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Nathalie Baray - Une vie ordinaire
éd. In libro veritas, PDF Ebook, fev.2013, 12 p.
Présentation: Cette courte nouvelle publiée sur un site en Open source, n'a pu être retrouvé. Je vous en ai fait une copie. Une femme perd connaissance sur une route de campagne et se réveille dans un autre monde pour le moins curieux. La ville toute proche est calme, sans panneaux publicitaires, sans bruit de moteurs et croisent des gens qui entament aussitôt une conversation. Ils sont aimables, curieux, détendus et prennent leur temps. Quand elle parle du monde d'où elle vient, les gens sont horrifiés: un monde de sauvages, où il faut travailler pour vivre et se demandent pourquoi ces gens ne se révoltent pas…
Biographie: "Mère de deux enfants, j’ai posé mes bagages dans le Sud de la France, racine maternelle de mon père. Je travaille dans l’animation et dans la formation pour adulte.
Ma vie a toujours été sous le signe des voyages et des rencontres. Rien n’égale la rencontre de l’autre, la rencontre de l’instant, pour enrichir et agrandir la beauté de nos cœurs.
La lecture et l’écriture, nourritures ouvrant l’esprit à la connaissance du monde et de l’humain, m’ont toujours accompagnée. Elles sont, pour moi, une recette magique, me permettant de donner corps aux fruits de l’esprit, mûris au soleil de mes expériences de vie."
Texte de Nathalie Baray:
Une vie ordinaire.
Mais par quel moyen était-elle arrivée ici ? Elle ne se rappelait pas avoir perdu connaissance. Son corps était intact, ses vêtements en parfait état. D'ailleurs, elle remarqua qu'ils étaient inappropriés à la situation. Ce qui ne lui arrivait jamais ! Elle se trouvait ridicule, sur ce monticule, au milieu de la nature, vêtue de son tailleur de marque et de ses chaussures à haut talons, destinées au bureau.
Elle était belle et paisible cette nature. Pourtant, à quelques mètres, plus bas, se dressait une ville moyenne, où circulaient des véhicules, des gens. Le calme naturel n'en était pas perturbé. Normalement, placée où elleétait, elle aurait dû entendre le brouhaha des moteurs de cette activité de petite ville.
Elle observa. Pas de panneaux publicitaires, pas de bruit de moteur. Des funiculaires serpentaient autour d'habitations circulaires. Ils étaient discrets, silencieux, de tailles différentes, mais pas plus de 3 mètres de long. Leurs rails étaient construits en hauteur de façon à ne pas gêner les piétons et ils avançaient, se garaient sans heurts ou ralentissements dans leur trajet. Les gens y entraient et sortaient, jusqu'à trois pour les plus petits véhicules, en petit groupe pour les plus grands. Tous semblaient heureux, actifs et détendus. Elle était étonnée de voir que personne ne s'ignorait et que chaque rencontre faisait naître un contact. Elle avança donc, décidant de se déchausser pour marcher plus à l'aise. Il n'y avait pas de bitume, mais la terre était tassée de façon à offrir des chemins agréables aux pas, tout en gardant sa liberté naturelle.
« Bonjour, lui dirent les deux premiers individus rencontrés.
- Bonjour.
- Tu sembles nouvelle et je dirais assez perdue, même anachronique avec tes vêtements. D'où viens-tu ? lui
demanda l'homme aux cheveux blancs, semblant porter une soixantaine vigoureuse.
- A vrai dire, je ne sais plus. Mais, je me sens bien. C'est étrange, je me sens en sécurité. - C'est normal de se
sentir en sécurité.
- Oui, mais je veux dire que c'est étonnant, parce que je ne connais pas cet endroit et pourtant, je me sens en
sécurité.
- Mais on se sent toujours en sécurité quand on va dans une ville qu'on ne connaît pas !, s'étonna la femme,
qui devait avoir, comme elle, la quarantaine. Elle se sentait pitoyable fatiguée, tant cette femme était ra-
dieuse.
- Ben, je n'ai jamais vécu ce sentiment de sécurité en ville, et encore plus en ville inconnue. Ici, c'est particulier.
On ne sent pas d'agressivité, de danger. Ce n'est pas ainsi dans le monde d'où je viens.
- Mais d'où viens-tu ? D'un cauchemar ?, questionna l'homme, en décochant, à l'instar de sa comparse, un
sourire dubitatif.
- Peut-être bien, oui. Un cauchemar, soupira-t-elle! »
Oui, peut-être un cauchemar qui s'arrêtait. Elle sentait ses épaules se détendre, son mental surtout. Elle ne sentait aucun jugement dans le regard de ces gens. Elle ne se sentait pas étrangère, malgré son anachronisme et sa mine défaite, qu'elle avait crue radieuse jusqu'à présent, car si bien maquillée ! Elle se sentait si laide face à ces humains, splendides sans maquillage ou bijou, habillés simplement. Elle fut invitée à partager les moments et les repas et, toute la journée, elle découvrit une ville où tout était gratuit et où chacun avait une belle place pour vivre. Elle découvrit une ville où de hauts moyens technologiques étaient utilisés pour faciliter le travail de chacun. Tous les citoyens participaient quelques heures par semaine aux tâches nécessaires pour produire des biens pour la communauté. Tout se faisait avec joie et envie. Pas de stress, que de l'échange. Pas d'énergies polluantes, pas de moteurs bruyants, pas de quartiers riches et pauvres. Pas de police. Pas de mendiants. Et tous souriants et d'allure saine.
« Je suis sur quelle planète ?, demanda-t-elle alors qu'ils partageaient le repas.
- Ben, sur terre ! répondit la femme, en souriant.
- Mais, vous n'avez pas d'argent, de voitures à essence, de supermarchés ! Vous ne travaillez pas ! » Elle leur raconta en quelques mots l'endroit où elle vivait. La façon de vivre en ville, de travailler. Le bruit, la pollution. Elle était employée de banque et donnait 35h de sa semaine pour gagner l'argent qui lui permettait d'avoir ce dont elle avait besoin pour vivre.
« Tu veux dire que là d'où tu viens, vous vivez dans un monde pollué et fatigant et vous acceptez ça ? Mais pourquoi ? demanda la femme.
- On n'a pas le choix ! Si tu n'as pas d'argent, tu crèves ! »
Elle leur raconta les mendiants, les pays pauvres, la famine...
« Et tout le monde est d'accord pour vivre comme ça ! » L'écarquillement de leurs yeux, les rictus de leurs bouches montraient l'ampleur de leur dégoût et de leur incompréhension.
« Comme je vous ai dit, on n'a pas le choix.
- Tu veux dire qu'on vous force à vivre comme ça ! Mais c'est la pire des dictatures ! s'exclama l'homme.
- C'est monstrueux !, renchérit la femme. Je ne pensais pas qu'on pouvait en arriver à ce point d'assouvissement !
- Personne ne se révolte ?, questionna l'homme.
- Ben, c'est à dire que dans mon pays, nous sommes en démocratie. »
Elle leur expliqua la démocratie de son pays, elle leur expliqua les dictatures. Elle leur expliqua comment était organisé le gouvernement, le vote, le pouvoir, les lois, la police, l'armée.
Il y eu un grand moment de silence. Ils avaient les larmes aux yeux et restaient éberlués, fixant le sol. Elle regardait le monde qu'elle venait de décrire, qu'elle venait de quitter. Oui, c'était un cauchemar et elle y avait vécu.
« Si nous te comprenons bien, vous élisez des gens qui prendrons les décisions collectives à votre place! dit l'homme.
- Et en plus, ces élus mettent en place des systèmes polluants, inégalitaires, violents et vous acceptez cela en continuant à aller voter et ce depuis des siècles sans réel changement de mode de vie, malgré la détérioration de votre monde!, s'étonna la femme.»
Elle avoua que c'était bien ainsi que cela se passait et se rendit compte combien le vote privait le peuple de son pouvoir de décision. Et pourtant, comment faire pour gérer toute la population ? Il fallait bien des chefs !
« Les chefs sont nécessaires si tout le reste du groupe estime qu'ensemble, il n'est pas capable de mettre en place des modes de vie bénéfiques à chacun. » La femme venait de lui pointer son incapacité à prendre sa vie en main. Elle qui se croyait libre !
L'homme ajouta : « Apparemment, la force de votre système est de vous faire croire que vous êtes libres, alors que vous ne l'êtes pas.
- Vous savez, depuis ma plus petite enfance, les adultes m'ont fait croire que si j'avais un bon métier, je serais libre car je pourrais m'acheter tout ce dont j'ai besoin et même du luxe. Je suis responsable d'une agence bancaire et j'ai toujours été fière de ma carrière. Maintenant, je réalise à quel point je me suis trompée.
- Responsable d'une agence bancaire ? Explique-nous. »
Elle leur raconta le rôle des banques, les comptes courants, les comptes épargnes, les crédits, la spéculation, les taux d'intérêt.
« Tu veux dire que les banques s'enrichissent en prêtant de l'argent et te paient avec le fruit de cet enrichissement ! Mais d'où vient l'argent qu'elles prêtent et pourquoi les taux d'intérêt ? »
Elle ne comprit pas de suite la raison de la forte honte qu'elle ressentait en répondant : « Les banques créent une écriture bancaire qui fait valeur de monnaie.
- Tu veux dire qu'elles créent la monnaie en prêtant une richesse qui n'existe pas dans la circulation des richesses et demande un remboursement avec de la monnaie concrète en y ajoutant des taux d'intérêt ! s'exclama l'homme.
- Oui, c'est ça, répondit-elle timidement.
- Mais c'est du vol ! C'est une logique d'appauvrissement des populations ! s'écria la femme.
- Vous acceptez ça ?, questionna l'homme.
- Je ne me suis jamais rendue compte que notre système avait légalisé une escroquerie, depuis des générations !
- C'est normal que vous soyez pauvres et que vous vous détruisiez. Vous élisez des gens, toujours des riches, qui dictent votre constitution, vos lois, sans vous donner de pouvoir de décision, analysa l'homme.
- Et en plus, vous définissez la richesse dans de la monnaie qui est créée ex nihilo et qui est rendue rare, ajouta la jeune femme.
- Pour finir, conclut l'homme, il semble qu'on vous pousse à utiliser de plus en plus votre monnaie, en vous incitant à acheter des biens inutiles. C'est le serpent qui se mord la queue et vous le nourrissez en croyant que vous êtes libres. »
Elle se vit et raconta les hypermarchés, la publicité, la consommation, les conditions de production des biens. Les mimiques de dégoût fusaient. Pour changer d'atmosphère et de pensées, ils se levèrent et l'amenèrent visiter leur beau monde. Elle était émerveillée devant tant de paix, de joie. Des vêtements aux fibres naturelles. Tout gratuit et à disposition. Pas de produits toxiques. De la haute technologie sans pollution. Des êtres intelligents et libres. Se soignant et vivant naturellement. Partageant le travail et les richesses de la terre. Tous égaux et libres. Tous se distinguant par leur bonté et leur créativité. Tous vivant pour le bien de soi et des autres. Plus elle marchait, plus elle réalisait l'horreur de son monde. Les animaux torturés pour créer des produits de beauté, des produits ménagers, des médicaments, des mets à outrance. Des êtres usés par le stress, tués par les guerres, par le travail, vivant dans la peur, se soumettant les uns aux autres. Une extermination de la nature. Des êtres mourant de faim pour que d'autres puissent se vautrer dans des luxures outrageuses. Et tout cela pour Une vie ordinaire Une vie ordinaire à accumuler de la monnaie virtuelle !
Elle se réveillait d'un cauchemar. Plus jamais ça ! Non, plus jamais ! Elle ne voulait plus revivre une telle horreur et y participer !
Un drôle d'oiseau se mit à chanter. Son chant semblait mécanique, pas aussi joyeux que les autres. Elle voulu écouter de plus près et se sépara un moment du groupe.
Le réveil sonnait. 7H30, l'heure de se lever pour le bureau...