'un pas… De là à créer la pénurie artificiellement pour faire monter les prix et s'enrichir et la communauté humaine explose dans la guerre économique. Donc introduire la valeur, c'est ouvrir la boite de Pandore! Il faut prendre le modèle familial pour régler le problème, pas le modèle marchand. Présente-t-on la note après le repas des enfants? La mère a-t-elle besoin d'un équivalent universel pour faire les gâteaux en haut quand le père, en bas, coupe du bois ?... Pourquoi la société s'est-elle organisée autour de l'échange marchand et de la valeur relative? Parce qu'elle n'a pas de suite réalisé que c'était un piège tendu par les plus puissants, les princes, les états, les généraux, les prêtres, les marchands. Ce sont les seuls gagnants. Mais au fond d'eux, ils savent que le bon modèle est non marchand, mais familiale, amical si on élargit un peu la famille, clanique si on n'a pas encore d'état…
        Dans notre île où vivent cent familles nous avons constaté que s'établit entre elles une situation économique de complémentarité. Mais nous observons aussi que plusieurs familles se mettent à exercer le même métier. De complémentaires de métier à métier, elles deviennent donc concurrentes au sein du même métier…
        L'exemple de l'île ne vaut rien pas plus que celui de l'archipel. Je reprends celui de la famille: quelle concurrence peut-on imaginer au sein de la famille? Qui penserait à affamer un des membres en prenant plus de parts de gâteau que de raison? Une chienne qui a cinq petits les nourris tous à égalité. Les chiots peuvent être goulus et éliminer le plus faible en l'empêchant de boire. Mais une fois adultes, les chiots abandonnent la concurrence. Ils sont éduqués à la coopération au sein de la meute. Dès qu'il y a valeur et profits, il y a concurrence, et in fine guerre économique de tous contre tous. Les chiens sont en meute, les humains en guerre! La meute surveille les possibles dérives des uns et des autres, la communauté humaine valorise le prédateur en tant que premier de cordée, se moque des sans-dents qui servent de proies!

p.6: Si nous allons au fond des choses, nous découvrons que le jeu de la complémentarité et de la concurrence n'est possible que parce que les familles sont autonomes, c'est-à-dire qu'elles ont la liberté de leurs choix, choix qu'elles orienteront vers ce qu'elles estiment de leur plus grand intérêt…
       Non Pierre, il y a tromperie: l'exemple de l'échange entre les briques des maçons contre le pain des boulangers est excellent mais mal interprété. Au départ une brique = un pain, puis en fonction de la conjoncture, un pain = 2 briques. C'est l'inflation! L'un y gagne, l'autre y perd. On est bien dans l'échange marchand. Dans la famille, les biens étant communs, personne n'a intérêt à nuire à l'autre ou à détruire ces biens. Il n'y a pas d'échange "gagnant -gagnant" dans le commerce, en famille oui.
        La reconnaissance de dette mentale apporte un remède à la rigidité du troc. Elle marque donc un progrès parce qu'elle permet des transactions qui n'auraient pu se passer autrement… sauf si un débiteur meurt par exemple et que le créditeur avait besoin d'être payé pour vivre.
    La création de la monnaie a doncpu paraître une bonne chose. Mais à l'usage, on voit bien que c'est faux. L'argent empêche bien plus qu'il ne permet, sauf à être très riche en fabriquant des pauvres…, d'autant que le service rendu par le créditeur mérite un petit intérêt, un gros intérêt si le crédit était élevé. C'est d'ores et déjà l'invention de la lutte des classes!...
       Parvenus au point où nous en sommes, une conclusion commence à s'ébaucher, discrète encore. Si le chômage sévit chez nous, et à grande échelle, alors que nous sommes en économie de monnaie, ne faut-il pas en rechercher la cause quelque part dans cette économie de monnaie, laquelle est fondée sur l'argent sous toutes ses formes ?...
      Quand il manque quantités de travailleurs pour quantités de travaux, cela ne peut être qu'en raison du coût du travail, lequel coût n'est dû qu'à la nécessité d'avoir de l'argent pour vivre. Sans argent, chacun trouverait le travail qu'il lui plaît de faire, en changer quand il en a assez. Fallait-il dix pages pour en arriver là?... N'est-ce pas le signe que nous réfléchissons mal?...  Quant au troc remplaçant la monnaie, il reste une question d'importance, celle de ceux qui n'ont pas grand-chose à troquer et sont affamés, ceux qui ayant trop peuvent différer leurs offres en attendant le plus offrant. On réinvente de nouveau la lutte des classes entre ceux qui ont des dettes et ceux qui ont des créances!...
         La monnaie, dit-on, a une valeur conventionnelle. Beaucoup de conventions qui n'avaient plus de raison d'être ont été balayées par des révolutions sans que la société ait cessé de fonctionner. Bien des préceptes sociaux, médicaux, sexuels... se sont effondrés lorsqu'on a pris conscience de leur caractère de simples croyances alors qu'on les prenait pour des fondements de l'ordre social. Conventionnel signifie alors non fondé. Mais conventionnel signifie aussi résultant d'une convention conclue entre des individus ou des groupes…
      En effet, la monnaie n'est qu'une convention sociale qui aurait pu être toute autre. L'erreur est de croire que cette convention n'a pas été conclue entre des individus ou groupes à l'origine. C'est une convention très moderne qui présuppose que l'argent est indispensable et que s'en passer interdirait tout progrès. Personne n'a jamais signé une telle convention et ce n'est que par une puissante propagande qu'on l'a mis dans la tête des gens. C'est une escroquerie intellectuelle, certes astucieuse puisque de brillants intellectuels autant que de travailleurs manuels dotés d'un sérieux sens des réalités, d'un bon sens que l'on dit populaire, se sont fait berner… Désolé, Pierre. Tu t'es fait berner comme les autres, comme je l'ai été jusqu'à ce que je découvre le pot aux roses… 
     La reconnaissance de dette n'a qu'une valeur éphémère. Elle est destinée à aboutir à un paiement terminal en valeur concrète, marchandise ou service. Lorsqu'elle revient à son signataire lors de la livraison de la marchandise ou du service, elle perd toute valeur. Elle est morte. Son signataire peut la brûler ou l'encadrer. Elle est morte. Il en va de même pour la monnaie. Une fois de retour à la banque centrale, elle est morte... 
       C'est ce que nos banquiers et nos économistes tentent de nous faire croire. Il suffit pourtant de brûler un billet de banque en public pour constater le tollé que cela provoque, quand ce n'est pas une répression de police et de la justice allant d'une amande à de la prison ferme selon les pays. Quand Gainsbourg a brûlé un billet de 500 francs sur un plateau de télévision, en mars 1984, c'était encore illégal en France mais cela ne l'est plus depuis l'entrée en vigueur de la loi du 16 décembre 1992.                 
     La monnaie, ou si on prend son nom habituel l'argent, n'est pas un bien, n'est pas une marchandise, n'est même pas le titre de propriété désignant qui les possède. C'est une reconnaissance de dette.
     Cette c
urieuse conception est propre à embrouiller les esprits. Si j'ai en poche 1000 euros en billets, c'est comme si je possédais un objet du même prix. J'en suis propriétaire et à ce titre, nul n'a le droit de me le prendre. Si c'est une reconnaissance de dette vis-à-vis de la banque qui m'a donné ces billets, cela ne signifie rien d'autre que le fait de ne pas être le créateur de ces billets contrairement à la banque. Si je suis propriétaire de ces  1000 euros, je peux les échanger contre des dollars moyennant la commission de l'agent de change. C'est exactement le même processus qui me permet troquer un euro contre un peu de pain.  L'argent est donc bien une marchandise comme les autres. C'est ce qui permet tous les trafics de devises et de paquets de devises différentes (les fameux  "produits dérivés"…).  
        De même que la santé de l'organisme dépend de la quantité et de la qualité du sang qui en assure les échanges, la santé d'une économie dépendra de la quantité et de la qualité de la monnaie qui en assure également les échanges.  La comparaison entre l'argent et le sang est souvent évoquée. Entre 5 et 7 litres de sang circule dans le corps humain (masse monétaire), mais circule intégralement dans tout le corps chaque minute. Si la masse monétaire doit être stable pour ne pas exiger des transfusions régulières, la rotation monétaire est encore plus importante. S'il n'y a pas cette rotation, la santé économique ou physique est immédiatement en danger. Arrêt de la circulation = infarctus, AVC, arrêt de la rotation monétaire = récession, chômage, pénuries, faillites! Avant de savoir si une monnaie est bonne, saine, fiable, il faut regarder à quelle vitesse elle circule. Et cette rotation constante induit la croissance perpétuelle, la nécessité de réaliser des profits pour en augmenter la masse. C'est même l'une des principales raison d'abolir au plus vite l'argent si l'on se veut écologiste, socialiste, humaniste…
      Le crédit est un système indispensable à la bonne marche de l'économie. Sans lui l'argent serait bloqué par l'épargne et le marasme s'installerait provoquant ce paradoxe : une masse d'argent immobilisée en face d'une masse de besoins à satisfaire. Tiens, tiens ! Cela ne vous rappelle rien ? Cette découverte ne nous fait-elle pas pressentir que nous approchons de l'explication du chômage, masse de travailleurs immobilisés en face d'une masse de besoins à satisfaire ?  
     La question du chômage qui taraude Pierre, en bon socialiste, commence à s'éclaircir. Il est visible que le chômage est une aubaine pour les producteurs de travail. Si une masse de chômeurs est immobilisée, le coût du travail baisse et les profits de l'employeur augmentent… Dans le cadre de la guerre économique permanente, c'est une bonne affaire…
       Lorsqu'une banque accorde un prêt, elle crée de la monnaie ex-nihilo. La banque ne prête que du vent. Tout se passe donc là aussi comme si la banque avait prélevé le montant de son prêt dans la poche des citoyens en provoquant une inflation pendant toute la durée de ce prêt....
     C'est sans doute un peu caricatural mais pas entièrement faux. La question alors n'est plus le chômage, simple conséquence de la logique monétaire, mais cette logique surprenante, faite de faux-monnayeurs légaux, de taux d'intérêts indus  qui ramènent un argent public entre des mains privées..... 
      En aucun cas le crédit sain ne peut provoquer l'inflation. Il contribue au contraire à la baisse réelle des prix en aidant les entreprises à améliorer leur productivité. Il empêche l'argent de stagner et s'accumuler en un point donné du circuit… 
     Cher Pierre, si dans le cochon tout est bon, dans la monnaie rien n'est gai!... De même, si le saucisson se coupe en tranches, la monnaie est un paquet cadeau qu'il faut avaler entier… Il n'y a pas de crédit sain, sinon celui qui serait sans intérêt ni échéances de remboursement. A moins d'imaginer une monnaie gratuite…, mais là, on est dans l'utopie pure!
     La concurrence est le premier garde-fou à l'avidité du boulanger. D'où dans une économie l'intérêt de la liberté de concurrence… C'est exactement ce que les capitalistes veulent nous faire croire. Dans son exemple de l'île aux 100 familles, Pierre Persat imagine qu'il y ait 3 boulangers, 3 savetiers, 3 médecins. Si l'un d'eux augmente ses prix, ses clients vont voir ailleurs, il fait faillite. Faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages: les trois médecins, qui ont été aux écoles, imagineront très facilement de très bons arguments pour augmenter le prix de la visite en même temps. Le savetier et le boulanger ne penseront pas à augmenter les prix du pain et de la savate. Ça fait des siècles que ça dure. Il faut vraiment être socialiste pour ne pas voir que la liberté de concurrence ne pourrait marcher que si tous étaient aussi libres, ce qui serait un drame pour les capitalistes!...
      Il n'y a que deux moyens de se procurer de l'argent : ou en le gagnant ou en le prenant aux autres. C'est clair ? 
    Je sens que l'on va nous demander de moraliser nos comportement sociaux… En résumé, on met en place un système, puis on accepte tacitement qu'il soit le seul possible et le meilleur. Ensuite on découvre qu'il provoque des inégalités, qu'il favorise la guerre économique, qu'il nous met tous en concurrence quand il faudrait s'entre-aider. Que change-t-on, le système ou les gens? Le génie du capitalisme a été d'exonérer le système et de nous charger tous individuellement des fautes induites par le système. 
     Les économistes sont des hommes froids qui manient des chiffres, des formules, des statistiques, surtout des statistiques, sans jamais s'en écarter, sans jamais évoquer la dignité humaine et la morale. Le feraient-ils, qu'ils en perdraient leur crédibilité. A-t-on vu faire du sentiment en affaires ?
     En somme, on crée un métier de fous (les économistes), on leur confie nos vies, et on s'étonne d'être maltraités. C'est comme confier son porte-monnaie à un escroc notoire, confier ses enfants à un pédophile, se croire en sécurité en confiant la surveillance de son magasin à un mafieux…
       Est-ce donc faire du sentiment ou simplement une constatation objective que de dire que l'économie d'une société dépend de sa morale ?...
       Est-ce réaliste de demander à des économistes, qui ne savent que compter, de s'intéresser à la morale? il est aussi peu réaliste de demander à l'homme d'aimer son prochain que d'en faire un loup pour l'homme. Si le problème était moral, il y a longtemps qu'il aurait été résolu, ne serait-ce que par intérêt. Le problème est dans le système et on ne peut demander à un système de développer lui-même ses qualités morales... 
      Pierre Persat, nous donne ensuite les liens de cause à effet du chômage: Le travail à faire est sans limite, chacun n'en faisant qu'une partie doit échanger son travail contre celui des autres, cet échange passe par l'intermédiaire de l'argent, donc tout déséquilibre monétaire accumule l'argent chez les uns au détriment des autres et les inégalités sociales se renforcent. Les autres sont alors obligés d'en demander plus, on leur refuse ce plus par divers procédés de blocage, ce blocage paralyse l'échange et sans échange pas de travail…
      Pierre nous décrit là un cercle vicieux, ce qui explique que le capitalisme n'avance que de crise en crise. Si tant de brillants esprits, d'Aristote à Piketty, n'ont pas réglé ce problème systémique, c'est parce qu'il n'est pas soluble. Le problème fait partie de la logique du système. Changer la configuration politique, éduquer les populations à la bonne gestion, n'élire au pouvoir que des gens intègres et formés aux problèmes des systèmes complexes, rien n'y fera. Un système complexe arrive tôt ou tard au bout de sa logique. On ne peut qu'en changer, radicalement. De ce fait, cela appelle une révolution d'un type particulier que l'on nomme "copernicienne" en référence à l'héliocentrisme qui a changé non seulement notre conception de l'univers, mais nos croyances religieuses, philosophiques, nos comportements moraux  et nos habitudes technologiques…
      Le chapitre sur l'impôt montre que Pierre Persat  accepte la TVA comme l'impôt le plus intelligent ou au moins le moins mauvais, puisque nul ne peut échapper et qu'il affecte ceux qui consomment le plus. C'est oublier un peu vite que payer 18% de taxes sur un yacht affecte beaucoup moins que 18% sur des dépenses aussi contraintes et principales que l'alimentation de base. Une personne au SMIC ne fait généralement aucune économie, sa paye suffisant juste au strict nécessaire. On pourrait mettre une taxe de 80% sur les plus grandes fortunes sans que leur niveau de vie en soit affecté et cela a été fait, y compris dans les pays anglo-saxons les plus accrochés au néolibéralisme. Quelques milliardaires proposent même de mettre des TVA progressives en fonction de la richesse: 90% sur les yachts et les jets privés, 0% sur le pain, la viande, l'énergie, les vêtements…
     Ainsi l'argent se concentre de plus en plus sur une minorité restreinte de gens fortunés, reléguant au rang d'assistés, ou de non-assistés, un nombre de plus en plus grand de citoyens dans un pays, comme un nombre de plus en plus grand de pays dans le monde. 
      Ah! Tout de même, enfin une remarque sur cet aspect de l'argent qui ne changera jamais.  L'homme n'a rien à voir à cela sinon du fait d'accepter l'effet mécanique d'accumulation sans le remettre en cause. Plus le capitalisme s'est perfectionné et plus les écarts de richesse se sont creusés. Les grands principes (démocratieliberté, égalité, fraternité...) sont inapplicables tant que le moindre sou sera en circulation. La démocratie devient tôt ou tard ploutocratique. Tant que les gens n'auront pas compris que la condensation de l'argent est un phénomène aussi mécanique que celui de la pierre que l'on jette en l'air et retombe sur notre tête.  Mieux vaut refuser tout usage de l'argent… Faute de quoi, l'ami Pierre pense que l'idéal utopique engendre la tyrannie, que le communisme imposé est à la libre solidarité économique ce que le viol est à l'amour… Sans argent, l'entraide devient une nécessité de survie, avec l'argent le moindre service devient un pouvoir sur l'autre. Quand on reçoit un don, un service, un geste de sympathie, on dit Merci, sans voir que l'expression française complète  est ''je suis désormais à votre merci", donc votre obligé, votre débiteur, votre esclave. De quoi remercie-t-on le médecin qui nous soigne, le boulanger qui cuit notre pain? N'ont-ils pris aucun plaisir à ces actes? N'ont-ils pas reçu en retour une reconnaissance sociale "qui n'a pas de prix"?  A quoi rime de payer deux fois sinon à mettre l'autre également "à notre merci"?..
     Il est vraiment dommage que des gens aussi sympathiques que Pierre Persat, aussi généreux et intègre, persiste à dire merci patron, merci les prolétaires, merci l'aide sociale dans un contexte monétisé. Le mot vient du latin merces: salaire, récompense, il a pris ensuite le sens de grâce accordée au perdant d'un duel, ce qui n'est pas loin de la pitié. Respecte-t-on celui qui fait pitié?... Le livre de Pierre Persat mérite toutefois la lecture pour ce qu'il est: un concentré des affres du monde monétaire et des biais cognitifs qui nous empêchent d'en prendre conscience!                                          

Gratuité, Véronique Perriot

Éditions Dandelion 2022, 152 pages

4ème dCouve couverture: Né de l'expérience de terrain, cet ouvrage est une rencontre joyeuse avec soi et avec l'autre. Au-delà des systèmes de dons-dettes et d'échange, la gratuité ouvre un espace de libre contribution au commun. Avec la remise en circulation de l'inutile s'invitent le sentiment de satiété, le plaisir du partage et de la trouvaille. L'autre n'est plus concurrent ou instrument, mais allié. La gratuité se joue avec l'autre plutôt que face à lui. Finie l'ère des relations duelles: la gratuité génère un rapport pacifié au vivant. Et si elle était une clef ouvrant sur un autre rapport au monde? Le fil pour coudre une autre société?
L'auteure: Tombée dans le chaudron d'Ivan Illich, j'ai été déscolarisée à 11 ans. Je passe mon bac en candidat libre avant de suivre des études de sociologie et sciences politiques. A 22 ans, je suis responsable d'une agence pour l'emploi. A 25ans, je vis à Hong-Kong, puis aux USA.  A mon retour, je travaille comme correspondante de presse, chargée de mission pour des collectivités territoriales puis attachée parlementaire.  Parallèlement j'élève mes quatre filles, je suis élue municipale, je participe à des habitats alternatifs, j'anime des éco-lieux et diffuse activement une réflexion sur la gratuité avec organisation de cercles de gratuité.  J'ai écrit plusieurs livres: "Gratuité", "Le meilleur à venir", "parler d'effondrement avec ses enfants", "L'amitié une clé pour s'accorder". Je publie désormais au sein de L'ouvrâge, un collectif d'auteurs coéditeurs.

                Les postmonétaires sont généralement partis d'une réflexion sur l'impact négatif de l'argent, Véronique Perriot a fait le chemin inverse. Elle est partie de la gratuité, au départ pour se débarrasser d'objets inutiles et en est arrivé à une recherche ontologique: qu'est-ce que c'est qu'être au monde aujourd'hui? Elle démontre par là que l'expérience précède la pensée, et que c'est en faisant acte de de gratuité ou en profitant d'un geste, d'un lieu de gratuité qu'on se réapproprie le monde. Ces expériences de gratuité naissent un peu partout dans le monde sous des noms divers: les "donneries" en Belgique, les magasins gratuits en France, les gratiferias, zones de gratuités, marchés libres ailleurs… "En participant à un cercle de gratuité, on retrouve ce goût de faire les choses sans rien attendre en retour, sans calculer ou évaluer ce qu’on fait, juste parce qu’on a la joie d’être vivant et de participer." Et plus loin…, "Gratuité et gratitude viennent de la même racine." L'ère de l'instrumentalité a commencé au XI° et XII° siècle et nous entrons dans l'ère de la gratuité… La gratuité est le contre-feu de notre civilisation en voie d'extinction.
       Ça commençait très bien mais très vite ça dérive: "On croit qu'un monde gratuit est un monde sans argent. Mais un monde sans argent. Mais un monde sans argent peut-être un monde de troc, de domination, d'exploitation, de pouvoir. On peut instrumentaliser les gens même sans argent."
       A propos des transports gratuits comme on le voit dans certaines villes, l'auteure explique que  "Là, c'est du "Gratis  ou du gratos". Il y a deux mots avec des étymologies différentes: gratus qui désigne ce que l'on fait de son plein gré (à son gré), et gratia qui a donné grâce. Quand on parle de bus gratuits c'est l'exonération d'un coût, on vous fait grâce du ticket de transport. Il est payé par le contribuable.
           Pourtant, elle reconnaît que c'est le profit qui est cause de la prédation et de l'exploitation et que retirer le profit, revient à faire une société de la gratuité. Mais c'est pour annoncer aussitôt la gratuité n'est qu'un outil, certes utile puisqu'elle crée des cercles d'entraide, des liens de convivialité: les besoins des êtres humains sont toujours situés. Je propose donc un revenu universel en monnaie locales, ce que j'appelle "une dotation d'autonomie locale".[…] Un autre outil est de développer la propriété d'usage: est propriétaire d'un bien celui qui en fait un bon usage, qui en prend soin. […] On ne peut multiplier les espaces de gratuité sans la mettre en place aussi  dans nos assiettes. La gratuité suppose d'avoir une alimentation qui n'instrumentalise pas d'autres êtres vivants, animaux et végétaux.
          Véronique Perriot nous dit être tombée dans la bassine d'Ivan Illich dès l'âge de 12 ans, mais visiblement sa vision de la gratuité, de l'argent, des institutions en général semble être du Illich un peu édulcoré. Sans être spécialiste d'Illich, il me semble qu'il allait plus loin que la simple fraternité qui s'instaure dans un espace de gratuité… Reste l'analyse comportementale qu'elle fait des membres de ses "cercles de gratuité". On se demande simplement pourquoi, mettant à jour en eux des changements de conduite, des réflexes d'empathie, de générosité qui n'existaient pas avant leur expérience de gratuité, elle ne pense pas qu'une abolition de l'argent ferait le même effet mais sur l'ensemble de la société et non pas sur ces seuls quelques cercles d'expérimentateurs de la gratuité…
             La gratuité est sans aucun doute un outil, si elle a pour objectif l'abolution de l'argent ou a minima le contournement du système monétaire. Mais les calculs en points, en heure de la plupart des Systèmes  Locaux d'Echanges, la contrainte d'un quelconque service pour avoir accès aux espaces de gratuité vont très vite attirer l'attention des pouvoirs publics qui y verront du travail au noir et des rémunérations déguisées. Par une décision en date du 16 octobre 2024, la chambre criminelle a précisé sa définition du produit de l’infraction de travail dissimulé en revenant sur ce qu’inclut la notion d’ « économie réalisée par la fraude ». Ce qui a motivé cette décision, c'est une entreprise roumaine qui trouvait du travail à des chauffeurs roumains et retenait sur leur paye un "dédomagement". On dit qu'un espace d'échanges totalement gratuit a déjà subit l'application de cette nouveauté et a été contraint de fermer leur local et leur activité pour travail et commerce dissimulé. En effet, un comptage de points ou d'heures dans un SEL peut s'apparenter à du travail au noir, voire à de la concurrence déloyale. C'est là que l'on voit que le moindre échange impliquant des questions de valeur (même l'échange d'un cours de guitare contre une heure de ménage) c'est une sorte de troc, donc une « économie réalisée par la fraude ». Une monnaie locale, même réduite à un tout petit groupe d'adhérant et sans équivalence avec l'euro peut être assimilée à du faux monnayage. Cela montre que l'argent est polymorphe (or, billet, coquillage ou heure) et que le commerce est un travail qui doit être rémunéré selon des normes communes, travail de l'employeur compris. En somme, la plupart des alternatives de gratuité peuvent être phagocitées par le système. Il faudra très vite être en mesure de prouver qu'une alternative de ce type n'utilise aucune "monnaie déguisée", se cantonne à du strict bénévolat et non à du travail rémunéré en nature ou en services. La seule chose de grave dans cette affaire c'est que l'infraction sanctionnée autant que l'autorisation d'ouvrir un espace de gratuité sera de facto une reconnaissance du système que l'on veut combattre et qui nous détruit...
      L'Etat a déjà un excellent arsenal pour contrer nos initiatives anticapitalistes ou postmonétairesles, les textes suivant étant suffisamment flous pour se transformer en redoutables "bâtons dans nos roues"!  
   Articles L. 8221-1 à L. 8221-8 du Code du travail (travail dissimulé)
       Articles L. 8224-1 à L. 8224-6 du Code du travail (sanctions pénales)
            Articles L. 8272-1 à L. 8272-5 du Code du travail (sanctions administratives)
                  Article 121-7 du Code pénal (complicité)
         Malgré tout cela, le texte de Vé"ronique fourmille de belles idées et de géniales initiatives. Nul doute que Véronique Perriot finira par se poser la question essentielle, comment sortir de l'économie marchande, de l'argent, de la valeur, du capitalisme, de l'échange marchand, bref, du système qui nous détruit depuis la nuit des temps !... C'est pour cela que j'ai classé son livre dans la catégorie "du pas suspendu de la cigogne". 

  

            

      

Le grand sabotage climatique, Fabrice Nicolino

Editions LLL, sept.2023

 

Nicolino.jpegQuatrième de couverture: La crise climatique menace de dislocation les sociétés humaines et les écosystèmes, mais on ne fait rien. Ou presque… Il y a des conférences internationales (les COP 21,22,23….), les scientifiques en  parlent et écrivent, des militants crient dans leur désert… Ce livre raconte les raisons de ce qu'il faut bien appeler un immense sabotage….
Fabrice Nicolino: Journaliste, proche du LCR, tient un blog bien fourni (Planète sans visa), s'occupe de la chronique écologiste de Charlie Hebdo…, bref un homme engagé, toujours sur la même ligne contestataire de gauche, cohérent et utile !... 

p.10 Les oubliés de l'écologie: Georges Perkins Marsh, "Man and Nature", 1864, en pleine guerre de Sécession, tout est possible, l'homme blanc avance… Marsh est le premier à vouloir donner aux choses de la nature une qualité de personne morale, le premier à avoir fait le lien entre l'industrialisation et la dégradation de la nature. Totalement inconnu aujourd'hui, à peine cité quelques fois par de rares  universitaires américains.  C'est en effet le premier écologiste, collapsologue, celui qui avait raison plus d'un siècle avant tout le monde. Le même discours que celui de Jared Diamond, 150 ans après lui. Quoi qu'il en advienne, quoi que l'on entreprenne, ce que l'on fait aujourd'hui pour éveiller les consciences finira par germer. La seule différence, c'est que l'idée de Marsh a eu 150 ans pour germer et que nous avons un temps plus limité, quelques décennies au plus… Cette réflexion s'adapte parfaitement aux postmonétaires. En 1888, l'américain Edward Bellamy imaginait qu'en l'an 2 000 la société était devenue a-monétaire et en explique le fonctionnement. Il imagine comment les tâches essentielles sont organisées, les problèmes qui subsistent et la profonde mutation des mentalités. Étonnant d'actualité ! (traduit en français et publié en 2017 par CSIP -autoédition géré par Amazon) 
p.14: Fairfield Osborn publie en 1948 une synthèse de la situation mondiale, "La planète au pillage". Parfait inconnu est visionnaire et a annoncé tout ce qui se passe aujourd'hui. Il a inventé le concept d'anthropocène avant tout le monde.  Son livre est traduit en français, voir éd. Babel poche, oct.2008. Ce que nous raconte Nicolino, c'est la même histoire que celle de l'américain Edward Bellamy, Cent ans après ou l'an 2000 écrit en 1887 et qui annonce la fin de l'argent et la naissance d'une autre société postmonétaire. On peut s'interroger sur les raisons qui rendent l'humanité à ce point sourde aux prophètes et ce qui rend tant de prophètes inaudibles…
p.21 Accouchement acrobatique de la première conférence: Le point de départ, c'est le premier Sommet de la Terre  à Stockholm en 1972
p.21 Du 4 au 13 décembre 1968 au siège parisien de l'UNESCO, réunion intergouvernementale d'experts consacrée à "l'utilisation rationnelle et la conservation des ressources de la biopsphère."  (300 bureaucrates, techniciens, scientifiques, politiques de l'ONU et des agences spécialisées  comme l'OMS,  FAO, UICN… On y parle des ressources naturelles menacées par l'homme alors que l'homme "en a besoin pour survivre".  
p.24 22 avril 1970, des millions d'Américains défilent pour le premier Earth Day qui illustre selon les journaux la quête de l'humanité pour sa propre survie. Même Pompidou adhère à cette idée en ouvrant la première voie express qui permet de traverser Paris en 13 minutes, à 60km/h sans un seul feu rouge, en évitant 23 ponts et avec 7 passages souterrains!!!
p.25 premier rapport Meadows en 1972: "Halte à la croissance". Il fait peur à Hayek (prix Nobel d'économie) qui parle de l'exploitation du rapport dont le prestige de la science peut être l'objet. (sic)
p.26 Les solutions technologiques émergent de suite: "pour faire vivre 7 à 10 milliard d'hommes sur cette planète, il faut faire un choix et ce choix se portera vraisemblablement sur l'énergie atomique." Le Tiers monde doit se moderniser, particulièrement sur l'agriculture, l'industrie, l'urbanisation!... Étonnant que cette vision soit toujours présente 50 ans après…
p.27 On lit dans Le Monde sous la plume de René Dubos: "Ce que nous appelons la nature, c'est ce qui a été créé par l'homme… Les problèmes d'environnement sont des problèmes humains et non écologiques."  Et 50 ans après le même type d'argument est utilisé partout, y compris pour la monnaie et l'échange marchand, deux catégories naturalisées en tant que production humaine. L'économie n'est pas à remettre en cause, il suffit de moraliser l'outil monétaire…
p.29 La question du développement (avec l'alibi humanitaire au sujet de l'Afrique sous-développée) s'aligne avec l'écologie. Un conseiller de l'ONU (resté anonyme) fait ajouter aux objectifs: "Il nous faut lancer un programme qui soit audacieux et qui mette les avantages de notre avance scientifique et de notre progrès industriel au service de l'amélioration et de la croissance des régions sous-développées."    Le premier blocage essentiel est désormais inscrit dans le marbre: l'écologie et le bien-être des humains viendra de la technologie et de la croissance. Nous en sommes toujours là, en 2023, au lendemain de la COP 28 à Dubaï. Et le pire c'est que cette perspective paraît aussi philanthropique que stratégique. Le développement qui va plonger le Monde dans le chaos écologique conclut Nicolino!
p.31 La COP 1 a permis de créer un registre des produits chimiques toxiques, une banque de gènes, et un carnet d'adresses. Et grâce à Nixon de l'argent est débloqué: une réserve de 100 000 dollars! A titre de comparaison l'Amérique a dépensé 120 milliards de dollars en défoliants chimiques et mitrailles en tout genres au Viêt-Nam.
Notons que l'argent est létal, qu'il manque drastiquement (pour éviter le pire) ou qu'il est en quantité astronomique (pour accomplir le pire). Le pire après le mésusage de l'argent, ce sont les Institutions internationales, sans pouvoir ni contrôles…
p.33 Le soporifique programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE) créé endécembre 1972.
p.34: Événements déclencheurs: la thalidomide en 1961, la marée noire du Trrey Cayon en 1967, la publication du rapport du MIT sous le titre "Halte à la croissance" en 1972. Le PNUE est dirigé par Maurice Strong et ça donne des conférences internationales avec des notables de seconde zone, sur notes de frais faramineuses,  dès 1973, loufoques et illisibles (1973, 1975, 1980, 1985, 1991). Une vraie novlangue bureaucratique!   On retrouve là un vieux procédé bureaucratique: face à un problème insoluble ou dont on n'accepte pas les solutions, on crée une commission!...
p.39: En 1986 est publié un "État de l'Environnement" qui annonce une augmentation des températures moyennes de 1,5° à 4,5° s'accompagnant d'une élévation du niveau de la mer de 0,20cm à 1,40m d'ici 2030. Qui a produit ce rapport, 3 ans avant le premier rapport du GIEC?     
p.44: Scandale de l'essence au plomb (le plomb ayant causé des millions de morts) défendu avec de faux rapports scientifiques par Esso, Général Motors, etc alors qu'il existait déjà l'éthanol qui rendait exactement le même service sans les dégâts.  

     Nicolino dresse le portrait de quelque hauts fonctionnaires de ces Institutions qui donnent le ton…
p.48 L'impayable Erk Solheim: Politicien norvégien né en 1955, puis à Paris au Comité d'Aide au Développement, service sous contrôle du FMI, de l'OCDE (club de riches n'entendant que faire de bonnes affaires). Puis propulsé à la tête du PNUE. Il s'installe à Nairobi en 2016 où le PNUE a son siège. Il est viré au bout de 22 mois pour avoir passé 80% de son temps ailleurs en dépensant 500 000 DUS en billets d'avion et hôtels. En outre, il fait des dépenses hallucinantes et place sa femme à la tête d'une société privée.  Il travaille alors pour le compte du gouvernement chinois (sur les nouvelles routes de la soie), toujours avec l'étiquette environnementale et écologique!!!
p.52: Sloheim à la télé chinoise en français déclare: La Chine s'est tournée vers l'environnement plus rapidement que n'importe quelle autre nation. Ce que la Chine a fait en sept ans nous a pris trois ou quatre  décennies en Europe et en Amérique du Nord."
p.53: Elisabeth Downdeswell en poste au PNUE de 1992 à 1998, ex ministre du Canada dans une province pratiquant l'extraction des sables bitumineux pollution comprise sans en dire un seul mot.
p.55 Klaus Töpfer (PNUE de 1998 à 2006) universitaire qui entre à la CDU, plusieurs fois ministre de droite en Allemagne         
p.56 Achim Steiner directeur PNUE de 2006 à 2016, il reçoit de nombreux prix mais, en bon libéral ne fait rien de notoire pour l'environnement. Puis il passe au PNUD (développement) et siège comme vice président au Conseil Chinois de Coopération International, chargé de conseiller la Chine en matière d'environnement et de développement et couvre quantités de tragédies écologiques chinoises.
p.59: Inger Andersen, danoise, directrice du PNUE depuis 2019, elle aussi vice présidente du Conseil chinois et toujours en poste. Elle est réputée pour être la championne au service des multinationales.
     Les discours de ces personnages et des entreprises où ils collaborent peuvent être classées dans les langues vernaculaires (locales et dans ce cas propre à l'ONU)! 
p.75 Exemple donné par Total-Énergie: "Total Énergies inscrit le développement durable dans toutes ses dimensions au cœur de sa stratégie et de ces projets et opérations pour contribuer au bien-être des populations de la planète et veut être une référence en matière d'engagement pour les Objectifs de développement durable".   On se demande pourquoi tant de jeunes étudiants boudent les propositions d'embauche de Total à la sortie de leurs études, au point que l'entreprise s'affole et fait monter les enchères!...
p.76: Dans le même temps Total met en route le projet d'oléoduc entre Ouganda et Tanzanie… (31 zones d'extraction, 426 puits et une usine de traitement avec un pipeline chauffé de 1 440 km, en partie dans  une zone protégée pour sa biodiversité (parc de Murchison Falls), 100 000 personnes qui vont perdre leurs terres agricoles (19 000 foyers annonce Total, comme si cela faisait moins de personnes!)
p.81: Le sommet de Rio (1992), c'est 182 chefs d'État et de gouvernements + les délégations nationales, + 1650 ONG représentées par 2 400 délégués et de milliers de forums en ville, en "off".  Il en sortira un rapport  de 800 pages, 2 500 recommandations, divisé en 40 chapitres mais peu l'auront lu en entier (même pas les rédacteurs).
p.82: Le sommet de Rio (1992), accouche d'un livre traduit en 15 langues: "Changer de cap (réconcilier le développement de l'entreprise et la protection de l'environnement". On y développe le nouveau concept coopératif de l'éco-efficience.
p.85 Et puis vint le GIEC, cette obscure clarté! Maurice Strong, depuis le Sommet de la Terre qu'il a lancé et présidé en 1972, sa participation active au rapport Brundtland en 1983, continue à avoir de profondes intuitions. Il crée en 1988 le GIEC grâce à sa position au sein du PNUE
p.88: Thatcher et Reagan s'affolent à l'idée d'un GIEC entre les mains de scientifiques  non seulement militants mais en plus critiques des politiques économiques officielles. Il faut que les États en soient partie prenante. Et ça change tout puisqu'aucun rapport du GIEC ne peut être publié sans l'accord des États.  
p.91: Le GIEC, c'est trois groupes de travail (pas de recherches). Chaque groupe rédige un rapport abscond de 1 500 pages où ils parlent en scientifiques à d'autres scientifiques. Ils fournissent ensuite un rapport de 30 à 50 pages "pour les décideurs des États", lequel fait de nombreux aller-retour jusqu'au consensus entre États et rédacteurs.  Les médias se contentent souvent du résumé de ces pages fait par l'AFP.  Nul ne doit se sentir viser, ni les Chinois à propos de leur charbon, ni les Américains à propos de leur "américan way of live".
       Nicolino nous offre là un bel exemple du rapport des forces en présence. Les scientifiques du GIEC  font un travail considérable pour dépouiller des milliers de rapports compliqués remplis de chiffres, de graphes dont on ne sait pas toujours quels protocoles ils ont suivi. Ils doivent en vérifier les sources, les hypothèses de bases et les conclusions, puis mettre tout cela en forme réduite accessible aux politiques rarement eux-mêmes scientifiques. Les intérêts des États sont tout autant inégaux: entre les USA et les Maldives, qui peut gagner la moindre bataille? Mais tous ces États, petits ou grands, sont imprégnés de pré-requis idéologiques, du néolibéralisme le plus conservateur au communisme le plus planificateur en passant par les spécificités culturelles du Bhoutan,  de l'Uruguay, du Malawi qu'on peine même à repérer sur une mappemonde!  Tout consensus a déjà la réputation d'être "mou", mais dans le cas qui nous occupe, le qualificatif approprié serait plutôt le "plus-petit-dénominateur-commun", ce qu'il reste après les objections des uns et des autres…  On ne peut que saluer l'acharnement de la communauté scientifique du GIEC, mais de là à prendre leurs rapports comme parole d'évangile…  Ce n'est qu'au fil du temps, donc toujours trop tard, que l'on peut découvrir l'aggravation d'un point particulier. Le réchauffement de la planète en est un bel exemple qui, partant de +1,5°C, se rapproche de plus en plus vite de +3°C. En outre, les scientifiques qui alimentent les études du GIEC sont eux-mêmes soumis à des impératifs budgétaires, aux politiques de recherches de leurs gouvernements respectifs. Cela explique certains aspects oubliés ou occultés, comme par exemple la fonte du permafrost dans toutes les zones froides qui pourrait bien changer brutalement les pronostiques les plus sérieux et rapprocher dangereusement l'approche d'un effondrement.
p.98 Qu'est-ce qu'un point de basculement?  C'est ce qui arrive quand on est dans la fiction. Dès novembre 2019 un rapport non traduit intitulé Production Gap  constate que le monde aurait dû réduire ses émissions de 7,6% chaque année alors que celles-ci augmentent. On est donc très loin du "Grand succès de la COP de Paris". Et c'est sans compter les boucles de rétroaction positive: un phénomène isolé (donc pas pris en compte) aggrave la perturbation globale, qui elle-même revient au point de départ en le renforçant. C'est ce qui risque d'arriver avec le permafrost qui contient 1 500 milliards de tonnes de GES.
       Pour autant les stratégies ne changent pas d'un iota… Ce qu'un ministre authentiquement écologiste (il y en a eu au moins un, Yves Cochet par exemple) n'a pas réussi à faire, les militants ordinaires continuent à le réclamer aux gouvernements successifs. D'où vient cet aveuglement des militants demande sans cesse à des sourds de les entendre? D'où vient cet aveuglement qui fait croire au peuple que ces milliers de politiques "œuvrant" au sein de ces lointains organismes officiels sont en mesure d'améliorer leur sort? D’où vient l'aveuglement des médias qui invitent ces "impuissants" sur leurs plateaux ou dans leurs colonnes pour se faire expliquer ce qu'il serait bon de faire pour sauver le monde?...       
p. 117 Christiana Figueres occupe le poste de la CCNUCC entre 2010-2016.Elle vient de l'oligarchie du Costa Rica, petit pays roi de l'écotourisme mais aussi le pays qui utilise le plus de pesticides au monde (20kg par ha contre 3,4 pour la France). A la COP  16 à Cancunelle invoque les dieux des Mayas mais déclare plus tard que le charbon est la solution au dérèglement climatique!
p.129: Aussi longtemps que l'UICN aura besoin de rapports répétant la même chose, de voter des résolutions sur des programmes gouvernementaux, de peaufiner des stratégies mondiales, ce sera le néant.
p.134 Maurice Strong occupe une place à part dans le livre de Nicolino en tant que parangon de l'hypocrisie.  Septembre 2020, congrès de l'UICN à Marseille: en 72 ans l'UICN a tout raté mais continue "à lutter contre l'érosion de la biodiversité pour parvenir à un développement vert, résilient et inclusif" Maurice Strong qui fête son 80ème anniversaire est présent, salué pour ses réalisations". Le président de l'UICN rappelle que "la plus grande cause de la pression insoutenable sur la terre est une croissance démographique incontrôlée?"  Putain de pauvres qui baisent comme des lapins!!! Mais ailleurs il ose déclarer:
p.137: «Je ne conteste pas la réalité démographique mais le problème crucial est bien celui d'un système économique délirant, inventé au Nord pour son plus grand profit, puis étendu au Sud dans des conditions désastreuses, mélange inextricable d'inégalités, d'injustices, de corruption et de destruction des écosystèmes. Le malheur, c'est le pouvoir sans contrôle des transnationales et le tournoiement sans fin de milliards d'objets inutiles par un commerce mondial qu'elles ont créé et continuent à dominer.» 
     Un de plus à faire ce juste constat sans encore en tirer les leçons. Il n'y a aucune raison pour que le système monétaire et marchand change de politique de lui-même et les profits sont tels que le seul moyen de les arrêter c'est de stopper ces profits. Tant qu'il y aura de l'argent et du commerce, il en sera ainsi et il faudra bien que les intellectuels, observateurs du massacre, l'admettent et écoutent les propositions des postmonétaires.
p.138: C'est une réunion d'amis qui a accompagné Maurice  Strong depuis 1972 à 2015. En tant que sous secrétaire à l'ONU, spécialiste de l'environnement et du développement, il n'a fait en réalité que la promotion de sa carrière.
p.169: Le président d'UICN de 2020 (Ruud Lubbers) qui encensait Strong a dirigé une grande entreprise de BTP, puis est devenu ministre pendant 8 ans, puis a tenté la direction de l'OTAN et, à défaut, a choisi l'UICN…
p.143-146 Le WWF est indissociable de tout ce qui précède. C'est l'argent du WWF qui renfloue l'UICN menacé de faillite en 1975.
       Quatre pages en encadré rappelle les sommités qui ont œuvré au WWF (une belle brochette de personnage pour le moins troubles), les "accidents de parcours" qui ont secoué le WWF mais sans aucune sanctions….(greenwashing pour camoufler des déforestations, des déplacements de population, des tortures et tabassages de pygmées en plus de salaires allant jusqu'à 60 000€ par mois pour les cadres…

p.147 Maurice Srong, Janus à deux visages:
p.148: Site perso: https://www.mauricestrong.net/ né en 1929 au Manitoba (Canada) traumatisé par la grande dépression de 1929 (sans précision de la situation familiale dans les années suivantes). Strong a répandu la légende d'une enfance où il ramassait les boulets de charbon tombés des trains pour chauffer sa famille (un chef de gare et une institutrice…). A 14 ans, grâce à un maître inspiré il a le niveau pour entrer à l'université (sic) mais préfère quitter sa famille et traverse les lacs en passager clandestin pour entrer dans la marine marchande. Vers 1943 il rencontre Churchill et Roosevelt  à bord d'un navire qui rédigent une charte prélude à l'OTAN  et le jeune homme décide que ce sera sa vie: apporter la paix et la justice au Monde! (sic) La rencontre de ces deux hommes était en 1941 donc Strong avait 12 ans! Admettons…  La saga du personnage que nous présente ici Nicolino ne manque pas de saveur. C'est isiblement une légende montée de toute pièce pour la gloire de ce personnage. Les dates ne collent pas, l'enchaînement des événements de son ascension non plus. Ses activités sont totalement contraditoire, à la fois pour la décarbonation et producteur de pétrole, il s'attache à des politiciens peu nets et déplore les effets nefastes des grands projets d'infrasctrucre de ces mêmes politiques. Il siège au CA de Rockefeller en tant que gestionnaire immobilier et prétend oeuvrer pour la "révolution verte" au Mexique et en Inde (d'ailleurs une catastrophe écologique). On peut se demander comment un tel personnage a pu être recommandé au poste de sous-secrétaire général de l'ONU! A peine en place, Strong acquiert 40 000 hectares de terres dans le Colorado au motif qu'il y a une importante nappe phréatique en-dessous. Il fnde la société Water Development qui déchaîne la colère des écologistes et agriculteurs locaux et qui fait vite faillite. Comment se fait-il que cet homme rate tout ce qu'il fait mais reste adoubé par des gens comme Schwab, comme le président de la banque mondiale et finit par mourir en laissant derrière lui l'image d'un "grand visionnaire écologiste capable de changer la face du monde" (sic). Il faut lire cela en détail (un vrai film de série B) pour comprendre que le ver est dans le fruit de l'ONU, de la BRI, de la Banque mondiale, des gouvernements et que le fric permet tout....       
Une autre célébrité mérite les honneurs de ce livre:

p.167: Stephan Schmidheiny, criminel et philanthrope:      
         Cet homme hérite de la société Eternit (amiante) fonde un usine en Italie qui pollue toute la vallée et cause des milliers de morts. Cette affaire lui vaut 18 ans de prison qu'il n'effectue pas. Alors qu'il n'assiste à aucune audience, ni à son procès ni en appel, la cour de cassation annule sa condamnation. Il est de nouveau condamné à 12 ans de prison qu'il ne fera pas car il est "très occupé avec ses 120 000 héctares de terre au Chili, terre volé par Pinochet aux indiens Mapuche! Alors qu'il fait déboiser illégalement la forpet amazonienne, le magazine Forbes le présente comme un entrepreneur philanthrope suisse.... Schmidheiny a publié un livre intitulé "Changer de Cap" et son grand ami Strong le félicite d'y avoir écrit : « L'éco-efficience consiste à offrir des biens et des services à des prix compétitifs qui répondent aux besoins des hommes et leur apportent une qualité de vie, tout en réduisant progressivement les impacts environnementaux  et la quantité de ressources naturelles nécessaires tout au long du cycle de vie des produits pour atteindre finalement un niveau qui soit en harmonie avec ce que peut supporter durablement la planète.» Plus faux-cul que ça, tu meurts! Et tant qu'il y aura de l'argent il y aura des Strong et des Schmidheiny, admettons-le!  
p.178: En Italie, les victimes de l'amiante-Eternit ont été stupéfaites d'apprendre la présence de schmidheiny, leur bourreau, au Sommet de la Terre de Rio en 1992! Leurs lettres et protestations auprès de l'ONU n'ont rien donné.
p.179: Seul le Conseil fédéral suisse a répondu au victimes: « Monsieur Stephan Schmidheimy ne faisait pas partie de la délégation suisse. Le Conseil fédéral ignore s'il a participé à la conférence à titre privé. Vu qu'il n'a en aucun cas représenté la Suisse dans le cadre du Sommet de l'ONU, rien ne porte à croire que sa présence puisse avoir des répercussions sur l'image de notre pays.» Le langage diplomatique pur style!  En somme la Suisse se moque bien qu'un de ses ressortissants soit responsable de la mort de milliers de personnes s'il ne nuit pas à son image… 
p.193: Ce que savaient vraiment Total, Shell, Exxon et les autres.
p.199: Total et Elf ont trouvé en Dominique Strauss-Kahn leur sauveur, alors ministre de l'industrie en 1991 puis de l'économie en 1997 qui fera tout ce qu'il peut pour torpiller l'idée de la taxe carbone.
p.201 Au moment du protocole de Kyoto en 1997, le PDG d'Exxon Lee Raymond affirme, sachant très bien qu'il ment: Il est peu probable que la prise de mesures, aujourd'hui ou dans 20 ans, influe significativement sur la température au milieu du siècle prochain. 
Nicolino tente de comprendre comment fonctionnent ces cerveaux malades…, nous aussi, à part que nous avons compris que le système monétaire donne un pouvoir immense à ces gens là et prive les usagers de toute maîtrise de leurs propres usages!....  

p.215: Dans la tête de Strong et Schmidheiny:
p.218 En supprimant les mots, on supprime la pensée qui ne saurait s'en extraire. La langue appauvrie des Strong et des COP est un chef d'œuvre de novlangue: Développement durable, éco-efficience, économie verte, économie circulaire, neutralité carbone, transition énergétique: répété ad nauseam, on ne s'aperçoit plus que cela ne veut rien dire… Freud parlait du "clivage du moi": la psyché voit et accepte le réel, l'autre partie de la psyché remplace le réel par ce que dictent les désirs  profonds. Une déchirure vitale… dissociation… 
p.219 Le déni semble nécessaire aux humains qui les a, des milliers de fois dans leur histoire commune, aidé  à faire face à une réalité trop menaçante. C'est un moyen de rassembler le groupe et de continuer à avancer. Mais le déni de la marche actuelle vers le mur se retourne contre nous tous car il tétanise les sociétés au moment où il faudrait les mettre en mouvement, à marche forcée. Mais rien n'exonère ceux qui sont dans le déni et quand les actes sont criminels, on peut et on doit chercher les coupables.
         C'est sans doute la limite de la pensée philosophique de Nicolino. La recherche des coupables, c'est aussi un déni. Par exemple, tout axer sur le 0,01% des plus riches qui seraient la cause des malheurs des 99,99% autres humains, cela ressemble bien à la tactique du bouc émissaire. Certes, cette petite minorité à construire le désastre, est sans doute énorme et partage assez bien la responsabilité du désastre. Mais, le système que les 99,9% acceptent comme un mal nécessaire et auquel ils participent permet ce grand cirque, pour ne pas dire qu'il l'induit mécaniquement. Il faut bien reconnaître avec Chomsky que la "fabrique du consentement" n'est pas un concept abstrait mais une réalité bien partagée. Et dans ce cas, le constat des dérives ne change rien, la critique du 1% et l'action militante non plus. Seule une remise en cause du système monétaire (et non pas du seul capitalisme) peut changer les rapports de force....   
p.225: Un mot me vient, celui de simulacre, une apparence qui ne renvoie pas à la réalité mais prétend la représenter. Platon l'avait déjà compris avec l'éikôn (l'icône, l'image) et le fantasma (le faux réel, le simulacre, le trompe l'oeil). Distinguer le vrai du faux est devenu difficile. L'informatique en a rajouté une couche avec la possibilité de coller truquer les voix sur une vidéo, de modifier l'apparence d'un personnage, de décontextualiser une situation, etc.      
Si le smarphone a réussi à gagner l'adhésion de la grande majorité, c'est peut être parce qu'il rend des services incontournables en plus du téléphone (toutes les fonction d'un PC, plus le GPS, l'accès aux sites plus rapide, des jeux, des photos et vidéos d'une qualité meilleur que la plupart des appareils dédiés…), mais à quel prix (financier, en addiction, en problème d'audition et de vue, en sociabilité… Mais la question est peut être d'imaginer ce que deviendrait le smartphone et les réseaux sociaux sans l'argent...
p.231: La géniale invention du "développement durable", aussitôt adoptée par les destructeurs des écosystèmes, valut à Strong une reconnaissance "universelle". Mais sachant que le système contraint à la croissance perpétuelle, il est normal que les possédants finissent par détruire les écosystèmes. Ils y sont contraints comme le citoyen lambda est contraint de consommer et de produire aussi des dégâts. 
p.235: Aux Etats-Unis, il est clairement démontré que le climatoscpticisme a été pensé, organisé, financé par l'industrie et des groupes politiques de droite, dont les libertariens. Mais les libertariens sont eux-mêmes pris dans la logique monétaire. L'abolition de l'argent serait une bonne chose pour la planète mais la fin du modèle sur lequel nous vivons depuis le siècle des lumières. On peut comrendre que cela dérange beaucoup de monde: les milliardaires, les entrepreneurs, les maffieux, les politiques, les ingénieurs, les partis politiques, tous ceux qui sont en passe d'accéder à la classe sociale suipérieure, etc. Alors, tous les moyens sont bons pour retarder la prise de conscience de l'aspect létal de l'argent et de l'échange marchand: les mots, le déni, le chantage, la répression, le dénigrement, le mythe de la réforme, la durabilité, la compensation écologique, la décroissance sans changer le système, la transition douce, les normes environnementales, les commissions et institutions-usines à gaz-inutiles, la bonne gouvernance, etc.
p.303: La simplicité est la pire chose (voir la lettre volée de Poe). De même la crise climatique: son moteur c'est la production, la consommation, l'accumulation sans fin de milliards d'objets matériels dont nos aïeux se sont constamment passés. Telle est la base du désastre aggravé dans des proportions gigantesques par un commerce mondial qui suit sa route et la suivra jusqu'à la mort de tout et de tous. Pourquoi aucune force politique constituée ne s'attaque-t-elle à cette nouveauté radicale? J'ajoute que je suis pour la distribution radicale des richesse. 
     L'idée d'une distribution ou d'une répartition des richesse est aussi vieille que l'argent. Il serait bon de se demander pourquoi la même juste et bonne volonté de limiter les inégalités sociales se retrouve dans la Bible (l'idée du jubilé, vers 1200 av. J.-C.) et chez Jacques Dubois (l'&conomie distributive,1934) sans que rien n'ait fondamentalement changé.  Vous y êtes presque cher Nicolino. Presque..., parce que l'argent des industriels pourrait aussi bien financer les maraîchers bio, les producteurs de fruits, de lait, de viande, de poissons, tous les produits sains que l'on peut produire localement et répartir dans des magasins gratuits où les scmicards viendraient se servir sans sortir le moindre centime. D'ailleurs, à quoi sert de dépenser des compteurs d'eau, de gaz, d'électricité pour facturer aux plus pauvres des consommations dérisoires qui de dépassent même pas le coût des dits compteurs ? T

p.327: Lettre à des jeunes gens sur le destin du monde:
p.328: Je sens monter, comme d'autres, un très considérable mouvement de la jeunesse qui rebattra enfin les cartes décisives, mais lesquelles? Celles de l'argent, de la valeur, de l'échange marchand et du marché, de l'Etat centralisé  et quelques autres choses de même importances... Certains sont dans le déni climatique, d'autres sont dans le déni de voir que l'argent associé à la justice, à l'agamité, à la paix, c'est le suprême oxymore!  
p.329: Vous vous levez déjà et pour un vieux combattant, c'est un immense soulagement. Il faut d'abord se mettre d'accord sur l'adversaire qui est le nôtre.  Lequel?... C'est dur pour des vieux militants de changer de cible. Il ne sert plus à rien de se battre contre le capitalisme, il faut abolir le système qui l'a produit 
p.330 La révolte doit être totale. Fabrice cite Louise Michel,  Reclus,Goldmann, Makhno, Durriti... Presque tous anarchistes. C'est un bon point de départ si les anarchisrtes d'aujourd'hui reviennent à leurs fondamentaux au lieu de défiler dans la rue pour le pouvoir d'achat!  
p.331: L'heure est venue de bruler les vaisseaux pour qu'il n'y ait pas de retour en arrière possible.  Nous devons inventer des formes nouvelles, adaptées à ce que l'homme n'a jamais connu. La crise climatique ne peut être combattue avec les armes du passé, quand on croyait les sociétés humaines impérissables. Bravo Fabrice, il ne te reste plus qu'à désigner le bateau, celui de l'argent et du commerce qui doit impérativement être coulé. On nous a assez  menés en bateau! Et les armes du passé sont franchement obsolètes. Les jeunes ont beau y mettre toutes leurs forces, leur enthousiasme, leur inconscience du danger, il leur manque un récit fédérateur et un ennemi clairement désigné…Par exemple l'argent qui est le paradigme chapotant tous le reste.....