André Gorz - La Sortie du capitalisme a déjà commencé…

 

Texte dactylographié et annoté par l'auteur, 2005.

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André Gorz: 1923-2007, philosophe et journaliste français (sous le pseudo Michel Bosquet). Admirateur d'Ivan Illich, il devient sans les années 1970 l'un des principaux théoriciens de l'écologie politique et de la décroissance. Il reste toutefois un "électron libre" parmi les intellectuels de son temps. Que ce soit avec les écologistes, les sartriens, les structuralistes…, il y a toujours un point d'achoppement. Il n'y a que ses amis de la VertkritiK (pour leur rigueur théorique) et de Charlie Hebdo (pour leur humour décapant n'épargnant personne, même pas eux-mêmes) qui lui restent fidèle. Le thème central de son œuvre tourne autour de l'aliénation (inévitable avec le capitalisme) et l'émancipation (seul projet politique qu'il valide).

André Gorz s'est suicidé le 22 septembre 2007 à l'âge de 84 ans, en compagnie de son épouse Dorine, atteinte d'une maladie dégénérative, comme ils se l'étaient promis via son dernier livre Lettre à D., Histoire d'un amour.      Un de mes amis "désargentiste" qui entretenait une correspondance avec André Gorz m'avait transmis ce texte prémonitoire écrit en 2005. Gorz avait composé ce brouillon sur sa machine à écrire et l'avait corrigé à la main. Ce philosophe et journaliste économiste était visionnaire et s'il n'y parlait pas de société sans argent, de postmonétaires, de désargence, à l'évidence il y pensait. En fac-similé vous avez le texte complet en pièce jointe. (Voir

«La question de la sortie du capitalisme n'a jamais été plus actuelle. Elle se pose en des termes et avec une urgence d'une radicale nouveauté. Par son développement même, le capitalisme a atteint une limite tant interne qu'externe qu'il est incapable de dépasser et qui en fait un système mort vivant qui se survit en masquant par des subterfuges la crise de ses catégories fondamentales: le travail, la valeur, le capital.»
On voit à ses influences (la Vertkritik), sa radicalité dans le changement (travail, valeur, capital…), sa conviction que le capitalisme est un système au pronostic vital engagé.

«Cette crise de système tient au fait que la masse des capitaux n'est plus capable de se valoriser par l'accroissement de la production et de l'extension des marchés. La production n'est plus assez rentable pour pouvoir valoriser des investissements productifs additionnels. Les investissements de productivité par lesquels chaque entreprise tente de restaurer son niveau de profit ont pour effet de déchaîner des formes de concurrence meurtrières qui se traduisent , entre autres, par des réductions compétitives des effectifs employés, des externalisations et délocalisations, la précarisation des emplois, la baisse des rémunérations, donc, à l'échelle macro-économique, la baisse du volume de travail productif de plus-value et la baisse du pouvoir d'achat. Or, moins les entreprises emploient de travail et plus le capital fixé par travailleur est important, plus le taux d'exploitation, c’est-à-dire le surtravail et la survaleur, produits par chaque travailleur doivent être élevés. Il y a à cette élévation une limite qui ne peut être indéfiniment reculée, même si les entreprises se délocalisent en Chine, aux Philippines ou au Soudan
La limite posée mathématiquement par la dégradation de l'environnement face à la croissance, se retrouve dans l'équilibre entre le travail et le capital: une chute des profits du travail, une hausse des profits financiers, des écarts de niveau de vie qui se creusent, et ce, selon une courbe exponentielle qui ne peut mener qu'à l'explosion. Gorz avait compris sur l'écologie et l'économie ce qu'aujourd'hui nos contemporains commence à peine à entrevoir, et uniquement quant à l'écologie.

Les chiffres attestent que cette limite est atteinte. L'accumulation productive de capital productif ne cesse de régresser. Aux États-Unis, les 500 firmes de l'indice Standard & Poor's disposent en moyenne de 631 milliards de réserves liquides; la moitié des entreprises américaines provient d'opérations sur les marchés financiers. En France, l'investissement productif des entreprises du CAC 40 n'augmente pas, même quad leurs bénéfices explosent. L'impossibilité de valoriser les capitaux accumulés par la production et le travail explique le développement d'une économie fictive fondée sur la valorisation de capitaux fictifs. Pour éviter une récession qui dévaloriserait le capital excédentaire (sur-accumulé), les pouvoirs financiers ont pris l'habitude d'inciter les ménages à s'endetter, à consommer leurs revenus futurs, leurs gains boursiers futurs, la hausse future de la valeur marchande de leur logement, cependant que la bourse capitalise la croissance future, les profits futurs des entreprises, les achats futurs des ménages, les gains que pourront dégager les dépeçages et restructurations, imposées par les LBO*, d'entreprises qui ne s'étaient pas encore mises à l'heure de la précarisation, surexploitation et externalisation de leurs personnels.
* LBO= Leverage Buy-Out, un montage financier de rachat d'entreprises par effet de levier (leverage), c’est-à-dire par un fort endettement bancaire.

    La valeur fictive (boursière) des actifs financiers a doublé en l'espace d'environ six ans, passant de 80 000 à 160 000 milliards de dollars (soit trois fois le PIB mondial), entretenant aux États-Unis une croissance économique fondée sur l'endettement intérieur et extérieur, lequel entretient de son côté la liquidité de l'économie mondiale et la croissance de la Chine, des pays voisins et par ricochet de l'Europe.
    L'économie réelle est devenue un appendice des bulles financières. Il faut impérativement un rendement élevé du capital propre des firmes pour que la bulle boursière n'éclate pas -et une hausse continue du prix de l'immobilier pour que n'éclate pas la bulle des certificats d'investissement immobilier vers lesquels les banques ont attiré l'épargne des particuliers en leur promettant monts et merveilles- car l'éclatement des bulles menacerait le système bancaire de faillites en chaîne, l'économie réelle d'une dépression prolongée (la dépression japonaise dure depuis quinze ans).
    L'économie purement spéculative a longtemps été une excroissance limitée dans le système. Elle a pris une importance folle et en prendra de plus en plus jusqu'à la destruction de l'ensemble, y compris du secteur productif.

"Nous cheminons au bord du gouffre" écrivait Robert Benton. [ Gorz fait sans doute allusion au cinéaste auteur du film Kramer contre Kramer…] Voilà qui explique qu'aucun État n'ose prendre le risque de s'aliéner ou d'inquiéter les puissances financières. Il est impensable qu'une politique sociale ou une politique de "relance de la croissance" puisse être fondée sur la redistribution des plus-values fictives de la bulle financière. Il n'y a rien à attendre de décisif des États nationaux qui, au nom de l'impératif de compétitivité, ont au cours des trente dernières années, abdiqué pas à pas leurs pouvoirs entre les mains d'un quasi État supranational imposant des lois faites sur mesure dans l'intérêt du capital mondial dont il est l'émanation. Ces lois promulguées par l'OMC, l'OCDE, le FMI, imposent dans la phase actuelle le tout marchand, c’est-à-dire la privatisation des services publics, le démantèlement de la protection sociale, la monétarisation des maigres restes de relations non commerciales. Tout se passe comme si le capital, après avoir gagné la guerre qu'il a déclarée à la classe ouvrière, vers la fin des années 1970, entendait éliminer tous les rapports sociaux qui ne sont pas des rapports acheteur/vendeur, c’est-à-dire qui ne réduisent pas les individus à être des consommateurs de marchandises et des vendeurs de leur travail pour peu qu'elle soit tarifée. Le tout-marchand, le tout-marchandise comme forme exclusive du rapport social poursuit la liquidation complète de la société dont Thatcher avait annoncé le projet. Le totalitarisme du marché s'y dévoilait dans son sens politique comme stratégique de domination. Dès lors que la mondialisation du capital et des marchés, et la férocité de la concurrence entre capitaux partiels exigeaient que l'État ne fût plus le garant de la reproduction de la société mais le garant de la compétitivité des entreprises, ses marges de manœuvre en matière de politique sociale étaient condamnées à se rétrécir, les coûts sociaux à être dénoncés comme des entorses à la libre concurrence et des entraves à la compétitivité, le financement public des infrastructures à être allégé par la privatisation.
Le tout-marchand s'attaquait à l'existence de ce que les Britanniques appellent les commons et les Allemands gemeinwesen, c’est-à-dire à l'existence des biens communs indivisibles, inaliénables et inappropriables, inconditionnellement accessibles et utilisables par tous. Contre la privatisation des biens communs les individus ont tendance à réagir par des actions communes unis en un seul sujet. L'État a tendance à empêcher et le cas échéant à réprimer cette union de tous d'autant plus fermement qu'il ne dispose plus des marges suffisantes pour apaiser des masses paupérisées, précarisées, dépouillées de droits acquis. Plus sa domination devient précaire, plus les résistances populaires menace de se radicaliser et plus la répression s'accompagne de politiques qui dressent les individus les uns contre les autres et désignent des boucs émissaires sur lesquels concentrer leur haine.
     L'idée d'une abolition total de tout ce qui constitue le système monétaire et marchand n'est pas clairement ennoncé par André Gorz, mais on ne peut s'empêcher de penser que Gorz était taraudé par elle. Jean-Paul Lambert affirmait qu'au sein de la "Gueule Ouverte" et parmi ses amis de la rédaction de Charlie Hebdo" Gorz en parlait, sans pour autant être pris au sérieux. C'était trop tôt, trop contraire à la doxa de l'époque. La revue La gueule ouverte, fondée en 1972 par Pierre Fournier, a publié son dernier numéro (le n°314) en 1980. (l'intégrale est visible sur   https://archivesautonomies.org/spip.php?article2780 ). 

  Mais une nouvelle édition de la Gueule Ouverte  a été lancée en septembre 2017. Voir le site  http://lagueuleouverte.info Certains articles de cette revue disent tout haut ce que Gorz pensait tout bas du système monétaire... 

Jean Pierre Gallou - Petit traité utopiste

 

Éd. Écosociété, 2009, 118p.

 

Gallou.jpegQuatrième de couverture: Pas d'État, pas de propriétaire pour réclamer du profit, pas de propriété privée non plus créatrice de rapports de domination), mais une propriété du droit d'usage et des biens communs à gérer collectivement, pas d'argent mais une société du don et de la coopération, voila bien les bases, selon Jean-Pierre Callou, qui permettront d'imaginer ensemble cette société idéale. L'auteur prend pour exemple la création d'Internet et la dimension novatrice de ses débuts: partage des connaissances et des compétences, libre accès au programme source, gratuité, autogestion. Tous les ingrédients pour miner la société marchande sont réunis… et la recette à portée de nos mains.

Biographie: Ingénieur de recherche français et autodidacte, Jean-Pierre Gallou est aussi passionné par la photographie et féru de montagne. Il a achevé cet essai en avril 2006 et a disparu tragiquement au cours d'une excursion un mois plus tard. Ce livre est l'œuvre de sa vie…

 

p.7: La richesse matérielle accrue dissimule une détérioration généralisée: la qualité de l'eau et de l'air, le milieu naturel et les relations sociales se dégradent […] De ce fait, une insolente prospérité côtoie un dénuement extrême…

p.8: …nombreux sont ceux qui souhaitent combattre ces menaces et ces maux mais ne savent comment procéder. […] Les rares propositions d'amélioration qu'on peut lire ici pu là sont toujours partielles et sectorielles… […] Ce livre est dédié à tous ceux qui veulent restituer le gouvernement aux êtres humains, qui ne veulent pas de fatalité, à ceux qui veulent édifier une civilisation plus harmonieuse et plus riche pour le genre humain…

p.16: Après des siècles d'espoir de progrès social, l'humanité a perdu tout idéal social et ne conçoit plus d'autre avenir que le perfectionnement technologique. La seule valeur reconnue est celle de l'argent… Les seules motivations avouables sont le recherche effrénée de la réussite et l'enrichissement personnel.

p. 17: Si cette logique perdure, la réalité risque de dépasser bientôt nos cauchemars les plus fous.

p. 18: Pour la première fois dans son histoire, les êtres humains peuvent communiquer directement, par-delà les cultures et les continents, et imaginer collectivement les nouvelles modalités d'un devenir commun.

p. 20: Les plus réalistes envisagent l'avenir dans quelques années seulement… Ne laissons pas les experts transformer nos sociétés en jungle et notre terre en décharge

p. 21: …un véritable changement ne peut être que radical, il doit changer les fondements mêmes de notre société.

p.26: Lorsqu'on rêve d'une maison à construire, on commence par l'imaginer, par faire des plans, une maquette. […] Quant à l'édification d'une société idéale, c'est un objectif enviable mais qui reste flou, hors d'atteinte et dont on n'a même jamais vu le début du commencement…

p. 27: Curieusement, l'homme moderne est généralement empreint d'un fatalisme total: "c'est ça ou la bougie"… "C'est le progrès"… Pourtant ces calamités ne sortent pas d'un volcan, d'une volonté divine, mais bien des réalisations humaines…

p.29: Tout peut s'expliquer par la volonté de pouvoir et l'avidité de quelques-uns.

p.30: Exemple de la pêche: l'armateur a intérêt à armer des nouveaux bateaux aux équipements modernes. Ainsi, il prend plus de poissons et tous les autres en font autant. Partant de là, les prix baissent et la ressource s'amenuise. On augmente donc la technique et les prises… Les pêcheurs ne sont pas fous ou irrationnels. Ils sont juste prisonniers d'un système aberrant!

pp.33-34: Le libéralisme économique tire son nom du mot liberté. Et pourtant cette théorie systémique ne fait pas la promotion de la liberté des hommes, mais celle des entreprises, du marché, du commerce. Le libéralisme n'a rien à voir avec la liberté des hommes. Quand les mots en viennent à signifier le contraire de leur sens commun, il faut s'en méfier ou se les réapproprier et leur redonner un sens authentique.

p.37: L'économie et le progrès sont des dieux modernes qui soumettent les citadins aux gaz toxiques, les pauvres au chômage et le bétail aux farines animales. Les experts en légitimation et les présentateurs des journaux télévisés sont leurs prophètes.

p.38: Ils sont assistés de thuriféraires, les publicistes. La publicité est un mensonge institutionnel puissant, qui nous fait acheter des biens inutiles et entretiennent les médias…

p.43: La domination qui s'en suit se reproduit elle-même sur un mode générationnel, non pas en raison de la nature humaine mais à cause de la nature même de notre société. […] Or, l'homme est fondamentalement inadapté à la société actuelle car il a vécu des millénaires en petits groupes, en tribus, sans État, sans propriété privée, sans salariat. Au lieu de chercher à s'adapter, il devrait réfléchir à une structure sociale plus juste, plus adaptée à la nature humaine. Contrairement à la nature humaine non modifiable (sauf à délirer), les structures sociales peuvent changer en quelques décennies si nous sommes suffisamment nombreux à le vouloir.

p. 45: Il faut établir un mode de fonctionnement social qui ne favorise pas les comportements égoïstes et ne fournisse pas des moyens d'action aux dominateurs comme les systèmes hiérarchiques, la propriété privée, l'argent, l'État… […] Il est donc grand temps de réaliser que l'égoïsme et la concurrence ne sont plus les bons choix, et qu'il vaut mieux coopérer et partager.

p.46: La concurrence est une maladie grave de notre société. Supprimer la domination, la concurrence et les conditions qui les rendent possibles est donc un préalable à une société humaine.

p.46: Aucun système politique d'un passé récent ne satisfait ces conditions. Il faut donc inventer, construire, créer, puis améliorer une organisation répondant à ces objectifs. La société ne peut être dirigée par une élite et chaque être humain est compétent quant à son bien-être et au sens de sa vie

p.49: Les hommes peuvent être colériques, dominateurs ou violents, mais la violence et la domination ne doivent pas être institutionnalisées ni même encouragées.

p. 50: La propriété lucrative qui est un moyen de domination des possédants sur les non-possédants, doit donc disparaître. Elle peut être remplacée par la propriété commune, mais l'expérience soviétique en a montré tous les inconvénients. Le problème découle de la confusion entre la propriété de droit d'usage et la propriété de droit de domination (lucrative, capitaliste ou autre). C'est le capital qu'il faut abolir, pas l'usage. Les biens d'usage privé ne sont pas des biens communs, mais des biens personnels dont on a logiquement l'usage exclusif. J'ai le droit de circuler partout sauf dans l'appartement d'un autre sans invitation.

p.52: Un logement doit appartenir à ceux qui l'habitent et non à une société financière ou à une personne qui n'y réside pas.

p. 53: Les poissons n'appartiennent pas à ceux qui les pêchent pour les vendre mais aux riverains qui en ont besoin pour se nourrir. […] Dès que quelqu'un n'utilise plus un bien, celui-ci doit redevenir libre, ou aller dans un "pot commun", administré par un organisme dédié à cet usage, lequel l'attribuera à un autre usager.

p.54: Ainsi, l'intérêt personnel sera limité aux affaires personnelles.

p.56: Souvent la propriété privée crée la rareté, alors que la propriété commune assure automatiquement le partage le plus équitable possible. L'exemple des plages privées et publiques le montre bien.

p.57: Il va sans dire que l'industrie combat avec la dernière énergie le partage des biens car cela diminue son marché.

p.59: Si les automobiles étaient des biens communs, il en suffirait 100 fois moins pour un service égal. Ce serait plus intéressant pour tous sauf qu'il faudrait modifier quelques éléments des voitures spécialement conçus pour un usage privé.

p.61: La valeur des biens telle que définie par le marché est toujours fondée sur un rapport de force. Dans une société voulant éviter la domination et les rapports de force, comment parvenir à une définition de la valeur? Vouloir fonder une économie sur des échanges équitables au juste prix est tout simplement une utopie impossible. […] Même équitable, l'échange monétaire nécessite de l'argent et une comptabilité tatillonne. De plus le contrôle des flux financiers favorise toujours la prise de pouvoir, donc la domination.

p. 62: Le nœud du problème, c'est l'échange quantifié et la propriété privée, symbolisé et rendu effectifs par l'argent. […] La nature ne pratique pas l'échange tarifé car elle ne connait pas l'argent. Elle n'en est pas moins dotée d'une haute technologie et des pratiques de collaboration de grande sophistication.

p.63: Le principe d'une société sans argent est en fait très simple. Chacun remet à la société le fruit de son activité et reçoit de la société ce dont il a besoin: un échange global sans comptabilité.

Attention au don qui semble évident et pacifique mais qui peut très vite appeler au "contre-don", puis à la surenchère, jusqu'à la guerre et l'extermination du plus faible. Autant il est facile de parler d'échange de bons procédés, autant s'organiser pour que nulle part existe un contre-don, c’est-à-dire en fait une conditionnalité à la validité du don, c'est compliqué et conflictuel. Ce n'est pas pour autant impossible. Le contre don est tellement incrusté dans nos cerveaux après des siècles de marchandisation que le don gratuit, sans retour sur investissement finit tôt ou tard par se terminer en réflexe de replis de classe: de la part de celui qui ne peut rendre un très bon repas, autant de la part de celui qui ne supportera pas de partager un repas ordinaire. C'est peut être l'un des problèmes les plus épineux à résoudre… Ce n'est pas un problème de transformation de la nature humaine (donc une utopie) mais juste un problème de "désintoxication" de siècles d'usages de l'argent. Seule l'expérience est capable de prouver que c'est possible, l'expérience induit la conversion individuelle, soit un reconditionnement autre qui ne vaudra pas mieux que l'ancien ou le temps long et nous ne sommes pas sûr d'avoir ce temps long…

p.66: A partir du moment où on se rend compte de l'évidence c’est-à-dire que l'économie n'est absolument pas organisée de manière équitable, on comprend que les rapports économiques peuvent être interprétés en termes non monétaires… Supprimer l'échange monétaire rend à l'activité son caractère libre, et aux produits leur caractère humain.

L'auteur ne peut être plus clair dans sa déclaration de postmonétaire… Bricolage et rafistolage sont les deux mamelles du système monétaire. Liberté et équité sont les mamelles de la civilisation sans argent…

p. 67: Le risque que, sans argent, plus personne ne travaille et que la production matérielle s'arrête est peu vraisemblable. Cela peut être la crainte légitime du maître ou du patron qui craint que ses travailleurs cessent de travailler pour lui. Mais ce n'est pas pour autant que les travailleurs cessent leur activité. Les hommes n'aiment pas l'inactivité hors des temps nécessaires de repos. Ils aiment être utile et rendre service, iles aiment s'activer en groupe… Surtout si la contrainte d'exercer la même activité durant 40 ans disparaît…

p. 69: En revanche, il risque d'être très difficile de trouver des volontaires pour fabriquer des mines antipersonnel ou des chars d'assaut! Il risque de paraître curieux d'aller chercher des tomates du Maroc et des avocats d'Afrique du sud si des jardiniers les produisent à quelques kilomètres de chez nous! Pourquoi un industriel s'embêterait à produire son nouveau produit pour le monde entier s'il est plus simple d'en donner gratuitement les plans à ceux qui le demandent?

p. 70: En revanche il y aura toujours des boulangers qui tous feront du bon pain, au levain, avec des céréales bio et rustiques, des pêcheurs qui ne pêcheront que les poissons qui lui ont été demandé, des fabricants de presse-purée et de machines à laver…

p. 72: il y aura toujours des industries mais autogérées, ne produisant que ce qui leur est commandé, pouvant s'arrêter quand la demande est satisfaite, sans risquer la faillite… Chacun pourra créer, de sa propre initiative, une unité de production. Si un projet est une lubie, il ne trouvera tout simplement personne pour s'y engager…

p. 75 [On nous objecte que si] un boulanger décide de quitter son fournil trois jours sans prévenir ses usagers pour rester chez lui ou aller voir de la famille éloignée, de graves problèmes d'approvisionnement sont à craindre! Pire encore quand il s'agit d'une production d'énergie, de transports en commun, de services de santé… Mais tout humain peut avoir le sens des responsabilités. Y a-t-il beaucoup de parents qui "oublient" de donner à manger à leurs enfants sous prétexte d'une sortie au cinéma ? En outre, activité libre ne signifie pas absence de règles!...

p.77: Des bourses d'offres et de besoins mettront en relation des agents du "commerce libre" et remplaceront ainsi le marché, tout en en préservant l'aspect utilitaire…

p.78: Les gens feront alors circuler des recettes, des plans, des inventions et des procédés plutôt que des produits et ce, chaque fois que ce sera possible…

p.79: Dégagée de la vision limitée du monde qu'impulse l'argent, la société fera intervenir les critères écologiques dans ses choix, ce que l'économie marchande est incapable de faire, sauf sous forme de réglementations.

p.80: Comment prévenir le gaspillage des ressources mises à disposition de chacun? Il ne s'agit pas de tout faire bien, mais faire moins de gaspillage que la société marchande, ce n'est pas difficile. Avoir peur de cette question, c'est refuser le mieux par crainte du pire…

p.81: Depuis que les hommes réfléchissent aux formes d'organisations politiques, la meilleure idée est celle de la Démocratie. Il faut donc préciser ce que cela veut dire et corriger les défauts des démocraties existantes. On a vu que ce n'était pas simple, mais il est sûr qu'une société fondée sur le partage et la coopération sera plus facilement démocratique au sens propre du terme qu'une société fondée sur la compétition et l'intérêt privé.

p.84: Contrairement à ce qu'on croit, la démocratie ne consiste pas à entériner par un vote le choix d'une majorité… Le choix de la majorité doit donc être la dernière solution, celle qui prévaut quand aucune autre n'est possible. … La majorité n'ayant pas forcément raison, elle n'a pas à imposer sa manière de vivre ou sa domination à une minorité.

p.85: Dans une société ayant des cultures différentes [presque tous les États sont dans ce cas] la démocratie ne consiste pas à les fondre tous dans le moule réducteur au peuple le plus nombreux ou le plus fort. … Les élus seront tenus de rester sous le contrôle effectif de leurs électeurs et pourront être révoqués dans le cas où ils ne respecteraient pas leur programme. … Aucun système n'étant parfait, mieux vaut avoir plusieurs systèmes qui cohabitent. Par exemple le vote de représentants dans certains cas, le tirage au sort dans d'autre, le comité d'expert ailleurs… et d'autres restent à inventer. … Cela exige une information complète et objective de tous les participants. La mise à l'écart de certains sujets réservés tels que les secrets d'État est inadmissible.

p. 86: Les organes démocratiques doivent être tous en démocratie directe ou en démocratie confédérale selon la taille du groupe concerné (du village aux nations). Mais cela ne suffit pas encore: la démocratie est lente, bavarde, conflictuelle.

p. 87: Dans le cas de situations urgentes exigeant des décisions rapides, elles peuvent aussi être confiées à des personnes de confiance…, mais toujours sous le contrôle de ceux qu'elles représentent. Et leur pouvoir doit rester circonscrit à un domaine précis et limité… Une société sans argent ni propriété privée n'a pas besoin d'un État. En lieu et place, on peut penser à des organismes gérant chacun un domaine à l'échelle du pays er dans ses relations avec les autres pays.

p. 90: Grace à Internet, la démocratie, l'ensemble des citoyens auto-organisés, peut devenir plus efficace que la structure hiérarchique. … La richesse et l'abondance sont des notions relatives: Des sociétés primitives peuvent considérer qu'elles ne manquent de rien, jusqu'au jour où elles découvrent le réfrigérateur ou la télévision…

p.93: L'égalité naturelle n'existe pas. Une société sans argent n'y changera rien. Qu'il y ait donc au moins une égalité des droits, ce qui est impossible dans un système marchand mais possible dans une société a-monétaire.

p.95: Internet a été conçu et continue de fonctionner parfois selon un modèle économique sans argent. Le libéralisme voir dans Internet le vecteur de la croissance, de la mondialisation, ce qui est tout à fait opposé.

p.97: Au début de l'Internet, ce sont les utilisateurs qui ont défini leurs besoins, inventé les logiciels à leur mesure, échangé leurs savoirs. Dès l'entrée des industriels dans cet outil, on a posé des normes RFC (Request For Comment), d'abord suivies par tous pour leur commodité, puis inspirées par le seul profit des multinationales du numérique. L'Open source est devenu propriété de Microsoft, Apple, Windows, etc. Depuis c'est la lutte inégale entre le gratuit et le payant…

p. 103: S'étant développé tout seul et dans l'indifférence quasi générale des pouvoirs publics et des principaux agents économiques, Internet est vite devenu un terrain propice à de grandes manœuvres de la part de prédateurs qui, depuis essaient de se l'approprier ou de le parasiter. A coup de milliards, les entreprises commerciales peuvent effectivement créer des services que les bénévoles ne peuvent concurrencer, y drainant le grand public et introduisant la publicité et le commerce.

p. 104: Ce que certains commentateurs présentent comme les failles d'Internet (la pornographie, les messages haineux ou commerciaux, les virus, les trafics d'armes, la pédophilie…) ne sont que l'expression des effets pervers du marché. Avant l'ouverture d'Internet au marché et au grand public, ses utilisateurs n'avaient rien à vendre et tout à partager. Internet a été conçu selon des principes d'ouverture, de coopération, de service, de démocratie, d'échanges non monétaires, d'absence de structures hiérarchiques.

p.106: Si les services offerts sur Internet avaient dû être payant, la plupart d'entre eux n'auraient tout simplement pas vu le jour.

p.110: Une société sans argent connaîtra des problèmes et devra faire face à certains inconvénients, mais elle bénéficiera d'une foule d'avantages.

p.111: La plupart des habitants des grandes mégalopoles se plaignent de leur taille inhumaine et des problèmes qui en découlent. Mais cette taille est liée à l'organisation hiérarchique des grandes sociétés et des États.

p.113: Prôner comme préalable un changement de mentalité qui permettrait ultérieurement un changement de société n'a aucun sens. La mentalité des gens est liée surtout liée au milieu et à l'environnement social. Vivre dans un monde où les biens personnels serait garantis et où le bien commun pourvoirait aux dangers ou aux accidents n peut que libérer du besoin d'accumuler.

p. 114: Si des individus se comportent en parasites dans un monde sans argent, il faudra se rappeler qu'ils sont moins nombreux que les parasites du système monétaire. Par exemple l'armée qui ne produit rien et réclame sans cesse des armes de plus en plus sophistiquées est un parasite bien plus vorace que très peu critiquent…

p. 118: Cet essai ne constitue rien d'autre qu'un point de départ pour une réflexion. Il appartient à chaque personne souhaitant s'affranchir de la société marchande, de le critiquer, de l'amender, de l'infléchir. Le salut ne viendra aps d'un programme, d'une idéologie, ou d'un maître, mais de la construction par les hommes eux-mêmes de leur maison commune: la société de demain… Une ère nouvelle commence!

 

J'ai très peu à redire à ce manifeste pour une société sans argent. Écrit au tout début de ce siècle, cet auteur mérite, malheureusement à titre posthume, toute notre reconnaissance. Ce qui me fait le plus réfléchir, c'est que j'ai commencé ce même genre d'essai presque dix ans plus tard, que je découvre ce livre dix ans après… Il aura donc fallu deux décennies pour que le lien entre Jean-Pierre Gallou et moi s'établisse. Il est possible qu'un effondrement advienne au début des années 2030. Au rythme où nous allons, il y a peu de chance pour que nous soyons prêts à temps pour abolir l'argent. A moins que la courbe des adhésions à la cause postmonétaire soit encore plus exponentielle que celle de la chute du capitalisme…. Tout espoir n'est donc pas perdu. La seule chose qui est sûr, c'est que le meilleur moyen de perdre est de ne rien faire…

Jacque Fresco - La prospérité sans en payer le prix

Venus Project, éd. Global cyber Visions 2013, 220p.

 

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Jacques Fresco (1916-2017) était un ingénieur américain, précurseur dans le domaine du Design industriel et dans l’ingénierie des facteurs humains. Il avait aussi travaillé comme conseiller technique pour un certain nombre de longs métrages. Ses créations et ses idées ont été présentées au cours de nombreuses émissions de télévision et de radio dans le monde entier, et des articles à son propos sont parus dans de nombreuses revues et journaux nationaux et internationaux. Il était fondateur et directeur du Vénus Project, une tentative d'instaurer un système global socioéconomique de coopération sociale: une économie basée sur les ressources et non sur le profit. Ses facultés oratoires et sa vision idyllique d'un avenir technologique radieux lui ont valu une notoriété internationale et de nombreux collectifs se sont constitués un peu partout, y compris en France avec le mouvement EBR-T, en Allemagne avec le mouvement Zeitgeist. Son projet de ville modèle était prévu sur un terrain de 8,7 ha au centre de la Floride (près de la petite ville de Venus) autour du centre de recherche qu'il y avait construit.

 

Avec les questions environnementales, l'émergence de la collapsologie, la défiance croissante vis-à-vis de la technologie et l'échec de la réalisation concrète d'une véritable ville gérée selon les principes de "l'économie basée sur les ressources", le mouvement s'est quelque peu délité, à la mort de son initiateur. Il a repris depuis une vigueur intrenationale inattendue.    Le côté technologique a sans doute perdu quelques plumes, mais le côté économique, social, politique lui, est porteur du véritable projet révolutionnaire sous le label EBRT  (PS: les numéros renvoient aux bas de pages du texte et non à la numérotation du PDF.)

p.3: Avant propos de Sébastien Bages : Jacque Fresco travaille depuis plus de soixante-seize années aux possibles d’une société nouvelle et émergente, sans jamais avoir pris de vacances […] Il est le seul à offrir une vision globale, prenant en compte l’intégralité des paramètres naturels existants et imprévisibles. […] Allié à l’outil science et à un génie décrit par ses pairs comme l’égal de Da Vinci, monsieur Fresco témoigne d’une inventivité sans frontière…

Présentation quelque peu dithyrambique qui a au moins la vertu d'illustrer la fascination qu'a exercé Fresco parmi les militants en recherche d'un autre monde plus juste, plus viable…

p.5: La découverte de la terre comme une belle sphère au sein du cosmos nous a amené à avoir cette importante prise de conscience, que tous ceux qui partagent cette planète forment une seule communauté. Reste à définir ce que nous ferons de cette petite planète et de cette prise de conscience de la globalité de l'humanité… La technologie, peut-elle être révolutionnaire au point de susciter un "progrès social" ou au contraire une vision de démiurge qui nous mènera à l'effondrement. C'est la question qui suscitera la scission entre technophiles et technophobes. C'est aussi l'intérêt qu'il y a, à relire le livre de Fresco, une décennie après sa parution française.

p.6: De nouvelles découvertes et inventions apparaissent à un rythme encore jamais vu dans l'histoire et qui ne cessera d’augmenter dans les années à venir. […] Ainsi, face à des propositions induisant des changements dans leur façon de vivre, les gens réagissent la plupart du temps de façon négative. Pour cette raison, quand il s’agit de l'avenir, ils sont très peu à explorer ou à envisager de modifier notre structure sociale et encore moins nos valeurs.

C'est un constat qui là aussi ne dit rien quant au risque de dérive mortifère ou de progrès humain. Les deux options sont possibles à ce rythme effréné. "Les gens" (toujours les autres) s'accrochent donc aux valeurs du vieux monde. Problème de stratégie ou de nature humaine?... Je pense surtout qu'il s'agit d'un problème d'anachronisme: Fresco fait partie de la génération née et formée dans la meilleur période de l'explosion technologique. Dans les années 1950-80, on pouvait tout espérer des innovations techniques, aussi bien dans les occupations "ménagères" que dans l'exploration spatiale, on ne pouvait rien savoir de TikTok, de ShatGPT et des OGM. Le reprocher à Fresco relève bien de l'anachronisme, autant que ne pas comprendre le contexte de son temps. Dans cette critique du livre, nous nous attacherons à trier ce qui date et ce qui reste d'actualité…

p.7: La plupart des écrivains du vingtième siècle ayant pensé le futur en ont présenté une vision brouillée par leurs égos nationaux ou personnels, sans saisir l'importance et la signification de l’application de méthodes scientifiques au système social.

J'ose faire remarquer que nous avons depuis longtemps un parfait exemple d'application de méthodes scientifiques au système social: l'économie qui s'est auto-inféodée aux mathématiques au point d'aboutir à un système totalement déconnecté du réel que ses concepteurs eux-mêmes ne comprennent plus. Mais là encore, c'est un fait nouveau dont Fresco ne pouvait imaginer à quel point il allait devenir caricatural.

p.15: Nombre de ceux d'entre nous réfléchissant sérieusement à l'avenir de la civilisation humaine connaissent bien les mornes scénarios de ce nouveau millénaire; un monde où le chaos et le désordre s’installent, où la démographie explose et où les ressources naturelles s’amenuisent.

Soit! On ne pourra pas dire que Fresco était inconscient du risque d'effondrement global. Mais Fresco est un "croyant" du progrès technologique, c'est de son temps, contrairement aux jeunes ingénieurs des grandes écoles qui, aujourd'hui "bifurquent" vers l'artisanat, le maraîchage, en travaillant plus pour gagner moins mais vivre bien!

Nous appelons à une refonte pure et simple de notre culture dans laquelle les problèmes séculaires de la guerre, de la pauvreté, de la faim, de la dette et des souffrances inutiles sont considérés non seulement comme évitables, mais aussi comme totalement inacceptables. Certes, mais est-ce un problème axiologique ou technologique?

p.9: Une nouvelle conception pour le futur: Le facteur humain selon Fresco est pourtant oublié par les décideurs. Or,… la technologie, la politique et l'automatisation perdent toute valeur si l'homme ne les accepte pas et ne leur fait aucune place dans sa vie quotidienne. Ce qui est assez nouveau, c'est que l'humanité qui jadis croyait aux vertus de ces trois choses, s'en défie de plus en plus, s'en détourne (retour au naturel et au lowtech, abstentionnisme électoral et fuite des partis, crainte des robots et de l'IA). L'air du temps de Fresco a changé!... Il y a peut être plus de livres dystopiques que de livres utopiques.

p.10: Pour cela, l'utilisation des ordinateurs nous aidera à définir quelles sont les manières les plus philanthropes et appropriées de gérer les affaires environnementales et humaines. Et dans le même temps, on voit plus de discours sur la prise de pouvoir des ordinateurs et leurs algorithmes que sur l'outil fabuleux qui tout aussi bien peut gérer intelligemment les ressources. En réalité, le numérique n'est ni bien ni mal, il peut aboutir aussi bien à une société de contrôle et d'asservissement qu'à un monde meilleur… La thèse que défendent beaucoup de postmonétaires (mais pas tous) c'est que l'ordinateur peut être un outil fabuleux dans une société intégralement dé-monétisée, dé-marchandisée, mais restera un évident danger tant que continuerons à croire que l'argent et l'échange marchand peuvent être régulés…

Grâce à l'intelligence artificielle, l'argent pourrait même devenir inutile, particulièrement dans une civilisation de l'énergie où l'abondance matérielle réduirait à néant toute notion de pénurie. Le temps est venu où les méthodes scientifiques et technologiques sont en mesure d'apporter l'abondance à tous. La première proposition est évidente. Sans l'IA, la gestion des ressources poserait un problème quasi insoluble. La tentative planification des productions via les "Mercuriales" au XIX° siècle n'a jamais fonctionné, pas plus que la "planification" dans l'URSS. De nombreux penseurs, jusque dans les années 1980, ont imaginé une société sans argent mais se sont heurté à ce problème au point d'abandonner leur "utopie". Aujourd'hui, cette utopie avec l'outil numérique entre dans le registre de la faisabilité. Ceci dit, les méthodes scientifiques et les technologies restent des outils capables d'user du numérique à des fins purement commerciales, pour le plus grand malheur de l'humanité et des écosystèmes. Le couple technologie+argent est le pire des modèles, bien plus que la technologie sans argent ou que l'argent sans la technologie.

11: Notre époque exige que nous déclarions les ressources mondiales patrimoine commun de l'humanité. Cetteidée est excellente, à ceci près que c'est contraire à toute ce qui fonde notre civilisation, la propriété privée exclusive de tout ce qui vient de la nature. Les industries extractivistes (énergie, agriculture, mines, pêche, etc. Ne payent pas ce qu'elles prélèvent et n'incluent pas ces richesses dans leur comptabilité, même pas dans le prix de vente de leurs productions. C'est un appel au gaspillage, aux profits indécents, à la guerre pour accaparement des ressources, etc. Mais comment y parvenir sans sortir de l'économisme marchand? Je dirai même de toute sorte d'économie: quand bien même elle serait sociale et solidaire, le résultat serait aussi piteux que le souci de démocratie qu'il est de bon ton d'affirmer à tort et à travers.

P13: Les nouvelles valeurs d'une culture émergente. Fresco nous propose ici une "expérience de pensée": on vous offre une planète viable, riche en ressource et vierge de toute occupation. Qu'en faites-vous? J'aime beaucoup les expériences de pensée car elles nous autorisent à imaginer sans barrières et ouvrent donc le champ des possibles.

Bien que des individus tels que Platon, Edward Bellamy, H.G.Wells, Karl Marx et Howard Scott aient tous tentés de concevoir une nouvelle civilisation, ils furent considérés par l'ordre social établi comme de doux rêveurs aux conceptions utopiques s'opposant à la nature humaine. Et c'est normal, quand il s'agit de sortir d'une tradition millénaire, de s'attaquer aux fondements d'une civilisation. Il faut vraiment que la situation soit désespérée et qu'une proposition particulièrement attractive émerge pour qu'une majorité accepte le changement… Un tel choix n'est plus technique, analytique mais civilisationnel et systémique et ce n'est pas tout les siècles qui peuvent aboutir à ce type de révolution que l'on est habitué à qualifier de "révolution copernicienne". Ni le Grand Soir, ni l'arrivée d'un homme providentiel ne sont un recours suffisant!

p.16: Un grand nombre des valeurs dominantes façonnant notre société actuelle sont en réalité moyenâgeuses.

p.17: Par le passé, beaucoup de réformateurs sociaux et de ceux que leurs détracteurs qualifient d’agitateurs n'étaient pas des individus inadaptés et en colère.

p.18: Il est bien plus facile pour les leaders de contrôler une population où règne la conformité. Les discours de nos dirigeants sur les libertés qu'offre la démocratie ne sont que des paroles en l'air. Ils soutiennent en réalité une structure économique qui enferme peu à peu les citoyens dans une prison de dettes.

p.19: Depuis les anciennes civilisations jusqu’à nos jours, les plupart des individus ont toujours dû travailler pour vivre. Notre attitude vis-à-vis du travail provient en grande partie de ces époques reculées.

p.20: C'est pourquoi il nous faut envisager des alternatives améliorant nos modèles sociaux, nos croyances, ainsi que la qualité de la vie, des solutions garantissant la sécurité et un futur durable pour tous.

Dans ces quatre pages, Fresco décrit parfaitement la situation propre à tous les changements de cycles que l'humanité a connus. Il en explique la difficulté en toute conscience, mais ne voit pas tous les biais cognitifs que son analyse recèle inconsciemment. Et c'est normal: il est clairement du XX° siècle alors qu'une autre génération émerge qui elle pense dans des critères du XXI° siècle. La brusque émergence du smartphone en est le symbole et Michel Serres ne s'y était pas trompé en la qualifiant de génération "petite poucette". Les successeurs de Fresco sont souvent eux-mêmes prisonniers de l'engouement suscité par Fresco et sont tenté de tout prendre de lui, à la fois ce qu'il y avait de révolutionnaire et ce qui n'était que survivance du passé. Aujourd'hui, tout l'intérêt de ce livre est de permettre à nos contemporains du XXI° siècle d'opérer ce tri indispensable et, très logiquement, certains pourront le faire, d'autres pas.

p. 21: Un langage pertinent: Même aux États-Unis, pays supposé technologiquement le plus avancé du monde, une orientation commune et clairement établie fait défaut.

p.22: Nous parlons beaucoup de développement global et de coopération globale, mais le terme « global » reflète ici les intérêts propres à chaque nation et non ceux de tous les peuples. […]Beaucoup d'entre nous manquons des compétences nécessaires pour communiquer logiquement lorsque nous sommes trop investis émotionnellement dans un résultat.

p.23: Nous avons besoin d’un langage qui corresponde intimement aux besoins humains et environnementaux. Un tel langage est déjà utilisé dans les communautés scientifiques et technologiques et il est facile à comprendre pour beaucoup.

Tout est dit dans ces quelques phrases: Les plus avancés scientifiquement et technologiquement (aux USA par exemple) sont démunis face à l'enjeu actuel. Nous utilisons des mots creux, vidés de leur sens ancien ou pas encore adaptés aux usages actuels: durable, croissance, environnement, anthropocène, démocratie…. La liste de ces mots est longue et c'est un véritable dictionnaire qu'il faut réécrire… Le Larousse du XX° siècle est écrit dans une langue devenue étrangère à la réalité… Continuer à l'utiliser sans mise à jour serait aussi étrange que de se servir de la seule l'encyclopédie Diderot et d'Alambert pour inventer le XXI° siècle. Quantité d'innovations technologiques et scientifiques ont eu des effets qu'il était impossible à prévoir et qui ont changé nos comportements, des plus intimes aux plus sociaux, longtemps après leur découvertes. C'est le cas de l'effet des propriétés du quatrz découvert par Pierre et Jacques Curie en 1880 qui restera plus de trente ans une "curiosité de laboratoire" et appliqué techniquement qu'au cours de la seconde guerre mondiale. Et la première montre à quartz date de 1967, soit 87 ans après les études des frères Curie!... A l'inverse, les premiers modes de calcul ont été à base 60 dans l'Antiquité mésopotamienne. Il a fallu attendre la révolution française pour que s'impose le système décimal, mais en 2024, on vend encore les œufs et les huitres par 6 ou 12, on calcule l'heure en seconde et minutes, la pureté de l'or en carats, la typographie en points, pouces et lignes, autant de survivance de l'antique système sexagésimal (base 60)…

p.33: Les gens doivent-ils vraiment se tourner vers la science pour trouver des réponses alors que la plupart ne sont pas suffisamment outillés pour formuler correctement les problèmes ou même pour comprendre les questions? On ne peut que souscrire à ce souci d'enseignement du plus grand nombre, mais c'est sans compter avec la liberté de pensée que cela induirait. Or, un peuple intelligent est un peuple autonome qui a assez de pouvoir pour contrecarrer toute velléité oligarchique et technocratique, ce qui ne favorise pas le capitalisme. L'abolition de l'argent, de l'échange marchand et donc du pouvoir qu'il donne aux plus riches est le préalable que semble ne pas percevoir jusqu'ici Fresco.

p.34: Notre seul espoir de fonder une nouvelle civilisation repose sur l'acceptation de notre responsabilité dans l'amélioration de nos vies. Cela nécessite une connaissance, une compréhension et une intelligence plus profondes des relations que l'humanité entretient avec les processus naturels de l'évolution. Sauf que c'est un serpent qui se mord la queue: une nouvelle civilisation nécessite la responsabilité du plus grand nombre, la responsabilité dépend du type de type de civilisation que l'on s'est donné….Le choc entre deux civilisations, l'une ancienne et l'autre nouvelle, n'a jamais été et ne sera jamais un long fleuve tranquille!

p.35: De nouvelles frontières pour le changement social Aucun système ne reste statique bien longtemps. Malheureusement, les changements ne constituent pas forcément des améliorations. […]L’histoire de l'humanité est celle du changement, lequel est soit le fruit de circonstances naturelles, soit d’une intervention humaine.

p.36: Néanmoins, à chaque étape, le changement technologique se heurte aux intérêts personnels. […] l'ordre social établi cherche-t-il à se perpétuer. […] En quelques dizaines d'années seulement, le transfert d’informations s’est déplacé du télégraphe aux transmissions sans fil par ordinateurs, lesquels abritent des trillions de bits de données et les diffusent en tous points du globe de façon immédiate. […]

P.37: Il est peu probable que les citoyens du monde soient capables de saisir la portée d’un tel changement […] Dans les dix prochaines années nous pourrions assister à plus de changements que dans toute l’histoire connue.

p.38: Dans une situation dangereuse, la plupart des gens prennent conscience de ce qui les aidera le mieux à survivre. […] Pour le moment, aucun groupe de réflexion ne se réunit pour explorer de quelle façon faire converger l'organisation sociale avec les récents progrès de la technologie.

p.39: La plupart des gens croient que si la société s’effondre, le gouvernement assurera leur survie. Mais c’est fortement improbable. […] même dans les démocraties modernes, les dirigeants ne sont pas élus pour améliorer les vies des gens moyens, mais pour maintenir les postes privilégiés occupés par certains dans l'ordre en place. […] Le vrai changement social se produit lorsque les conditions se détériorent au point que les gouvernements, les politiciens et les institutions sociales n'ont plus le soutien ni la confiance du peuple. Voilà bien ce qui ressemble aux discours des collapsologues et de certains écologistes radicaux, d'où le définition de l'effondrement donnée par Yves Cochet : « le processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, mobilité, sécurité) ne sont plus satisfaits pour une majorité de la population par des services encadrés par la loi. Ce processus concerne tous les pays et tous les domaines de l’activité humaine, individuelle et collective ; c’est un effondrement systémique mondial. »

p.40: Les solutions à nos problèmes ne viendront pas de l'application de la raison ou de la logique. Nous ne vivons pas dans un monde raisonnable ou logique. Il n’existe aucun exemple dans l’histoire d’une société qui aurait, délibérément et consciemment, modifié sa culture pour s’adapter à une période de changements. On voit bien là les limites de l'ingénieur Fresco et de sa "foi" dans la technologie. On ne demande pas aux ingénieurs de trouver des solutions systémiques pour lesquelles ils sont sans doute les moins bien placés. Nous avons plus besoin de poètes, de philosophes, d'utopistes que d'ingénieurs. Et Fresco le reconnaît très honnêtement quand il conclue que " aucune nation industrielle n'en a jamais adopté un [un système social idéal] qui ait amélioré la vie des personnes et fondé une nation véritablement civilisée. […] Notre ordre social, politique et international est aujourd'hui dépassé. Des institutions sociales surannées ne peuvent pas s’adapter à une technologie innovante au service du bien, elles ne peuvent non plus surmonter les inégalités que beaucoup subissent. Aurélien Barrau l'explique très bien quand il dit qu'avec un bulldozer électrique, entièrement construit avec des matériaux issus de production durables, sociales et solidaires est parfaitement capable d'éradiquer l'Amazonie, ou qu'une énergie quasi gratuite, abondante et inépuisable comme la fusion nucléaire, serait une catastrophe écologique… Le discours de Fresc, dont certains ne voient malheureusement que l'aspect technologique, va pourtant à l'essentiel:

p.43: Afin d’atteindre ces buts, le système monétaire doit évoluer vers une économie mondiale basée sur les ressources. Dans l’objectif d’utiliser les ressources efficacement et de façon économique, mais également d’assurer une amélioration du niveau de vie pour tous, la technologie cybernétique et informatisée doit être appliquée. En somme, ni technophilie ni technophobie!...

p. 45: L'inhumanité d'un système monétaire: Dans un système monétaire, le but poursuivi est le bénéfice : tout ce qui compte est le maintien d’une position compétitive et le résultat final. (Ce profit dont on sait maintenant qu'il fait d'autant plus de dégâts que les dégâts font du profit…, jusqu'à l'hubris). Tous les systèmes économiques du monde - le socialisme, le communisme, le fascisme et même notre système capitaliste de la libre entreprise - perpétuent la stratification sociale, l'élitisme, le nationalisme et le racisme, lesquels reposent principalement sur la disparité économique.  Le capitalisme a en effet poussé la logique marchande jusqu'à l'absurde!

p.46: La guerre n'est pas la seule forme de violence imposée aux peuples… Je ne sais pas si Fresco avait une réelle conscience que tout système monétaire se traduit par un état de guerre économique permanent, mais, cela semble probable même si cela n'est pas dit clairement à ce moment du livre…, bien qu'il dise que …nous sommes tous, cadres dirigeants inclus, les esclaves du système monétaire. Il manque à la plupart d'entre nous un sens à notre existence.

p.47: Nous devons arrêter de nous battre constamment pour les droits de l'Homme et une justice pour tous, dans un système injuste, et commencer à construire une société où l’égalité des droits fait partie intégrante de sa conception. Là, c'est plus clair!...

p.51: Le système monétaire fait peser une très grande pression, pourtant injustifiée, sur les ressources disponibles et empêche à un nombre incalculable de gens de profiter des bienfaits de la production à grande échelle.

p.52: Aux États-Unis, pendant les périodes de « guerres des prix », le lait et d'autres produits agricoles furent détruits pour maintenir des prix élevés. Où est le scandale? Nous adhérons à la « valeur travail » tout en permettant la destruction de ce qu’il produit. Il est fou de voir les critiques de ce genre pleuvoir sur le système monétaire et en regard de voir le peu de gens qui osent imaginer une abolition de l'argent. Cela relève la religion, du tabou, de la déification d'une simple convention sociale…

P.54: Quand l'argent n'est plus utile: Nos problèmes ne pourront pas disparaître au sein des systèmes monétaires et des institutions politiques tels qu'ils sont actuellement […] et si le système monétaire perdure, nous devrons faire face à un chômage technologique en constante augmentation. Et en effet, ce chômage ne peut aboutir qu'à la création d'une majorité d'humains superflus, réserve de main d'œuvre parquée dans des ghettos…

p.55: L'EBR, c'est un système dans lequel l’accès à l’ensemble des ressources, aussi bien naturelles qu'artificielles, ne nécessite ni argent, ni crédit, ni troc, ni toute autre forme de dette, […] ce qui n'a absolument rien à voir avec les buts actuels d'une élite consistant à former entre eux un gouvernement mondial… L'essentiel de cette thèse et développer avec quantité de points de détail, mais tout est déjà dit dans ce début.

p.63: L'amour et l'extensionalité: Plutôt que d'amour, je préfèrerais parler d'organisation sociale, surtout quand o, en arrive au chapitre suivant: Recevoir sans donner!

p. 66: l'EBR et la distribution: La distribution des biens et services sans recours à l'argent ou à des gages serait assurée grâce à la mise en place de centres de distribution. […] On prend quand on en a besoin, on dépose quand on n'en a plus besoin.

p.69: Automatisation et IA: L'utilisation de l'informatique est en train de remettre en question notre façon de gérer les affaires humaines. En rassemblant de vastes stocks de données provenant de nombreuses disciplines différentes. Internet et le World Wide Web constituent le terreau où se développe un nouveau mode de relations humaines.[…] L'extrême rapidité et facilité de ce moyen de communication modifie considérablement notre relation à l'autre ainsi que notre façon de faire des affaires. L'information se déverse sur le net sans qu'il ne soit jamais question de frontières, de douanes ou d'accords internationaux. Pour ceux acquis à la cause du contrôle de l'information, c'est une époque terrifiante. Aussi terrifiante qu'enthousiasmante, tout dépend du type de société que l'on se choisit. Si par exemple il est posé de façon claire et catégorique que tout pouvoir, humain ou artificiel, est dangereux sans contre-pouvoir, si les objectifs de la science et de la technologie sont foncièrement limités par la maîtrise que tous les usagers auraient de leurs usages, alors ce peut être une société enviable. Sans ce préalable, ce sera une société "orwellienne"!

p.72: La cybernétique pourrait permettre d'atteindre le plus haut niveau de vie imaginable sans pratiquement travailler. Pour la première fois, elle pourrait libérer les individus d'une routine fortement structurée et imposée par l'extérieur, consistant en la répétition quotidienne de la même activité. […] Cela marquera à jamais la fin de l'utilisation dégradante d'un être humain pour faire, contre sa volonté, le travail d'un autre. Et c'est ce qui changerait totalement la capacité des uns à enrôler les autres pour n'importe quelle activité (la guerre, l'esclavage, l'asservissement, la prostitution, etc.).

p.76: Enfin, les usines seront conçues par les robots, pour les robots… Ce qui sera bien…, sauf si le robot empêche un humain de faire le même travail, mais par ses propres mains et son cerveau singulier, ne serait-ce que pour le plaisir. En effet, une imprimante 3D est capable de reproduire une sculpture à l'identique au micron près, mais si elle fait oublier le lent travail du sculpteur, pour qui les imperfections mêmes sont sources de plaisir, la vie en serait bien morne…

p.77: Avec les développements à venir des systèmes informatisés, les capteurs et extenseurs environnementaux pourront nous transmettre des informations nous aidant à déterminer soigneusement les étapes successives à suivre pour développer des outils d'analyse et de prise de décision… sauf s'il devient vain de faire œuvre de littérature, activité qui n'est pas du traitement d'informations mais un processus créatif qui demande des années de pratiques pour éclore et qui serait un drame s'il disparaissait au profit de ShatGPT!

Il serait donc irrationnel de craindre des machines bienveillantes. Une machine peut-elle devenir bien ou malveillante? Est-il sain de fabriquer une machine dans le but de copier un sentiment humain par nature sujet à un contrôle permanent de celui qui le produit par son éthique, a morale, le sens qui veut lui donner?... Il y a un gouffre entre la capacité d'une balance à donner une mesure de poids précise et le robot qui va choisir entre mille phrase celle qui correspond le plus au caractère de l'auditeur, à sa généalogie, ses sensibilités, ses pathologies!... Et ce n'est pas de la peur, c'est de la prudence… D'ailleurs Fresco pose la question à la page suivante:

p.79: La véritable question est: à quel point souhaitez-vous que votre voiture soit intelligente?

p.84: La fin des Dieux : Il est possible que l'IA supplante les anciennes notions de dieux et de démons. Pour avoir rencontré des "platistes" parfaitement ouverts à la technologie et parfois même doté de connaissances scientifiques assez pointues, je reste convaincu que la technologie n'empêchera jamais quelqu'un de croire ce qu'il a envie de croire (en un Dieu par exemple) ou ne pas croire (la rotondité de la terre). Qu'il faille vaincre l'ignorance, c'est évident, mais cela ne garantit aucunement la disparition des légendes le plus -absurdes…

pp.86-95: Quelques exemples de "mégamachines" du futur inventées montrent la fascination qu'en éprouvait Jacques Fresco. Si on les regarde en se demandant quel est l'intérêt réel de tels engins on est vite pris de vertige, voir de peur panique que tous soit pensé dans ce cadre là...

p.96-98: Quand les gouvernements deviennent obsolètes: Les lois faites par les hommes cherchent à préserver l'ordre établi et à protéger les gens de pratiques commerciales trompeuses, de fausse publicité, du vol et des crimes violents. Cela demande un contrôle constant de la population car les lois sont sans cesse violées. […] Le besoin de protéger les droits de l'homme s'origine dans le fait même que nos sociétés reposent sur la pénurie. […] Ce qui est en abondance n'est pas rationné (l'air et l'eau par exemple). […] Dans un environnement de pénurie, de faim et de pauvreté, le comportement s'adapte en fonction de ce dernier. A l'évidence, Fresco n'a pas connu les pénuries d'eau et d'air pur que nous connaissons aujourd'hui. Il est vrai que cela fait très peu de temps qu'un pays comme la France souffre de sécheresse, de nappes phréatiques qui se vident mais qui continuent à être ponctionnées par les marchands d'eau en bouteilles ou pour alimenter des mégabassines (lesquelles vont priver d'eau des milliers de personnes pour qu'une poignée de paysans céréaliers puissent continuer à récolter du maïs qui ne se mange pas mais rapporte gros… Mais les lois sont faites par et pour les riches, pas pour le vulgum pecus. Là aussi le préalable à la société idéale, passe par l'abolition de l'argent… C'est plus réaliste que d'en attribuer la responsabilité aux experts, aux gouvernants, aux milliardaires qui tous sont prisonnier du cadre qu'ils se sont fixé.

p.102: La prise de décision: De toute évidence, les systèmes humains échouent à répondre aux besoins de l'humanité. C'est vrai pour l'ensemble de l'administration humaine: l'Église, le gouvernement, l'armée et les banques.

p.103: Aujourd'hui, les lois qui gouvernent la société ne sont pas fondées sur des études scientifiques réellement complètes mais sur des opinions et des pratiques ancestrales.  Il est donc évident que l'intégralité du fonctionnement social est à repensé. Les Institutions sont pensées, organisées selon des critères qui datent de plusieurs siècles et ont toutes montré une capacité incroyable à résister à toute évolution naturelle. Qu'il s'agisse des structures productives, de la justice, de la santé, de l'environnement, chaque secteur est cloisonné dans un ensemble figé. Ce n'est pas par un simple effet de langage que l'Éducation Nationale a été qualifiée de "Mammouth" par le ministre en place, sans pour autant que l'on en change le moindre iota! A l'évidence, se pose une question d'échelle. L'humanité s'est constituée sur la base de petites communautés autonomes de 150 personnes en moyenne, ce qui n'a rien à voir avec un ministère en charge d'un secteur spécifique, isolé du reste mais agissant sur des millions de personnes. Les villes en sont un bel exemple. Conçues pour quelques milliers d'habitants, certaines sont devenues des mégapoles de millions de personnes avec toujours le même centralisme administratif: une maire, quelques conseillers, un État les regroupant, la cohabitation impossible entre des intérêts particuliers inconciliables… Le changement de cycle, de la société monétaire à une civilisation a-monétaire ne se fera pas sans un passage du système pyramidal à des systèmes en réseau, fédérés peut-être, mais à l'évidence conçus autonomes et agiles, plus proches de "l'Open source" que de l'Empire!

p.104: Fresco pose trois questions: A qui cette nouvelle culture est-elle destinée? Quelles en sont ses finalités? Qui sont les bénéficiaires: quelques-uns ou tout le monde? Et c'est sans doute ce qu'il faut retenir de son message essentiel, bien avant de savoir quelle technologie sera utilisée. C'est une culture ouverte à la diversité, en réseau plus que hiérarchique qu'il faut inventer. La finalité doit être définie sur le long terme, sur le mode systémique plus qu'analytique et chaque individu ayant droit à la parole. Les bénéficiaires devront être non seulement les humains sans aucune exclusion mais leur environnement sans spécisme d'une part et sans accaparement possible des ressources matérielles… C'est un immense chantier qu'il serait prudent de lancer dès aujourd'hui, étant donné l'état d'urgence dans lequel nous nous sommes laissé embarquer. C'est une formidable opportunité de tenter de se rapprocher un peu plus de grand thèmes, éternels mais inatteignables, comme la Liberté, l'équité, la fraternité… Certaines phrases de Fresco illustrent bien la difficulté que cela représente. Quand il nous dit: "Le système actuel de prise de décision est décentralisé et ceux qui décident sont rarement conscient des problèmes de ceux qui ne sont pas dans leur voisinage immédiat. Il a raison sur la position hors sol des décideurs, mais c'est au contraire par excès de centralisme. Et plus loin: Quand les ordinateurs auront étendu leur réseau à tous les domaines de la société, nous serons en mesure de revenir à une prise de décision centralisée fructueuse.  Or l"expérience nous montre plutôt que tout ce qui est décidé au sommer est inopérant (voir l'ONU, l'OMS, le FMI, les COP...). Les bonnes solutions ne viennent jamais d'en haut mais partent de la base pour remonter vers le tout. C'est donc tout le contraire de ce que dit Fresco et c'est dommage! Et pourtant, il propose dans la page suivante que l'ensemble du système centralisé soit connecté localement et chaque donnée soit constamment contrôlée et mise à jour. […] Il y a peu à parier que dans la dernière partie du XXI° siècle, les gens joueront un rôle significatif dans la prise de décision. Le rêve serait plutôt que chaque usager retrouve enfin la maîtrise de ses usages, seul moyen d'échapper à la société de contrôle décrites par Orwell, quand bien même Big Brother ne serait qu'un énorme et performant ordinateur central…

p. 106: Certains prétendent que nous ne parvenons pas à fonder une société d'abondance à cause des ressources limitées.[…] Dans notre projet de conception d'une nouvelle civilisation, nous devons tirer parti de l'énergie comme source majeure d'approvisionnement pour le bien-être des nations […] De vastes sources d'énergie inexploitées restent p explorer, comme le vent, les vagues, les marées, la géothermie, l'énergie électrostatique… A l'évidence, ces innovations sont possibles, mais est-ce que tout ce qui est possible est souhaitable? L'exemple de la fusion atomique illustre bien le propos. Imaginons qu'avec un gramme de nickel, nous puissions produire assez d'énergie pour faire rouler une voiture sur 500 000 kms, sans pollution, sans épuisement de la ressource. C'est techniquement pensable, mais beaucoup y voit une catastrophe. Les limites de la prédation humaine sur l'environnement n'auraient plus aucun frein… Je n'ai pas les compétences pour en décider mais la moindre des choses est tout de même de mettre cette interrogation en débat et sur la finalité de l'énergie plutôt que sur la quantité. Peut-être que la seule énergie propre dont dispose l'homme est celle qu'il n'utilise pas, ce qui change tout. Ce n'est pas à moi de trancher mais c'est à nous tous de se poser cette question… L'analyse rigoureuse des ressources passe aussi (et même prioritairement) par l'analyse des objectifs que l'on se fixe.

p. 111: Une usine de dessalement: Je prends à titre d'exemple le très court chapitre sur cette usine sensée offrir quasi gratuitement de l'eau potable par simple évaporation poussée par énergie solaire. Nous savons parfaitement faire cela, et même, cela se fait déjà, en Andalousie par exemple. A long terme, il va se poser la question des saumures qui résultent de l'évaporation de l'eau de mer. Qu'en faire? Comment éviter qu'à la longue la mer n'en soit sursaturée?... Il y a le pour et le contre, les avantages et les risques connus ou à découvrir… Ce n'est pas parce que c'est possible que c'est souhaitable!...

p.112-125: Changer la nature humaine: Le comportement humain dans toutes ses formes est assujetti aux lois de la nature et aux actions de forces extérieures: il est généré par les nombreuses variables qui interagissent dans l’environnement de chacun.[…] Les valeurs dominantes de n’importe quel système social proviennent rarement du peuple. Au contraire, elles représentent les opinions de groupes dominants tels que l’Église, l’armée, les banques, les sociétés, l’élite au pouvoir ou toutes les combinaisons de ce qui précède. Tous les êtres humains sont assujettis aux influences de l’environnement qui les entoure. […] Peut-être que dans le futur, dans une culture plus sensée, les gens percevront nos notions de comportements criminels comme étant naïves. […] Le sectarisme, le racisme, la jalousie, la superstition, l’avarice et l’égocentrisme, tous sont des modèles de comportement acquis et consolidés lors de notre éducation, et non des caractéristiques humaines innées ou une éventuelle « nature humaine » comme la plupart des gens ont appris à le croire. Je passe sur ce long chapitre qui me semble relever d'une simplification extrême, digne d'une technicien-ingénieur. D'autres, plus spécialistes de la sociologie, psychologie, anthropologie ont fait mieux. Nul ne peut avoir la science infuse en tout…, pas même Jacque Fresco.

p.126-132: La technophobie à l'ère cybernétique: De nombreuses personnes redoutent la rapidité des avancées technologiques, notamment sur le thème du remplacement des êtres humains par la cybernétique et l'automatisme, qui, sans être total, suffirait éventuellement à les priver de leurs moyens de subsistance. […] Les technophobes, avec leur peur infondée qu'un jour les ordinateurs et les robots asserviront la race humaine et dirigeront le monde, ne font qu'attribuer aux machines des caractéristiques humaines. […] La peur que les machines en viennent peu à peu à réglementer nos vies et à nous retirer nos instincts naturels, menaçant même les valeurs auxquelles nous sommes les plus attachés comme la famille et nos croyances, est erronée. […] Il n'existe aucun exemple d’une machine agissant contre l'homme de son propre chef, si ce n'est dans des histoires naïves de science-fiction. […] Aucune de nos difficultés ne résulte de la science ou de la technologie. Elles proviennent des abus et des mésusages que les hommes font des autres êtres humains, de l'environnement et de la technologie.

Ce chapitre oppose le choix entre la technologie qui, à l'évidence, nous offert un confort tel que très peu seraient prêts à s'en dispenser et le retour aux valeurs anciennes qui seraient inéluctablement détruites par la technologie. Cette opposition me semble artificielle et excessive dans les deux sens. Il ne s'agit pas d'être pour ou contre LA technologie, mais de choisir entre ce qui nous grandit et ce qui nous détruit. Il est aussi absurde de soigner ce qui nous détruit que de détruire ce qui nous grandit. Se refuser par principe à user d'un smartphone, c'est prendre le risque un jour de se condamner à mort ou à utiliser le smartphone de l'autre. Imposer le smartphone à tous et en tout temps pour avoir accès à la moindre chose, c'est au sens premier du terme de la dictature. Dans les deux cas, nous savons bien que le système marchand fera tout pour nous livrer pieds et poings liés à l'outil et que nous finirons par ne plus en être qu'un rouage. Nous savons aussi qu'un enfant exposé dès sa naissance aux écrans en arrive très vite à en faire le centre de sa vie au dépend de toutes ses capacités naturelles. Les premiers à avoir interdit les écrans aux moins de 16 ans, y compris à l'école, sont les gens de la Silicon Valley et ce n'est pas un hasard. Eux savent comment et quand il est utile de s'augmenter ainsi la main et les pouces et quand cela relève de la maltraitance!... Mais le commerce, pour survivre même, interdit ce genre de réflexion. Dans une société postmonétaire, il sera enfin possible d'en discuter sur le fond et le sens, et non plus sur le plan technique ou phantasmatique...

p. 133-145: Éducation, des esprits en formation: Plus nos enfants sont intelligents, plus notre vie s'améliore et plus notre culture s'enrichit. Là aussi, je laisse à Fresco la responsabilité de son discours qui, faute de culture historique et psychologique, reste dans le flou. L'intelligence ne suffit pas à la culture (certains hommes politiques en sont un bel exemple). La culture ne suffit pas à l'excellence sociale (le directeur du camp d'extermination d'Auschwitz était grand connaisseur de Goethe, amoureux de Wagner et bon père de famille!). L'éducation peut former de rudes soldats ou des pacifistes, des marchands cupides ou des philanthropes. Un bel enseignement généraliste peut "abimer" l'enfant spécialiste et l'enseignement spécialisé peut fermer à jamais la compréhension du monde pour d'autres enfants. L'éducation n'est pas une technologie mais un art. On ne réduit pas un tableau de maître à la qualité des peintures qu'il a nécessité. Ceci dit, à défaut d'être pédagogue, Jacque Fresco reste un "honnête homme" au sens du XVIII° siècle! Retenons de lui qu'une société dépouillée de l'argent serait enfin plus humaine et permettrait aux pédagogues de développer leurs talents, comme elle permettrait aux ingénieurs de ne développer que des techniques douces et utiles.

p. 146/173: Des villes qui réfléchissent à l'urbanisme, aux transports des hommes et des matériaux, au gaspillage, à leur forme architectural, au type d'habitat, à sa digitalisation, à sa végétalisation, aux services…

Nous sommes là dans un domaine où Jacque Fresco excelle. Les idées originales ne manquent pas, mais restent aussi contestables que toutes les visions futuristes qu'on nous a servies depuis les Trente Glorieuses. Il me semble aussi dangereux de laisser un ingénieur fantasmer seul sur l'avenir des villes que de laisser un philosophe décider seul de l'urbanisme idéal. A moult reprises, Fresco nous invite à remplacer la compétition, la concurrence par la coopération et l'entraide. Mais la chose étant totalement saugrenue au siècle de l'auteur, il n'en a visiblement pas la pratique. Il a pourtant construit dans son domaine de Venus en Floride avec sa compagne Roxane Meadows qui était sensé regrouper toutes les énergies positives de son temps. Mais le temps n'était pas encore à la coopération des différents secteurs de la connaissance et cela se sent à toutes les pages. Certes, il a lu Platon tout en étant résolument opposé au "libre arbitre" et Marx tout en étant opposé au centralisme étatique.

Les contradictions ne sont pas des obstacles semble-t-il pour Fresco:« Comme la musique ne produit rien, il est possible que les gens s’éloignent de cette pratique » écrit-il dans un de ses livres!

p.174: La vie dans le futur: La vision future de ce qu'est une « bonne vie » risque fort de changer. Qu'adviendrait-il de l'individualité et des valeurs humaines dans un monde d'abondance illimitée? Décidément, Jacque Fresco a été profondément marqué par la société de l'abondance des années 1960-80. Ce qui représentait jadis le progrès, représente aujourd'hui, dans un monde plus accès sur la décroissance, une simple extension de l'american way of live.

p. 183: Les frontières maritimes de demain: Le circuit de l'eau se renouvelle en permanence et est alimenté par la chaleur du soleil, la rotation terrestre et la force de Coriolis. L’eau alimente le cycle de la vie tout entier, l'espère humaine comprise. On a constaté depuis que le cycle de l'eau est totalement perturbé et que nous risquons bien plus de terribles pénuries d'eau potable et d'irrigation accompagnées de périodes d'inondations gravissimes que d'une vie heureuse et pleine d'espoir. Fresco appartient à la génération de l'abondance, si bien qu'il a participé, comme nous tous, à un risque d'effondrement global dramatique. Les océans sur lesquels il fondait tant d'espoir sont en train de se réchauffer, de s'acidifier, de gonfler au point de provoquer l'exode de millions de riverains, un regrettable manque de poissons, des tempêtes mettant en périls nos cargos les plus performants… Il suffit d'avoir pratiqué une vingtaine d'années la plongée sous-marine en Méditerranée pour constater, même sans aucune connaissance océanographique, qu'elle se meure! Adieu l'abondance, cher Fresco! Les villes se sont souvent construites au bord des rivières, lesquels assuraient la protection, les transports, les poissons, l'eau et l'énergie des moulins. Ces même villes sont désormais inadaptées aux risques des dégâts des eaux au point que les assurances révisent actuellement toutes leurs évaluation des risques et qu'elles dénoncent des infrastructures désormais totalement inadaptées. De là à imaginer des "villes marines" heureuses, exploitant les ressources minérales et halieutiques, totalement autonomes en eau potable et énergie, laissons cela aux séries B de SF!

p.198: Au-delà de l'utopie: En 1898, Edward Bellamy a écrit le livre "Cent ans après ou l'An 2000". Cet ouvrage présentait un système social avec beaucoup d’avance sur son temps. Ce best-seller a suscité beaucoup d'intérêt et plusieurs personnes ont écrit en retour pour demander comment on pouvait arriver au genre de société coopérative que Bellamy avait envisagé. […] Il y a peu de doute qu'au moment où le livre de Bellamy a été publié, les conditions sociales étaient très difficiles, ce qui a donné à l'idéal utopique beaucoup plus d’attractivité.

Il y a peu de doute qu'au moment où Fresco a rendu publique son "Venus Project", la crainte d'un effondrement global était rare et on pouvait encore croire au progrès technologique, ce qui a donné à son idéal utopique une grande attractivité. L'écoanxiété ayant remplacé la foi dans le progrès, les disciples sont plus rares. C'est pourtant dommage, car ces livres, de Fresco ou de Bellamy sont toujours utile pour mieux appréhender ce qui est d'actualité ou obsolète, ce que nous sommes prêts à garder ou jeter du vieux monde, pour prévoir ce qui est intéressant ou pas dans les utopies passées et donc dans celles que nous véhiculons aujourd'hui. Mais, par trop d'anachronisme, on risque de perdre ce bénéfice. Reprocher à Fresco d'être obsolète est aussi inconséquent que de prendre toutes ses idées comme parole prophétique. Les commentaires que j'ai joints à ce texte prouvent au moins l'intérêt du Venus-Project et ses limites. Un bon usage est toujours mieux que le rejet ou la louange béate, je suis quasiment sûr que l'auteur serait d'accord avec moi sur ce point s'il était encore vivant….

p. 201 : L'orientation du Venus Project: THE VENUS PROJECT est une organisation basée sur les idées, les plans et les orientations mis en avant dans ce livre. Ils représentent l'œuvre de la vie de Jacque Fresco, l'initiateur et le directeur de ce projet. C’est là-bas que l'avenir est en train de prendre forme. […] Nous concluons sans aucune réserve que le Projet Venus ne peut être accompli dans une société fondée sur l'argent. […] Pour effectuer la transition entre notre culture actuelle, incompétente au niveau politique, presque désuète et fondée sur la pénurie, et une société plus humaine, il nous faudra faire un bond en avant tant dans nos mentalités que dans nos actions. […]The Venus Project affirme que la technologie nécessaire existe déjà pour commencer à rendre disponible un maximum de ressources et fournir de la nourriture, de l'air sain, de l'eau potable, des logements et un système de transport confortables, des services médicaux de qualité, une stabilité environnementale et des opportunités illimitées pour l’épanouissement personnel de tout le monde et non d’une poignée de privilégiés.

Fresco était en avance sur son temps, ses héritiers (pas tous) sont parfois en retard sur le leur. C'est malheureusement une situation fréquente, faute, pour les prophètes, de s'être méfiés de leurs ennemis et non de leurs amis!...


 

 

Marc Chinal - Joanne Lebster, le début d'un nouveau monde…

 

éd. RJTP, 2016.

 

 

Chinal-2.jpegTrois créateurs se sont réunis pour produire en BD une projection de la façon dont notre société pourrait basculer dans un système où l’argent deviendrait obsolète : Mathieu Bertrand pour le dessin, Marie Avril pour la couleur, Marc Chinal pour le scénario.

Le dessin est superbe, le texte fait réfléchir comme l’annonce l’intitulé de la maison d’édition (Réfléchir n’a Jamais Tué Personne- Éditions RJTP à Lyon). Joanne Lebster, l’héroïne de la BD, est une vieille dame qui a connu le règne de l’argent roi, s’est battue pour “déboulonner” ce Dieu tyrannique, a vécu la transition et le début du nouveau monde, et le raconte à sa petite-fille. Nous sommes donc résolument dans l’utopie, mais une utopie visiblement prédictive, c’est-à-dire qui nous prévient de ce qui risque fort d’arriver.

L’histoire commence par une banale soirée entre jeunes où l’on discute des multiples problèmes qui empêchent le monde de tourner rond et où la jeune Joanne lance l’idée saugrenue d’une société débarrassée de l’encombrant outil monétaire. Mais comment convaincre l’humanité entière qu’une idée apparemment saugrenue s’impose comme seule solution logique ? Les militants vont essayer tous les modes d’actions classiques, du tract à la publication d’essais en passant par les élections. Puis, faute d’un minimum de visibilité, ils en viennent à créer une microsociété à leur goût, sans argent. Le système n’est pas idyllique puisque soumis aux contraintes extérieures de la société monétaire, en butte aux soupçons de la police et à l’agressivité des défenseurs acharnés du vieux monde. La belle utopie vire à la guerre civile et met Joanne Lester, devenue étendard du mouvement, en réel danger…

Le scénariste Marc Chinal n’a donc évacué ni la folie et la violence des hommes, ni les intérêts particuliers mais puissants qui s’opposent au changement de civilisation, ni les difficultés techniques, sociales, politiques d’une telle métamorphose. Il la rend possible par la force de l’évidence qui s’impose peu à peu au plus grand nombre, par la force de Joanne Lebster qui devient en disparaissant une icône, un symbole…

On peut juste reprocher à cette excellente BD de n’être pas entrée plus en détail sur la possible gestion a-monétaire des enjeux collectifs (énergie, ressources, relations internationales…). Le Nouveau Monde en train de naître semble confiné à un village, puis à une région, et la globalisation du système est juste suggérée, annoncée sans précision. Mais nul doute que les auteurs, limités par le format habituel du genre, ont des idées plus précises sur la marche d’une planète-terre entièrement démonétisée. Tôt ou tard, ils nous annonceront le tome 2 de “Joanne Lebster”, du moins nous l’espérons, comme le réclame la petite fille de l’héroïne dans l’ultime bulle de l’ouvrage !

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