Qu'est-ce que l'argent? Rien! Qu'est-ce que la lutte des classes? Tout! Léon de Mattis

 

 

 

 PDF 2015, 7 pages 


Mattis 8Ce petit livret de 6 pages résume assez bien le cheminement de sa pensée de l'auteur. C'est un résumé de tout ce qu'il a produit dans son premier livre sur la monnaie (voir Mattis 1: "Crises"). Il l'avait présenté le 3 octobre 2015 à Montreuil, 93 lors d'une journée consacrée à la question: "Une société sans argent ?"

Léon de Mattis constate que tout le monde autour de lui "se contente de se demander quel type de monnaie est préférable. Jamais ou presque on ne pose la question essentielle: à quoi l'argent est-il indispensable. […]  Les adeptes de la monnaie alternative ignorent le plus souvent qu'ils ne font qu'accomplir le vœu du plus libéral des économistes libéraux: Freidrich August von Hayek.. (En vertu de la libre entreprise et de la concurrence.) […] Le mode capitaliste est un tout, un système globalisant. Monnaie alternative ou nationale, c'est les deux faces de la même pièce. Il ne sert à rien de la retourner sans cesse, c'est la pièce qu'il faut jeter.  

L'argent, c'est la dette, c'est la rareté relative, c'est l'exploitation de la main d'œuvre…Il n'y a pas de différence substantielle entre l'argent dette d'aujourd'hui et l'argent marchandise d'hier, entre la finance d'aujourd'hui et la finance d'hier. […] La crise est un phénomène permanent et les remèdes à la crise précédente sont les causes de la crise suivante…

L'argent permet qu'il y ait des dominés et des dominants et l'a permis de tout temps. Contrairement à ce qu'on dit, il est facile d'imaginer un monde sans argent. C'est bien plus difficile d'imaginer pourquoi et comment l'argent existe depuis si longtemps. Mais on se refuse d'y croire. 

Un argent neutre, qui ne fait que récompenser les justes efforts de chacun, n'existe pas!... Cela était vrai même avant, quand le capitalisme ne dominait pas le monde. Quand il est question de partage et de coopération dans un monde sans argent, cela ne peut être que sur des bases très différentes de celles d'aujourd'hui…

L'essentiel est dit, il n'y a pas de doute possible, Léon de Mattis est authentiquement "postmonétaire".

     

 

 

Crises, Léon de Mattis 1

 

 

Quatrième de Mattisde couverture: En octobre 2008, le système financier mondial a failli s'écrouler. Depuis, la crise financière s'est muée en une rise de la dette publique qui s'aggrave de semaines en semaines. Le fonctionnement de l'économie, à l'heure actuelle, repose la croyance en la capacité des États à maintenir la valeur de la valeur. Que cette croyance s'effondre et le système péit. Crises saisit l'occasion de la crise pour poser une question que les économistes évitent toujours : pourquoi l'argent vaut-il quelque chose plutôt que rien ? Répondre à cette question c'est s'interroger sur les fondements de la valeur dans le capitalisme. À l'heure où beaucoup s'indignent de la situation actuelle en croyant naïvement que l'on pourrait revenir à l'économie « régulée » des lendemains de la seconde guerre mondiale, il faut rappeler que le rapport social capitaliste ne peut être combattu qu'en s'attaquant à sa racine. Tant qu'il y aura de l'argent, il n'y en aura pas assez pour tout le monde.

Léon de Mattis: Engagé dans un parti de gauche, allant jusqu’à se présenter sur une liste de candidats aux élections municipales, il a tiré de ce triste passé de citoyen exemplaire une conviction jamais démentie : les élections sont un piège à cons et la démocratie est l’ennemie de la liberté. Léon de Mattis n’a plus pris part à aucune élection, comme candidat ou comme électeur, depuis 1989. Il est proche des milieux libertaires, ce qui se voit de plus en plus au cours de sa carrière d'écrivain: en 2015, "Qu'est-ce que l'argent? Rien. Qu'est-ce que la lutte des classes ?, Tout!" , un petit pamphlet de 7p. ; en 2021, "Utopie 2021" dans lequel il imagine un monde postmonétaire ; en 2023, "Mort à la démocratie" pour dénoncer les deux dogmes indépassables de notre temps, le capitalisme et la démocratie.  Il est aussi auteur de nombreux articles sur des blogs et dans des journaux. Pour mieux comprendre sa posture politique, on peut lire une suite de quelques uns de ses articles: Voir https://leondemattis.wixsite.com/leondemattis

p.8: N'importe quel échange économique, même celui d'une petite coopérative indépendante, est tout autant conditionné par l'ensemble du rapport social capitaliste que celui des firmes multinationales. Il n'y a aucune différence entre la compagnie Coca-Cola et la modeste entreprise qui fait du "commerce équitable".  Le ton est donné, ce n'est pas le capitalisme dont il va être question mais bien du système marchand dans son ensemble, pas des capitalistes mais de nous tous, les humains.

p.9: La valeur n'existe pas de manière plus tangible dans l'économie de tous les jours que dans la sphère de la finance. Elle est de la même manière dans l'échange quotidien et dans les spéculations monétaires ou boursières. 

p.10: Ce que l'on appelle "la financiarisation de l'économie" n'est guère que l'expression, sous une forme financière des impasses structurelles du mode de production capitaliste. […] C'est l'incarnation même de la valeur, la monnaie, qui ne peut plus valoir que dans la mesure où la valeur s'accroît à l'infini. Et vlan, pour les décroissants qui espèrent une société marchande hors de toute croissance. Si la société décroît, l'argent disparaît car il n'a plus de sens. L'argent, la monnaie est antinomique avec la décroissance. Si l'on veut décroître, il faut abolir l'argent, si on abolit l'argent, on peut enfin construire une société décroissante… C'est à la lumière de ce prérequis que Léon de Mattis analyse la crise de 2008 (rôle du crédit, bulle immobilière, intervention tardive des États, impasse de la régulation…)

p.42: Si la garantie de l'État est quelque chose qui jusqu'à présent n'a fait défaut dans le monde capitaliste que de manière ponctuelle et locale, il n'en ira pas forcément toujours ainsi. […] Un des indices de la défiance des marchés envers les États, c'est le montant des CDS a explosé pour des pays comme l'Irlande, les États-Unis, l'Allemagne…. Le CDS (credit default swaps) est une assurance contre les risques du crédit. Le swap est un produit financier dérivé dont la valeur dépend de la fluctuation des cours des matières premières, donc de la fluctuation du prix d'un autre produit qui lui sert de référence. C'est un crédit croisé consenti sur une période consentie au départ, de quelques jours ou quelques années. Arrivé à ce stade de sophistication, il est logique que les acteurs économiques concernés s'y perdent eux-mêmes, et toujours au dépend de ceux qui ne sont pas concernés, les plus petits revenus… 

p.43: Le déficit structurel de la Grèce a imposé l'adoption par l'Europe d'un plan d'urgence, au début de mai 2010 qui devait servir à couvrir d'autres défaillances éventuelles d'États européens, au prix de plans d'austérité  qui se traduisent par la paupérisation croissante de la population. C'est un jeu de domino qui a une limite: après l'Allemagne ou les États-Unis, il n'y a plus rien et ce n'est pas la Chine qui rachètera le monde!... Si les crises n'ont cessé d'affecter un pays après l'autre, pour la première fois dans l'Histoire, l'hypothèse d'une crise mondiale, sans le recours possible d'une grande puissance ou des multiples instances internationales (BM, FMI, BRI, OMC, AID…). Comme au jeu de Monopoly, en fin de course personne ne gagne, ni les joueurs en faillite ni le soi-disant vainqueur qui se retrouve avec tout l'argent disponible sans pouvoir le dépenser faute de consommateurs et avec des maisons, gares, hôtels, rues que plus e=personne ne peut ni louer ni acheter:  Game over mondial! La dette mondiale de 2023 a atteint 100% du PIB, soit 100 000 milliards de dollars! Si au plan environnemental il y a 7 seuils irréversibles sur les neuf qui ont été répertoriés, au plan économique, il y a au moins le seuil de la dette qui, si la dette est mondiale, sera elle aussi irréversible et donc aporétique (sans solution intellectuellement pensable). 

p.45: La tentation est grande de penser qu'il suffirait de réformer la manière dont est créé et géré l'argent pour éviter le retour de la crise financière. Il n'en est rien car on ne réforme pas l'argent avec un peu de bonne volonté et de coopération internationale. L'autre tentation est celle de la redistribution: si l'on partage l'argent qui reste en part égales entre tous, certains perdraient leur fortune mais tous aurait au moins de quoi vivre modestement. La première tentative a été faite par les juifs des temps bibliques avec la pratique du "jubilé" (vers 1200 av. JC). La dernière théorie "distributive" est celle de Bernard Friot qui voudrait étendre les principes du CNR à toute l'économie. C'est séduisant mais cela ne fonctionnera pas mieux que le jubilé: partant du même capital, en dix ans on retrouvera Job  pleurant sur son tas de fumier et Salomon qui se sera approprié des mines d'or et vivra dans un palais! 

p.47: Les biens ont une valeur relativement à leur usage. Mais une Ferrari vaut plus cher qu'une Twingo pour le même usage, la même utilité.[…] Au contraire, l'argent n'est utile que parce qu'il a de la valeur. […] Qu'est-ce qui donne alors la valeur à l'argent? Oui si l'on considère que sans argent il n'y aurait plus que le troc. En réalité, c'est une question sans réponse et les économistes se déchirent depuis des siècles sur la définition des fonctionnalités de l'argent et plus encore sur celle de la politique monétaire, sans que la réponse ne fasse consensus… En somme, il semblerait que l'argent, la monnaie, le marché ne soit qu'une institution, une convention sociale, au même titre que la Loi… Le système a été fétichisé et c'est la seule raison pour qu'il paraisse indéboulonnable, "tabou"! 

p. 54: de Mattis suggère que l'argent est un instrument de pouvoir avant d'être un outil d'échange.  

p.61: Pourquoi la valeur existe-t-elle? "Parce que l'homme est ainsi fait", répond en substance Simmel qui trouve le moyen d'écrire plus de 600 pages pour dire ce qui tient en six mots…

p.63: Pour Marcel Mauss, l'or de nos contemporains est du même ordre que le fétiche des peuples primitifs: "vous identifiez le fétiche quand le système de croyance vous est étranger, mais quand il s'agit de vos propres croyances [l'économie moderne]   C'est sans doute Mauss, sociologue et non économiste, qui a raison. Les motifs de qualifier les pratiques actuelles de l'économie, et jusqu'à l'usage des algorithmes, de fétichisme  sont de plus en plus évidente, chez les économistes traditionnalistes ou hétérodoxes comme  chez les acteurs de banales transactions de gré à gré pour une bouchée de pain, un verre d'eau…                 

Il n'en reste pas moins  que "la croyance n'est opérante que dans son rapport au tout social qui le fonde". Une société postmonétaire ne tombera pas du ciel ou de la volonté de quelques "éveillés", mais bien du tout social, ce qui induit que la société devra changer de croyances en même temps qu'elle change de système, faute de quoi, le changement sera éphémère et porteur de contre-révolutions…. 

p.67: Ignorer la question de la valeur ou la considérer comme quelque chose de simple (…), c'est condamner à l'insignifiance toute révolte contre les conditions de vie, aggravées par cette crise, qui nous sont faites…Si la valeur d'échange, l'argent ou encore le pouvoir et la hiérarchie sont des faits humains indépassables, alors sans doute faudra-t-il se plier éternellement à leurs lois. La question fondamentale devient dès lors: qui a intérêt, au fond, à ce que de telles lois soient vues comme éternelles?   C'est effectivement ce qui rend contre productif les prétendues innovations, rebellions, alternatives qui restent dans le domaine purement individuel (les Survivalistes, les Colibris, certains néoruraux…), qui restent dans la seule réparation des misères intolérables (humanitaires, associations de services, groupes collaboratifs…), ou qui se cantonnent à un unique domaine (les fanatiques des monnaies locales ou des cryptomonnaies, certains écologistes et défenseurs de la cause animale…). 

p.77: L'acte d'échange envisagé isolément ne nous révèle rien de la vérité de l'échange. Celle-ci ne peut se lire que dans la totalité du système, mais dans ce qui relie tous les actes d'échanges entre eux, c’est-à-dire dans la circulation de la valeur…  C'est le problème des SEL (système d'échange local, des JEU (jardin d'échange universel) qui, aussi sympathiques, utiles, réparateurs soient-ils ne permettent en rien de comprendre le système global, voire, qui l'obscurcissent… 

p.79: Il y a très longtemps que la circulation générale existe. Le capital commercial n'est pas une création récente. Dès le néolithique, il existe des formes d'activités quasi industrielles motivées par la commercialisation ultérieure de ce qui était produit (mines, poterie, taille de pierre…). Ces genres de constats, induisent généralement la naturalisation de la valeur, de l'échange, de la monnaie, ce qui interdit tout abandon du système marchand, soit nié comme on a nié les cultures des peuples premiers pour qu'elles ne remettent pas en cause notre propre ethnocentrisme. Seule une réflexion sur le sens de ces "antécédents", dans un cadre conceptuel totalement débarrassé des prérequis modernes, peut permettre que la projection dans un autre monde sans argent, sans inégalité, sans désastres environnementaux. C'est en effet  si complexe que seule la coopération de tous, selon les compétences, les expériences, les niveaux culturels et culturels, peut y parvenir. Le monde postmonétaire ne peut vraisemblablement advenir à la condition d'être inclusive et de ne nier aucune culture, aucune classe, aucun particularisme. 

p.91: L'argent est lié à la valeur circulante et cette circulation n'existe que par lui. L'argent peut donc prendre les formes les plus variées sans perdre ses caractères propres.   Il y a une continuité historique entre ses formes diverses: le bâton de change, généralement en bois, utilisé dans la Grèce antique pour le petit commerce intérieur se retrouve aujourd'hui dans l'expression "émettre un chèque en bois" c’est-à-dire sans provision. Entre le bâton et le chèque, il y a le même mode de comptabilité, la même nécessaire confiance entre les deux parties, la question des valeurs attribuées aux objets de l'échange, les mêmes histoires aussi de fraudes, vols, dols, trafics…. Une nouvelle monnaie sociale et solidaire ne serait jamais qu'un "bâton de change" de plus!

p.97: L'auteur fait ici une distinction rarement évoquée entre la "circulation" et le "marché"On peut se passer du marché entendu comme le point de rencontre entre des acteurs économiques libres si on maintien la circulation. Dans le cas de l'économie soviétique, l'état centralisé prend en charge la circulation de la marchandise et de la monnaie en lieu et place du marché.  Dans un monde fondé sur l'accès libre à tous les biens, services et savoirs (option postmonétaire), le marché disparaît en même temps que la valeur et seule subsiste la circulation des biens en fonction des besoins et des ressources, laquelle exige un autre type d'organisation, d'institutions et d'usages… 

p.101: Il faut distinguer deux entités: le capital fixe (bâtiments, matériel, outillage…) et le capital circulant (ce qui se renouvelle sans cesse comme les matières premières, les fournitures, la force de travail…). Or, le cycle A M A' ne s'accomplit pas au même rythme selon le type de capital. La rotation du capital fixe est beaucoup plus lente que le capital circulant, bien que les deux passent aussi par la circulation pour revenir nourrir, sous la forme de capital augmenté le capital accumulé.    Le capitalisme ne peut survivre sans rotation ni capital augmenté, comme le corps humain ne peut survivre si c'est le cœur du système ne fait plus avancer le sang. C'est le point faible du capitalisme, son pied d'argile, son talon d'Achille. Tous les anticapitalistes devrait viser ce point faible. Il suffirait d'arrêter de consommer ce qui n'est pas vital pour que tout s'écroule! Les "objecteurs de la consommation" sont encore minoritaires mais tout de même de plus en plus nombreux tant le nombre des non-consommateurs contraints augmente du fait du creusement inévitable des inégalités sociales… 

p.106: Chapitre sur l'unité du système capitaliste: La valeur de ma baguette de pain n'est pas coupée de la valeur des titres de créance alambiqués qui ont provoqué la crise financière. L'une et l'autre présupposent la totalité du système de la circulation pour exister telles qu'elles sont.  C'est à mon sens ce qui explique que tant de contradictions se cachent derrière les affirmations péremptoires des économistes qui, généralement, ont un système de pensée analytique: un sujet-un discours, un problème-une solution, un secteur économique-une règle, etc. Mais la réalité, c'est que l'échange de la baguette de pain a lieu au sein du système de la circulation de la valeur, qui l'a objectivée en tant que valeur-travail, qui a fondé la possibilité de mon salaire comme produit de cette objectivation, qui a crée le système monétaire où le billet que je tiens dans ma main est créance sur une créance qui présuppose le phénomène de l'accroissement de la valeur circulante. Le billet de cinq euro que je tends à mon boulanger présuppose la totalité des circuits de la finance et de l'économie contemporaine, et ne vaut au fond que par eux. Tant que l'on n'a pas compris la globalité de ce geste banal, on ne comprend rien à l'économie et les "solutions" que l'on trouve aux problèmes économiques sont caduques avant même d'être mises en œuvre. 

p.109: Dans le mode de production capitaliste, le maintien de la valeur par sa circulation n'est possible que parce que la valeur s'y accroît. Une somme d'argent A revient sous la forme A' qui représente une augmentation de valeur. Dès lors, la force de travail apparaît comme la seule marchandise qui, achetée par le capitaliste, transmette davantage de valeur au produit que ce qu'il aura fallu dépenser en valeur pour l'obtenir.     On comprend alors qu'un "bullshit job" soit acceptable dans un monde monétisé mais aberrant dans un monde a-monétaire… Cette "survaleur" ajouté à la marchandise par le travail est quantitative, la valeur ajoutée d'un monde postmonétaire ne peut être que qualitative. Cela change tout car il est inimaginable qu'une activité de valorisation  (partir d'une graine pour arriver à un kilo de tomates, ou prendre un bout de bois pour en faire une table) puisse, sans argent, créer une inégalité sociale, offrir un pouvoir au planteur de la graine sur le mangeur de tomates!... C'est toute la différence entre salariat et activité choisie, entre travail abstrait et travail concret. 

 p.112: Il y a un grand nombre d'emplois qui certes concourent à l'existence du mode de production capitaliste, sans lesquels le capitalisme n'existerait même pas, mais qui pour autant ne sont pas productifs (créateurs de survaleur): tel est le cas des assistantes sociales, des professeurs, des éducateurs ou des policiers qui servent à entretenir , domestiquer, formater ou soumettre la force de travail. N'est pas non plus productif le travail des banquiers, financiers et autres traders sans lesquels il ne pourrait y avoir ni argent ni capital. Ce travail non productif est payé par le transfert d'une part de la survaleur au cours de la circulation.  Mais c'est aussi ce qui induit mécaniquement l'abandon progressif de ces activités non productives, leur dévalorisation sur le "marché du travail" et donc l'état déplorable du service public en général que seule une société a-monétaire peut revaloriser durablement.

p.115: …à mesure que s'étend la production, la masse toujours plus énorme du travaille d'autrefois tend en proportion à réduire la part du travail actuel, qui seul pourtant peut créer la survaleur. […] Le temps de production est de plus en plus consacré à revivifier de la valeur passée pour la transmettre à la valeur nouvelle, et de moins en moins destiné à en créer de la supplémentaire.(Marx parle de travail vivant et de travail mort et ce qu'on appelle aujourd'hui la baisse tendancielle du taux de profit). C'est aussi ce qui explique le chômage structurel qui ne peut qu'augmenter dans le temps quelles que soient les mesures sociales que l'on mette en place. A l'intérieur du système de la survaleur, pour augmenter cette survaleur il n'y a pas d'autres solutions que de d'allonger la journée de travail ou de réduire les salaires. Les seules limites à cette variable d'ajustement sont l'épuisement des travailleurs et la résistance qu'ils peuvent opposer… 

p. 117: …et dans ce cadre contraint, appeler à la décroissance ne peut qu'entretenir l'illusion qu'un capitalisme modéré et adepte du "développement durable" pourrait voir le jour. En effet, le mouvement de la décroissance ne favorise pas vraiment la prise de conscience qu'il faut sortir du système monétaire… (c'est sans doute un peu moins vrai pour les Objecteurs de croissance…). Idem pour l'environnement, l'écologie, les contraintes de la valorisation interdisent de prendre en compte les risques environnementaux. Donc les "écolos non-anticapitalistes" ont du chemin à faire, à moins qu'un blocage quelconque s'immisce entre la production et la consommation, car là, c'est la crise et… patatrac!...Mais ma position sur ce sujet reste très controversée. La doxa dit que les crises régulent le capitalisme…entre 1970 et 2007, il y a eu 124 crises bancaires, 208 crises de change et 63 crises de la dette souveraine. Y a-t-il des seuils irréversibles dans l'économie comme il y en a dans l'environnement? Je pense que oui mais encore faut-il le démontrer…     

p.143: A voir les hommes ainsi dominés par leurs propres productions, il est tentant de les exonérer de la responsabilité, ou au contraire de les considérer tous coupables, ce qui revient au même. Tout le monde n'est pas logé à la même enseigne. Et en outre, le pouvoir est toujours quantitativement corrélé au capital que l'on possède. S'il est vrai que nul n'est coupable du désordre généralisé, la responsabilité n'en est pas également partagée. Si dans une situation particulière des acteurs adultes et enfants sont mêlés et qu'un délit apparaît, personne ne penserait à juger les enfants coupables au même titre que les parents… 

p.145: Ce n'est pas le capitaliste qui crée la valorisation mais c'est la valorisation qui fabrique le capitaliste… Argument difficile à manier car il pourrait induire le fait que la valorisation est une loi naturelle, donc éternelle et incontournable… C'est ce qui a  conduit Marx à parler de la valeur comme d'un "sujet automate".   

p.149: L'exubérance de l'argent est la marque visible et impossible à cacher  de la perpétuation des liens maître-esclave. Tant que l'argent et la valeur existeront, sous quelque forme que ce soit, nous vivrons toujours dans une société de classe. …ou de castes si la valorisation passe par des fonctions (intouchables et brahmanes). Et pourtant la notion de classe est en train de disparaître dans les pays occidentaux développés. Le hiatus entre le ressenti d'une fin des classes et l'évidence de la création de classes par la valorisation est sans doute lié à l'accès à la consommation de masse qui a crée une immense et majoritaire classe moyenne bourgeoise. Cette bourgeoisie cache le rapport direct entre capitalisme et classes sociales sans réellement supprimer les classes.

p.150: L'homme ne descend pas du singe mais d'une bande de singes. Il a été social avant même d'être humain. D'ailleurs, l'observation des chimpanzés a récemment permis de comprendre que ces chimpanzés organisaient au sein du groupe des relations éminemment politiques, avec des stratégies de pouvoir, de coalition, de soumission, d'asservissement, de répression des règles communes, etc. Cela permet d'affirmer que l'individu dans la société capitaliste n'est pas l'individu naturel mais seulement l'individu social de notre époque           

p.151: L'individualisme capitaliste est donc en un sens une illusion mais, comme illusion sociale, il possède évidemment une certaine réalité, en ce qu'il est la traduction du fonctionnement réel du rapport social capitaliste. Cette remarque permet de comprendre que l'individualisme que l'on constate, souvent pour le déplorer, n'est pas un effet de la "nature humaine", un effet du capitalisme. Faute de quoi, à l'idée d'une abolition de l'argent, on projette cette illusion sur la vision d'une société postmonétaire. Inévitablement, on nous dit alors que cette société sans argent serait idéale mais impossible en raison de la "nature humaine. C'est un biais cognitif d'autant plus dur à éviter qu'il s'origine dans une expérience largement partagée et quotidienne du spectacle capitaliste. En ce sens, une désargence, c'est-à-dire un processus réflexif de décolonisation à l'argent, est le préalable à toute entrée dans le cadre postmonétaire, entrée souvent longue et douloureuse!...  L'abolition de l'argent est un problème mental bien plus que technique!

p.157: L'autogestion ne peut rien être d'autre que l'autogestion de la circulation de valeur et donc l'autogestion de sa propre exploitation. Il ne sert à rien de prendre le pouvoir dan l'entreprise pour gérer celle-ci en suivant les règles de la production marchande capitaliste; et prendre le pouvoir dans l'entreprise c'est nécessairement se condamner à la gérer suivant les lois du capital.   Il ne s'agit donc pas de l'emporter sur le pôle dominant, mais bien de s'abolir en tant que classe en détruisant le rapport dominant-dominés lui-même. On peut faire la même objection à ceux qui pensent à une transition lente entre l'ancien et le nouveau système via une prise de pouvoir politique. Un Président postmonétaire élu au suffrage universel serait prisonnier du système. C'est l'État qu'il faut abolir, le choix de la démocratie représentative qu'il faut abandonner, en même temps que le salariat, la valeur, le marché, etc. Ce n'est pas de l'extrémisme, de la radicalité, mais une simple posture systémique, ce qui est logique puisque, depuis le début, on ne parle que de système….

Conclusion On est soumis identiquement par le seigneur et le pouvoir féodal, par le colon et par la colonisation, par l'argent et le capitalisme. Un jour, dans six mois, six ans ou soixante ans, le capitalisme s'effondrera sous le poids de ses propres contradictions structurelles. Encore qu'une survie de soixante ans, ou même de six ans du capitalisme semble très hypothétique. La conjonction avec des effondrements environnementaux, sociaux, politiques et d'une énième crise capitaliste, pourrait nous entraîner dans un collapse encore plus rapide. S'il n'est pas possible de dater un tel événement, il serait à l'évidence très imprudent de ne pas faire comme si l'effondrement allait arriver demain matin. L'urgence seule peut nous contraindre à collectivement préparer la période postmoderne qui suivra. A défaut, il faudra tenter l'aventure dans le chaos, le sang et les larmes..., seule la petite minorité de postmonétaires s'y étant préparé.   

Un monde sans argent, Thierry long

 

Éd. Connaissance & savoirs, 82p.

 

4ème de couverture: C:\Users\33609\Contacts\Documents\Classement Postmonétaire\Biblio\CR Finalisés\Site\Livres.images\Long.JPGN'a-t-on jamais eu autant besoin de rêver qu'aujourd'hui ? Pouvons-nous encore sortir des paradis artificiels afin de nous sublimer et de nous projeter vers des horizons attirant individuellement et collectivement ? C'est ce que nous propose ici Thierry Long, cinq siècles après l'essai remarquable de Sir Thomas More, « l'île d'utopie » (1516). Ce chercheur convoque les connaissances scientifiques et philosophiques actuelles et passées pour penser un monde humaniste régulé sans argent. C'est justement à l'orée de ces connaissances que l'auteur décline les contextes les plus épanouissants pour les êtres humains afin de construire un système social coopératif, cohérent et durable. « L'île d'utopie » pourra-t-elle alors se transformer en un « monde d'utopies » ?... À vous d'en juger, de le critiquer, de l'amender, de le faire progresser et pourquoi pas d'en profiter aussi pour rêver de nouveau, le temps d'une lecture remplie d'humanité et d'espoir...

Thierry Long: Maître de conférences en psychologie morale appliquée, université Nice-Cote-d'Azur.

 

Les limites du système, la recherche en fait état quotidiennement à travers des communications écrites, des conférences ou des rapports de recherche rendus aux collectivités publiques. Pléthore d’écrits scientifiques soulignent ainsi les effets délétères de nos modes de vie actuels, pourtant soutenus par l’ensemble des institutions publiques et privées.

  1. Une régulation basée sur la concurrence: 

Le caractère désintégrateur de la logique de performance est clair: isolement de l'individu, faible estime de soi, peur d'autrui, replis communautaires… Pourtant, c'est dès l'école que l'on apprend la compétition, à commencer par les notes et les classements. 

  1. Un monde désenchanté:

L'atomisation des individus dévitalise la société. Le sport est devenu le nouvel "opium du peuple".

  1. Une nature mise à rudes épreuves:

90% des terres agricoles empoisonnées, 90% de la biomasse en moins dans les mers, déforestation massive, raréfaction de l'eau… et pas d'études épidémiologiques sur les "morts du capitalisme"...

  1. Humain-nature: nous avons perdu pied: 

L'être humain doit s'élever de son état naturel vil et primitif, d'où le peu de place fait au corps, aux pratiques sexuelles, aux activités physiques, trois éléments qu'il faut contrôler pour avoir une civilisation "digne de ce nom".

  1. L'argent, pierre angulaire du système: 

 L’argent dépasse en effet largement ses uniques fonctions d’échanges commerciaux et financiers. Il génère maintes croyances, conflits, émotions, comportements et modes de vie. Il dépasse en effet largement ses uniques fonctions d’échanges commerciaux et financiers. L'argent donne la possibilité à l'individu de passer d'une dépendance humaine à une dépendance matérielle, de l'être à l'avoir. Il nous promet l'universalité en échange de nos différences marquantes. (Marx passage du MAM' au AMA', soit de l'argent moyen à l'argent but: "L'argent est la marchandise qui a pour caractère l'aliénabilité absolue, parce qu'il est le produit de l'aliénation universelle de toutes les autres marchandises." -Marx, 1867, p.94). Donc l'humain et l'environnement sont passés exclusivement dans la sphère marchande. "Nous sommes de plus en plus ce que nous valons financièrement". 

La société, telle que je l'aperçois en l'an beau

Le cadre de notre utopie doit être mis en place sur le plan mondial. Donc les frontières n'existeraient plus. Les gens pourraient se réapproprier leur mode de vie sans être soumis à un système unique dominant… Un monde sans argent serait basé sur l'eudémonisme, la préservation de la nature.  

  1. La  régulation professionnelle: qui fait quoi et pourquoi

La régulation professionnelle serait basée sur la réalisation des désirs de la communauté. Les gens ne souhaitant pas participer aux tâches collectives seront privés de tout sauf nourriture et logement décent. Donc, c'est la gratuité sous condition et une forme d'exclusion  alors que je préconise pour ces gens inactifs la recherche d'une fonction sociale qui permette l'exonération pour cette minorité "inadaptée" des tâches collectives (originaux, artistes, handicapés psychiques, etc.) Mais tout individu contribuant socialement peut avoir droit à tout… Mon système évite cette contradiction (tâches collectives versus limitation des droits)    Un médecin/un éboueur (mêmes droits) qui des deux mérite plus?... 

Aujourd'hui, c'est le salaire qui donne sens au travail et pas le désir, le goût, le besoin de faire…. Un médecin est essentiel pour maintenir les gens en bonne santé, sans éboueurs, la ville devient vite insalubre et les maladies se propagent:  => égalité de valeur.

Calcul de la valeur travail en fonction du degré de compétences. Mais cela se mesure comment? Former un bon ébéniste est aussi long que former un bon médecin…. Dans les deux cas, cela demande des compétences particulières. Reste l'utilité, la santé est primordiale, le beau meuble de l'ébéniste serait secondaire ? Ça se discute… 

Par exemple, s’il y a vingt heures d’agriculture nécessaires à faire par semaine, ces vingt heures peuvent être partagées en deux s’il y a deux agriculteurs. On est toujours dans la comptabilité. Mieux vaut un agriculteur passionné qui fait 20h que 2 agriculteurs qui font 10h contraintes par la nécessité de produire. Laissons faire les choses si les usagers ont la maîtrise de leurs usages. C'est deux points de vue: l'économie solidaire ou la liberté de participer….

L’argent peut-il augmenter et déterminer la motivation et le choix professionnel ? Rien de sûr là-dedans…

La régulation par l'argent finit par devenir une régulation par le marché. Pourquoi et comment le marché peut réguler le partage des tâches, les salaires, la valeur travail?... Le marché permet qu'un individu puisse gagner des millions en poussant un ballon avec ses pieds!

  1. La régulation sociale: place à "l'inutile"

Ce monde promeut le retour des activités qualifiées "d’inutiles" aujourd’hui, c’est-à-dire des activités qui sont essentielles du point de vue existentiel (le festif, le ludique, le rêve…, qui ne servent qu'à se sentir vivant). Ce qui est aussi important que la santé et la culture…Cette nouvelle régulation serait marquée par un retour à l'esthétisme, la recherche du beau. Les anciens étaient fiers quand ils effectuaient de la "belle ouvrage" aujourd'hui, ce bel ouvrage est une perte de temps et d'argent, une perte de profits. Le beau est du luxe, bon seulement pour les riches au titre de marqueur social…

La lenteur du temps épouse davantage la santé des individus et apaise leurs relations … Si time is money, adieu la santé individuelle et sociale!... 

  1. La consommation

Pour ce faire, il est au préalable nécessaire que les besoins élémentaires soient assouvis (manger, boire, dormir, être en sécurité…) Après quoi, les besoins supérieurs peuvent venir… mais seulement après, qu'il y ait argent ou pas…. Cela rejoint l'idée que 9 planètes seraient nécessaires pour assumer la consommation globale de niveau américain. Le mot dépenser est étymologiquement le contraire de penser! Plus on se détache du monde matériel, moins on dépense, et plus on pense!

Moine boudiste (Rinpoché) lors d'une interview sur la crise: -Un intervenant: Maintenant que c'est la crise, je n'achète plus que ce sont j'ai besoin. -Rinpoché: Et on appelle ça la crise!... 

Maffesoli dans "La raison sensible": Il s'agit d'accompagner le rêve pour qu'il ne devienne pas cauchemar, pour enfin lier raison et émotion. D’où l'idée de à substituer l'éducation (verticale) l'initiation (proche de la maïeutique, horizontale). 

  1. La régulation politique : vers une réappropriation populaire éclairée

Le régime proposé est la démocratie directe, mettre fin à la démocratie verticale (représentative) et instauré la démocratie horizontale (directe). Le peuple souverain n'est plus constitué de "sujets de l'État". Long embraye alors sur la démocratie participative, ce qui est un pléonasme dû à la survivance de la représentation du peuple. Une démocratie doit être par principe participative. Dire que l'on participe en démocratie, c'est comme dire que l'on sort dehors!

Les frontières n'existeront plus, car elles forment des lieux de tension. Frontière fait référence à front et affrontement. Ce qui comme parfaitement aux conflits frontaliers, aux taxes de douane et au protectionnisme…

 Maffesoli (2014) s’appuie sur Simmel qui parle de cette énergie latente, de cette utopie « stagnante », de ces rêves actuels qui deviendront la réalité de demain et qu’il nomme : « le roi clandestin d’une époque ». Le "roi clandestin" de notre temps se cache derrière les Soulèvements de la terre, les Décroissants, les bifurcateurs, et bien entendu les postmonétaires…. Cella prouve que nous sommes bien en période de profondes mutations sociétales… 

L'idéal d'un "homme maître et possesseur de la nature" est au fondement même du paradigme moderne et nous n'avons pas encore inventer la paradigme postmonétaire… On y voit les signes dans l'idée nouvelle que la nature est un partenaire avec lequel il faut compter, biologiquement et symboliquement.

L'usage abusif du terme de "développement durable" indique que celui-ci est en crise. Les peuples qualifiés de "primitifs" ont généralement une spiritualité qui aujourd'hui commence à nous influencer. Juste retour du boomerang… 

Salamatou Sow, anthropologue et sociolinguiste du Niger: "peut-être qu'une restauration de la mémoire du ciel et de la terre dans les esprits et dans les cœurs pourraient aider l'homme moderne à se libérer de l'appareil monétaire qui le chosifie et tue sa mémoire." D'où deux perspectives qui s'affrontent: celles qui conçoivent des habitats naturels et celles qui les conçoivent comme des habitats hautement technologiques afin de mieux utiliser les énergies renouvelables. 

  1. Une éducation humaniste, pierre de voûte de la durabilité

La réussite est ce qui est recherché par tous, dès la petite enfance, et l'école y participe durablement! Or étymologiquement, réussir c'est renaître, sortir de nouveau. Un examen scolaire donne-t-il un sentiment de mieux exister?.... On peut en douter. L'éducation traditionnelle vise à permettre d'accéder plus tard à un emploi honorable, pas à mieux exister…. 

Mes parents m'ont envoyé à l'école pour que je devienne avocat, ingénieur, enseignant. Ma fille a réussi à concilier la préparation d'une agrégation et sa fille, donc ma petite-fille, rechigne à passer ses journées à la fac et ses soirées devant sont ordinateur. L'avenir étant ce qu'il est, elle risquerait de perdre sa jeunesse et de ne pas avoir une bonne vie pour autant. Les "lendemains qui chantent" sont devenus "le bonheur se mérite", puis "carpe diem" en seulement trois générations… Il y a quelque chose qui ne va plus! 

L'école, comme la société dont elle est le miroir, excelle dans les techniques de dévalorisation!  L'école: "ces chambres mortuaires où s'essoufflent nos vies corsetées dans la norme, toutes occupées à ne pas fleurir, à ne pas rayonner, à ne pas dépasser les limites du possible et de l'impossible." (Christiane Snger) Dans un monde sans argent l'éducation suivrait beaucoup plus les principes des éducations alternatives (Montessori, Freinet, Steiner…). 

Suit un développement intéressant sur le cadre scolaire et l'enseignent, les programmes…

C'est en comprenant que la révolution écologique ne passera jamais par une somme de "petits gestes", mais par le rêve retrouvé de "grandes enjambées" que les jeunes en auront envie… La vie est une acceptation d'un monde tel qu'il est, éphémère, inachevé, précaire. Mais il peut y avoir dans une telle acceptation quelque chose de ludique. C'est bien cela qui serait la marque de la sociabilité postmonétaire!...  La durée de l'éducation pourrait s'étendre plus longtemps qu'aujourd'hui puisqu'il n'y aurait ni nécessité économique ni enjeu de survie individuelle. Une éducation possible tout au long de la vie… L'école ne serait pas réduite à un bâtiment mais à toutes sortes de lieux, ouverte, sans murs…

Conclusion: 

Comment passer outre les barrières de la nécessité économique sinon en ôtant ce paramètre de l'échiquier. Il n'y a pas de moralisation du capitalisme possible, pas de régulation par la compétition. Ces rêves fous sont des apories (une absence de passages, une impasse, une difficulté impossible à résoudre, une contradiction insoluble dans un raisonnement). Espérer qu'un jour on puisse sauter du quatrième étage de l'immeuble est une aporie en vertu de la loi de la gravitation. Un "capitalisme à visage humain",  c'est de cet ordre… 

 

La commune libre de St-Martin, JF Aupetitgendre

Une expérience communale du XXI° siècle

Les Éditions libertaires, 262p, 2012

PDF ici:  

     La communAPTG 1.JPGe Libre de Saint Martin a été écrit en 2012, période où la question de l'argent devenait lancinante dans ma tête sans que je sache par bout la prendre. Cette fiction donne corps à un maire plus ou moins anarchiste qui tente dans une commune (fictive elle aussi) d'appliquer le "communalisme libertaire".  C'était pour moi l'occasion de faire le point sur des décennies de militantisme. Tout va mal et les solutions sont partielles, boiteuses, minablement localisées. Ce maire idéal, change tout ce qu'il peut, avec l'aide de la population qu'il a réussi à convaincre de tenter l'aventure.

    A la fin du récit, je n'étais pas plus avancé, cette commune libre se heurtant sans cesse au cadre capitaliste qui l'entourait, mon maire était de plus en plus attaqué par les administrations et j'ai trouvé la conclusion en l'envoyant en prison pour "délit de solidarité"!  Il ne me restait plus alors comme issue d'écrire "Le Porte Monnaie" pour me convaincre moi-même que nous n'échapperions plus longtemps l'abolition de l'argent…. C'est pour cela que j'ai classé ce livre dans la catégorie des livres postmonétaires. S'il n'en fait pas tout à fait partie, il reste l'exemple d'une porte qui inluctablement s'ouvre sur un monde sans argent... 

     Ne pouvant être à la fois l'auteur et le commentateur, je laisse la parole au journal Le Monde Libertaire qui l'a présenté dans un article  à sa parution: 

La pensée anarchiste, redécouverte par un élu (Monsieur Laurent) de Saint-Martin, une petite commune méridionale, lui permet de devenir maire d'une petite commune en proposant une alternative crédible et/ou originale à ses concitoyens. Aussitôt au pouvoir, il propose de supprimer sa fonction et de former des contre-pouvoirs à tous les niveaux, en misant sur la démocratie directe et participative, avec le plus possible des décisions proches du consensus, et en refusant les idées toutes faites et tout dogmatisme :

  • - au niveau local : des îlots autogérés qui touchent toute la localité ressemblent un peu à des comités actuels de quartier qui auraient acquis plus d'importance décisionnelle.
  • - au niveau fédéral communal : un Centre Communal d'Autogestion devient la nouvelle Municipalité.
  • - au niveau fédéral de la proche région se crée un Comité des communes libres.

     Tout part du bas, des individus et des îlots, qui sont toujours représentés au niveau supérieur. Les décisions sont prises en appliquant une sorte de principe de subsidiarité : ce qui ne peut être fait au niveau le plus bas passant alors au niveau supérieur.

      Au niveau économique, les innovations fleurissent, mêlant autant une autogestion complète, qu'un contrôle partiel ou que de simples aménagements plus démocratiques :

  • - pour satisfaire l'alimentation de base à tout le monde, est fondé un Dépôt alimentaire qui permet l'établissement d'un restaurant communautaire. La brasserie de la ville est municipalisée. Partout fleurissent jardins et vergers communaux, coopératifs, ou en possession simple (PROUDHON ?), qui permettent progressivement une forte autosuffisance. Quelques citoyens fondent même une Coopérative viticole, d'abord pour le plaisir des seuls membres, et ensuite pour écoulement solidaire de la production. Un berger communal est recruté, ce qui prouve qu'aucun fanatisme alimentaire n'est imposé, même si on trouve beaucoup de promotions pour végétarisme et végétalisme. La rivière est entretenue, réaménagée et progressivement dépolluée : elle offre ainsi un complément alimentaire, tout en conservant son rôle essentiel pour loisir et détente.
  • - au niveau bancaire, l'autogestion laisse la place à un contrôle citoyen des fonctions de la banque, sous la forme du Conseil de contrôle bancaire.
  • - dans diverses activités se multiplient des Ateliers coopératifs : garage, électroménager, couture, friperie...
  • - une grosse entreprise de meubles en difficultés se transforme progressivement en Scop avec l'appui communal.
  • - pour les transports, covoiturage et moyens «doux» (vélos, mobylettes, pousse-pousses) se diffusent en tout lieu.
  • - l'eau, l'électricité… sont récupérés peu à peu par la collectivité : régie municipale, coopérative pour les éoliennes… L'objectif est de réduire les coûts à court terme (les bénéfices prévus doivent être réinvestis), d'être autonome dans la gestion et l'acheminement, de ne pas trop sacrifier l'environnement (débat problématique pour les éoliennes) et d'éviter les pertes (contrôle des conduites, récupération des gaz et utilisation de la biomasse…).

     Non seulement on consomme en toute égalité, mais en plus on le fait sans gaspillage et en adoptant une vision décroissante douce. L'imagination pour diversifier et économiser est l'œuvre de tou-te-s. Les échanges relancent l'idée ancienne des SEL. Dons, trocs et bénévolat renouent avec le communisme anarchiste et avec une vision revitalisée de la société du don et du potlatch. Les paniers de victuailles, comme pour les AMAP, touchent aussi des secteurs moins souvent cités : la boucherie notamment. Tous les commerçants adoptent progressivement les groupements d'achats. Bref, la Commune de Saint-Martin utilise toutes les méthodes connues pour satisfaire les besoins en respectant au mieux l'environnement et le travail de chacun.

Au plan social, pour lutter contre l'inactivité et le chômage, on tente les initiatives collectives (certes bénévoles mais dont les retombées profitent à tou-te-s), libres et attrayantes. Chaque personne est aidée dans sa démarche propre pour sortir du rejet social qu'est le chômage : un ironique Paul-Emploi cherche avec les intéressé-e-s à leur garantir une rencontre satisfaisant les «3 G» : Gratuits, Gratifiants et Gourmands.  Pour lutter contre pollution et incivilités, et pour résoudre la question ardue de la propreté et des déchets, des initiatives ludiques, y compris avec les enfants (habiles petites hordes ?) soulagent grandement le travail des agents de la voierie.

        Quelques notes sympathiques de néo-fouriérisme s'installent donc à Saint-Martin.

Les questions de la sécurité et de la justice sont plus délicates à résoudre. Les policiers sont formés, invités à utiliser la prévention et la discussion. Ceux qui acceptent l'évolution deviennent gardes municipaux. La discussion et le civisme l'emportent peu à peu sur procès verbaux et contraventions… Une sorte de tribunal de conciliation et la restauration d'une sorte de juge de paix contribuent à régler à l'amiable la plupart des conflits. Comme en Afrique du Sud post-apartheid, on tente non l'oubli mais la résolution consensuelle et ouverte des conflits.

       Mais les graves méfaits déchirent toujours la communauté : un viol collectif trouve très difficilement une résolution satisfaisante, pour la jeune femme d'abord, et pour toutes les autres personnes concernées. Au niveau culturel, le cybercafé est transformé en Centre informatique pour recherches, échanges et création d'une base de données utilitaires. L'école s'ouvre aux adultes et à la formation continue. Les cursus scolaires sont décloisonnés pour accepter les différences de goûts et de rythmes. La fête foraine traditionnelle, coûteuse et pas forcément adaptée aux demandes, est remplacée par une «fête urbaine» réalisée par les citoyens de Saint Martin, sans esprit de profit, et forcément plus proches des besoins des gens.

     Pour les questions de santé, hormis un intéressant Centre de prévention municipal, les initiatives restent superficielles, et sont surtout dans le domaine des bonnes intentions. Pourquoi ne pas se lancer dans la création d'un Centre de Santé polyvalent, en convention avec l'hôpital proche, afin de faire se déplacer les professionnels et non les patient-e-s et les usagers.

Tout le cadre de vie est progressivement modifié. L'environnement (jardins publics, dégagement des rives de la rivière…) est soigné et transformé, toujours en mêlant l'utilitarisme et les loisirs, et en partant des besoins et des goûts exprimés par les intéressés eux-mêmes. L'habitat est amélioré par des équipes de bénévoles ; pas de révolution, mais un contrôle des propriétaires et le rappel de leurs devoirs sociaux. La participation des locataires aux aménagements, et le souci de l'écologie et de l'esthétique… transforment l'allure des bâtiments. Cela profite à tout le monde, aux propriétaires qui bénéficient de l'amélioration de leurs biens, aux locataires qui décident de leur environnement et qui obtiennent le blocage des loyers. L'affichage public laisse progressivement la place à la libre expression.

       Le succès est au rendez-vous, certes imparfait, mais bien réel : aussi SDF, réfugiés et sans papiers se passent le mot et affluent sur Saint-Martin : dure affaire à gérer ; ce qui est possible pour une petite communauté semble exploser devant la montée expansionniste des demandeurs. Un centre social autogéré pour les SDF est mis en place dans un ancien hospice, mais en nombre de places forcément limitées, et avec une population qui va justifier l'intervention policière extérieure.

     L'autogestion - ou plutôt une démocratie participative avancée - semble donc possible à petite échelle, et les méthodes proposées peuvent apparaître comme une forme de communalisme ou de municipalisme libertaire un peu édulcoré : l'écologie sociale de l'étatsunien BOOKCHIN ou les expériences italiennes de Spezzano Albanese semblent ici s'entrecroiser, sans s'opposer, car le pragmatisme et les expérimentations pluralistes sont au rendez-vous. Nous sommes plus proches des collectivités libertaires espagnoles de 1936-1938 qui faisaient cohabiter communisme authentique et petits propriétaires non employeurs dans une même communauté.

    Le grand intérêt du livre est de proposer des formules simples, s'appuyant sur le bon sens et l'expérience des participants : une vraie utopie réaliste en quelque sorte, qui fournit (et c'est revendiqué) une «boîte à outils» et des méthodes modifiables, pas une vérité toute faite. Ce n'est pas le grand soir ni la révolution totale, mais une forme de réformisme radical qui met toujours en avant l'intérêt des utilisateur-trice-s et des citoyen-ne-s, et qui leur permet d'auto- déterminer ce qui est bon pour elles et eux.

     Par contre, et c'est fondamentalement gênant, le maire reste l'élément initiateur, moteur, et modérateur. Certes c'est un vrai sage ou un vrai gourou désintéressé et œuvrant pour le bien public sans arrière pensée, mais c'est tout de même une validation de la thèse du rôle indispensable des fortes personnalités dans le mouvement historique, ce qui est une forme contradictoire avec l'autogestion.

       Après, tout cela reste limité et étroitement localisé ; rien ne change en dehors de Saint-Martin de l'emprise nationale et mondiale des 3 autorités déjà définies en son temps par PROUDHON : l'autorité étatique, l'autorité capitaliste et l'autorité morale ou religieuse. La crise économico-sociale et écologique s'étend partout, nationalismes et fondamentalismes renaissent en tout endroit. Comment donc faire connaître et étendre l'expérience de Saint-Martin ? L'imbécilité étatique y pourvoit : elle fait enfermer Laurent et quelques autres personnes concernées par l'expérience. Aussitôt la solidarité, la résistance passive et la multiplicité des réseaux de soutien (comme à l'époque des LIP par exemple) font de Saint-Martin un exemple mondial, commenté en maints endroits, approuvé ici ou là. La diffusion va-t-elle gagner. L'exemple va-t-il faire tâche d'huile ? C'est ce que FOURIER rêvait en son temps à partir d'un ou deux phalanstères exemplaires.

       L'ouvrage nous présente une utopie concrète, pragmatique, modeste, contradictoire et évolutive. Elle est méfiante des solutions toutes faites, elle refuse le mythe du Grand soir, elle se détache de toute idéologie fermée. Nous avons ici accès à une belle vision libertaire plus qu'anarchiste, en rapport avec l'air du temps revivifié par les nouveaux mouvements sociaux (néozapatistes ou indignados). Nous sommes loin des utopies classiques, centralistes, figées et autoritaires.

La lecture est aisée, les débats ouverts les uns après les autres jamais caricaturés. Le procédé reste un peu rébarbatif par sa répétition, mais l'entreprise vaut le détour.   février 2013

Les critiques du Monde Libertaire étaient justifiée et je me les étais faites dès le point final du livre. C'est ainsi que j'ai aussitôt entrepris ma deuxième fiction, Le porte-Monnaie, celle décrivant le saut dans la société amonétaire....