Editions Fayard, 2017, 296 pages
Quatrième de couverture : Une machine à concentrer la richesse, faisant une poignée de vainqueurs face à une armée de vaincus: voilà ce qu'est devenu le capitalisme. L'État-providence n'aura duré qu'une saison, la révolution technologique en cours réduit la marché de l'emploi. Le court-termisme règne en maître, la défense de privilèges aussi exorbitants que médiocres bloque toute tentative de sauvetage.
La finance et l'économie pouvaient être réformées au lendemain de l'effondrement de 2008. Rien n'a été fait. Le verdict est sans appel: nous n'apprenons pas de nos erreurs! Si bien qu'aujourd'hui, se débarrasser du capitalisme est devenu, pour l'humanité, une question de survie.
Paul Jorion propose une analyse sans concession et des pistes d'espoir: oui, l'État-providence doit être inscrit une fois pour toutes dans nos institutions ; oui, un projet européen ressuscité pourrait être le fer de lance d'un véritable redressement ! Seule la volonté fait défaut.
Biographie: Né en 1946, de nationalité belge, Paul Jorion est anthropologue et sociologue de form-ation. Il s'est ensuite formé à la psychanalyse. Il participe à des projets de développement en Afrique pour l'ONU. Aux USA, il travaille pour des cabinets financiers comme développeur de logiciel. Il termine sa carrière comme professeur à l'université de Lille. Paul Jorion a révolutionné, depuis dix ans, le regard que nous portons sur la finance et l'économie. Son récent ouvrage, "Le dernier qui s'en va éteint la lumière" a d'ores et déjà laissé sa marque. Interviewé par le vidéaste Marc Chinal, Jorion s'est déclaré totalement en accord avec la thèse d'une abolition de l'argent et de l'échange marchand…
pp.7-17 Introduction: A partir de 2008, Paul Jorion à écrit une chronique mensuelle pour Le Monde. Une décennie plus tard il reprend une centaine de chroniques pour évaluer si les problèmes traités avaient évolué ou pas, et pour les réactualiser. Visiblement, les leçons de la crise de 2008 n'ont pas servi, c'est le constat amer qu'il fait dans cette relecture. Il en tire sept objectifs possibles:
- 1° Faire de l'État providence une institution irréversible en tranchant la dépendance qui le lie aujourd'hui à la croissance et subordonne son existence aux caprices de celle-ci.
- 2° Casser la machine à concentrer la richesse.
- 3° Promouvoir la gratuité pour tout ce qui fait partie de l'indispensable.
- 4° Remettre en question la définition comptable traditionnelle et néanmoins arbitraire des salaires, comme coûts pour l'entreprise qu'il s'agit bien entendu de réduire.
- 5° Taxer le travail des machines, des robots, des logiciels en leur appliquant les mêmes barèmes que celui qui vaut pour les êtres humains.
- 6° Restaurer l'interdiction de la spéculation.
- 7° Faire de l'euro l'embryon d'un nouveau système monétaire international tel que celui d'avant Bretton Woods.
Voilà donc un programme qui, par beaucoup d'aspect se rapprochent de l'option postmonétaire et mérite d'en poursuivre l'analyse. Mais il s'agit à l'évidence d'un programme dit "de transition", pas encore dégagé des grandes Institutions anciennes, mais cependant, une réelle avancée sociale. Taxer le travail des machines par exemple, c'est accepter qu'il y ait un système monétaire, mais admettre qu'à terme il puisse disparaître. La question de savoir si une réforme provisoire du système est possible sans prolonger la survie du système…
Que s'est-il passé?
p.19: …la destruction de l'emploi salarié et du travail humain par le système capitaliste et le déferlement technologique semble être un impensé du mouvement social comme de la clase politique dans son ensemble. Pourquoi?
p.20: Nous vivons aujourd'hui à l'intérieur d'un système politique extrêmement inégal qui engendre la concentration de la richesse par quelques-uns. Les bénéficiaires de ce système bloquent tout accès à une vie meilleure pour tout le monde. Le problème est que nous tolérions un système politique qui détourne les acteurs de toute capacité à faire du bien.
p.21:Les savants vivent dans leur monde, à l'écart de la politique…. Quant à la technologie, elle est confisquée par le système politique…. C'est le cadre qui est mortifère. Souvent les débats se trompent de cible: si les scientifiques, techniciens, politiciens sont facilement accusés, le système lui, n'est jamais interrogé…
La technologie dans un cadre capitaliste est-elle synonyme de destruction du travail humain? Non en 2022 aux USA on annonçait 4 millions d'emplois dans l'informatique en omettant de dire le nombre bien plus important d'emplois éliminés…
p.22: Le numérique détruit autant d'emplois manuels que d'emplois de bureau et de professions intellectuelles.
Dire que la technique crée plus d'emplois qu'il n'en détruit est un mythe qui ne s'est jamais constaté ni aujourd'hui ni par le passé (voir le travail à la chaîne, le chemin de fer, le métier à tisser mécanique…)
p. 25 Le progrès technique est souvent considéré comme un progrès social. Nous sommes d'une naïveté confondante. Et c'est même le cas pour les activités hors salaire. Les femmes n'ont pas plus de temps libre, depuis l'introduction de l'électroménager. Elles ont ajouté un travail salarié au travail domestique pour payer ces appareils….
p.26: Le problème du chômage est insoluble, même si on relocalise l'industrie, sauf si les bénéfices sont affectés à un "pot commun" pour servir à la communauté dans son ensemble. Mais les dirigeants préfèrent que l'on s'adapte et que l'on gère la misère…
P.27: Ou l'on change de système, ou dans trois générations, c'est terminé, c'est l'extinction de l'espèce humaine. S'il n'y a pas de rébellion dans les cinq ans qui viennent, c'est cuit pour les humains. La proposition actuelle c'est d'étendre à tous le statut des intermittents du spectacle… Serait-ce le RSA pour tous et quelques petits boulots sous-payés de temps en temps pour le beurre dans les épinards?! Car pour la plupart des intermittents, c'est le lot quotidien.
p.28: Une allocation universelle ravivera la vieille peur des bien-pensants que le désœuvré aille boire sa paye! Et on répétera que "ça coûte un pognon de dingue" inutilement puisque les pauvres seront encore plus pauvres et plus nombreux…
p.29: En 1990, j'ai mis au point des logiciels dont les banques avaient besoin. Mon maître Claude Levy Strauss m'y a encouragé car c'était l'occasion de pénétrer dans un milieu habituellement fermé aux anthropologues… J'ai alors témoigné publiquement de ce que j'avais observé, mais mes alertes sont restées lettre morte…
On pense en particulier à la crise de 2008 où des banquiers devant les tribunaux ont avoués ne plus rien comprendre aux mécanismes financiers calculés par les logiciels et qui ont donc plaidé l'irresponsabilité!
p.32: Finalement, nous sommes comme l'animal sauvage fasciné par les phares d'une voiture en pleine nuit, mais qui décide de rester au milieu de la route. Quand on nous dit que la température du Pôle Nord est supérieure de 12°C par rapport à la normale, nous ne savons que faire de cette information…
p.33: Le seul coupable que l'on ait trouvé à la crise de 2008 c'est le CDS (Crédit default swap) auquel la "science" économique a attribué le pouvoir magique de découvrir le montant d'un risque de pertes sans le moindre calcul! Le CDS est un outil financier extrêmement dangereux: il a immunisé contre les pertes les plus riches et exposé les moins riches aux aléas économiques. Il est de fait étonnant que les produits financiers appelés CDS ait été si longuement évoqués par les économistes sans qu'ils n'en aient souligné le moindre danger, même après la suite de catastrophes qu'ils ont provoquées.
p.34: Le dossier à charge du CDS est accablant. Il est sensé assurer les pertes subies sur un prêt (non remboursement par exemple). La crise des subprimes n'a pas suffit et l'UE a utilisé les CDS comme instrument de mesure du risque de défaut de la Grèce.
p.37: la déclaration finale du G20 de 2009 est affligeante: En mauvais anglais, le G20 préconise la croissance et ne remet en cause que les subventions aux combustibles fossiles. (11 fois le mot croissance sur 3 pages).
p.39: En janvier 2011 un WikiLeaks publia le texte d'un entretien secret entre hauts fonctionnaires financiers anglais et américains annonçant une crise d'insolvabilité généralisée du secteur bancaire. Ils n'en présentèrent pas moins à l'opinion publique un diagnostic rassurant en parlant d'une simple "crise des liquidités". Et quand je parle d'un possible scénario d'hyperinflation ou d'insolvabilité généralisé de l'ensemble des banques de la planète, deux scénarios qui mettraient à l'arrêt immédiat tout échange marchand, tous les économistes rencontrés me disent que c'est totalement hors réalité. Et les lanceurs d'alertes qui mettent à jour les documents secrets sont "mis à l'ombre"! Il n'y a pas plus aveugle que celui qui ne veut pas voir!...
p.42: Il y a deux sortes de gens au sommet de la pyramide: ceux qui veillent à la défense de leurs propres intérêts et ont les manettes du pouvoir et ceux qui dénoncent le scandale et sont soigneusement maintenus à distance des centres de décision. La zone euro en crise permanente depuis 2010: Depuis la crise grecque de 2010 enclenché par les spéculateurs à l'aide des CDS, a failli mettre en péril l'existence de la zone euro.
p.43: En dehors d'une dynamique de bulle, l'appareil économico-financier est dysfonctionnel. La plupart des économistes le savent mais optent pour des aménagements de surface (réviser le libéralisme dans le sens du keynesisme), imposer des rustines (RU, salaires maximum, statuts d'intermittents, système Friot…), moraliser les pratiques (dé-financiarisation, retour à Bretton Wood, lutte contre les fraudes…). Donc faire exactement le contraire aux avertissements d'Einstein: on ne demande à celui qui a créé le problème de le résoudre, ni avec le même outil qui a permis le problème!
p.47: Le système monétaire est international (ou mondial) et quoi qu'en disent les experts, ils ont cédé à la tentation de focaliser leur attention sur chacun des désastres et de les interprétés comme un phénomène déjà connu donc "maîtrisable". Le cas de la Grèce a démontré le contraire: le fil rouge reliait la Grèce au Portugal, celui-ci à l'Espagne et à l'Italie, cette dernière à la Grande-Bretagne, etc. C'est typiquement "l'effet domino": la chute d'un seul domino peut entraîner la chute en cascade des 195 États-dominos. Et là, aucun recours ne sera possible, sauf à changer de système et pas le système. Le risque peut venir des banques, des ressources naturelles, des États, peu importe…. Et c'est ce qui motive le "chacun pour soi" dans l'UE, entre États américain, en Asie….
p.51: Exemple de choix politique: La Belgique a renfloué la banque Dexia à hauteur de 5,5 milliards d'euros alors que dans le même temps, elle finançait les plus démunis à hauteur de 500 millions. (fin 2012) Pour la banque il n'y avait pas de choix possible, pour les plus démunis, si. Choquant mais réaliste ! Jusqu'où ira-t-on dans de telles décisions "pragmatiques"?.. Pourquoi cela s'est-il passé?
p.71: Les faiblesses de la régulation: Le sens des affaires a remplacé le sens de l'État. En régime libéral, un bon régulateur, c'est un conducteur assoupi au volant!... Et ce, quand il serait urgent d'assermenter les financiers… C'est toujours la même question: les financiers ont le pourvoir et on se demande qui pourrait les "assermenter"…
p.75: Il faut changer de méthode, arrêter de mettre à la même table, pour tenter de faire émerger par le compromis, représentants d'établissements financiers n'ayant aucun souci de l'intérêt général et représentant de l'État. Jorion, malgré lui, tombe dans les filets du capitalisme traditionnel qui nous pousse à soigner le système qui nous détruit. Les représentants des établissements financiers vont trouver un "consensus mou" pour sauver le système qui les favorise et les représentants de l'État vont céder car ils ne sont rien sans la finance qui payent leurs campagnes électorales, les arrosent copieusement d'avantages et de prébendes… Il n'y a aucune raison objective qui amène les financiers à "s'identifier à l'intérêt général" car l'intérêt général nécessite la mort de la finance, la mise au chômage technique des spéculateurs.
Jorion ira-t-il plus loin?...
p.76: Ouf! Jorion avoue qu'une analyse du déroulement de la crise en 2007-2008 suggère au contraire qu'il s'agit d'un espoir infondé… Le rapport du Sénat indique que l'homme à la tête du crédit hypothécaire chez Goldman Sachs promettait à son équipe des primes ginormous (gigantic and enormous) s'ils parvenaient à fourguer la "camelote", les produits financiers avariés… Il faut changer de méthode sans tarder, les principaux représentant la finance étant incapables de s'identifier à l'intérêt général, ils l'ont amplement prouvé au cours des années.
p.78: Les civilisations ne meurent pas assassinées: elles se suicident! Et pourquoi les banques ne se serviraient-elles pas de leurs privilèges (en réduisant les marges des actionnaires, en haussant les prix de leurs service). Et si une banque devait présenter un risque systémique, ce serait l'État qui paierait les pots cassés! "Les civilisations ne meurent pas, elles se suicident". C'est un "slogan à retenir! Cela veut dire que ce ne sont ni les opposants, ni les soulèvements populaires, ni la technologie disruptive qui entraîne la chute des civilisations, mais simplement leur entrée dans la phase naturelle de chute finale, par l'hubris d'une logique poussée à ses extrémités.
p.81 La finance dispose des moyens de neutraliser toute tentative de réduire la nocivité de leurs pratiques… Toute mesure préventive d'un nouveau désastre étant systématiquement désamorcée, celui-ci devient inéluctable. Les comportements suicidaires ne sont pas absents du monde naturel….(voir le phénomène de "l'apoptose" ou "mort cellulaire programmée", situation bien connue des biologistes où des cellules vivantes déclenchent leur autodestruction en réponse à un signal)! La logique populaire le saisit très bien par deux énoncés: "On ne prête qu'aux riches" (n'importe quel quidam qui cherche à obtenir un prêt de son banquier en a fait l'expérience) et "le meilleur moyen de devenir riches et d'avoir l'air riche" (quiconque est allé en bleu de travail solliciter quelque chose de son banquier le sait). C'est même vrai au niveau d'une embauche: un demandeur d'emploi qui a la tête et le langage d'un "gosse de riche" a dix fois plus de chance que celui qui porte sur lui son statut de banlieusard et ses origines prolétaires.
p.99: A propos de la privatisation des établissements et entreprises d'intérêt national que la gauche réclame sans cesse, P. Jorion rappelle que "une privatisation qui aboutit à la constitution de monopoles d'oligarques peut être considérée comme un succès." Le dogme d'une privatisation sans contrôle peut faire des ravages…
p.100: L'article 421 du Code pénal de 1885 déclarait: «Les paris qui auraient été faits sur la hausse ou la baisse des effets publics seront punis des peines portées par l'article 419.» Il fut donc un temps où la spéculation affectant l'État était illégale.
A défaut d'une abolition pure et simple de l'argent, il serait judicieux de remettre en pratique l'art. 421 du code pénal de 1885!
p.102-103: note sur les market makers, professionnels de la finance (ceux qui font les marchés) qui mettent en contact ceux qui veulent acheter avec ceux qui veulent vendre. La qualité du produit est pour lui sans importance du moment que son prix l'évalue correctement. Au terme de la loi, on ne pouvait condamner les représentants de Goldmann Sachs de malversations puisqu'ils n'avaient fait que le strict objet du travail pour lequel ils étaient payés!
On se demande alors pourquoi un trafiquant de drogue est condamné s'il fournit un produit létal, contrairement au banquier qui fournit un produit financier pourri causant le suicide de quelques clients! Même la loi est conçu sur des préjugés de classe…
p.105: On se souvient de Hayek, récipiendaire du Nobel d'économie en 1974: «la justice sociale est une expression entièrement vide, privée de contenu déterminable…» et de Friedman, récipiendaire du Nobel 1976: «la notion de responsabilité sociale conduit immanquablement au totalitarisme….». Remarques qui ne manquent pas de piquant quand on sait que l'un et l'autre tinrent à prodiguer leurs conseils au général Augusto Pinochet!
p.117: Le marché américain des CDS se monte à 62 000 milliards de dollar, chiffre proche du total des dépôts bancaires à l'échelle de la planète, et c'est un marché totalement dérégulé… Personne ne semble s'être avisé que l'imbrication des firmes dans un écheveau de paris faits les unes sur les autres constitue le meilleur moyen de transmettre la peste de l'insolvabilité de l'une d'elle, communiquant à l'ensemble la fragilité de son maillon le plus faible… Et sachant qu'une chaîne n'est jamais plus solide que le plus faible de ses maillons, la chaîne spéculative des banques, au niveau mondiale, n'est pas plus solide que la plus petite banque d'un pays pauvre. L'économiste qui vous dira que le risque de faillites en cascade du système bancaire mondial n'est pas une hypothèse valide se moque de vous!.... A titre de comparaison (et pas de raison), j'ai pris le PIB du 3ème pays le plus riche (Japon) jusqu'au 25ème pays (Belgique), donc 22 pays: l'ensemble de leur PIB n'arrivent pas encore au niveau des 62 000 milliards de CDS. La Russie, la France, l'Inde, le Canada et l'Allemagne font partie de cette liste. Imaginons alors le sort des 173 autres pays plus pauvres que la Belgique si l'effet domino entrainait dans une crise des CDS les entraînait les uns après les autres dans un scénario tel que celui de la Grèce de 2010 !!!
p.123: La Financial Crisis Inquiry Commission instaurée en 2009 pour déterminer les causes de la crise a remis son rapport en 2011: les dix éminents membres n'ont pu se mettre d'accord. Six démocrates se sont opposés aux 4 républicains et ont publiés séparément deux déclarations distinctes! Ce qui est loin d'être rassurant puisqu'aucune mesure préventive sérieuse n'a encore vu le jour.
P 124: Un produit financier dont le risque de crédit n'est pas mesurable, ou l'est insuffisamment, doit être prohibé. La maîtrise du risque systémique est à ce prix. Quand la valeur du crédit est de 62 000 milliards, ne rien prévoir est suicidaire. C'est monter dans un avion dont on sait qu'il n'a pas de train d'atterrissage en état de marche… Et on voudrait nous faire croire que la "compagnie aérienne" est sûre et compétente! Et le risque peut partir de n'importe où. Voir l'affaire UBS (banque suisse réputée) qui a perdu 1,7 milliards quand l'un de ses employés avait pris des risques sur l'exchange-traded-fund (ETF), quand la Société Générale perd 4,9 milliards grâce à un trader pris d'un soudain goût du risque.
p.149: Les banques centrales ont joué ici un rôle particulier, devenant des machines de guerre entre les mains des investisseurs seuls, manipulant les taux d'intérêts pour faire taire les entrepreneurs sous la menace de la fermeture d'entreprise, et les salariés sous la menace du chômage… La Chine dispose ainsi d'un gigantesque portefeuille de dettes souveraines des autres nations. De fait, elle tient en otage les États-Unis et l'Europe fragilisés par la crise. Elle réclame alors, à long terme, la remise en place du bancor de Bretton Woods de 1944 qui servirait de devise de compte grâce à une chambre multilatérale et réglerait dans un cadre délibérément pacifié les échanges entre les nations. (sic).
Les grands points de faiblesse.
p.161: Le pacte de stabilité et de croissance européen est entaché d'une erreur mathématique grossière qui n'a pas empêché l'Allemagne de l'inscrire dans sa Constitution. Souvent les principes financiers jugés fondamentaux sont jetés aux orties au nom d'un pragmatisme de base allant à leur encontre…
p.163: Quant aux produits dérivés (swaps de crédit ou hedges funds, les régulateurs se contentèrent de détourner le regard… et les autorités ont combattu toute tentative d'établir une plus grande transparence…(la transparence aurait révélé crûment l'insolvabilité généralisée des établissements financiers). Et en cas d'insolvabilité généralisée, le mécanisme cesse de jouer car il n'y a plus de gagnants mais seulement des perdants et une autre logique doit se substituer à l'ancienne. Il est plus simple de demander à chaque établissement de faire semblant que tous les autres sont solvables jusque cela s'arrange. Il est donc évident que les discours et explications servies par les médias, les politiques, les experts économistes, ne sont en rien fiables. Si par manque de prudence de ces gens-là les peuples commençaient à comprendre les rouages de l'économie financière, ils descendraient dès le lendemain dans la rue, non plus pour revendiquer, mais pour pendre les derniers banquiers avec les boyaux des derniers politiciens!
p.167: La principale leçon de la crise est qu'une concentration excessive de la richesse parvient, à terme, à gripper le fonctionnement même de l'économie, les ressources nécessaires à la production et à la consommation se trouvant de manière croissante absentes là où elles sont requises. A cette déclaration essentielle, il suffit d'y adjoindre le constat historique que l'argent, mécaniquement, induit la concentration des richesses, depuis la nuit des temps (la Bible en parlait déjà dans le Lévitique au V° siècle avant J.-C.) et cela, quel que soit le lieu, la culture, la configuration politique. Si la concentration de l'argent est inévitable, c'est donc que le système dans son intégralité n'est pas viable. C'est objectivement un "syndrome du Monopoly": un jeu où il ne peut y avoir aucun gagnant, qui élimine tous les joueurs sauf un seul, lequel se retrouve avec de l'argent qui ne lui sert plus à rien et des maisons qu'il ne peut louer puisque tous les locataires potentiels sont en faillite! La seule issue est d'inventer une économie (au sens de gestion de la maison terre) sans argent. CQFD!
p.169: Le Pacte de stabilité et de croissance européens fixe des seuils infranchissables: 3% maximum pour le déficit, 60% pour la dette cumulée. C'est la règle d'or! Rn fait, une grossière erreur. Dans un budget équilibré les dépenses ne dépassent pas les recettes. Alors pourquoi calcule-t-on cela en "points de PIB"? Le PIB d'une nation serait-il substitut de ses recettes que les recettes elles-mêmes? De cette erreur découle l'histoire des "prêts structurés" proposés aux collectivités locales et qui en a mené de nombreuses à la faillite (des prêts tantôt à taux fixe et tantôt à taux variables…, le piège à Gogos par excellence!).
p.182: L'économie politique : C'est une véritable science politique qui apparaît sous cette appellation au 18° siècle. Elle décrète que seul le travail crée de la valeur et que tout gain dû au capital masque la spoliation d'un ou plusieurs travailleurs (thèse reprise par Marx). A partir des années 1870, une nouvelle approche apparaît fondée sur un homo œconomicus préoccupé uniquement de maximaliser l'utilité personnelle des biens qu'il peut acquérir grâce à ses ressources. Les différentes écoles économiques contemporaines prennent des libertés vis-à-vis d'une authentique méthodologie scientifique, un exemple tragique de fossilisation de la pensée. La conclusion aujourd'hui, c'est qu'une authentique science économique reste à réinventer et son avènement est urgent. Là aussi on retrouve le problème mental que représente une sortie du système. S'il est difficile pour le smicard contraint de courir indéfiniment après l'argent d'imaginer qu'on l'en prive définitivement, il est aussi difficile pour un économiste de penser que ses longues études n'étaient pas scientifiques, et qu'elles étaient même dénuées de toute base rationnelle!
p.184: La tragédie qui éclate en 2008, c'est que la finance qui s'effondre en un peu plus d'une année avait obtenu la caution de tous, de la droite à la gauche. Le Financial Times du 30.12.2008: «Nous n'imaginions pas l'ampleur du mal, nous n'étions pas prêts, nous ne disposions d'aucun des moyens qui nous auraient été nécessaires. » (signé Henri Paulson, secrétaire américain au Trésor). Il serait bon que les économistes aujourd'hui face preuve d'autant d'humilité qu'Henri Paulson! Nous sommes en 2025 et nos médias sont remplis de déclarations péremptoires d'économistes fous "n'imaginant pas l'ampleur du mal". C'est d'autant plus pénible quand il s'agit de jeunes, soucieux du bien public, plein d'empathie vis-à-vis des "accidentés de la conjoncture" et avec lesquels on aurait envie de devenir amis (Thomas porcher, Thimothée Parrique, et tant d'autres…).
p.186 Si on affirme que son propre savoir est scientifique et celui d'autrui idéologique, on considérera que les solutions que l'on préconise personnellement sont "d'ordre purement technique" et que seul un ignare voudrait les contester, tandis que celles, différentes, que les autres défendent sont "d'ordre politique" et donc nécessairement sujettes à controverse. Alain Supiot: Si ce que nous appelons science économique n'est en réalité qu'un programme politique cherchant à se faire passer pour une science, alors une mesure motivée par elle seule serait tout sauf neutre et apolitique… C'est pour asseoir cette croyance dans l'opinion que ces économistes ont obtenu la création en 1969 du prix Nobel d'économie. Le petit fils d'Alfred Noble a dénoncé en 2001 cette contrefaçon, estimant que la Banque Royale de Suède avait "déposé son œuf dans le nid d'un autre oiseau, afin de défendre les économistes de l'école de Chicago". Nous payons encore aujourd'hui cette usurpation de nid, ce "squattage", qui pourri les débats. Sur les plateaux de télévision, les économistes orthodoxes et nobélisés se succèdent pour justifier que les salaires versés aux salariés soient des coûts à minimiser autant que possible et que les dividendes versés aux actionnaires et les bonus des dirigeants sont des parts de bénéfices qu'il faut maximiser au mieux. Il s'agirait là d'un fait scientifique entrainant des réponses techniques. Le fait n'est pas discutable, les orthodoxes sont du côté de la raison, les hétérodoxes du côté de l'idéologie!... Tous les coups sont alors possible, y compris de confondre corrélation et causalité: l'hiver explique à la fois la neige et les journées courtes, sans que la neige soit la cause des journées plus courtes, ou l'inverse! Au moment où l'inflation commence à faire peur, on entend très souvent par exemple "qu'une baisse du taux de chômage produit une augmentation de l'inflation". C'est stupide logiquement, absurde économiquement, mais cela permet de nous mettre devant le choix entre guérir, maîtriser l'inflation par la rigueur budgétaire ou augmenter le pouvoir d'achat et sombrer ensuite dans une spirale inflationniste… Ce type de raisonnement permet en outre de dire tout et son contraire, par exemple qu'en agissant sur le taux de chômage il est possible de faire bouger le taux d'inflation ou qu'en agissant sur le taux d'inflation on fera bouger le taux de chômage.
p.196: Les économistes n'envisagent pas un instant ce que Marx appelait un "fétichisme", ce qu'on appellera plus tard une "réification", c’est-à-dire une tendance naturelle que nous ressentons dans les choses de nous induire en erreur en apparaissant autrement qu'elles ne sont. Le totem des sociétés primitives, dit Marx, c'est un bout de bois auquel on a donné du pouvoir. C'est un fétiche qui n'est que bois mais qui est censé agir sur notre destiné. L'argent est un fétiche, la marchandise aussi, et la science économique, c'est le catéchisme qui a décidé de quel pouvoir le totem a été doté: la réification, c'est le processus qui transforme quelque chose de mouvant (les rapports sociaux par exemple) en objet fixe (le totem, les lois économiques). Ce procédé a permis de faire passer la science économique pour un dogme, la finance comme une religion, l'argent comme un Veau d'or que l'on idolâtre… Les dindons de la farce sont forcément ceux qui ne comprennent pas le subterfuge, le tour de passe-passe, la manipulation de la logique qui transforme le fantasme en réel… L'expression "négationnisme économique" issue du livre de Pierre Cahuc et André Zylberberg (Flammarion 2016) fonctionne comme celles de complotisme, souverainisme…: charger de toutes les fautes de bon sens et de bon goût tout opposant à l'idéologie dominante, aussi stupide soit-elle, donc d'empêcher une pensée cohérente de se développer…
Que faire?
p.206: Mettre un terme au laisser-faire ultralibéral est devenu pour le genre humain une question de survie. Sauf que l'hubris est tel que de moins en moins de gens croient possible un changement via la politique. Fin juin 2024, le premier parti est celui des abstentionnistes (33,29%) et c'est sans compter les 20% de l'électorat non inscrit ou mal inscrits!... La survie viendra des abstentionnistes ou des votants?...
p.213: L'impasse découle d'un "faux-pas épistémologique": avoir remplacé les groupes d'humains assumant les fonctions économiques distinctes par un "homo œconomicus" asocial mais parfaitement rationnel. C'est bien pour cela que de plus en plus d'étudiants dénoncent un manque de connexion entre la science économique et la réalité.
p.216: La véritable science économique est aujourd'hui produite ailleurs que dans les départements d'économie ou les écoles de commerces. Et les professeurs que les étudiants réclament ne seront jamais nommés (ce sont des négationnistes venus d'autres sphères que de celle de l'économie).
p.223: Casser la machine à concentrer la richesse et abolir les rentes (versements d'intérêts, dividendes bonus extravagants…):
p.225: La Grèce n'était que le premier grain du chapelet. Ont suivit celui du Portugal, celui de l'Espagne, ceux de 46 états sur 50 en dessous du seuil de pauvreté…et beaucoup d'autres dans le monde. L'impasse est totale dans un contexte où la majorité n'a accès à la consommation que par le travail et une petite minorité vivants des intérêts. Sans repenser la manière dont se redistribuent les revenus, rien ne changera. Mais il s'agit d'un changement de civilisation, rien de moins!
p.230: Le "moins disant salarial" qui sous-tend les réformes "structurelles" de compétitivité relève de la même logique que le "moins disant fiscal", cette de l'accroissement des inégalités. Et il est clair que les opinions publiques sont désormais en rébellion ouverte contre la philosophie des "moins disant", même si la rébellion manque encore de développement théorique, de puissance logique.
p.234: Il apparaît de plus en plus clairement que les mieux lotis sont les détenteurs de rente et que la richesse des pauvres est liée aux aléas de l'économie réelle. Quand American International Group (AIG) a fait faillite en 2008, il a été renfloué par les contribuables à hauteur de 182 milliards de dollars (164 milliards d'euros) et les travailleurs ont eu des baisses de services sociaux et un blocage des salaires…
p.237: La question du travail et de l'emploi est tout aussi essentielle que celle de la transition énergétique,
p.238: Un travailleur ayant perdu son emploi du fait de la mécanisation devrait bénéficier à vie d'une rente perçue sur la richesse produite par la machine qui l'a remplacé. Mais un tel objectif est désormais inaccessible en raison de l'informatisation-automation galopante. En plus, il est de plus en plus douteux que les salaires suffiront à l'avenir à absorber l'offre entière de marchandises. Offre d'ailleurs qui serait contraire à tout ce que l'on sait sur l'état des ressources naturelles et sur les dégâts irréversible que provoque la production. Augmenter les productions pour offrir du travail à tous, c'est de facto abandonner toute idée de décroissance et donc déplacer le problème au lieu de le résoudre.
p.242: Si Keynes revenait aujourd'hui, il serait atterré et rejetterait avec horreur notre invocation à la compétitivité et au plein emploi…
p.246: Le pacte de responsabilité et de solidarité en 2014 visait la création d'emplois. Les 100 milliards prévu pour créer 1 million d'emplois ont abouti à une augmentation du chômage et l'enrichissement des actionnaires. Vive l'économie politique!
p.248: La question est ailleurs: faire disparaître cette main-d'œuvre en surplus des registres de Pôle Emploi et leur épargner la soupe populaire… Il faut envisager sérieusement aujourd'hui la "taxe Sismondi"….
p.250: En 2013, deux chercheurs d'Oxford estimaient que 47% de la force de travail occupe un emploi qui sera remplacé à terme par un ordinateur. Déjà sur les marchés boursiers les traders sont remplacés par les logiciels "algos" dans 50 à 60% des transactions.
p.251: Jonah Goldberg, chroniqueur, fait remarquer que «Si quelqu'un se lance dans les affaires, ce n'est pas pour créer des emplois, c'est pour gagner de l'argent. La main d'œuvre n'est qu'un coût…» D'où l'idée de taxer les machines pour payer les chômeurs, la taxe Sismondi.
p.267: Il nous faut à présent domestiquer (comme on l'a fait pour la Démocratie) de la même manière l'économie car nous l'avons laissée dans un état de sauvagerie premier de guerre économique de tous contre tous menée par des chefs de guerre cruels et brutaux. Le moyen de mettre en œuvre cette domestication est de pourvoir l'économie d'une authentique constitution.
Traduit en langage postmonétaire cela signifie: L'économie c'est la gestion de la famille humaine dans sa maison terre. L'économie, c'est l'activité qui se donne pour but de satisfaire au mieux les besoins de tous sur le temps long, donc en préservant la maison autant que les ressources qui l'entourent pour que chacun puisse avoir accès à l'alimentation, l'eau, les matières premières et les services dont dépend la survie de tous. L'argent qui était devenu le but ultime de l'économie nous a conduits au bord du suicide collectif. Il n'y a donc pas d'économie possible qui soit fondée sur l'argent et l'échange marchand. Les deux termes sont antinomiques. Cinq mille ans d'usage l'ont amplement prouvé. De même le salariat, qui découle directement du salaire, donc de l'argent, ne peut servir une économie humaine. L'argent induit mécaniquement les profits ce qui est tout autant contradictoire avec "le service de la maison terre". Il ne peut y avoir que des activités choisies et partagées entre tous ou accepter le chômage de masse et une toute petite minorité de rentiers ploutocrates. Le choix est là et ne peut être que là! Et ce qui s'en suit, c'est inéluctablement le passage d'une démocratie représentative à une démocratie directe. On peut avoir de multiples questions au sujet d'une économie a-monétaire autant que sur une démocratie directe, mais nous n'aurons aucune chance d'échapper à ces questions. Autant s'y mettre de suite si nous ne voulons pas devoir inventer les réponses dans l'urgence et l'hubris d'un effondrement global, et en plus avec les problèmes de pollution, d'extinction des espèces, de stérilisation des sols, des pénuries d'eau potable, de réchauffement climatique, d'énergie en berne, de matières premières essentielles au fonctionnement de nos machines, du chômage généralisé, des migrations climatiques de masse, etc. (liste non exhaustive car les connaissances en ces domaines sont encore partielles tant nous avons cru à la croissance infinie, à l'extractivisme, au productivisme, à l'homo œconomicus, etc. )
p.270: L'humanité a soumis quantité d'espèces vivantes à la domestication (pour la nourriture qu'elles offraient, leur force de travail, les matériaux qu'on en tirait…). Il lui restait à domestiquer l'homme par le travail salarié. Maintenant que l'homme est domestiqué et réduit à l'état d'esclave des machines, il ne nous reste plus comme solution que de domestiquer l'économie pour enfin libérer les humains de leur péché originel: leur fautes étant de s'être crus élus par Dieu et donc autorisés à exploiter la terre, les animaux, les humains les plus faibles, ce qui est la seule différence notoire qu'ils aient vis-à-vis des requins, des lions, des virus qui jamais n'ont poussé la bêtise jusqu'à épuiser les ressource qui leurs sont vitales.
p.273: Le TINA de Thatcher pourrait être réactualisé. Il n'y a pas d'alternative à la sortie du capitalisme, du monde marchand, de nos prédations sans limites.
L'Histoire a montré que notre espèce peut faire mieux. C'est Aristote qui le disait en louant la philia, le sentiment spontané qui nous pousse à œuvrer au bien commun et en dénonçant l'intérêt égoïste, la maladie professionnelle des marchands.
p.277: Après une page entière de propositions louable mais ne menant au mieux qu'à un alter capitalisme Jorion conclu: Enfin, dans un monde où le travail disparaît la question des revenus doit être mise à plat et faire l'objet d'un véritable débat C'est prudent mais largement insuffisant car il faudrait être "déjà" postmonétaire pour entendre ce qu'il pense vraiment par "disparition du travail", domestication de l'économie, philia, bien commun, etc.
p.287: Trois axes existent pour une société fondée non pas sur des rivalités exacerbées par le luxe, mais authentiquement solidaire: Assurer la gratuité pour l'indispensable. Redistribuer entre tous les bénéfices du progrès. Mettre fin à la prédation exercée sur l'économie par la spéculation en restaurant l'interdiction historique de celle-ci. Paul Jorion est visiblement à deux doigts d'abolir l'argent et la marchandise… il n'a plus qu'à l'affirmer clairement puisqu'à nos âges (le sien 78 ans et le mien 80) nous ne craignons plus rien…
p.288: Jorion enfonce le clou: … faisant de la gratuité son fer de lance… La gratuité est, elle, à l'abri de toute ponction…
Merci Monsieur Jorion…, c'est déjà l'essentiel!