Jacque Fresco - La prospérité sans en payer le prix

Venus Project, éd. Global cyber Visions 2013, 220p.

 

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Jacques Fresco (1916-2017) était un ingénieur américain, précurseur dans le domaine du Design industriel et dans l’ingénierie des facteurs humains. Il avait aussi travaillé comme conseiller technique pour un certain nombre de longs métrages. Ses créations et ses idées ont été présentées au cours de nombreuses émissions de télévision et de radio dans le monde entier, et des articles à son propos sont parus dans de nombreuses revues et journaux nationaux et internationaux. Il était fondateur et directeur du Vénus Project, une tentative d'instaurer un système global socioéconomique de coopération sociale: une économie basée sur les ressources et non sur le profit. Ses facultés oratoires et sa vision idyllique d'un avenir technologique radieux lui ont valu une notoriété internationale et de nombreux collectifs se sont constitués un peu partout, y compris en France avec le mouvement EBR-T, en Allemagne avec le mouvement Zeitgeist. Son projet de ville modèle était prévu sur un terrain de 8,7 ha au centre de la Floride (près de la petite ville de Venus) autour du centre de recherche qu'il y avait construit.

 

Avec les questions environnementales, l'émergence de la collapsologie, la défiance croissante vis-à-vis de la technologie et l'échec de la réalisation concrète d'une véritable ville gérée selon les principes de "l'économie basée sur les ressources", le mouvement s'est quelque peu délité, à la mort de son initiateur. Il a repris depuis une vigueur intrenationale inattendue.    Le côté technologique a sans doute perdu quelques plumes, mais le côté économique, social, politique lui, est porteur du véritable projet révolutionnaire sous le label EBRT  (PS: les numéros renvoient aux bas de pages du texte et non à la numérotation du PDF.)

p.3: Avant propos de Sébastien Bages : Jacque Fresco travaille depuis plus de soixante-seize années aux possibles d’une société nouvelle et émergente, sans jamais avoir pris de vacances […] Il est le seul à offrir une vision globale, prenant en compte l’intégralité des paramètres naturels existants et imprévisibles. […] Allié à l’outil science et à un génie décrit par ses pairs comme l’égal de Da Vinci, monsieur Fresco témoigne d’une inventivité sans frontière…

Présentation quelque peu dithyrambique qui a au moins la vertu d'illustrer la fascination qu'a exercé Fresco parmi les militants en recherche d'un autre monde plus juste, plus viable…

p.5: La découverte de la terre comme une belle sphère au sein du cosmos nous a amené à avoir cette importante prise de conscience, que tous ceux qui partagent cette planète forment une seule communauté. Reste à définir ce que nous ferons de cette petite planète et de cette prise de conscience de la globalité de l'humanité… La technologie, peut-elle être révolutionnaire au point de susciter un "progrès social" ou au contraire une vision de démiurge qui nous mènera à l'effondrement. C'est la question qui suscitera la scission entre technophiles et technophobes. C'est aussi l'intérêt qu'il y a, à relire le livre de Fresco, une décennie après sa parution française.

p.6: De nouvelles découvertes et inventions apparaissent à un rythme encore jamais vu dans l'histoire et qui ne cessera d’augmenter dans les années à venir. […] Ainsi, face à des propositions induisant des changements dans leur façon de vivre, les gens réagissent la plupart du temps de façon négative. Pour cette raison, quand il s’agit de l'avenir, ils sont très peu à explorer ou à envisager de modifier notre structure sociale et encore moins nos valeurs.

C'est un constat qui là aussi ne dit rien quant au risque de dérive mortifère ou de progrès humain. Les deux options sont possibles à ce rythme effréné. "Les gens" (toujours les autres) s'accrochent donc aux valeurs du vieux monde. Problème de stratégie ou de nature humaine?... Je pense surtout qu'il s'agit d'un problème d'anachronisme: Fresco fait partie de la génération née et formée dans la meilleur période de l'explosion technologique. Dans les années 1950-80, on pouvait tout espérer des innovations techniques, aussi bien dans les occupations "ménagères" que dans l'exploration spatiale, on ne pouvait rien savoir de TikTok, de ShatGPT et des OGM. Le reprocher à Fresco relève bien de l'anachronisme, autant que ne pas comprendre le contexte de son temps. Dans cette critique du livre, nous nous attacherons à trier ce qui date et ce qui reste d'actualité…

p.7: La plupart des écrivains du vingtième siècle ayant pensé le futur en ont présenté une vision brouillée par leurs égos nationaux ou personnels, sans saisir l'importance et la signification de l’application de méthodes scientifiques au système social.

J'ose faire remarquer que nous avons depuis longtemps un parfait exemple d'application de méthodes scientifiques au système social: l'économie qui s'est auto-inféodée aux mathématiques au point d'aboutir à un système totalement déconnecté du réel que ses concepteurs eux-mêmes ne comprennent plus. Mais là encore, c'est un fait nouveau dont Fresco ne pouvait imaginer à quel point il allait devenir caricatural.

p.15: Nombre de ceux d'entre nous réfléchissant sérieusement à l'avenir de la civilisation humaine connaissent bien les mornes scénarios de ce nouveau millénaire; un monde où le chaos et le désordre s’installent, où la démographie explose et où les ressources naturelles s’amenuisent.

Soit! On ne pourra pas dire que Fresco était inconscient du risque d'effondrement global. Mais Fresco est un "croyant" du progrès technologique, c'est de son temps, contrairement aux jeunes ingénieurs des grandes écoles qui, aujourd'hui "bifurquent" vers l'artisanat, le maraîchage, en travaillant plus pour gagner moins mais vivre bien!

Nous appelons à une refonte pure et simple de notre culture dans laquelle les problèmes séculaires de la guerre, de la pauvreté, de la faim, de la dette et des souffrances inutiles sont considérés non seulement comme évitables, mais aussi comme totalement inacceptables. Certes, mais est-ce un problème axiologique ou technologique?

p.9: Une nouvelle conception pour le futur: Le facteur humain selon Fresco est pourtant oublié par les décideurs. Or,… la technologie, la politique et l'automatisation perdent toute valeur si l'homme ne les accepte pas et ne leur fait aucune place dans sa vie quotidienne. Ce qui est assez nouveau, c'est que l'humanité qui jadis croyait aux vertus de ces trois choses, s'en défie de plus en plus, s'en détourne (retour au naturel et au lowtech, abstentionnisme électoral et fuite des partis, crainte des robots et de l'IA). L'air du temps de Fresco a changé!... Il y a peut être plus de livres dystopiques que de livres utopiques.

p.10: Pour cela, l'utilisation des ordinateurs nous aidera à définir quelles sont les manières les plus philanthropes et appropriées de gérer les affaires environnementales et humaines. Et dans le même temps, on voit plus de discours sur la prise de pouvoir des ordinateurs et leurs algorithmes que sur l'outil fabuleux qui tout aussi bien peut gérer intelligemment les ressources. En réalité, le numérique n'est ni bien ni mal, il peut aboutir aussi bien à une société de contrôle et d'asservissement qu'à un monde meilleur… La thèse que défendent beaucoup de postmonétaires (mais pas tous) c'est que l'ordinateur peut être un outil fabuleux dans une société intégralement dé-monétisée, dé-marchandisée, mais restera un évident danger tant que continuerons à croire que l'argent et l'échange marchand peuvent être régulés…

Grâce à l'intelligence artificielle, l'argent pourrait même devenir inutile, particulièrement dans une civilisation de l'énergie où l'abondance matérielle réduirait à néant toute notion de pénurie. Le temps est venu où les méthodes scientifiques et technologiques sont en mesure d'apporter l'abondance à tous. La première proposition est évidente. Sans l'IA, la gestion des ressources poserait un problème quasi insoluble. La tentative planification des productions via les "Mercuriales" au XIX° siècle n'a jamais fonctionné, pas plus que la "planification" dans l'URSS. De nombreux penseurs, jusque dans les années 1980, ont imaginé une société sans argent mais se sont heurté à ce problème au point d'abandonner leur "utopie". Aujourd'hui, cette utopie avec l'outil numérique entre dans le registre de la faisabilité. Ceci dit, les méthodes scientifiques et les technologies restent des outils capables d'user du numérique à des fins purement commerciales, pour le plus grand malheur de l'humanité et des écosystèmes. Le couple technologie+argent est le pire des modèles, bien plus que la technologie sans argent ou que l'argent sans la technologie.

11: Notre époque exige que nous déclarions les ressources mondiales patrimoine commun de l'humanité. Cetteidée est excellente, à ceci près que c'est contraire à toute ce qui fonde notre civilisation, la propriété privée exclusive de tout ce qui vient de la nature. Les industries extractivistes (énergie, agriculture, mines, pêche, etc. Ne payent pas ce qu'elles prélèvent et n'incluent pas ces richesses dans leur comptabilité, même pas dans le prix de vente de leurs productions. C'est un appel au gaspillage, aux profits indécents, à la guerre pour accaparement des ressources, etc. Mais comment y parvenir sans sortir de l'économisme marchand? Je dirai même de toute sorte d'économie: quand bien même elle serait sociale et solidaire, le résultat serait aussi piteux que le souci de démocratie qu'il est de bon ton d'affirmer à tort et à travers.

P13: Les nouvelles valeurs d'une culture émergente. Fresco nous propose ici une "expérience de pensée": on vous offre une planète viable, riche en ressource et vierge de toute occupation. Qu'en faites-vous? J'aime beaucoup les expériences de pensée car elles nous autorisent à imaginer sans barrières et ouvrent donc le champ des possibles.

Bien que des individus tels que Platon, Edward Bellamy, H.G.Wells, Karl Marx et Howard Scott aient tous tentés de concevoir une nouvelle civilisation, ils furent considérés par l'ordre social établi comme de doux rêveurs aux conceptions utopiques s'opposant à la nature humaine. Et c'est normal, quand il s'agit de sortir d'une tradition millénaire, de s'attaquer aux fondements d'une civilisation. Il faut vraiment que la situation soit désespérée et qu'une proposition particulièrement attractive émerge pour qu'une majorité accepte le changement… Un tel choix n'est plus technique, analytique mais civilisationnel et systémique et ce n'est pas tout les siècles qui peuvent aboutir à ce type de révolution que l'on est habitué à qualifier de "révolution copernicienne". Ni le Grand Soir, ni l'arrivée d'un homme providentiel ne sont un recours suffisant!

p.16: Un grand nombre des valeurs dominantes façonnant notre société actuelle sont en réalité moyenâgeuses.

p.17: Par le passé, beaucoup de réformateurs sociaux et de ceux que leurs détracteurs qualifient d’agitateurs n'étaient pas des individus inadaptés et en colère.

p.18: Il est bien plus facile pour les leaders de contrôler une population où règne la conformité. Les discours de nos dirigeants sur les libertés qu'offre la démocratie ne sont que des paroles en l'air. Ils soutiennent en réalité une structure économique qui enferme peu à peu les citoyens dans une prison de dettes.

p.19: Depuis les anciennes civilisations jusqu’à nos jours, les plupart des individus ont toujours dû travailler pour vivre. Notre attitude vis-à-vis du travail provient en grande partie de ces époques reculées.

p.20: C'est pourquoi il nous faut envisager des alternatives améliorant nos modèles sociaux, nos croyances, ainsi que la qualité de la vie, des solutions garantissant la sécurité et un futur durable pour tous.

Dans ces quatre pages, Fresco décrit parfaitement la situation propre à tous les changements de cycles que l'humanité a connus. Il en explique la difficulté en toute conscience, mais ne voit pas tous les biais cognitifs que son analyse recèle inconsciemment. Et c'est normal: il est clairement du XX° siècle alors qu'une autre génération émerge qui elle pense dans des critères du XXI° siècle. La brusque émergence du smartphone en est le symbole et Michel Serres ne s'y était pas trompé en la qualifiant de génération "petite poucette". Les successeurs de Fresco sont souvent eux-mêmes prisonniers de l'engouement suscité par Fresco et sont tenté de tout prendre de lui, à la fois ce qu'il y avait de révolutionnaire et ce qui n'était que survivance du passé. Aujourd'hui, tout l'intérêt de ce livre est de permettre à nos contemporains du XXI° siècle d'opérer ce tri indispensable et, très logiquement, certains pourront le faire, d'autres pas.

p. 21: Un langage pertinent: Même aux États-Unis, pays supposé technologiquement le plus avancé du monde, une orientation commune et clairement établie fait défaut.

p.22: Nous parlons beaucoup de développement global et de coopération globale, mais le terme « global » reflète ici les intérêts propres à chaque nation et non ceux de tous les peuples. […]Beaucoup d'entre nous manquons des compétences nécessaires pour communiquer logiquement lorsque nous sommes trop investis émotionnellement dans un résultat.

p.23: Nous avons besoin d’un langage qui corresponde intimement aux besoins humains et environnementaux. Un tel langage est déjà utilisé dans les communautés scientifiques et technologiques et il est facile à comprendre pour beaucoup.

Tout est dit dans ces quelques phrases: Les plus avancés scientifiquement et technologiquement (aux USA par exemple) sont démunis face à l'enjeu actuel. Nous utilisons des mots creux, vidés de leur sens ancien ou pas encore adaptés aux usages actuels: durable, croissance, environnement, anthropocène, démocratie…. La liste de ces mots est longue et c'est un véritable dictionnaire qu'il faut réécrire… Le Larousse du XX° siècle est écrit dans une langue devenue étrangère à la réalité… Continuer à l'utiliser sans mise à jour serait aussi étrange que de se servir de la seule l'encyclopédie Diderot et d'Alambert pour inventer le XXI° siècle. Quantité d'innovations technologiques et scientifiques ont eu des effets qu'il était impossible à prévoir et qui ont changé nos comportements, des plus intimes aux plus sociaux, longtemps après leur découvertes. C'est le cas de l'effet des propriétés du quatrz découvert par Pierre et Jacques Curie en 1880 qui restera plus de trente ans une "curiosité de laboratoire" et appliqué techniquement qu'au cours de la seconde guerre mondiale. Et la première montre à quartz date de 1967, soit 87 ans après les études des frères Curie!... A l'inverse, les premiers modes de calcul ont été à base 60 dans l'Antiquité mésopotamienne. Il a fallu attendre la révolution française pour que s'impose le système décimal, mais en 2024, on vend encore les œufs et les huitres par 6 ou 12, on calcule l'heure en seconde et minutes, la pureté de l'or en carats, la typographie en points, pouces et lignes, autant de survivance de l'antique système sexagésimal (base 60)…

p.33: Les gens doivent-ils vraiment se tourner vers la science pour trouver des réponses alors que la plupart ne sont pas suffisamment outillés pour formuler correctement les problèmes ou même pour comprendre les questions? On ne peut que souscrire à ce souci d'enseignement du plus grand nombre, mais c'est sans compter avec la liberté de pensée que cela induirait. Or, un peuple intelligent est un peuple autonome qui a assez de pouvoir pour contrecarrer toute velléité oligarchique et technocratique, ce qui ne favorise pas le capitalisme. L'abolition de l'argent, de l'échange marchand et donc du pouvoir qu'il donne aux plus riches est le préalable que semble ne pas percevoir jusqu'ici Fresco.

p.34: Notre seul espoir de fonder une nouvelle civilisation repose sur l'acceptation de notre responsabilité dans l'amélioration de nos vies. Cela nécessite une connaissance, une compréhension et une intelligence plus profondes des relations que l'humanité entretient avec les processus naturels de l'évolution. Sauf que c'est un serpent qui se mord la queue: une nouvelle civilisation nécessite la responsabilité du plus grand nombre, la responsabilité dépend du type de type de civilisation que l'on s'est donné….Le choc entre deux civilisations, l'une ancienne et l'autre nouvelle, n'a jamais été et ne sera jamais un long fleuve tranquille!

p.35: De nouvelles frontières pour le changement social Aucun système ne reste statique bien longtemps. Malheureusement, les changements ne constituent pas forcément des améliorations. […]L’histoire de l'humanité est celle du changement, lequel est soit le fruit de circonstances naturelles, soit d’une intervention humaine.

p.36: Néanmoins, à chaque étape, le changement technologique se heurte aux intérêts personnels. […] l'ordre social établi cherche-t-il à se perpétuer. […] En quelques dizaines d'années seulement, le transfert d’informations s’est déplacé du télégraphe aux transmissions sans fil par ordinateurs, lesquels abritent des trillions de bits de données et les diffusent en tous points du globe de façon immédiate. […]

P.37: Il est peu probable que les citoyens du monde soient capables de saisir la portée d’un tel changement […] Dans les dix prochaines années nous pourrions assister à plus de changements que dans toute l’histoire connue.

p.38: Dans une situation dangereuse, la plupart des gens prennent conscience de ce qui les aidera le mieux à survivre. […] Pour le moment, aucun groupe de réflexion ne se réunit pour explorer de quelle façon faire converger l'organisation sociale avec les récents progrès de la technologie.

p.39: La plupart des gens croient que si la société s’effondre, le gouvernement assurera leur survie. Mais c’est fortement improbable. […] même dans les démocraties modernes, les dirigeants ne sont pas élus pour améliorer les vies des gens moyens, mais pour maintenir les postes privilégiés occupés par certains dans l'ordre en place. […] Le vrai changement social se produit lorsque les conditions se détériorent au point que les gouvernements, les politiciens et les institutions sociales n'ont plus le soutien ni la confiance du peuple. Voilà bien ce qui ressemble aux discours des collapsologues et de certains écologistes radicaux, d'où le définition de l'effondrement donnée par Yves Cochet : « le processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, mobilité, sécurité) ne sont plus satisfaits pour une majorité de la population par des services encadrés par la loi. Ce processus concerne tous les pays et tous les domaines de l’activité humaine, individuelle et collective ; c’est un effondrement systémique mondial. »

p.40: Les solutions à nos problèmes ne viendront pas de l'application de la raison ou de la logique. Nous ne vivons pas dans un monde raisonnable ou logique. Il n’existe aucun exemple dans l’histoire d’une société qui aurait, délibérément et consciemment, modifié sa culture pour s’adapter à une période de changements. On voit bien là les limites de l'ingénieur Fresco et de sa "foi" dans la technologie. On ne demande pas aux ingénieurs de trouver des solutions systémiques pour lesquelles ils sont sans doute les moins bien placés. Nous avons plus besoin de poètes, de philosophes, d'utopistes que d'ingénieurs. Et Fresco le reconnaît très honnêtement quand il conclue que " aucune nation industrielle n'en a jamais adopté un [un système social idéal] qui ait amélioré la vie des personnes et fondé une nation véritablement civilisée. […] Notre ordre social, politique et international est aujourd'hui dépassé. Des institutions sociales surannées ne peuvent pas s’adapter à une technologie innovante au service du bien, elles ne peuvent non plus surmonter les inégalités que beaucoup subissent. Aurélien Barrau l'explique très bien quand il dit qu'avec un bulldozer électrique, entièrement construit avec des matériaux issus de production durables, sociales et solidaires est parfaitement capable d'éradiquer l'Amazonie, ou qu'une énergie quasi gratuite, abondante et inépuisable comme la fusion nucléaire, serait une catastrophe écologique… Le discours de Fresc, dont certains ne voient malheureusement que l'aspect technologique, va pourtant à l'essentiel:

p.43: Afin d’atteindre ces buts, le système monétaire doit évoluer vers une économie mondiale basée sur les ressources. Dans l’objectif d’utiliser les ressources efficacement et de façon économique, mais également d’assurer une amélioration du niveau de vie pour tous, la technologie cybernétique et informatisée doit être appliquée. En somme, ni technophilie ni technophobie!...

p. 45: L'inhumanité d'un système monétaire: Dans un système monétaire, le but poursuivi est le bénéfice : tout ce qui compte est le maintien d’une position compétitive et le résultat final. (Ce profit dont on sait maintenant qu'il fait d'autant plus de dégâts que les dégâts font du profit…, jusqu'à l'hubris). Tous les systèmes économiques du monde - le socialisme, le communisme, le fascisme et même notre système capitaliste de la libre entreprise - perpétuent la stratification sociale, l'élitisme, le nationalisme et le racisme, lesquels reposent principalement sur la disparité économique.  Le capitalisme a en effet poussé la logique marchande jusqu'à l'absurde!

p.46: La guerre n'est pas la seule forme de violence imposée aux peuples… Je ne sais pas si Fresco avait une réelle conscience que tout système monétaire se traduit par un état de guerre économique permanent, mais, cela semble probable même si cela n'est pas dit clairement à ce moment du livre…, bien qu'il dise que …nous sommes tous, cadres dirigeants inclus, les esclaves du système monétaire. Il manque à la plupart d'entre nous un sens à notre existence.

p.47: Nous devons arrêter de nous battre constamment pour les droits de l'Homme et une justice pour tous, dans un système injuste, et commencer à construire une société où l’égalité des droits fait partie intégrante de sa conception. Là, c'est plus clair!...

p.51: Le système monétaire fait peser une très grande pression, pourtant injustifiée, sur les ressources disponibles et empêche à un nombre incalculable de gens de profiter des bienfaits de la production à grande échelle.

p.52: Aux États-Unis, pendant les périodes de « guerres des prix », le lait et d'autres produits agricoles furent détruits pour maintenir des prix élevés. Où est le scandale? Nous adhérons à la « valeur travail » tout en permettant la destruction de ce qu’il produit. Il est fou de voir les critiques de ce genre pleuvoir sur le système monétaire et en regard de voir le peu de gens qui osent imaginer une abolition de l'argent. Cela relève la religion, du tabou, de la déification d'une simple convention sociale…

P.54: Quand l'argent n'est plus utile: Nos problèmes ne pourront pas disparaître au sein des systèmes monétaires et des institutions politiques tels qu'ils sont actuellement […] et si le système monétaire perdure, nous devrons faire face à un chômage technologique en constante augmentation. Et en effet, ce chômage ne peut aboutir qu'à la création d'une majorité d'humains superflus, réserve de main d'œuvre parquée dans des ghettos…

p.55: L'EBR, c'est un système dans lequel l’accès à l’ensemble des ressources, aussi bien naturelles qu'artificielles, ne nécessite ni argent, ni crédit, ni troc, ni toute autre forme de dette, […] ce qui n'a absolument rien à voir avec les buts actuels d'une élite consistant à former entre eux un gouvernement mondial… L'essentiel de cette thèse et développer avec quantité de points de détail, mais tout est déjà dit dans ce début.

p.63: L'amour et l'extensionalité: Plutôt que d'amour, je préfèrerais parler d'organisation sociale, surtout quand o, en arrive au chapitre suivant: Recevoir sans donner!

p. 66: l'EBR et la distribution: La distribution des biens et services sans recours à l'argent ou à des gages serait assurée grâce à la mise en place de centres de distribution. […] On prend quand on en a besoin, on dépose quand on n'en a plus besoin.

p.69: Automatisation et IA: L'utilisation de l'informatique est en train de remettre en question notre façon de gérer les affaires humaines. En rassemblant de vastes stocks de données provenant de nombreuses disciplines différentes. Internet et le World Wide Web constituent le terreau où se développe un nouveau mode de relations humaines.[…] L'extrême rapidité et facilité de ce moyen de communication modifie considérablement notre relation à l'autre ainsi que notre façon de faire des affaires. L'information se déverse sur le net sans qu'il ne soit jamais question de frontières, de douanes ou d'accords internationaux. Pour ceux acquis à la cause du contrôle de l'information, c'est une époque terrifiante. Aussi terrifiante qu'enthousiasmante, tout dépend du type de société que l'on se choisit. Si par exemple il est posé de façon claire et catégorique que tout pouvoir, humain ou artificiel, est dangereux sans contre-pouvoir, si les objectifs de la science et de la technologie sont foncièrement limités par la maîtrise que tous les usagers auraient de leurs usages, alors ce peut être une société enviable. Sans ce préalable, ce sera une société "orwellienne"!

p.72: La cybernétique pourrait permettre d'atteindre le plus haut niveau de vie imaginable sans pratiquement travailler. Pour la première fois, elle pourrait libérer les individus d'une routine fortement structurée et imposée par l'extérieur, consistant en la répétition quotidienne de la même activité. […] Cela marquera à jamais la fin de l'utilisation dégradante d'un être humain pour faire, contre sa volonté, le travail d'un autre. Et c'est ce qui changerait totalement la capacité des uns à enrôler les autres pour n'importe quelle activité (la guerre, l'esclavage, l'asservissement, la prostitution, etc.).

p.76: Enfin, les usines seront conçues par les robots, pour les robots… Ce qui sera bien…, sauf si le robot empêche un humain de faire le même travail, mais par ses propres mains et son cerveau singulier, ne serait-ce que pour le plaisir. En effet, une imprimante 3D est capable de reproduire une sculpture à l'identique au micron près, mais si elle fait oublier le lent travail du sculpteur, pour qui les imperfections mêmes sont sources de plaisir, la vie en serait bien morne…

p.77: Avec les développements à venir des systèmes informatisés, les capteurs et extenseurs environnementaux pourront nous transmettre des informations nous aidant à déterminer soigneusement les étapes successives à suivre pour développer des outils d'analyse et de prise de décision… sauf s'il devient vain de faire œuvre de littérature, activité qui n'est pas du traitement d'informations mais un processus créatif qui demande des années de pratiques pour éclore et qui serait un drame s'il disparaissait au profit de ShatGPT!

Il serait donc irrationnel de craindre des machines bienveillantes. Une machine peut-elle devenir bien ou malveillante? Est-il sain de fabriquer une machine dans le but de copier un sentiment humain par nature sujet à un contrôle permanent de celui qui le produit par son éthique, a morale, le sens qui veut lui donner?... Il y a un gouffre entre la capacité d'une balance à donner une mesure de poids précise et le robot qui va choisir entre mille phrase celle qui correspond le plus au caractère de l'auditeur, à sa généalogie, ses sensibilités, ses pathologies!... Et ce n'est pas de la peur, c'est de la prudence… D'ailleurs Fresco pose la question à la page suivante:

p.79: La véritable question est: à quel point souhaitez-vous que votre voiture soit intelligente?

p.84: La fin des Dieux : Il est possible que l'IA supplante les anciennes notions de dieux et de démons. Pour avoir rencontré des "platistes" parfaitement ouverts à la technologie et parfois même doté de connaissances scientifiques assez pointues, je reste convaincu que la technologie n'empêchera jamais quelqu'un de croire ce qu'il a envie de croire (en un Dieu par exemple) ou ne pas croire (la rotondité de la terre). Qu'il faille vaincre l'ignorance, c'est évident, mais cela ne garantit aucunement la disparition des légendes le plus -absurdes…

pp.86-95: Quelques exemples de "mégamachines" du futur inventées montrent la fascination qu'en éprouvait Jacques Fresco. Si on les regarde en se demandant quel est l'intérêt réel de tels engins on est vite pris de vertige, voir de peur panique que tous soit pensé dans ce cadre là...

p.96-98: Quand les gouvernements deviennent obsolètes: Les lois faites par les hommes cherchent à préserver l'ordre établi et à protéger les gens de pratiques commerciales trompeuses, de fausse publicité, du vol et des crimes violents. Cela demande un contrôle constant de la population car les lois sont sans cesse violées. […] Le besoin de protéger les droits de l'homme s'origine dans le fait même que nos sociétés reposent sur la pénurie. […] Ce qui est en abondance n'est pas rationné (l'air et l'eau par exemple). […] Dans un environnement de pénurie, de faim et de pauvreté, le comportement s'adapte en fonction de ce dernier. A l'évidence, Fresco n'a pas connu les pénuries d'eau et d'air pur que nous connaissons aujourd'hui. Il est vrai que cela fait très peu de temps qu'un pays comme la France souffre de sécheresse, de nappes phréatiques qui se vident mais qui continuent à être ponctionnées par les marchands d'eau en bouteilles ou pour alimenter des mégabassines (lesquelles vont priver d'eau des milliers de personnes pour qu'une poignée de paysans céréaliers puissent continuer à récolter du maïs qui ne se mange pas mais rapporte gros… Mais les lois sont faites par et pour les riches, pas pour le vulgum pecus. Là aussi le préalable à la société idéale, passe par l'abolition de l'argent… C'est plus réaliste que d'en attribuer la responsabilité aux experts, aux gouvernants, aux milliardaires qui tous sont prisonnier du cadre qu'ils se sont fixé.

p.102: La prise de décision: De toute évidence, les systèmes humains échouent à répondre aux besoins de l'humanité. C'est vrai pour l'ensemble de l'administration humaine: l'Église, le gouvernement, l'armée et les banques.

p.103: Aujourd'hui, les lois qui gouvernent la société ne sont pas fondées sur des études scientifiques réellement complètes mais sur des opinions et des pratiques ancestrales.  Il est donc évident que l'intégralité du fonctionnement social est à repensé. Les Institutions sont pensées, organisées selon des critères qui datent de plusieurs siècles et ont toutes montré une capacité incroyable à résister à toute évolution naturelle. Qu'il s'agisse des structures productives, de la justice, de la santé, de l'environnement, chaque secteur est cloisonné dans un ensemble figé. Ce n'est pas par un simple effet de langage que l'Éducation Nationale a été qualifiée de "Mammouth" par le ministre en place, sans pour autant que l'on en change le moindre iota! A l'évidence, se pose une question d'échelle. L'humanité s'est constituée sur la base de petites communautés autonomes de 150 personnes en moyenne, ce qui n'a rien à voir avec un ministère en charge d'un secteur spécifique, isolé du reste mais agissant sur des millions de personnes. Les villes en sont un bel exemple. Conçues pour quelques milliers d'habitants, certaines sont devenues des mégapoles de millions de personnes avec toujours le même centralisme administratif: une maire, quelques conseillers, un État les regroupant, la cohabitation impossible entre des intérêts particuliers inconciliables… Le changement de cycle, de la société monétaire à une civilisation a-monétaire ne se fera pas sans un passage du système pyramidal à des systèmes en réseau, fédérés peut-être, mais à l'évidence conçus autonomes et agiles, plus proches de "l'Open source" que de l'Empire!

p.104: Fresco pose trois questions: A qui cette nouvelle culture est-elle destinée? Quelles en sont ses finalités? Qui sont les bénéficiaires: quelques-uns ou tout le monde? Et c'est sans doute ce qu'il faut retenir de son message essentiel, bien avant de savoir quelle technologie sera utilisée. C'est une culture ouverte à la diversité, en réseau plus que hiérarchique qu'il faut inventer. La finalité doit être définie sur le long terme, sur le mode systémique plus qu'analytique et chaque individu ayant droit à la parole. Les bénéficiaires devront être non seulement les humains sans aucune exclusion mais leur environnement sans spécisme d'une part et sans accaparement possible des ressources matérielles… C'est un immense chantier qu'il serait prudent de lancer dès aujourd'hui, étant donné l'état d'urgence dans lequel nous nous sommes laissé embarquer. C'est une formidable opportunité de tenter de se rapprocher un peu plus de grand thèmes, éternels mais inatteignables, comme la Liberté, l'équité, la fraternité… Certaines phrases de Fresco illustrent bien la difficulté que cela représente. Quand il nous dit: "Le système actuel de prise de décision est décentralisé et ceux qui décident sont rarement conscient des problèmes de ceux qui ne sont pas dans leur voisinage immédiat. Il a raison sur la position hors sol des décideurs, mais c'est au contraire par excès de centralisme. Et plus loin: Quand les ordinateurs auront étendu leur réseau à tous les domaines de la société, nous serons en mesure de revenir à une prise de décision centralisée fructueuse.  Or l"expérience nous montre plutôt que tout ce qui est décidé au sommer est inopérant (voir l'ONU, l'OMS, le FMI, les COP...). Les bonnes solutions ne viennent jamais d'en haut mais partent de la base pour remonter vers le tout. C'est donc tout le contraire de ce que dit Fresco et c'est dommage! Et pourtant, il propose dans la page suivante que l'ensemble du système centralisé soit connecté localement et chaque donnée soit constamment contrôlée et mise à jour. […] Il y a peu à parier que dans la dernière partie du XXI° siècle, les gens joueront un rôle significatif dans la prise de décision. Le rêve serait plutôt que chaque usager retrouve enfin la maîtrise de ses usages, seul moyen d'échapper à la société de contrôle décrites par Orwell, quand bien même Big Brother ne serait qu'un énorme et performant ordinateur central…

p. 106: Certains prétendent que nous ne parvenons pas à fonder une société d'abondance à cause des ressources limitées.[…] Dans notre projet de conception d'une nouvelle civilisation, nous devons tirer parti de l'énergie comme source majeure d'approvisionnement pour le bien-être des nations […] De vastes sources d'énergie inexploitées restent p explorer, comme le vent, les vagues, les marées, la géothermie, l'énergie électrostatique… A l'évidence, ces innovations sont possibles, mais est-ce que tout ce qui est possible est souhaitable? L'exemple de la fusion atomique illustre bien le propos. Imaginons qu'avec un gramme de nickel, nous puissions produire assez d'énergie pour faire rouler une voiture sur 500 000 kms, sans pollution, sans épuisement de la ressource. C'est techniquement pensable, mais beaucoup y voit une catastrophe. Les limites de la prédation humaine sur l'environnement n'auraient plus aucun frein… Je n'ai pas les compétences pour en décider mais la moindre des choses est tout de même de mettre cette interrogation en débat et sur la finalité de l'énergie plutôt que sur la quantité. Peut-être que la seule énergie propre dont dispose l'homme est celle qu'il n'utilise pas, ce qui change tout. Ce n'est pas à moi de trancher mais c'est à nous tous de se poser cette question… L'analyse rigoureuse des ressources passe aussi (et même prioritairement) par l'analyse des objectifs que l'on se fixe.

p. 111: Une usine de dessalement: Je prends à titre d'exemple le très court chapitre sur cette usine sensée offrir quasi gratuitement de l'eau potable par simple évaporation poussée par énergie solaire. Nous savons parfaitement faire cela, et même, cela se fait déjà, en Andalousie par exemple. A long terme, il va se poser la question des saumures qui résultent de l'évaporation de l'eau de mer. Qu'en faire? Comment éviter qu'à la longue la mer n'en soit sursaturée?... Il y a le pour et le contre, les avantages et les risques connus ou à découvrir… Ce n'est pas parce que c'est possible que c'est souhaitable!...

p.112-125: Changer la nature humaine: Le comportement humain dans toutes ses formes est assujetti aux lois de la nature et aux actions de forces extérieures: il est généré par les nombreuses variables qui interagissent dans l’environnement de chacun.[…] Les valeurs dominantes de n’importe quel système social proviennent rarement du peuple. Au contraire, elles représentent les opinions de groupes dominants tels que l’Église, l’armée, les banques, les sociétés, l’élite au pouvoir ou toutes les combinaisons de ce qui précède. Tous les êtres humains sont assujettis aux influences de l’environnement qui les entoure. […] Peut-être que dans le futur, dans une culture plus sensée, les gens percevront nos notions de comportements criminels comme étant naïves. […] Le sectarisme, le racisme, la jalousie, la superstition, l’avarice et l’égocentrisme, tous sont des modèles de comportement acquis et consolidés lors de notre éducation, et non des caractéristiques humaines innées ou une éventuelle « nature humaine » comme la plupart des gens ont appris à le croire. Je passe sur ce long chapitre qui me semble relever d'une simplification extrême, digne d'une technicien-ingénieur. D'autres, plus spécialistes de la sociologie, psychologie, anthropologie ont fait mieux. Nul ne peut avoir la science infuse en tout…, pas même Jacque Fresco.

p.126-132: La technophobie à l'ère cybernétique: De nombreuses personnes redoutent la rapidité des avancées technologiques, notamment sur le thème du remplacement des êtres humains par la cybernétique et l'automatisme, qui, sans être total, suffirait éventuellement à les priver de leurs moyens de subsistance. […] Les technophobes, avec leur peur infondée qu'un jour les ordinateurs et les robots asserviront la race humaine et dirigeront le monde, ne font qu'attribuer aux machines des caractéristiques humaines. […] La peur que les machines en viennent peu à peu à réglementer nos vies et à nous retirer nos instincts naturels, menaçant même les valeurs auxquelles nous sommes les plus attachés comme la famille et nos croyances, est erronée. […] Il n'existe aucun exemple d’une machine agissant contre l'homme de son propre chef, si ce n'est dans des histoires naïves de science-fiction. […] Aucune de nos difficultés ne résulte de la science ou de la technologie. Elles proviennent des abus et des mésusages que les hommes font des autres êtres humains, de l'environnement et de la technologie.

Ce chapitre oppose le choix entre la technologie qui, à l'évidence, nous offert un confort tel que très peu seraient prêts à s'en dispenser et le retour aux valeurs anciennes qui seraient inéluctablement détruites par la technologie. Cette opposition me semble artificielle et excessive dans les deux sens. Il ne s'agit pas d'être pour ou contre LA technologie, mais de choisir entre ce qui nous grandit et ce qui nous détruit. Il est aussi absurde de soigner ce qui nous détruit que de détruire ce qui nous grandit. Se refuser par principe à user d'un smartphone, c'est prendre le risque un jour de se condamner à mort ou à utiliser le smartphone de l'autre. Imposer le smartphone à tous et en tout temps pour avoir accès à la moindre chose, c'est au sens premier du terme de la dictature. Dans les deux cas, nous savons bien que le système marchand fera tout pour nous livrer pieds et poings liés à l'outil et que nous finirons par ne plus en être qu'un rouage. Nous savons aussi qu'un enfant exposé dès sa naissance aux écrans en arrive très vite à en faire le centre de sa vie au dépend de toutes ses capacités naturelles. Les premiers à avoir interdit les écrans aux moins de 16 ans, y compris à l'école, sont les gens de la Silicon Valley et ce n'est pas un hasard. Eux savent comment et quand il est utile de s'augmenter ainsi la main et les pouces et quand cela relève de la maltraitance!... Mais le commerce, pour survivre même, interdit ce genre de réflexion. Dans une société postmonétaire, il sera enfin possible d'en discuter sur le fond et le sens, et non plus sur le plan technique ou phantasmatique...

p. 133-145: Éducation, des esprits en formation: Plus nos enfants sont intelligents, plus notre vie s'améliore et plus notre culture s'enrichit. Là aussi, je laisse à Fresco la responsabilité de son discours qui, faute de culture historique et psychologique, reste dans le flou. L'intelligence ne suffit pas à la culture (certains hommes politiques en sont un bel exemple). La culture ne suffit pas à l'excellence sociale (le directeur du camp d'extermination d'Auschwitz était grand connaisseur de Goethe, amoureux de Wagner et bon père de famille!). L'éducation peut former de rudes soldats ou des pacifistes, des marchands cupides ou des philanthropes. Un bel enseignement généraliste peut "abimer" l'enfant spécialiste et l'enseignement spécialisé peut fermer à jamais la compréhension du monde pour d'autres enfants. L'éducation n'est pas une technologie mais un art. On ne réduit pas un tableau de maître à la qualité des peintures qu'il a nécessité. Ceci dit, à défaut d'être pédagogue, Jacque Fresco reste un "honnête homme" au sens du XVIII° siècle! Retenons de lui qu'une société dépouillée de l'argent serait enfin plus humaine et permettrait aux pédagogues de développer leurs talents, comme elle permettrait aux ingénieurs de ne développer que des techniques douces et utiles.

p. 146/173: Des villes qui réfléchissent à l'urbanisme, aux transports des hommes et des matériaux, au gaspillage, à leur forme architectural, au type d'habitat, à sa digitalisation, à sa végétalisation, aux services…

Nous sommes là dans un domaine où Jacque Fresco excelle. Les idées originales ne manquent pas, mais restent aussi contestables que toutes les visions futuristes qu'on nous a servies depuis les Trente Glorieuses. Il me semble aussi dangereux de laisser un ingénieur fantasmer seul sur l'avenir des villes que de laisser un philosophe décider seul de l'urbanisme idéal. A moult reprises, Fresco nous invite à remplacer la compétition, la concurrence par la coopération et l'entraide. Mais la chose étant totalement saugrenue au siècle de l'auteur, il n'en a visiblement pas la pratique. Il a pourtant construit dans son domaine de Venus en Floride avec sa compagne Roxane Meadows qui était sensé regrouper toutes les énergies positives de son temps. Mais le temps n'était pas encore à la coopération des différents secteurs de la connaissance et cela se sent à toutes les pages. Certes, il a lu Platon tout en étant résolument opposé au "libre arbitre" et Marx tout en étant opposé au centralisme étatique.

Les contradictions ne sont pas des obstacles semble-t-il pour Fresco:« Comme la musique ne produit rien, il est possible que les gens s’éloignent de cette pratique » écrit-il dans un de ses livres!

p.174: La vie dans le futur: La vision future de ce qu'est une « bonne vie » risque fort de changer. Qu'adviendrait-il de l'individualité et des valeurs humaines dans un monde d'abondance illimitée? Décidément, Jacque Fresco a été profondément marqué par la société de l'abondance des années 1960-80. Ce qui représentait jadis le progrès, représente aujourd'hui, dans un monde plus accès sur la décroissance, une simple extension de l'american way of live.

p. 183: Les frontières maritimes de demain: Le circuit de l'eau se renouvelle en permanence et est alimenté par la chaleur du soleil, la rotation terrestre et la force de Coriolis. L’eau alimente le cycle de la vie tout entier, l'espère humaine comprise. On a constaté depuis que le cycle de l'eau est totalement perturbé et que nous risquons bien plus de terribles pénuries d'eau potable et d'irrigation accompagnées de périodes d'inondations gravissimes que d'une vie heureuse et pleine d'espoir. Fresco appartient à la génération de l'abondance, si bien qu'il a participé, comme nous tous, à un risque d'effondrement global dramatique. Les océans sur lesquels il fondait tant d'espoir sont en train de se réchauffer, de s'acidifier, de gonfler au point de provoquer l'exode de millions de riverains, un regrettable manque de poissons, des tempêtes mettant en périls nos cargos les plus performants… Il suffit d'avoir pratiqué une vingtaine d'années la plongée sous-marine en Méditerranée pour constater, même sans aucune connaissance océanographique, qu'elle se meure! Adieu l'abondance, cher Fresco! Les villes se sont souvent construites au bord des rivières, lesquels assuraient la protection, les transports, les poissons, l'eau et l'énergie des moulins. Ces même villes sont désormais inadaptées aux risques des dégâts des eaux au point que les assurances révisent actuellement toutes leurs évaluation des risques et qu'elles dénoncent des infrastructures désormais totalement inadaptées. De là à imaginer des "villes marines" heureuses, exploitant les ressources minérales et halieutiques, totalement autonomes en eau potable et énergie, laissons cela aux séries B de SF!

p.198: Au-delà de l'utopie: En 1898, Edward Bellamy a écrit le livre "Cent ans après ou l'An 2000". Cet ouvrage présentait un système social avec beaucoup d’avance sur son temps. Ce best-seller a suscité beaucoup d'intérêt et plusieurs personnes ont écrit en retour pour demander comment on pouvait arriver au genre de société coopérative que Bellamy avait envisagé. […] Il y a peu de doute qu'au moment où le livre de Bellamy a été publié, les conditions sociales étaient très difficiles, ce qui a donné à l'idéal utopique beaucoup plus d’attractivité.

Il y a peu de doute qu'au moment où Fresco a rendu publique son "Venus Project", la crainte d'un effondrement global était rare et on pouvait encore croire au progrès technologique, ce qui a donné à son idéal utopique une grande attractivité. L'écoanxiété ayant remplacé la foi dans le progrès, les disciples sont plus rares. C'est pourtant dommage, car ces livres, de Fresco ou de Bellamy sont toujours utile pour mieux appréhender ce qui est d'actualité ou obsolète, ce que nous sommes prêts à garder ou jeter du vieux monde, pour prévoir ce qui est intéressant ou pas dans les utopies passées et donc dans celles que nous véhiculons aujourd'hui. Mais, par trop d'anachronisme, on risque de perdre ce bénéfice. Reprocher à Fresco d'être obsolète est aussi inconséquent que de prendre toutes ses idées comme parole prophétique. Les commentaires que j'ai joints à ce texte prouvent au moins l'intérêt du Venus-Project et ses limites. Un bon usage est toujours mieux que le rejet ou la louange béate, je suis quasiment sûr que l'auteur serait d'accord avec moi sur ce point s'il était encore vivant….

p. 201 : L'orientation du Venus Project: THE VENUS PROJECT est une organisation basée sur les idées, les plans et les orientations mis en avant dans ce livre. Ils représentent l'œuvre de la vie de Jacque Fresco, l'initiateur et le directeur de ce projet. C’est là-bas que l'avenir est en train de prendre forme. […] Nous concluons sans aucune réserve que le Projet Venus ne peut être accompli dans une société fondée sur l'argent. […] Pour effectuer la transition entre notre culture actuelle, incompétente au niveau politique, presque désuète et fondée sur la pénurie, et une société plus humaine, il nous faudra faire un bond en avant tant dans nos mentalités que dans nos actions. […]The Venus Project affirme que la technologie nécessaire existe déjà pour commencer à rendre disponible un maximum de ressources et fournir de la nourriture, de l'air sain, de l'eau potable, des logements et un système de transport confortables, des services médicaux de qualité, une stabilité environnementale et des opportunités illimitées pour l’épanouissement personnel de tout le monde et non d’une poignée de privilégiés.

Fresco était en avance sur son temps, ses héritiers (pas tous) sont parfois en retard sur le leur. C'est malheureusement une situation fréquente, faute, pour les prophètes, de s'être méfiés de leurs ennemis et non de leurs amis!...