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En finir avec l'argent, Gérard Leblanc
Ka' éditions, 2022, 200 pages.
4ème couverture: L'argent fait partie des réalités et des idées reçues qu'on ne met jamais en question. Comment pourrait-on s'en passer ? Il circule dans la société comme le sang dans les veines. C'est comme si nous naissions avec lui. Il devient une part de notre héritage social, mais aussi de notre héritage biologique et génétique. Tant il est intégré à notre quotidien. L'argent se sert davantage de nous qu'il ne nous sert. De quelle nécessité l'argent relève-t-il ? Celle de faire de l'argent avec de l'argent. Cet essai, qui s'inscrit donc dans le combat des idées, démontre que nous pouvons très bien nous en passer. Il faut commencer par le faire sortir de nos têtes pour avoir une chance de nous en libérer et d'en libérer l'humanité...
Biographie de l'auteur: Le travail de Gérard Leblanc se situe entre poésie et cinéma, entre création et théorisation, entre politique et esthétique, entre recherche et enseignement, un parcours jalonné de revues, d'ouvrages et de films. L'auteur a exercé plusieurs activités dont celle d'universitaire n'est pas la moindre (Universités Paris 8, Paris 3, ENS Louis-Lumière). Il a co-fondé en 2004 (avec Catherine Guéneau) l'Association Médias Création Recherche (MCR), lieu d'incubation de projets artistiques et de projets de vie.
Le livre de 200 pages a été résumé en 53 pages, sans commentaires, sans doute par l'auteur. Je vous le livre tel quel: Voir le PDF ici
p.3-4 : Poulet industriel subventionné, vendu en Afrique, nourri avec du soja brésilien, subventionné par l'UE, car les poulets brésiliens sont moins chers que les français grâce aux bas-salaires!!! Le groupe Doux rachète les élevages en faillites et les automatise pour vendre moins cher que les Brésiliens… Logique mortifère. La mécanisation n'ayant pas suffi, Doux dépose le bilan deux ans plus tard (il y a le poulet turc, thaïlandais et chinois qui sont entrés en compétition). Tous les rapports sociaux sont conditionnés par l'argent. Au-delà du constat, il serait intéressant d'imaginer "le devenir du poulet" dans un contexte a-monétaire. De la filière bretonne au quotidien des producteurs africains ou thaïlandais en passant par les céréaliers brésiliens, tout change. La qualité des produits est plus adaptée au lieu de production (voir le poulet africain dit "poulet bicyclette" en raison de ses longues pattes, plus robuste et plus sain). Les transports internationaux sont limités au local, ce qui est bon pour le climat. La main d'œuvre est utilisée au lieu d'être renvoyée comme déchets dans les bidonvilles suburbains…
p.6: Si nous supportons la vie qu'on nous propose c'est parce que nous avons le sentiment (bien fabriqué) d'être coupable de quelque chose (le péché originel) et qu'il faut payer, ne serait-ce qu'en travaillant. Il faut se "racheter"!... Et si nous arrêtions de nous croire obligés de travailler et prendre le risque de vivre ? Sauf que le lien entre production et consommation est indestructible. Tu ne travailles pas, tu ne manges pas! Conclusion que l'on peut transformer en "tu ne travailles pas pour l'argent, mais pour assurer la survie de ta communauté.
p.8: Pourquoi abolir l'argent ? N'y a-t-il pas plus simple ? Par exemple le RU: on donne de l'argent à tout le monde et tout le monde peut consommer. Ouf! Le système est sauvé…, avec deux mondes différents et étanches: les travailleurs et les assistés. Sans argent, nous sommes tous embarqués sur le même bateau, les fractures sociales disparaissent ou sont au moins atténuées.
p.9: Le modèle sacrificiel du travail salarié est de moins en moins attractif, mais cela induit une mise à l'écart de la société et la fin de tout changement possible… Une société produit des rapports sociaux avant de produire quoi que ce soit. De quel type de rapports sociaux avons-nous besoin pour vivre le mieux possible? C'est le point de départ démocratique…, des abstentionnistes: nul ne peut penser et agir à notre place. Ce serait le moment de rappeler et de mettre en œuvre le slogan postmonétaire essentiel: "Rendre aux usagers la maîtrise de leurs usages " alors qu'à l'évidence, dans un monde d'argent, la maîtrise n'est l'apanage que d'une minorité oligarchique…
p.11: Un jour nous n'aurons pas plus besoin d'État que d'argent!
p.14: Il est intéressant de voir que Leblanc reprend sans le dire l'idée de "l'expérience de pensée": demain il n'y a plus d'argent. C'est la fin de "la bonne affaire", de la peur "de se faire avoir", plus rien n'est tarifé, calculé. On ne rend plus à personne la monnaie de sa pièce! La question à se poser tous individuellement: sans argent en échange de mon travail est-ce que j'arrêterai de travailler? On sent dans ce long préambule en forme de constat que l'auteur tente de se convaincre lui-même. Il se pose des questions de "novice". Même dans le monde marchand, sa peur est infondée. Il suffit de voir les gagnants du loto qui, en grande majorité, retournent au travail le lendemain, ne serait-ce que pour ne pas perdre les liens sociaux qu'ils y ont créés.
p.16: On ne produira plus quoi que ce soit sans que l'humain n'en sorte augmenté.
p.17: On travaillera moins car quantité d'anciens métiers auront disparu en même temps que l'argent. Peut être faudra-t-il inventer un nouveau mot pour désigner ces temps d'activité choisie parmi les nécessités pratiques qui s'imposent…. Plus de cycles travail-vacances mais cycles "temps de construction sociale-temps de construction individuelle".
p.19: Sans propriété et sans État ce sera la foire d'empoigne… De nouveau la question prouve que l'auteur ne croit pas lui-même qu'une société sans argent serait un progrès social…
p.20 Suffirait-il de supprimer l'argent pour transformer les rapports humains? Ce serait trop simple… A chacun sa part du lion?... Tout rapport de force et de domination cherche une forme de légitimation! On comprend bien que l'auteur a déjà les réponses à ses questions qui portant relèvent de l'évidence. Le problème n'est pas technique mais mental. Quand on veut tuer son chien on dit qu'il a la rage, quand on veut que rien ne change par peur de l'inconnu, on invente les problèmes avant qu'ils n'arrivent. C'est le propre du capitalisme: on crée un problème, on cherche une solution et cela crée un nouveau marché!...
p.22 Le principal plaisir des riches est de jouir leur vie durant du fait qu’ils ne vivent pas comme des pauvres, de jouir en somme de la pauvreté des pauvres. C'est peut être la seule fonction des pauvres: permettre aux plus riches de jouir sans limite de leur richesse.
p.23 L’argent n’a de valeur que pour l’argent. L’argent n’existe que pour faire de l’argent. « On en a pour son argent » et pourquoi pas « on en a pour son besoin »?...
p.25 Mais ne nous y trompons pas : il est encore plus difficile de sortir l’argent de sa tête que de sa poche. Gérard Leblanc, a trouvé la bonne formule, le ton du slogan. Personne ne réfléchit à chaque fois qu'il met la main dans sa poche pour payer un bien ou un service. En revanche sortir l'argent de sa poche réclame un pénible travail de reconstruction mentale… Cette phrase toute simple nous sera utile!
p.27 Pourquoi ne pas substituer un marché des compétences au marché des marchandises ? Pourquoi la si fameuse loi de l’offre et de la demande ne pourrait-elle pas s’appliquer à un tel marché, comme elle régit celui des marchandises ? Sauf qu’il n’y aurait plus besoin d’argent pour échanger les compétences et qu’il ne s’agirait plus d’un marché. Celles-ci ne seraient plus évaluées à l’aune de leur valeur marchande mais à l’aune d’une utilité sociale fondée sur la réciprocité. Il n’y aurait plus de hiérarchie entre elles dès lors qu’elles seraient nécessaires les unes aux autres. […]. Il s’agira d’une évaluation collective et globale des compétences requises pour le meilleur fonctionnement possible de la société. Nous ne produirons plus qu’en fonction de besoins définis par l’ensemble des individus qui composent la société. C’est sur cette base que nous réorganiserons la production et la circulation de tout ce qui est produit. Toute action de formation et de recherche s’inscrira dans ce cadre. On peut associer cette idée intéressante du "marché des compétences" à l'expression restée courante malgré l'argent du "marché des idées". Ce que l'expression désigne n'est pas de l'ordre de l'échange marchand, mais de la quantité d'idée disponibles. Non seulement cette quantité est infinie mais elle ne se réduit pas dans le partage. Quand on donne une idée on ne la perd pas contrairement à l'objet que l'on n'a plus quand on le donne, que l'on a moins quand on le partage. Le plus grand drame de la société marchande est d'avoir marchandisé l'idée même de l'idée, de la connaissance, de l'innovation via les brevets, d'en avoir fait un marché comme il y a un marché des céréales. Une abolition de l'argent, sur le plan sanitaire, libérerait la recherche de toute concurrence, le prix des médicaments de tout profit, la distribution des remèdes de toute exclusivité. Une véritable révolution aux conséquences inestimables!...
p.30 Le travail ne s’ajuste plus au marché des marchandises mais à des compétences qui s’ajustent les unes aux autres en fonction des besoins manifestés par l’ensemble des individus qui composent la société en dehors de toute relation à l’argent.[…] . La notion de nécessité se déplace alors de l’argent (comme valeur d’échange) à l’usage. De quoi avons-nous réellement besoin pour vivre le plus heureusement possible ? Réduite aux seuls besoins, la production est d'emblée réduite de moitié, voire plus si on y réfléchit bien. Il faut vraiment être intoxiqué par la propagande marchande pour ne pas l'admettre…
p.31 : Une société où deux économies s’entrelacent : l’officielle, vertueuse dans ses principes hypocrites, et la mafieuse, transgressive dans ses pratiques. Arracher des racines de lotus à la vase ou trafiquer des stupéfiants. En fait, les deux économies n’en font qu’une, tant les frontières sont poreuses de l’une à l’autre. La société officielle a besoin de son double, la société mafieuse, pour maintenir son fragile équilibre. Les pratiques mafieuses constituent une source de revenus pour toute une population qui, en leur absence, serait disponible pour toutes les formes de révolte. On peut mettre cette réflexion en relation avec l'excellent livre de Philippe Jauvert, La mafia d'état. On y distingue deux versants du problème: la mafia qui protège ses pratiques délictueuses par ses relations avec la sphère politique et la quasi mafia étatique qui se sert de la mafia pour faciliter ses actions politiques légales. Un rapport inversé, un double langage, une confusion des genres qui ne pourrait exister sans l'argent!...
p.32: Pourtant, combien parmi nous ne sont-ils pas déjà prêts à offrir une partie de leur temps pour assurer un meilleur fonctionnement de la société ? Combien d’actions solidaires, combien de logiciels libres, combien de contributions gratuites à l’encyclopédie Wikipédia ? Ces actions préfigurent une autre société où le peuple serait enfin à la manœuvre et où l’argent n’aurait plus cours. Seul le mot "préfigure" est discutable. En effet, beaucoup ont cru que l'irruption du numérique allait "préfigurer" un monde sans argent. André Gorz était de ceux-là. A l'usage, on s'aperçoit que le capitalisme a la capacité de tout récupérer, de tout intégrer dans son modèle, y compris les choses les plus utiles et les plus désintéressées. Linux, logiciel en open source, mis en place par des bricoleurs de génie sans aucune volonté d'appropriation, a produit Amazon, Google et autres géants du e-commerce!
p.34 Tant que l’argent existe, nous ne serons jamais libérés de l’argent. Qu’une monnaie soit frappée du sceau d’un État ou qu’il s’agisse d’une monnaie locale comme au temps des seigneuries féodales, qu’il se présente sur une forme matérielle ou immatérielle, tant que l’argent existe, il règne en maître. Évidence à marteler avec autant de force que nous ont été martelées les "lois du marché". Le seul problème, c'est que des anticapitalistes notoires se sont laissés berner par la doxa ambiante et ont cru proposer des alternatives au capitalisme quand ils lui fournissaient un outil de plus. C'est le cas des cryptomonnaies que les promoteurs défendent avec une rage et une mauvaise foi digne des sectes les plus opaques que l'on connaisse! Il suffit de poster sur un réseau social une légère critique de ces monnaies pour subir un flot continu de violences verbales, d'insultes, voire de menaces… (à ce sujet voir sur le site Blast l'interview de Nastasia Hadjadji à propos de son livre: "Bitcoin, la nouvelle religion").
p.36: Et combien d’objets sont produits qui ne répondent à aucun de nos besoins ? Ce sont les États qui ont besoin de produire des armes de guerre de tout calibre pour peser davantage dans les rapports de force à l’échelle mondiale, pas nous. Ce sont les États qui ont besoin d’entretenir à grands frais une lourde machine administrative et répressive, pas nous. Ce sont les États qui ont besoin de militaires, de policiers, de magistrats, de gardiens de prisons, pas nous. Ce sont les États qui ont besoin de politiciens et d’experts en tous genres soumis aux intérêts dominants, pas nous. C’est pourtant nous, simples « citoyens » qui, par le moyen des impôts et des taxes, finançons ces besoins qui ne correspondent en rien aux nôtres….
p.38: Il ne faut pas considérer ces transformations [la disparition des métiers liés à l'argent] en termes de pertes d'emplois mais en termes de libération de forces de vie où le travail prendrait un cours nouveau… Plus de la moitié des emplois actuels disparaîtront avec l'abolition de l'argent. C'est à l'évidence un problème pour ceux qui du jour au lendemain pourraient de retrouver inutile et pas forcément capable d'une reconversion. Mais au moins, ils n'auront pas de soucis quant à leur survie matérielle comme les chômeurs actuels…
p.41: Pourquoi voler des objets ? Parce qu’il n’y en a pas assez pour tout le monde ? Il faut alors s’approprier ce que possède l’autre pour ne pas en être soi-même dépourvu. Mais ce n’est pas l’objet en lui-même qui importe dans un vol, c’est l’argent que l’on peut en tirer. Vous avez bien lu : le serpent se mord la queue. Il n’est plus nécessaire de voler si on ne peut plus en tirer de l’argent. Il serait bon que les désargentistes cessent d'utiliser des arguments aussi fragiles. Il y a mille raisons de voler qui n'ont rien à voir avec l'argent, même si, de l'aveu de juges en postes, 80% des délits sont liés à l'argent. On peut voler maladivement (kleptomanie), pour augmenter son pouvoir (compensation à une dévalorisation de notre image), par jeu (recherche d'adrénaline), par vengeance (tu vas payer ce que tu m'as fait en perdant un objet qui t'es indispensable)… Il faudra donc réguler les conflits, les délits, les enchaînements de violence, et autrement que par la loi du plus fort de style western. Mais rien ne nous oblige à reproduire la même police, la même justice, les mêmes punitions héritées du vieux monde. Et là, mieux vaut être précis, inventif et concret… Les déclarations d'intentions ne suffisent pas.
p.42: Tu veux avoir réponse à tout, mais les nations continueront à se faire la guerre. Et la guerre, il faut des armées pour la faire. Des armées de mieux en mieux équipées pour tuer de plus en plus massivement. Des armées de plus en plus technologiques. Même remarque qu'à la page précédente: Si à l'évidence l'argent est le nerf de la guerre, rien ne dit que sans argent, il n'y aura plus de guerre. En revanche, pour faire une guerre, quelle qu'elle soit, il faut enrôler de la "chair à canon". Et c'est là que le bât blesse. Si nous avons inventé la conscription obligatoire et les délits de désertion, ce n'est pas par hasard. Si toute guerre est systématiquement précédée d'une "culture de guerre", c'est bien parce qu'il n'est pas naturel de "mourir pour une idée" comme le chantait Brassens! Sans argent, le problème ne sera plus la force de frappe nécessaire à la défense mais la capacité à enrôler des mercenaires. Il est évident que d'autres stratégie de protection et de riposte seront inventées, et cette fois non plus en misant sur la soumission des combattants mais en misant sur leurs intérêts vitaux qui ne sont sûrement pas celui de se "sacrifier pour la cause." Les héros combattants sauvant la patrie sont rares et souvent célébrés a posteriori, après avoir été poussés à des comportements extrêmes….
p.43: Si on pouvait se passer d'argent, on l’aurait fait depuis longtemps. On ne t'a pas attendu pour ça. L'argent, il en faut : plus ou moins mais il en faut. Par quoi pourrait-on le remplacer ? Sans argent, pas de marché, pas de régulation entre l'offre et la demande… On ne démonte pas ce flot de certitudes mis en œuvre dès le 4ème siècle avant J.-C. et peaufiné par des siècles de jurisprudence et de pratiques législatives. Il faut en effet explique par quoi l'argent est remplacé, pourquoi cela n'a pas encore été fait, pourquoi et comment le marché s'est imposé, pourquoi l'offre et la demande ne peut jamais s'équilibrer, etc. Le flou est notre pire ennemi par sa capacité à nous confiner dans la case de l'angélisme… Il ne suffit pas de dire que l'argent nous dépersonnalise et que sans argent, la singularité de chacun pourra enfin être reconnue. Encore faut-il le démontrer…
pp.46-49 Un long développement sur les besoins, le désir, l'envie se termine par la réponse cinglante de l'interlocuteur fictif à l'auteur: Nous savons que tu ne proposes pas de recettes et que ça dépend de nous tou.te.s. Mais quand même, tu ne peux pas nous quitter sur un : « on arrête tout et on réfléchit ». Ce n’est pas la première fois dans l’Histoire qu’on nous fait le coup. « On arrête tout », d’accord, et après, on recommence à peu près comme avant? Toute révolution, même théorique et intellectuelle comme au Siècle des Lumières, a besoin de récits, d'histoires qui marquent les esprits sur le long temps et ressortent au moment opportun. Montesquieu a produit ses lettres persanes, Voltaire a créé les personnages de Zadig et de Candide, Rousseau s'est mis en scène dans les Confessions et a inventé Émile, Diderot, plus pratique a tiré les plans d'une université idéale et produit une encyclopédie pour partager le savoir, mais il a aussi inventé La religieuse, une nonne hors norme… Toute proportion gardée, et en toute modestie, quand on voit le nombre d'essais produits ces deux dernières décennies sur les idées postmonétaires, on voit bien que le modèle des Lumières est sans doute dépassé socialement mais toujours d'actualité quant à la stratégie susceptible de renverser un ordre établi de longue date… Candide a été réédité plus de vingt fois durant la vie de son auteur et il faut souhaiter qu'un de ces nombreux livres postmonétaires sorte du lot pour en vulgariser l'idée….