Couverture du livre

Description du monde de demain, un monde sans monnaie ni troc ni échange : une civilisation de l'accès - Marc Chinal & JF Aupetitgendre

 

éd. RJTP, janvier 2021, 288p.

 

Chinal 1256Quatrième de couverture: Du code d'Hammourabi babylonien datant d'environ 1750 avant notre ère, jusqu'au FMI hight-tech actuel, l'humanité n'a cessé de réguler/déréguler l'échange marchand et les monnaies afin que le monde devienne plus serein. Des héros, des intellectuels, des révolutionnaires ont tenté de replâtrer, corriger, réparer cette organisation sociétale qui aujourd'hui détruit humains et environnement. Comble d'une situation kafkaïenne, on sait qu'il faut décroître nos consommations mais le système nous l'interdit sous peine d'effondrement.

4 000 ans d'échecs en prétextant que c'est toujours de la faute des autres, doivent nous faire comprendre qu'il n'y a plus d'autre choix que d'abandonner cette organisation. Mais pour aller vers quoi et comment?...

Deux auteurs aux parcours différents proposent une autre perspective: passer de l'échange marchand, qui paralyse et engendre des ennemis, à l'Accès qui dynamise et soutient une réelle coopération. Thomas More (1516), Edward Bellamy (1887), Denis Blondin (2003) avanient déjà émis l'hypothèse, mais c'est la première fois dans l'histoire de l'Humanité que nous avons l'expérience, le savoir, la technologie et l'aiguillon du danger pour effectuer cette avancée.

 

Les auteurs:

Jean-François Aupetitgendre: Formation hétéroclite en philosophie, menuiserie, puis intervenant en toxicomanie, généalogiste familial professionnel et maintenant retraité. Dans tous ces domaines, l'impact de l'argent lui est apparu considérable. Il est aujourd'hui auteur d'une petite dizaine de livres et essais.

Marc Chinal: Courtes études économiques, chef d'entreprise (restauration anti-mal-bouffe), puis restaurant-théâtre (expérience inédite), auteur de court-métrages, de documentaires, de BD, maintenant éditeur (édition RJTP: Réfléchir n'a Jamais Tué Personne). En 2013-2014, il organise avec Jean-Paul Lambert les premières rencontres pour une civilisation sans argent. Il se présente régulièrement à diverses élections pour les transformer en tribunes publiques pour la promotion des idées postmonétaires. 

Première partie: JF Aupetitgendre pose en introduction la question de l'option entre la rupture et la lente évolution, avec l'idée que dans certaines situations, dans un couple comme dans une société, on peut raisonnablement penser qu'une thérapie, familiale ou économique, peut arranger les choses mais que dans d'autres circonstance, la seule survie possible est dans la rupture, divorcer pour un couple, trancher brutalement le nœud gordien de l'argent pour la société.

De là, il décline la rupture de l'accès, les actions individuelles ou collectives, le salariat, les Institutions, les alternatives, le dilemme entre relance ou austérité, les échanges internationaux, les risque de perdre un changement de paradigme au profit d'un "alter-capitalisme", les stratégies possibles pour aboutir à un résultat. Une centaine de pages denses pour donner une idée des possibles….

Deuxième partie: Marc Chinal, plus technique,évoque la naissance des monnaies, la mécanique des monnaies, la notion de "juste prix", le lien indéfectible entre argent et pénurie. Il détaille les tares propres à l'argent, inscrites dans son ADV: la surconsommation, l'individualisme, la peur de l'autre, la violence, l'égoïsme, la concurrence. Il pose les bases indépassables du système monétaire: la rareté relative, la nécessaire rotation monétaire, la mise en concurrence, le rapport biaisé au temps, le greenwashing pour faire passer les pilules, la croissance économique perpétuelle. Il démonte les alternatives économiques classiques: partage des richesses, revenu universel ou salaire à vie, distributisme….

Dans un second chapitre, Marc Chinal tente de nous donner une idée de ce que pourrait être une société sans argent mais toutefois moderne, civilisée, très loin de la caverne et de sa bougie promises et tout aussi loin du rêve technologique qui ne voit de la société que son fonctionnement mécanique. Il nous parle de démocratie directe, de propriété privée ou d'usage, du marché (capitaliste ou postmonétaire), etc. Il s'interroge sur les questions internationales, le statut des femmes, des tâches indispensables mais rébarbatives, du handicap, de l'activité artistique, de la place laissée aux mathématiques. Il conclu par une imaginaire description d'une de ses journée dans un monde supposé devenu postmonétaire… 183 pages denses qui donneront à chacun matière à penser!...

Photo de couverture

Gabriel Charmes - Le revenu universel, Vers un nouveau pacte social

 

éd. Transition, février 2019, 230p.

 

Le revenu universel Vers un nouveau pacte socialGabriel Charmes, son nom de plume, est actuellement journaliste au Journal d'Alsace, après plusieurs vies actives comme anthropologue, ouvrier d'usine, employé d'assurance et de banque, enseignant… Le titre annonçant un revenu universel comme nouveau pacte social laisse imaginer qu'il ne croit pas possible une sortie du système monétaire et pourtant, je l'ai classé dans la catégorie "Livres Postmonétaires". Ce n'est pas une erreur, l'auteur, de son vrai nom Michel Loetscher, est authentiquement postmonétaire! Son éditeur a sans doute été convaincant pour le convaincre de ne pas évoquer une abolition de l'argent dans le titre!

En fait, l'auteur est issu d'une longue tradition sociale critique de l'argent, mais ayant émergée dans un monde où il était impensable d'imaginer une abolition pure et simple, ne serait-ce que pour des raisons techniques. Il était donc logique d'imaginer un revenu compensatoire pour ceux qui était exclus du salariat, et de là, de l'étendre à tous les travailleurs. C'était la grande idée de Jacques Duboin, créateur du "mouvement distributiste" et auteur de nombreux ouvrages d'économie, en son temps révolutionnaires. Il annonce clairement sa position quand il pose en introduction ces questions:

«Et s’il fallait envisager une société de l’après-monnaie comme de l'après-pétrole et de l'après-salariat ? Et si un « revenu universel » était le socle de cette transition vers ce « monde d’après » et vers une véritable économie de bienveillance, enfin respectueuse de la vie et de la planète ?...»

Le titre du livre nous laisse supposer une énième alternative face au capitalisme, une proposition de ce revenu que l’on nomme universel, inconditionnel, de base, universel d’activité ou de subsistance…, selon les orientations des concepteurs. Gabriel Charmes nous fait une généalogie de cette idée récurrente. Cette généreuse idée part de l’émergence d’un inconditionnel droit de vivre, du chômage qui se massifie, de l’insécurité permanente du salariat, de l’emploi devenu un marché, des inégalités croissantes qui caractérise notre époque. Une idée dont l’heure semble venir…

Après une longue digression sur le distributisme de Jacques Duboin (1878-1976), ce banquier et député que la pauvreté dans un contexte d’abondance révulsait, l’auteur en vient aux objections, aux limites de cette re-distribution par le revenu universel. Ne serait-ce pas un revenu de soumission entretenir le capitalisme extractiviste ? Certains y voient un cheval de Troie qui mènerait droit vers la suppression du cash que tente d’imposer depuis plusieurs années, le FMI et quelques thuriféraires du capitalisme mondialisé ? Le mensuel Alternatives économiques se demande lui si cela ne viendra pas remplacer les prestations sociales et in fine activer l’ubérisation de tous les emplois. A droite, on craint que le revenu universel soit un puissant appel d’air pour toutes les migrations. D’autres rappellent que le problème est dans les profits financiers vus comme unique objectif, qu’un revenu inconditionnel ne peut que s’appuyer sur ces profits et donc les renforcer, les justifier. Beaucoup buttent sur l’aspect inconditionnel qui, en se généralisant du sous-prolétaire au gros propriétaire, renforcera et pérennisera les inégalités sociales que l’on voulait réduire. Au fond, plus qu’un revenu ou salaire à vie, n’est-ce pas être libéré de l’impératif du salariat que l’on recherche ?...

Arrive alors le chapitre épilogue (pages 191-209) qui conclut à la bien plus grande efficacité d’une désargence pour résoudre tous les problèmes évoqués. L’auteur a-t-il sciemment pris comme prétexte une innovation souhaitée par un grand nombre et qui revient sans cesse dans les débats? C'est une longue approche de 190 pages pour en arriver à ce qui lui paraît une évidence acquise, en seulement 18 pages! A-t-il voulu témoigner du temps et des détours qu’il lui a fallu pour en arriver à penser une obsolescence de l’argent et une possibilité d’instaurer une société a-monétaire ? Il faudrait le lui demander…

Reste que ces 18 pages intitulées “Vers la désargence ?” ne manquent pas d’intérêt. Il évoque la possibilité de sortir du piège de l’échange marchand pour en venir au libre accès aux biens et services. « Seule une économie de désargence permettrait de réorienter la politique vers un “bien commun” qui ne serait pas à la merci de “grands argentiers” aux intérêts diamétralement opposés… » Merci Michel Loestscher 

Quelques extraits de cette conclusion: 

p.191 …Car le droit de vive décemment passe bien évidemment par le libre accès aux biens et services publics. Et par la gratuité du bon usage de ces services publics « face au renchérissement du mésusage individuel/collectif».

192 …Pourquoi focaliser l’attribution d’un revenu garanti sur un versement monétaire intégral ? Si l’argent est un problème, pourquoi continuer à poser la question du bien-être social en termes monétaire ? Pourquoi ne pas sortir de l’échange marchand et envisager une définition bien plus large du RU ? Pourquoi ne pas accéder enfin à une société de la désargence pour en finir avec une abstraction fondamentale qui sépare chacun de sa réalité ? En effet, si le signe monétaire donne accès aux produits et services… lorsqu’on en a , il en interdit l’accès quand il manque. Fixer un revenu inconditionnel à un montant trop “basique” ne reviendrait-il pas à offrir pour Noël une tablette de chocolat en priant de la faire durer… jusqu’au Noël d’après ? Une économie soumise à l’obligation déréaliser des profits monétaires les fera toujours passer avant la justice sociale, l’intérêt national ou environnemental constate JP Lambert dans la revue Prosper.

La revue Prosper a été publié par l'ami Jean-Paul Lambert, le premier à avoir créé le néologisme de "désargence" lors de l'une des toutes premières rencontres militantes sur l'abolition de l'argent. Il a produit, entre 2000 et 202Lambert.jpeg0, 28 numéros trimestriels et quatre hors-série qui posent les bases théoriques de cette vision, en décortique les prémices et propose des voies pratiques. Il a également publié de nombreux articles dans la revue La Gueule Ouverte dans les années 1970 et a publié plusieurs ouvrages: le Porte-képi (1976), Le socialisme distributif, préface d'Alain Caillé, Ecologie et distributisme (1998), le distributisme éthique et politique (2000), désobéir à l'argent qu'il signe avec Jean-Patrick Abelsohn sous le pseudonyme de Marc Sanders (2011). Il était présent en janvier 2013 à la Première rencontre pour une civilisation sans argent. Jean-Paul nous a quitté, non sans nous laisser en héritage des décennies de réflexions...           

193 …Pourquoi ne pas en finir avec le totem-argent érigé en absurde “fin en soi” contraignant à “travailler toujours plus pour gagner plus alors qu’il n’est même plus possible de transformer plus de travail en argent ? Si la guerre contre la pauvreté est restée lettre morte, celle contre le cash est bien engagée sous de fallacieux prétextes comme celui de la lutte contre la criminalité.

197 …C’est dans cet esprit qu’un RU bien conçu en tant que droit civique fondamental n’aurait plus à résoudre les effets monétaires d’une mauvaise allocation des richesses mais prendrait à la racine la cause profonde de la pauvreté tant sociale que culturelle Les autorités qui mettront en place ce “RU” par la mise à disposition des ressources communes….

198 …Pour éviter un Speenhamland bis après le démantèlement du droit du travail se soldant par une mise en concurrence implacable des allocataires avec les salariés, la démonétisation de l’économie empêcherait précisément l’argent de jouer contre les hommes…

(La loi Speenhamland, en a assuré jusqu'en 1834 un revenu minimum aux pauvres dans chaque paroisse anglaise, grâce à l'octroi d'un complément de ressources en numéraire indexé sur le prix du pain (ou du blé) et proportionnelle à la taille de la famille à prendre en charge. Ce revenu était accordé en plus du salaire versé lorsque celui-ci ne suffisait pas à assurer l'existence du travailleur.)

199…Cela suppose à la source un système éducatif libérant les consciences de la perspective fatal du “retour sur investissement“… “L’administration des choses“ ou “l’entendement automatisé”, imposés par des “ultra-forces” globales, mondialisées et transversales, et celles-ci ont une fâcheuse tendance à fixer à leur seul avantage les règles du jeu et le cadre des institutions.

201 …Une fois rappelée cette évidence cruciale, seule une économie de désargence permettrait de réorienter la politique vers un “bien commun” qui ne serait pas à la merci de “grands argentiers” aux intérêts diamétralement opposés…

202 …Un revenu universel attribué “pour solde de tout compte” dans une société automatisée ne nous ferait-il pas courir le risque d’un abandon du droit de “nous gouverner” à un Léviathan algorithmique qui débrancherait les mauvais sujets, les lanceurs d’alertes, voire les simples sujets pensants trop critiques ?

205…Michel Lepesant et Baptiste Mylondo (deux décroissants notoires ) prévenaient que « toute gratuité doit anticiper trois dommages intrinsèques : fléchage, flicage et gaspillage… Ils tiennent la monnaie comme instrument nécessaire pour “matérialiser les partages et les liens symboliques qui constituent la société primaire”. Et Charmes se demande comment faire encore crédit à un système monétaire qui ne nous a préservé ni du fléchage, ni du flicage, ni du gaspillage…

207 …Le système marchand n’a-t-il pas prospéré en phagocytant ce qui relevait de la gratuité et de la solidarité ? Jacques Le Goff a bien démontré comment les clercs ont progressivement … plié la vision du monde et les manières de vivre au message du système marchand.

208 …S’affranchir de la logique spéculative suppose aussi un atterrissage en douceur par l’élaboration d’un projet de société coopératif viable, avec des mécanismes de transitions appropriés…

Ces quelques extraits ne laissent plus aucun doute et Gabriel Charmes est bien un Postmonétaire. Il aurait sans doute gagné du temps en intitulant son ouvrage "Du RU à la désargence". Mais vu la difficulté mentale à se départir des biais cognitifs dans lesquels nous baignons depuis des siècles, c'est peut-être une démarche pédagogique intéressante…

Couverture Charbonneau 2

La propriété c'est l'envol, Bernard Charbonneau

Éd. R&N 2023 (pdf. du chapitre 3). 

 

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4ème couverture: Les logiques glacées et abstraites du Capital, de l'État, de la Science et de la Technique convergent pour nous exproprier d'un rapport au monde personnel et durable. Penseur de la liberté incarnée, Bernard Charbonneau décrit dans cet inédit de premier plan la mise en place progressive d'un monde dans lequel, n'ayant plus rien à s'approprier, l'homme ne possédera bientôt plus rien en propre qu’un matricule. Pour lutter contre cette funeste perspective, il défend la possession, qu'elle soit personnelle, familiale ou communautaire, qui permet à la liberté de s'ancrer dans le réel. Certes, à première vue la propriété semble l'obstacle à la liberté : à la disponibilité, au mouvement, au don. Ce serait vrai si l'homme n'était qu'un pur esprit. Mais si la liberté des anges et des saints peut se passer de propriété, celle du commun des mortels dépend de l'appropriation par quoi un peu d'esprit passe dans les choses et y laisse sa trace. Pour être un homme libre il me faut ma maison, un territoire où je puisse déployer en sûreté une activité à ma mesure. Retraçant l’histoire de la propriété et de l’expropriation à travers les âges (antique, paysanne, puis bourgeoise et capitaliste, sans oublier ses développements religieux ou idéologiques, ou sa compréhension par Marx ou Proudhon), Charbonneau offre dans son style inimitable un panorama passionnant et des pistes de réflexion inédites et nuancées sur ce concept sans lequel la liberté n’est qu’un vain mot.

Bernard Charbonneau: 1910-1996, penseur français, auteur d'une vingtaine de livres et de nombreux articles parus dans "La Gueule ouverte". Peu connu aujourd'hui, il a pourtant le mérite d'avoir ouvert la voie d'une réflexion sur la dictature de l'économie. Très proche de Jacques Ellul, on peut le considérer comme l'un des précurseurs de l'idée postmonétaire. Le PDF de 7 pages commenté ici en donne une bonne idée. Ce texte est une publication posthume, l'auteur n'ayant jamais réussi de son vivant à le publier, et pour cause !…

 

p.1: La propriété bourgeoise n'est que le stade transitoire, n'ayant guère duré plus de deux siècles, d'une évolution dont le terme est la propriété capitaliste… Dans la propriété bourgeoise la réalité de l'objet s'effaçait déjà derrière l'argent et le capital qu'il représente.

Il est rare que des auteurs considèrent la propriété privée capitaliste comme un stade transitoire dont nous serions en train de sortir. La domination bourgeoise, qui démarra avec leur révolution de 1789, devait selon Charbonneau décliner dès la fin du 20° siècle, le 21° étant celle de l'entrée progressive dans une conception totalement différente de la propriété qui rendrait l'économie monétaire obsolète…

p.2: Aujourd'hui, la propriété capitaliste n'existe pas. Elle n'est ni champs ni maison, ni or ni trumeau, mais du papier sur lequel s'inscrivent des chiffres…. Les trusts d'hier représentaient des tonnes de fer, ceux d'aujourd'hui représentent de la finance pure… jusqu'au jour où cette accumulation de chiffres s'évanouira en fumée….il ne reste plus du réel que des chiffres définissant des quantités…

On comprend qu'un tel langage en pleines Trente Glorieuses, n'ait pas suscité l'intérêt des éditeurs et que Charbonneau se soit contenté d'en faire des articles dans La Gueule ouverte, journal écologiste et anticapitaliste, proche de Charlie Hebdo, fondé en 1972 et clos en 1980.

p.3: La propriété capitaliste est l'antithèse de la possession, donc de la propriété…. Au contraire du Capital, la propriété a des bornes, celle de l'existence humaine…. Le capitaliste est consommé par son capital bien plus qu'il ne le consomme. L'ascète de la propriété capitaliste tient moins à ce qu'il a qu'à ce qu'il peut avoir. L'accumulation indéfinie, la rotation la plus accélérée possible du capital est sa raison d'être bien plus que sa conservation. L'essentiel n'est pas la propriété, mais sa rentabilité aux fins d'investissements pour le profit. Conserver une propriété qui n'est plus rentable est pire qu'un crime: une faute. Tout force le capitaliste à se démener, trafiquer encore plus dans l'instabilité monétaire et sociale, la concurrence sur le marché…

L'idée que la propriété capitaliste est l'antithèse de la propriétéparaît étrange, mais à bien regarder ce qu'elle est devenue dans ce premier quart du siècle, c'est évident. Ce n'est pad différent de l'idée qu'en donne Anselm Jappe aujourd'hui quand il décrit notre société comme une "société autophage"…

p.4: Un capitaliste qui n'attaque pas pour se défendre est un capitaliste ruiné. Comme l'État moderne, le capitalisme est impérialiste par nature. La propriété capitaliste, c'est le vol, institutionnalisé, permanent, sans que le voleur ait le temps de souffler. A cette fin, il a inventé l'avion! Identifiée au profit c'est le moyen d'une obsession autrement ancienne et nouvelle: le pouvoir d'exploiter les choses et les hommes, de détruire…. Tôt ou tard, le capital dévore le capitaliste, incapable d'en embrasser l'énormité…

Charbonneau introduit là une notion encore balbutiante aujourd'hui: la responsabilité ne revient pas aux humains (capitalistes voraces ou peuple pris dans la servitude volontaire) mais au système qui fait des victimes de tous bords, les 1% autant que les 99%... Il ne s'agit donc pas de combattre les capitalistes, d'aménager le système pour lui donner un visage humain, de "transitionner" lentement vers un monde meilleur, mais bien de détruire ce qui nous détruit, le capitalisme. Le seul capital létal est le capital monétaire et c'est par l'outil monétaire qu'il faut atteindre le capitalisme. C'est le côté le plus révolutionnaire et novateur de cet auteur, celui qui l'a amené à écrire à la fin de sa vie "Il court, il court le fric"… (voir ce livre résolument postmonétaire dans la bibliothèque).

p. 5: La gestion d'énormes empires aux participations variées a transformé les trusts en super-états gérés par une direction collective. (Davos, la mondialisation…) La possession de l'information comptant autant que celle des capitaux (des médias aux réseaux sociaux), la gestion tombe aux mains d'une direction technique et d'une administration bureaucratiques. Le capitalisme devient un monstre aux mille têtes (ou sans tête) dont on ne sait plus où il se situe. (La crise politique en France sous l'ère Macroniste l'a bien mis en exergue à l'automne 2024!). Pour la droite et la gauche, le capitalisme c'est la propriété, donc la défendre c'est le défendre.

Mais la gauche, mis à part une petite frange restée "radicale", depuis qu'elle s'est laissée prendre dans les filets du "réalisme économique et de la rigueur budgétaire", elle fait mine de combattre le capitalisme mais sans remettre en cause la propriété capitaliste. Elle est logiquement devenue partenaire du capitalisme, comme les syndicats sont devenus les "partenaires sociaux" du patronat…

p.6: La masse impuissante est passive parce que n'ayant plus aucune prise sur sa condition, livrée à un pouvoir qu'elle ne peut atteindre car elle n'a pas de tête et qu'il n'en a pas. Elle ne peut plus espérer de Révolution qu'accordée par ses maîtres. Ce n'est pas le salaire mais la petite propriété qui rend traître au prolétariat et à sa classe…

D'où la nécessité de proposer un autre imaginaire, d'où l'importance du slogan postmonétaire: "Rendre aux usagers la maîtrise de leurs usages…"

Charbonneau Bernard - Il court il court le fric…

 

Ed. Opales 1996

 

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L'auteur: Bernard Charbonneau, 1910-1996, professeur agrégé d'histoire et géographie, est un penseur français auteur de 21 livres et de nombreux articles (plusieurs centaines) publiés dans le journal "La Gueule ouverte". Ce journal a été fondé en 1972 par Pierre Fournier en lien avec Charlie Hebdo (Cavanna, Wolinski, Reiser et Cabu…) jusqu'en mai 1980 (au n°314). Charbonneau était pacifiste et écologiste avant l'heure (premier livre sur l'écologie en 1937). Ses travaux le rapprochent de ceux de Jacques Ellul dont il fut l'ami fidèle pendant 60 ans. Sur sa tombe à St Pé-de-Leren (64), il fit graver "Où tu iras j'irai, ou tu demeureras je demeurerai, et ton Dieu sera mon Dieu." Ses prises de position politiques lui ont longtemps fermé les portes des éditeurs. Ses premiers livres étaient ronéotés à compte d'auteur, et celui qui est présenté ici n'a été publié qu'à titre posthume!

 

Charbonneau Postmonétaire? Sans le formuler, certainement. Son temps était plus à la Révolution sociale qu'à une désargence. Ce n'est qu'au détour d'une phrase, d'une correspondance avec Gorz, d'un article de Charlie Hebdo qu'on le sait profondément opposé à l'argent. Dans un projet de règlement pour une fédération des !amis de la nature, il écrit: « Le véritable ami de la nature fuit la ville pour échapper à la vie artificielle qu’il y mène. Il revient à la nature pour retrouver sa condition d’homme, courir un risque, avoir faim et soif, être rassasié. Il revient aussi à la nature pour fuir l’argent et fuir sa classe, retrouver des hommes unis, non par des rapports de politesse mais par des rapports de camaraderie. Il sait que là seulement, il retrouvera franchise et liberté perdues. »

Et son livre, écrit en fin de vie, Il court, il court le fric fleure bon l'abolition de l'argent… On peut, sans le trahir, classer Bernard Charbonneau parmi nos prédécesseurs directs. En voici quelques extraits, malheureusement en vrac et sans références. Depuis, j'ai égaré dans les profondeurs de mes ordinateurs successifs le PDF du livre que m'avait envoyé Jean-Paul Lambert, et qui entretenait avec Bernard une correspondance régulière.

Appel à contribution: Quiconque serait en possession d'un livre ou d'un PDF de ce livre et pourrait me le transmettre, aura ma reconnaissance éternelle… Je n'ai pu récupérer qu'un extrait en PDF de 7 pages d'un autre livre de Charbonneau, le chapitre La propriété capitaliste, dans "La propriété c'est l'envol, essai sur la bonne et la mauvaise propriété" (1984)

Citations non vérifiées. Est-elle de Charbonneau? Mais connaissant le "bonhomme", c'est assez son style…

« Et si on s’indigne des perturbations que la puissance de l’argent provoque dans l’économie, on s’attache moins à l’infection qu’il entretient dans la vie quotidienne. Il est vrai qu’il est plus simple de supprimer les capitalistes que le capital, et la magie monétaire dont il est le produit »

Il est rare d'entendre des intellectuels parler de l'argent comme "agent infectieux de a vie quotidienne". Il est certes plus rassurant de s'en prendre à la bourse, au QE, au FMI que nous ne maîtrisons en rien que de s'en prendre à "notre vie quotidienne" dont on est toujours peu pu prou responsable….

Tout cela semble finalement la normalité sauf pour quelques irréductibles de nos Gaulois de la valeur, qui bricolent encore dans leur coin ou dans leurs cénacles d’intellectuels, quelques pratiques ou politiques publiques « alternatives » à ce monde qui a toujours eu les pieds dans les nuages et la tête plantée six pieds dessous….

Bernard ne s'appesantit pas sur la Valeur qu'il utilise ici à l'évidence au sens marxiste du terme (et vlan pour les copains de l'extrême gauche se targuant d'économie!). Il parle de "Fric"…

Les alternatives tiennent en place, vaille que vaille et malgré nos doutes, le château de cartes qu’est l’économie dont nous sommes nous-mêmes chacune des cartes… Et chacun y va donc de son « petit geste citoyen » pour la planète malade, de sa petite contribution de « grain de sable » en poussant la porte d’une « boutique éthique ». Jamais le but n’est de trouver comment faire cesser le désastre, mais simplement de trouver rapidement comment s’en prémunir en essayant de se donner une moins mauvaise conscience….

Les citations suivantes sont authentiquement issue du livre Il court, Il court le fric.

 …L’abstraction monétaire prétend toujours rendre compte de ce qui n’est jamais mesurable. « A vouloir faire rentrer la justice dans les finances, ce sont les finances qui rentrent finalement dans la

Justice….

L’univers économique ne consiste pas dans la simple production des valeurs d’usage : il implique leur échange…

Voilà bien le dogme à abattre. C’est un dogme en ce sens qu’il est admis par le plus grand nombre sans jamais être remis en cause. Quelle que soit la production, quel que soit le système social, il faut bien échanger, il faut bien avoir accès à ce qui manque, il faut bien se débarrasser de ce qui est en surproduction… C’est l’argument massue qui légitime aussitôt la nécessité d’un équivalent universel permettant ces échanges entres objets de valeurs différentes. La boucle est alors bouclée, justifiant les profits financiers, le pouvoir oligarchique, le capitalisme dans ses formes les plus barbares. Le concept d’échange, implique de facto l’intérêt que les deux parties peuvent y trouver, ce qui aussitôt pose la “règle de l’offre et de la demande” qui donne valeur à l’objet d’échange encore plus que la quantité de travail qu’il a demandé ou que la rareté des matériaux utilisés (sans une forte demande de métaux précieux et de beauté culturellement alimentée, un bijou en or aurait beaucoup moins de valeur qu’une pomme.

Mais qui a décrété que l’échange étant incontournable sinon les tenants du capitalisme lui-même. C’est ceux qui sont du bon côté du manche, ceux qui détiennent le capital qui ont imposé ce dogme incontesté de l’échange, de toute la force de leur pouvoir médiatique, législatif, répressif. Pour plus de sûreté, le mot échange est utilisé avec des sens multiples : celui de passage de l’un à l’autre (échange intérieur-extérieur de la cellule), la transmission d’un message social (échange de bon procédé, de politesse), etc. Les dérivés du mot eux-mêmes prêtent à confusion : ceux qui défendent l’échange pourraient être qualifiés “d’échangistes”, terme renvoyant plutôt au papillonnage sexuel qu’à l’économie ! Le mythe de l’échange est la démonstration flagrante que l’’univers économique est un univers inventé ! La difficulté mentale à sortir de cette idée “d’échanges incontournables” est telle que les arguments en sont souvent comiques

Celui qui méprise le fric n’a qu’un moyen de ne pas lui céder entièrement : lui faire sa part. À l’abstraction du fric, opposez la joie des sens. Les vraies valeurs sont à la fois sensuelles et spirituelles.

C'est le côté, spiritualiste et personnaliste de Charbonneau qui ressort souvent dans ses textes et qui, en rapport avec notre actualité, paraît désuet. On retrouve aussi cet aspect dans les textes de son ami de lycée Jacques Ellul. Un autre temps…  

Le fric qui efface paysages et pays est un phénomène bactérien, corrupteur et destructeur. Aux biens naturels, au plaisir de l’œuvre personnelle, il substitue ses fantasmes qui se succèdent sur l’écran de télé qu’on offre au peuple en guise de vie. Les vraies richesses qui sont le fruit de la terre ou le don de l’homme, le fric si prompt à nous en priver, est impuissant à nous les donner. Vraiment, où va le fric ? Question stupide : au fric… 

Dans les articles datant des Trente Glorieuses et publiés par Charlie Hebdo ou La gueule ouverte ce genre de phrases était récurrent. Si Charbonneau n'a pas dit clairement que la proposition était l'abolition pure et simple de tout type de monnaie et donc de l'échange marchand, s'il n'a pas inventé de terme désignant ce courant (désargence, postmonétaire, société sans argent, économie basée sur les ressources…), ce n'est ni par prudence ou imprécision, c'est parce ce n'était pas encore dans "l'air du temps", donc inentendable par ses contemporains. Son ami Gorz était dans le même cas: à la fin de sa vie, il était devenu franchement "postmonétaire" mais sans avoir le mot pour le dire et se faire entendre par ses amis de Charlie. (voir son texte dactylographié dans la rubrique Postmonétaire).

L’on voit venir le moment où penser, écrire ou sourire pour rien deviendra une indécence, que le syndicat professionnel pourra faire condamner pour concurrence déloyale et exercice illicite de l’être. 

Tôt ou tard, ce qui était plaisir, jeu, création ou don spontané, individuel ou collectif, devient une entreprise ou un négoce… 

Autant qu’il menace le capitalisme, le socialisme a poursuivi son œuvre, en continuant dans la voie de la concentration, de l’expropriation et de la manipulation de la monnaie…

.La dénonciation des puissances d’argent fait oublier celle qu’exerce celui qui à chaque instant nous concerne. La critique du capital dispense de s’interroger sur les vices et les vertus de l’économie monétaire dont il n’est qu’un avatar, sur l’infection subtile que la mise en valeur”, la magie des prix, le jeu des pièces et des billets exercent dans l’esprit de chaque individu… 

.Avec 1789 débute le règne de l’Argent, fondé sur le papier qui lui donne l’ubiquité sans laquelle il n’aurait pas dominé la terre… 

 …La liquidation de l’agriculture et des campagnes par l’agrochimie signifie qu’elle est en train d’effacer les dernières traces de paradis sur terre : ce qui reste de nature et de biens gratuits, d’autarcie personnelle ou familiale, de joie et d’espaces libres dont on peut disposer sans passer à la caisse…

Qui possède la solution du problème financier a résolu tous les autres. L’homme et la terre ne seront sauvés que si l’on met un terme à la prolifération cancéreuse du fric…. 

L’or était inerte, l’argent lent, tandis que le fric vit d’une vie déchaînée qui, tel le cancer, détruira la nôtre après l’avoir totalement envahie. Plus que jamais, pas de psychologie, de sociologie, d’écologie, sans examen des finances et de leur nature…. 

Pourquoi autour de nous est-ce que l’eau se trouble et la terre pustule ? C’est parce qu’elle est enfiévrée par un streptocoque virulent : le FRIC….

Cette suite de petites phrases assassines fait de Bernard Charbonneau une sorte de prophète, un esprit en avance sur son temps de plusieurs décennies. Il serait dommage que la jeune génération des postmonétaires ignore cette paternité qui les a conduit au constat de l'impasse essentielle du système monétaire, à la découverte que l'argent était le pivot autour duquel tout tourne, et que son abolition reste le seul puissant levier qui peut redonner espoir en un autre progrès social fondé sur les principes de vie et non de destruction, d'entraide et non de concurrence…