Psychologie de l'argent, Georg Simmel 2

  

éd. Allia 2019, traduction Alain Deneault, 77p.

Simmel-2.jpegCe petit livret n'est qu'un chapitre de l'ouvrage de Georg Simmel "Philosophie de l'argent" (600 pages labyrinthiques) publié en 1900 et réédité récemment. Il tente là de démontrer que l'argent ne soutient pas seulement la pensée et les affects en cause dans les opérations de mise en valeur, mais qu'il permet surtout d'en faire l'économie. Ce chapitre présenté lors d'un séminaire à Vienne en 1889 était trop prémonitoire pour attirer l'attention de son public. Sa thèse fondamentale est aujourd'hui devenu plus courante mais encore très confidentielle et domaine limité à quelques milliers de postmonétaires à travers le monde: "L'argent a perverti nos plans d'organisation en s'attribuant, comme moyen, un statut de fin à prétention salvatrice…" et il ajoute: "cet envahissement des buts par les moyens est un des traits fondamentaux et un des problèmes majeurs de toute culture supérieure." Les thuriféraires du système monétaire et marchand n'auraient donc pas à ses yeux atteint le stade d'une culture supérieure. Il faudra sans doute attendre encore un peu que l'effondrement soit proche pour que les postmonétaires soient entendus…

Georg Simmel (1858-1918) était un sociologue et philosophe allemand, atypique et hétérodoxe. Il cherchait dans l'individu et sa psychologie les fondements des phénomènes sociaux. Il a influencé des personnalités aussi diverses que Raymond Aron, Georg Luckás ou Vladimir Jankélévitch. Son œuvre n'a été redécouverte en France qu'à partir des années 1980. En 1914, il est nommé professeur à l'université de Strasbourg alors ville allemande et y meurt en 1918, et tombe vite dans l'oubli étant pour l'époque trop au-dessus des clivages et trop interdisciplinaire. Tout postmonétaire devrait s'intéresser à son œuvre, ne serait-ce que pour se donner une base théorique (chose encore rare) et pour se rassurer quant à l'excès d'hétérodoxie dont nous sommes affligés!...

p.11: Étant donné son caractère anonyme et l'extraordinaire expansion mondiale dont il a fait l'objet, l'argent réduit les relations humaines à des actes transactionnels désincarnés et génère un certain nombre de pathologies que Simmel décline dans une longue galerie de portraits. C'est un aspect de l'argent que l'économie politique, sous les multiples formes qu'elle présente aujourd'hui, est totalement impuissante à intégrer dans ses propositions. La multiplication des propositions réformatrices autant que révolutionnaires qui se sont parées des qualificatifs les plus divers (économie distributive, circulaire, durable, symbiotique, juste, sociale et solidaire, éthique….) n'est que le signe que le problème est ailleurs ou plutôt que la question est mal posée. C'est ce que nous tentons de faire comprendre en disant que le système monétaire, devenu d'une complexité extrême, n'est pas réductible à l'une au l'autre de ses pathologies et qu'il est temps, arrivés au bout de cette logique, de changer de système, donc de partir de ce qui l'a justifié, l'échange marchand. De l'échange à l'accès, tout est là, mais Simmel, malgré son siècle d'avance sur la pensée de son temps, n'avait pas encore les outils pour ce faire…

p.14: Je connais les moyens en vue d'une fin quand j'ai découvert quelles causes génèrent cette fin. La conscience des fins s'approfondit avec la conscience des causes. C'est sur cet approfondissement que repose ce que nous appelons le progrès culturel. Le refus de laisser émerger une conscience des causes est sans doute ce qui caractérise le mieux l'hubris de notre contemporanéité. Il est plus simple de réduire les inégalités sociales à la rapacité des riches que de l'attribuer aux fondements mêmes du système monétaire. Il est plus simple de réduire les crises environnementales aux GES présents dans l'atmosphère qu'à la nécessité de réaliser des profits financiers, ce que nous résumons en disant: "plus les profits font des dégâts, plus les dégâts font du profit"!

p.18:  Pour un nombre incalculable de gens, le perfectionnement de la technique et de ses actions est devenu à tel point une fin en soi qu'ils en oublient les fins supérieures que toute technique doit se borner à servir, et ainsi de suite. […] Il se peut bien que le principe de l'économie d'énergie implique que la conscience des fins se concentre justement sur les étapes du processus téléologique qui sont en cours à un moment donné, tandis que les fins dernières plus éloignées disparaissent de la conscience.  Si Simmel avait connu l'irruption de la voiture électrique et les débats qu'elle soulève, il y aurait vu un merveilleux exemple de l'obscurcissement des consciences par les préoccupations techniques. L'ultime fin de la voiture est de permettre des déplacements commodes dans l'espace, d'apporter aux humains le confort et la sécurité, donc du bonheur. La bataille qui sévit pour savoir qui, du diésel ou de l'électricité, est le plus polluant, entre l'autonomie relative des deux modes d'énergie, entre la diffusion de particules fines et les problèmes d'extraction du lithium, ne sert qu'à faire oublier la question de fond: que souhaitons nous comme déplacements, dans quelles conditions, à quel prix humain et environnemental, pour aller où et pour quel motif. Rarement la question de l'argent, de la monnaie, des transactions financières n'est posée en ces termes. Elle l'est, constamment et uniquement, en termes de nécessité de transport de marchandise, de trajets professionnels, d'habitats éloignés des centres administratifs, productifs, culturels, des services. Il faut généralement aller vers les postmonétaires pour entendre se poser la question de l'argent en tant qu'argent: pour quoi, dans quel but, avec quelles conséquences, à quel prix social… Partout, l'argent est une nécessité, le moyen unique de survie, circulez braves gens…

p.20: Les trois enjeux: avoir de l'argent, le dépenser, posséder un objet, finissent par se constituer comme fin autonome, et de façon si énergique que chacun des trois peut lui-même dégénérer en trouble obsessionnel compulsif et révéler différents degrés d'autonomie psychologique. Comment expliquer, en effet, qu'un possesseur d'une grande fortune, impossible à dépenser dans l'espace d'une vie, persiste à accumuler un autre milliard de plus? Que 80% des gagnants au million du Loto persistent à garder leurs emplois généralement peu épanouissants et peu créatifs?...

p. 23: Il est entendu dans le développement historique de l'argent que celui-ci devait être à l'origine une valeur autonome ; car tant que l'État battant monnaie ne garantissait pas encore à l'individu la valorisation ultérieure de la rétribution qu'il avait obtenu pour une marchandise, personne n'était assez fou pour s'en départir sans obtenir en échange une valeur réelle… Au siècle de Simmel, on pouvait se satisfaire de cette interprétation historique. Mais avec la financiarisation qui s'est étendue mondialement au point de supplanter en force le simple commerce, il faut croire qu'il possible aujourd'hui d'être "assez fou pour s'en départir sans obtenir une valeur réelle".   

p.30: L'argent est vulgaire car il est l'équivalent de tout et de n'importe quoi; seul l'individu est distingué; ce qui équivaut à beaucoup de choses est équivalent à beaucoup de choses est équivalent à la plus vile d'entre elles et rabaisse pour cette raison même les choses les plus élevées  au niveau des plus viles.

p.31: Par exemple, lorsque la vente des charges par les Bourbons ouvrit à la bourgeoisie l'accès à l'administration d'État, tout comme inversement cette fois, seule la rétribution des postes a permis aux gens de talent démunis d'affirmer leur valeur dans les bons postes…  Ce passage est intéressant en ce sens que l'argent est à ce point complexe et ambivalent qu'on peut y voir tantôt son côté réducteur et tantôt son côté séducteur. L'aspect psychologique de la valeur propre à l'argent fonctionne là aussi comme un écran de fumée qui permet toutes les interprétations les plus frauduleuses ou purement rhétoriques…

p.34: L'inscription sur les billets de banque qui stipule que leur valeur est reconnue au porteur "sans examen de légitimité" en dit long sur le caractère de l'argent en général. Le fait qu'une personne ait exactement la même valeur qu'une autre dans le trafic monétaire a pour unique fondement que personne n'est de quelque valeur, mais seulement l'argent. C'est pourquoi il est possible de croire qu'en affaires il n'y  a pas de sentiments; l'argent est le fait objectif absolu en lequel tout ce qui est personnel trouve un terme. […]  Que ce moyen d'échanges parvient à écarter nombres d'obstacles psychologiques liés à ces échanges, cela ne suscite aucun débat… C'est bien pour cela qu'il est difficile d'expliquer à un commerçant, ordinaire mais honnête, qu'il est acteur actif dans la guerre économique, un tueur parmi d'autres dans la concurrence, ou victime de la concurrence de l'autre, mais néanmoins combattant… Cela nous contraint à user constamment de la précaution qui consiste à soigneusement séparer l'acte et la morale, l'individu et le système.

p.35: Le simple fait que l'objet ne peut être acquis qu'à un prix déterminé lui garantit aux yeux de nombre de personnes sa valeur. Il en résulte à bien des égards un cercle vicieux dans la détermination de la valeur: si le vendeur baisse son prix, l'appréciation de la valeur de la marchandise baisse aussi et cela fait tomber le prix plus bas encore.  En ce sens, la main invisible du marché, la rationalité de l'acheteur, tout cela est purement mythique et pourtant défendu par ceux-là même qui jouent sur cette évaluation de la valeur des choses au travers de la publicité, du packaging, des soldes, et des vendredis noirs. Le fait de supprimer l'argent ne supprimera pas la tendance naturelle des usagers à donner un prix à toute chose. Mais cela pourra se faire sur des critères de rareté, d'esthétique ou de nécessité d'usage, mais non plus en termes de prix mais de valeur….

p.36-37: On sait que l'ancien droit germanique jugeait l'expiation par l'argent des délits les plus graves et qu'au VII° siècle déjà la pénitence du carême pouvait être remplacée par de l'argent (peut-être en vertu du mérite éthique que l'évangile avait conféré à l'abandon des richesses). L'argent est plus fort que n'importe quelle religion. L'exemple de Simmel est tiré du christianisme, mais chez les musulmans, c'est pareil. Ils s'accordent très bien pour tolérer l'usure, l'abus de biens sociaux, les inégalités économiques malgré la Charia, pourtant plus stricte et plus punitive que l'évangile.  

p.42: Tout autant que Dieu, sous la forme de la croyance, l'argent est, sous la forme du concret, l'abstraction la plus élevée à laquelle se soit hissée la raison pratique.  Raison de plus pour y réfléchir, pour démonter les dogmes, pour s'accrocher mordicus aux effets délétères de l'argent et pour se convaincre que l'argent impactant tout, le meilleur moyen de forcer le passage vers un autre futur possible est de l'abolir. Si l'argent a été l'outil privilégié qui nous a conduit au bord de l'effondrement global et qui nous a plongé dans un océan d'écoanxiété et de doutes quant au moindre progrès possible, c'est sa disparition et elle seule qui peut donner sens et force à la reconstruction d'un autre monde.

L'argent dans la culture moderne

p.43: Au Moyen âge, l'homme se trouve dans une appartenance qui le soude à une communauté ou à une propriété terrienne, à une féodalité ou à une corporation. […] Cette unité, les temps modernes l'ont détruite. Ils ont fait reposer la personne sur elle-même et lui ont accordé une liberté de mouvement intérieur et extérieur sans précédent. L'affaiblissement de l'individu privé de communauté a connu son apogée avec l'aporie sémantique de la "flexi-sécurité", fin du XX°. Le travailleur en perpétuelle migration de lieu, de fonction, de catégorie, n'a guère plus d'autonomie spatiale que le laboureur du XVIII° siècle et certainement moins de "sécurité ressentie"…                                  

pp.46-48 Simmel donne quelques exemples qui marquent la finesse de la frontière que l'argent érige entre l'union des intérêts et leur séparation: les caisses de syndicats de corporations, après 1848 en France, mettent en commun cette possession monétaire  pour en obtenir une garantie de leurs intérêts propres sans pour autant qu'il y ait fusion entre les différentes corporations. De l'antiquité au XX° siècle, ont voit se reproduire sans cesse les tentatives de régulation des abus quant à l'usage de l'argent et les ingénieux modes de contournement de ces régulations. Marx, certainement plus instruit de philosophie et d'économie que d'Histoire a développé des thèses sur la valeur, le juste prix, les limites du profit, sujets que Pierre de Jean Olivi avait déjà traité dans le premier traité d'économie connu de l'Occident médiéval. Mais ces écrits ayant été mis à l'index par le Vatican jusqu'au milieu du XX° siècle, Marx n'a pu le savoir. 

p.51 C'est pourquoi l'homme moderne est dépendant d'incomparablement plus de fournisseurs et de sources d'approvisionnement que ne l'étaient jadis les paysans libres des anciens temps germaniques, ou plus tard les serfs. A tout moment, son existence tient à cent liaisons produites par des intérêts monétaires, sans lesquels il pourrait tout aussi peu continuer à exister que le membre d'un corps organique qui serait isolé du circuit de la sève. L'image de la cellule isolée de la sève, et donc le pronostic létal annoncé, représente bien la situation de notre modernité. Hors de la "sève-argent" la vie n'est plus possible et le nombre des acteurs économiques qui permettent la circulation de cette sève-argent est tel qu'il est devenu impossible d'en identifier individuellement les acteurs. C'est le piège mortel de nos sociétés sans noms propres et à responsabilité limitée (SARL): un énorme machine que nul ne contrôle et qui, devenue autonome, est le seul propriétaire réel des humains. Les serfs du Moyen-âge pouvait lever des jacqueries et brûler le château de leur Seigneur, les serfs des temps modernes ne connaissent pas l'industriel et ne peuvent localiser son siège social! Tout ceci n'est pas un plan machiavélique inventé par quelques financiers véreux, c'est une logique en marche qui part de la nécessité, pour le scieur de long Morvandiau en route vers l'Italie, de protéger son bien sur des routes remplies de brigands. Une logique qui aboutit à la multinationale au siège social dispersé dans de multiples paradis fiscaux. Toute mesure de contrôle et de bonne gouvernance, ne fera que disperser, anonymiser, privilégier, puissanciser le Seigneur et son château chaque jour un peu plus. S'il fallait un argument choc pour justifier une abolition du système, en voilà un qui est particulièrement parlant…

p.52-53: Finalement, l'argent a instauré pour tous les hommes un niveau d'intérêts commun si englobant, comme jamais on n'en aurait été capable à l'époque de l'économie naturelle ; il a jeté les bases d'une compréhension immédiate et réciproque, une uniformité d'orientations qui devait contribuer de façon extraordinaire à engendrer la représentation de l'universel humain qui a joué un si grand rôle dans l'histoire de la société et de la culture depuis le siècle dernier - exactement comme elle émergea dans la culture de l'Empire romain une fois complètement imprégné de l'économie monétaire. Si on isolait ce paragraphe de son contexte, on pourrait croire que Georg Simmel a produit un hymne à la beauté du capitalisme.

p.53-54: Un tel rapport ne peut qu'en engendrer un individualisme fort, car ce n'est pas l'isolement par rapport aux autres, mais au contraire la relation privée d'égards  pour celui dont il s'agit, c'est leur anonymat, l'indifférence par rapport à leur individualité, qui rend les hommes étrangers les uns aux autres et renvoie chacun à lui-même. Si on met en relation cette déclaration avec l'affaire des retraites à 64 ans sous le règne de Macron 1er, il est clair que les notions de pénibilités de certaines professions sont niées au nom d'une égalité de droits. Le manœuvre maçon est traité comme le bureaucrate fonctionnarisé et cadre, l'hypocrisie des dirigeants se manifeste dans l'usage abusif de chiffres comptables invérifiables et si abscons que les ouvriers finissent par croire aux dictats du pouvoir, que la majorité des travailleurs ne fait plus le poids par rapport à la minorité de nantis qui les représentent. Privés d'égards, face aux anonymes des fonds de pension et de la Commission Européenne, étrangers dans leur propre pays, jugés responsables des erreurs des technocrates, traités de "radicalisés" quand ils crient leurs peurs dans la rue, les travailleurs les plus essentiels et les moins bien rémunérés se sentent plus que jamais impuissants à modifier le cours de leur histoire. Quand donc verront-ils clairement que c'est la logique de l'argent qui en est la cause? A l'inverse les élites grassement rémunérée quelque soit leur supposée efficacité, sont de moins en moins aptes à comprendre ce peuple qui leur est étranger. Quand donc comprendront-ils que c'est l'argent qui les a rendus aveugles et que d'ouvrir enfin les yeux dépend leur survie elle-même?...

p.55 La possibilité d'exprimer et de rétribuer les prestations au moyen d'argent a été éprouvée de tout temps comme un moyen et une garantie de la liberté personnelle. […] Le droit romain lui-même stipulait que celui qui était assigné à une tâche particulière pouvait refuser de s'en acquitter en nature et la solder par son équivalent en argent, même à l'encontre de la volonté du bénéficiaire. C'est pour cette raison qu'on a qualifié cette clause de "magna charta"[1]… Mais combien de fois cette liberté acquise a souvent signifié en même temps une vacuité de l'existence et la désagrégation de sa substance! En fait, ce que nous dit Simmel avec les mots de son temps, c'est que passer de l'esclavage au salariat ne change pas grand-chose à la condition humaine si les données quantitatives prévalent sur les données qualitatives. De même, l'établissement d'un revenu d'existence ne changera rien aux dites existences si on ne limite pas en même temps la marchandisation des biens communs et vitaux.

p.59: Le cœur et le sens de la vie ne cessent de nous glisser entre les doigts, les satisfactions définitives deviennent toujours plus rares, tous ces efforts et toute cette agitation ne valent en réalité pas la peine. […] Et cela tient au recouvrement progressif des valeurs qualitatives par une valeur purement quantitative, par l'intérêt formulé strictement en termes de plus ou de moins -alors que seules les premières satisfont irrévocablement nos besoins. Dès l'instant que l'on donne une valeur monétaire à tout, le sens de la vie ne cesse de nous glisser entre les doigts. Si l'on veut redonner sens à la vie humaine, il n'y a pas d'autre issue que de faire le deuil du système monétaire. La thèse de Simmel s'adressait en son temps à la condition sociale des humains mais peut aujourd'hui se traduire dans les mêmes termes aujourd'hui au niveau environnemental. L'argent peut tout à fait poser des taxes carbones et imposer des normes écologiques, mais n'empêchera en rien la désertification, la perte de biodiversité, la pollution….  

p.60 Le tragique de tout nivellement, c'est qu'il débouche en droite ligne sur le statut de l'élément le plus bas. Car ce qui occupe la position la plus élevée peut toujours descendre vers ce dernier, mais ce qui se trouve en bas ne peut presque jamais se hisser à la hauteur de l'élément le plus haut. Voilà qui met à mal le rêve égalitariste du "partage du gâteau", de la redistribution, de l'économie sociale et solidaire. Un nivellement le plus strict ne peut tenir plus d'une décennie dans un système monétisé et rien n'empêchera les inégalités de se reproduire à l'identique. Les Juifs de l'époque biblique en ont tenté l'expérience il y a trois millénaires (méthode du jubilé) et l'ont très vite abandonné par absence totale de "durabilité".

p.60-61: Le désabusement, c'est précisément qu'on ne réagisse plus aux nuances et aux spécificités des objets avec une faculté sensitive elle-même nuancée, mais qu'on les ressente tous sous une teinte uniforme et terne, ne s'inscrivant plus dans un spectre de couleurs déterminées. Qu'en termes élégants ces choses là sont dites! Simmel (1858-1918) aujourd'hui nous dirait: Le "tous pourris" en politique, les "chiens de gardes" médiatiques, les syndicats devenus les "partenaires sociaux" des gouvernements, l'indécence des fortunes "multimillionnaires" a finit par tuer tout intérêt pour la chose publique, tout espoir dans des lendemains qui chantent, toute capacité de mobilisation collective. Les Grecs qui ont subi une pleine décennie de dérégulations et une austérité inédite en temps de paix, qui ont battu tous les records de luttes classiques (manifestations, grèves, propositions alternatives…) sont devenus les parangons du désabusement.

p.61-62 Parce que l'on peut avoir presque tout contre de l'argent, il a été possible de se dédouaner d'un délit avec de l'argent (4° siècle, droit d'Alaric), de s'acquitter de la pénitence avec de l'argent (7° siècle), de s'acheter un strapontin au paradis quels que soient les actes de sa vie réelle (jusqu'au 17° siècle)… et aujourd'hui de se déplacer en jet et en yacht privé, de faire de l'optimisation fiscale, du dumping social et du greenwashing…, toujours parce qu'on a beaucoup d'argent.        

p.62 Une seconde conséquence importante découle du système monétaire prédominant: on éprouve l'argent (pur moyen pour obtenir d'autres biens) comme un bien autonome ; tandis que toute sa signification se limite à être un passage, un membre de la série qui mène à une fin et à une jouissance définitive, la série s'interrompt psychologiquement à cette étape, la conscience de la fin téléologique s'arrête à l'argent. C'est bien ce que nous déplorons avec les assurances qui déresponsabilisent (je m'en fous, je suis assuré!), avec l'abus de bien sociaux (je m'en fous, les autres n'ont qu'à en faire autant), avec la corruption (je m'en fous, ce qui n'est pas interdit est autorisé!), etc. Sans le filtre de l'argent, les auteurs de ces dérives verraient de suite qu'ils ont pénalisé, spolié, conduit à la misère d'autres personnes qu'ils ne connaissent même pas.

pp.63-64 Cet envahissement des buts par les moyens est un des traits fondamentaux et un des problèmes majeurs de toute culture supérieure. Car cette dernière, au contraire des conditions primitives, tient son essence de ce que les intentions des hommes ne sont pas simples, à portée de mains, accessibles par une action immédiate, mais qu'elles deviennent progressivement si difficiles si compliquées et hors de portée qu'elles requièrent un montage sophistiqué de moyens et d'appareils, un détour par de multiples étapes préparatoires… Si Simmel avait connu l'informatique, il n'aurait pas manqué de le prendre en exemple. Qui aujourd'hui maîtrise son ordinateur et son smartphone au point de les commander au lieu de dépendre de leurs logiciels complexes auxquels nous sommes sommés de nous adapter à chaque mise à jour? On se garde bien de se poser des questions sur le fonctionnement de ses appareils par crainte du bug que cela pourrait produire. On préfère ne pas savoir ce que l'appareil prélève de renseignements sur nous-mêmes et quel usage il va en faire, pour ne pas prendre peur et ne plus y toucher, ne serait-ce que pour se préserver un semblant d'intimité…

p.66 Dans ce processus, toutefois, aucun des éléments n'a de part plus grande que l'argent, jamais aucun objet qui n'a de valeur qu'en tant que moyenne ne s'est développé avec une telle énergie, aussi complètement et avec un tel succès pour l'ensemble de la vie, jusqu'à devenir le but satisfaisant en tant que tel -de manière apparente ou réelle- toutes nos aspirations. Sauf peut-être le smartphone que la main  ne quitte jamais, tant il est moderne, pratique et addictif et que "main tenant", il prend place au milieu du repas entre amis, dans le lit entre amoureux, effaçant le moindre vide temporel, comblant la moindre distance géographique, ne laissant au cerveau plus aucune autonomie ni répit. Mais il est normal que l'objet dit communiquant ou empêcheur de communiquer selon l'un l'usage, ait pris si vite une telle place. C'est l'un des meilleurs alliés de l'argent que les nouveaux maîtres de l'argent aient inventé.

p. 68: D'où l'inquiétude, la fébrilité, l'agitation continuelle de la vie moderne, qui trouve en l'argent la roue impossible à arrêter faisant de la machine de la vie un "perpetuum mobile", un mouvement perpétuel. Sachant que Simmel a conçu ces textes dans les années 1890, on imagine ce qu'il penserait aujourd'hui de notre agitation chronique. C'est peut être un des éléments qui ont le plus puissamment suscité le mouvement de "bifurcation" qui fait fuir les étudiants des grandes écoles, produit des ZAD et des habitats partagés, qui pousse les ingénieurs à se faire éleveurs de moutons, maraîchers bio ou animateurs de fablabs, de préférence avec le moins d'investissements financiers possibles et d'ambitions consuméristes…

p.71: Jusqu'en 1844, les billets circulaient 51 jours en moyenne avant d'être présentés et convertis en petite monnaie ; en 1871 ils ne circulaient plus que 37 jours, soit près d'un quart de circulation monétaire en plus. En 2023, je doute qu'un billet reste dans une quelconque poche plus de trois jours sans être utilisé. Anecdotique, dites-vous? Certainement pas ! La rotation monétaire est bien ce qui se rapproche le plus du "perpetuum mobile". Sans elle, l'argent n'a même plus de sens économique, ce serait le signe d'une récession en marche, d'une crise systémique à venir…

On peut donc résolument classer Georg Simmel dans la catégorie des "Postmonétaires" sans craindre l'accusation d'anachronisme!      

 

[1] Clause utilisée par les barons anglais du 13° siècle pour transformer l'obligation de fournir au Roi matériel et hommes pour ses guerres, puis dans la lutte pour la libération des esclaves aux 18-19° siècles pour en faire des salariés.

Philosophie de l'argent, Georg Simmel

 Texte de 1900, éd. PUF janvier 2014, 672p.

Simmel-1.jpegGeorg Simmel n'est pas aisé à lire tant il manie les concepts philosophique dans un style propre au 19° siècle. Je me suis donc appuyé sur l'excellente analyse de Maël Rolland, enseignant chercheur au Cemi-EHESS.  Voir PDF complet, de 42 pages,  téléchargeable, dans lequel on peut retrouver quantité de citations avec les références exactes des livres, chapitres, sections. (les phrases en italliques viennent de Maël Rolland)  Ce texte est assez critique, sans doute en raison des conclusions de Simmel qui bouleversent la doxa habituelle quant à l'utilité ou la nocivité de l'argent.

                Publié en 1900, cet ouvrage monumental illustre la conception que Simmel se faisait de l'explication en sciences sociales. Ce n'est pas une étude historique du développement de la monnaie dans une société, mais une analyse des diverses causes de l'introduction de l'argent dans le système des relations économiques, de ses multiples et complexes conséquences sociales.

                Pour Simmel, l'argent émerge des relations d'échanges entre les hommes. Pour comprendre ce qu'est l'argent, il faut s'intéresser aux processus historiques des échanges, mais également aux processus de valorisation individuels et sociaux. L'argent est ce qui permet de donner une valeur objective aux objets, au sens où il est un étalon de mesure de la valeur. Cependant, la valeur n'a pas d'objectivité en soi mais résulte de l'intersubjectivité des désirs. 

« L'argent est le moyen absolu et le plus significatif des phénomènes de notre temps, dans la mesure où sa dynamique a envahi le sens de toute théorie et de toute pratique »

                Georg Simmel est né en 1858 en Prusse et mort à Strasbourg en 1918. Philosophe et sociologue de formation, il s'intéresse à tout, l'argent, la mode, les femmes, la parure, l'art, la ville, l'individu, les pauvres, les interactions sociales, etc. Son œuvre n'a été découverte en France que dans les années 1980, via des intellectuels comme Michel Maffesoli. Sa vie professionnelle a été contrariée par la défiance des élites universitaires de son temps. Il a toujours enseigné gratis pro deo, (avec le titre uniquement honorifique de "Ausserordentlicher Professor") malgré le succès qu'il avait auprès de ses étudiants. Son dernier poste, en 1914, à été au sein  de l'université de Strasbourg, alors ville Allemande.  Quelques passages de cette étude donnent une idée de la pensée de Simmel.

                …Dès la préface, l'auteur affirme sa volonté d'aller dans un en-deçà et un au-delà des analyses psychologiques et économiques, par la construction d'un étage intermédiaire entre matérialisme et idéalisme, apte à démontrer le rapport consubstantiel de la vie économique à la culture intellectuelle (mutuellement cause et effet).

…L'ambivalence de la réception de ce livre  s'explique, en partie, par la complexité d'une pensée et de sa forme, développée tout au long de ses 662 pages… Le vocabulaire philosophique et les références culturelles qui émaillent ce texte en faut un ouvrage d'un abord peut commode pour les non-philosophes. Simmel nous avait prévenus: « …aucune des études qui suivent n'est entendue au sens de l'économie politique », car c'est un autre point de vue qu'il souhaite proposer…

….Démontrant le relativisme ontologique de la réalité comme de notre rapport à elle et insérant en son sein la valeur économique et l'argent, il nous les dépeint comme des objectivations pleines et idéelles de la relativité des objets économiques : l'argent, mesure et expression de la valeur économique est, comme la vérité, relatif.

…..Distance intra et extra individuelle, la modernité monétaire tendant vers l'impossible idéalité de l'argent, se fait tension croissante entre un individu et une société, qui, chacun pour eux-mêmes s'intensifiant et se densifiant, se font davantage « front ».

C'est certainement cette tension entre l'individu et la société, qui à l'évidence n'a cessé de croître du siècle de Simmel à nos jours qui a amené un flot constant et de plus en plus intensif de personnes se mettant brusquement à douter du discours économique et des ses conventions sociales que les économistes s'acharnent à nous faire prendre pour des lois physiques. Jusqu'à une époque récente, les plus révolutionnaires acceptaient ce cadre de pensée et tentaient de le rendre viable. De plus en plus, la conscience des impasses structurelles produites par l'argent incite à imaginer un autre cadre que l'économie marchande, une société sans argent ni échanges marchand. Simmel mort en 1918 ne pouvait l'imaginer et s'il n'a pas clairement exprimé une quelconque idée d'abolition de ce système, le lui reprocher serait un pur anachronisme…      Simmel-portrait.jpeg

…..La pensée de Simmel n'est pas linéaire mais circulaire et tourne autour de son objet, l'argent, en plusieurs mouvements. Positionné sur un plan intermédiaire et relatif, topos de la totalité du monde, Simmel souhaite comprendre le tout de n'importe quel point, filant phénoménologiquement ses inter-relations historico-sociales. […] Si ce point choisi – l'argent – est en soi accessoire pour la tache à réaliser, il ne l'a pas été au hasard. L'argent se fait cristal le plus pur de l'évolution psychologique et sociale, prisme parfait retranscrivant la diversité de ses faisceaux…

La pensée simmelienne est difficilement soluble dans les catégories et écoles de son temps, qui la rejetèrent. Il n'est pas directement intégré dans les écoles constituées, ni en philosophie, ni en sociologie, rejeté qu'il fut, par les deux grandes familles – durkheimienne et wébérienne.

….Ce phénomène, cumulé à l'antisémitisme de son temps, a participé à sa relégation académique, soulignée par nombre de commentateurs.

Professeur  très apprécié des étudiants et de nombreuses personnalités berlinoises, Georg Simmel  ne fut jamais reconnu par la hiérarchie universitaire malgré le soutien actif de Max Weber. Ce n'est qu'en 1901 qu'il devient "professeur agrégé", un titre purement honorifique à l'époque qui lui permet d'enseigner sans être payé, y compris à l'université de Strasbourg à partir de 1914, donc 4 ans avant sa mort… 

….Face au déploiement intensif et extensif de dispositifs objectifs marchands, il est observateur et analyste du passage historique des monnaies-métallique aux monnaies-papier, portant et portée par la monétarisation croissante de l'économie, comme par sa financiarisation. Il insert cette transition dans une représentation d'un continuum monétaire infini, évolutif bien que non univoque, allant du "troc" à l'échange monétaire idéel, dont l'élément central, la confiance, connaît des décentrements importants…

…..L'argent, outil le plus parfait inséré dans nos séries téléologiques, devient un pouvoir individuel exorbitant sur la circulation (souveraineté individuelle) en tension vis-à-vis de son pendant qu'est la société et ses institutions (souveraineté politique). L'intensification et l'extension commerciale et financière qui permettent et sont permises par cette transition, rendent nécessaire de rehausser qualitativement une monnaie tendant vers son idéalité symbolique…

                Simmel est intéressant pour l'équilibre de son analyse: d'un côté il reconnait "d'incommensurables services" rendu à la civilisation du fait que l'argent se soit substituer aux objets et biens comme valeur d'échange, puis qu'il se soit substitué aux personnes en prenant part à l'association à leur place, via des groupes distincts pour des buts communs. Il donne en exemple les syndicats ouvriers qui mutualisent leurs fonds pour un bien commun, ce qui n'aurait pas été possible sans l'argent. "…l'argent crée un lien extrêmement fort entre les membres d'une même espèce économique; précisément parce qu'il ne peut pas consommé immédiatement, il renvoie aux autres individus, dont on ne peut obtenir contre lui des bien de consommations proprement dits…" .

                Simmel a raison de dire que l'existence d'un individu tient à cent liaisons sans lesquelles il ne pourrait survivre, mais il est contestable quant à la division du travail productif qui ne serait pas possible sans l'argent. Depuis son époque l'anthropolgie a décrit quantité de travaux productifs, y compris des grands chantiers collectifs, dans des société sans aucun échange marchand ni monnaie quelconque. Cette idée est encore bien ancrée dans les esprits, y compris chez Frédéric Lordon qui s'appuie sur la division du travail pour affirmer que l'argent est indispensable. 

"L'argent est donc cette chose qui en fin de compte produit infiniment plus d'accointances entre les humains qu'il n'y en eut jamais dans mes temps de la relation féodale ou de l'union librement choisie, tant glorifié par les chantres de l'association."

                En somme, Simmel commence par expliquer que l'économie de l'argent est un moyen de relation et de compréhension entre les hommes  par son caractère uniforme et qu'en plus, il permet des plus grandes libertés et individualisation à ces mêmes personnes. L'argent est une garantie de liberté personnelle. Avant l'argent, une dette ne pouvait se solder que par l'assujettissement de l'endetté. L'argent libère de cet assujettissement, de l'enchaînement de la personne par une prestation imposée.

"Avec de l'argent dans les poches nous sommes libres, alors que l'objet nous rendait dépendant des conditions de sa conservation et de sa fructification."

Si on termine la lecture de Simmel à ce stade, on est intimement convaincu d'avoir à faire à un défenseur du capitalisme sous toutes ses formes.

                Mais il en vient ensuite au "revers de la médaille", donc à l'antithèse de ce qu'il avait évoqué. L'objet substitué par l'argent s'en trouve comme "dématérialisé", perd de son intérêt. Une terre qui ne possède qu'une valeur en argent perd le caractère substantiel de l'activité personnelle qui lui conférait sa valeur. "L'évaluation constamment requise d'après la valeur monétaire finit par faire passer cette dernière comme la seule valable ; on vit de plus en plus rapidement en laissant de côté la signification spécifique, inexprimable en termes économiques, des choses…"

                Après l'exposition de la thèse et de l'antithèse, vient la synthèse.  Et cette synthèse  du philosophe est alors sans appel:

"Du fait que pendant la plus grande partie de leur vie, la majorité des hommes modernes en arrivent fatalement à avoir en vue le gain de l'argent comme étant le but immédiat de leurs aspirations, naît l'idée que tout bonheur et toute satisfaction définitive dans l'existence seraient solidairement liés à la possession d'une certaine somme d'argent, l'argent prend intrinsèquement l'importance d'une fin téléologique... "

                Simmel enfonce le clou un peu plus loin en précisant:

"L'argent devient ainsi ce but inconditionnel dont l'obtention est possible en principe à chaque moment, au contraire des buts constants, lesquels ne sont pas souhaités ou accessibles à tout instant. Ainsi un aiguillon permanent incite l'homme moderne à s'activer, il a désormais un but qui…est toujours là en puissance."

                Si Simmel revenait à Strasbourg aujourd'hui, il serait heureux de voir son analyse confirmée par  quantités de faits et totalement effrayé par l'hubris dans lequel nous sommes plongés. Il deviendrait au moins collapsologue et certainement postmonétaire… Simmel nous démontre que l'argent, au départ moyen, devient très vite une fin en soi et que cela entraîne d'autres dérives similaires. L'avarice devient une norme, la sexualité ayant au départ la reproduction comme fin naturelle tend à devenir une fin en soi. La religion en elle-même en est perturbée puisque Dieu offre sous la forme de croyance ce que l'argent propose sous la forme concrète de la valeur sonnante et trébuchante: la confiance en la toute puissance du principe suprême! 

                Ce court survol d'une pensée complexe n'a qu'une prétention, inciter les lecteurs ayant un minimum d'outils philosophiques à s'accrocher à ce texte et d'en révéler aux commun des mortels les prolongements actuels que l'on peut en faire…

La communauté humaine, Bruno Signorelli

 

Bruno Signorelli, 2016  PDF 10 pages La communauté humaine

 AvertSignorelli.JPGissement: Ce texte en PDF est paginé de 117 à 125. Il fait donc partie d'un volume plus grand que je n'ai pas trouvé. Mais il est probable que ce texte ne soit que l'introduction d'un débat organisé le 3 octobre 2015 à l'initiative de Giuseppe Mule et Oreste Scalzone, autour de la question d'une société sans argent. Dans un article paru dans la revue Temps Critiques, Bruno Sigorelli se démarque fermement de l'anticapitalisme de l'extrême gauche ou de l'extrême droite, ainsi que des positions des altermondialistes. C'est à ce titre qu'il était intéressant de découvrir, dans les multiples visions postmonétaires, celle de Bruno Sigorelli. Celle-ci a été vivement critiquée dans  Crise financière et capital fictif de Jacques Guigou (L’Harmattan, 2008). Le débat reste ouvert. Je n'ai pas trouvé de biographie sur Bruno Signorelli, sans doute un intellectuel italien peu médiatisé en France… Ce texte est paru dans la revue Temps Critiques. On trouve aussi sur le blog de la revue un échange de mails entre bruno Signorelli et quelques-uns de ses lecteurs, échange qui ne manque pas d'intérêt… Voir   

Commentaires:  

p.1: Définir ce que serait une société sans domination, sans argent, une "communauté humaine", a toujours été une tâche délicate. Mais je vais tenté d'exprimer ce avec quoi je veux rompre pour en finir avec la société capitaliste d'aujourd'hui… En finir avec les rapports sociaux basés sur la subordination des non-propriétaires aux propriétaires de capitaux et sur la reproduction d'une hiérarchie statutaire ; retrouver un lien avec la nature  qui remette en question la fuite en avant technologique ;  en finir avec l'échange marchand et toute idée de valeur et avec tout équivalent général, donc en finir avec la monnaie comme médiation et l'argent comme symbole. Le point de départ a au moins l'avantage d'être clair et sans les détours oratoires habituels qui ne servent qu'à conforter les sceptiques dans l'idée que toute abolition du système monétaire est utopique…

p.2: Moses Hess, expliquait que l'argent est la valeur exprimée en chiffre de l'activité humaine, que l'activité humaine pas plus que l'homme lui-même n'a pas de prix et qu'il faut en déduire que l'argent est le signe de l'esclavage de l'homme en tant que valeur de l'homme exprimée en chiffre. Moses Hess, 1812-1875, philosophe et journaliste allemand, est rarement cité pour ses réflexions sur l'argent, mais souvent pour avoir été  le fondateur du sionisme politique. Son article intitulé L'Essence de l'argent, publié en 1845 (Voir)

Combien de temps les hommes resteront-ils esclaves pour de l'argent? Ils le demeureront jusqu'à ce que la société offre et garantisse à chacun les moyens dont il a besoin pour vivre et agir humainement. Ce commerce des hommes ne peut être aboli par aucun décret et ne peut l'être que par l'instauration d'une société communautaire…

On saura ainsi que les abolitionnistes de l'argent au 19ème siècle étaient moins dans les communautés utopiques bien connues, que chez quelques penseurs isolés comme Hess. L'heure de l'idée postmonétaire, n'était pas encore arrivée, sinon sous forme de prémonitions et de fulgurances d'esprits libres mais inentendables… 

p.3:  La révolution retournée:  Pour définir le monde auquel j'aspire, je dirais qu'il faut rompre de suite avec le salariat sans passer par une phase de transition.     Voilà qui peut alimenter le débat actuel qui se déroule en ce moment au sein du mouvement postmonétaire. La transition paraît évidente et commune à tous les changements sociaux, mais pour quelques postmonétaires, elle apparaît comme le frein qui va au contraire bloquer toute possibilité de changement. L'abolition oblige les individus au changement, même si ce n'est que par simple besoin de survivre, la transition permet aux individus de retarder l'échéance, de chercher les compromis pour que tout se passe en douceur. C'est le même dilemme qu'entre la thérapie de couple et le divorce!...

Aujourd'hui, le rapport social est encore plus présent et envahissant qu'à l'époque de Hesse et de Marx dans le sens où il capitalise toutes les activités humaines, y compris celles qui y échappaient avant… En effet, un ouvrier ou un paysan pouvait encore vivre quasiment sans argent, sans compte en banque, sans salaire mais aujourd'hui, tenter de reconstituer une telle situation relèverait de l'héroïsme. Refuser de déposer quoique ce soit dans une banque est devenu si rare qu'aucune alternative n'est possible. Il y a toujours un détail qu'il faut régler via une carte bancaire ou un chèque. Les mandats n'existent plus, aucune administration ne versera ou encaissera une quelconque somme d'argent en liquide… Dans cette situation, la transition paraît incontournable et certains capitalistes y ont certainement pensé (voir Christine Lagarde qui milite avec acharnement auprès de tous les organismes financiers et depuis des années pour la suppression totale du cash. Elle le fait officiellement pour lutter contre les fraudes et la criminalité, officieusement pour obtenir un moyen de contrôle social imparable. Si en un clic on bloque la carte bancaire d'un citoyen contestataire, sans cash, ce citoyen est dans la minute qui suit en état de mort sociale!)

C’est qu’avec la fin des luttes prolétariennes s’inscrivant dans une perspective révolutionnaire, c’est le capital qui se fait révolution en cherchant à réaliser l’unité de son procès (cognitif, productif, commercial et financier). Ce qui fait dire à Warren Buffet, que la guerre a été définitivement gagné par le capitalisme!...

p.4:  Avec l’emprise de la techno-science, le capital devenant « total », il se fait totalitaire au sens où il réduit toutes les activités à une activité de capitalisation alors même qu’il se présente comme la source de nouvelles libertés/possibilités, des plus insignifiantes jusqu’à celles plus fondamentales, qui pourraient conduire à l’utopie d’une sortie de la nature, qu’elle soit extérieure (domination sur la nature) ou intérieure (artificialisation sans limites de l’humain, « seconde nature »)    La transition espérée pour lentement passer d'un état à l'autre, devient de plus en plus illusoire. Le capital devenant total rendra vain toute étape, toute alternative. Cela se voit bien au niveau de l'environnement, de l'écologie où les  petites victoires n'aboutissent en fait qu'à permettre des dégâts supérieur en d'autres lieux et moments…

p.5: Le capital se présente comme la source de la survaleur : le profit efface la plus-value. Le travail devient inessentiel dans le procès de valorisation, un maillon de la chaîne parmi d’autres du processus d’ensemble. Le capital fictif devient un élément majeur dans l’apport de liquidités et de flux financiers servant à relancer l’économie comme on a pu le voir dans le New Deal hier, dans le financement des nouvelles technologies de l’information et du vivant aujourd’hui.    Le capital n'épargne rien ni personne en ce sens qu'il impose ses propres valeurs, et pas seule celle de l'avoir plus en argent. Cela nous impose une nécessaire rupture  

P6:   Il est important que sur le plan théorique on sache de quelle façon on envisage la rupture. Des mesures radicales sont primordiales pour mettre fin au capitalisme et ceci sans période de transition comme nous le disions en tête d’article, sinon on retombe encore dans les vieux schémas (gestion de la transition, autogestion, bons de travail, bureaucratisation, État du prolétariat) basés sur la centralité du travail ouvrier et de l’usine.  On peut ajouter à ce constat la difficulté technique de penser un sujet avec les critères d'une autre époque ou d'un autre procès. C'est ce que vivent tous les parents avec leurs adolescents. S'il y a crise, c'est généralement parce que les parents voient leurs presque jeunes adultes comme s'ils étaient encore enfant. Ce décalage empêche les enfants de grandir et les parents d'accomplir leur tâche d'accompagnants. Lors d'une transition sociale, les individus auront toujours du mal à penser la société sans argent et n'imaginerons que des aménagements incompatibles avec l'objectif annoncé. Il  y aura résistance de certains, provocation des autres, et crise dont il est difficile de sortir puisque personne n'est en mesure de comprendre l'autre. La rupture libère spontanément l'adolescent impatient et les parents prudents et il en ira de même vis-à-vis de l'argent après deux millénaires d'usage…

p. 7: La tension individu-communauté semble rompue quand les solidarités organiques mises en place par l’État (protection sociale) suite à la destruction des solidarités mécaniques par l’industrialisation, l’urbanisation et le tout marché ne fonctionnent plus ou mal. Des solidarités qui ne peuvent aujourd’hui être réactivées qu’à la marge (exemple dans les familles pour les solidarités mécaniques) ou dans le bénévolat et l’aide humanitaire (pour les nouvelles formes associatives subventionnées par un État redéployé en une forme réseau).  Cette fracture sociale est particulièrement visible au niveau démocratique: tout le monde s'accorde à constater un déficit grandissant de démocratie, le peuple ayant de moins en moins de pouvoir d'influence sur la politique, la politique étant de plus en plus éloignée des préoccupations du peuple. Le peuple ne reconnait plus ses représentants, les représentants ne comprennent plus le peuple. A défaut de dialogue possible, il ne peut plus y avoir que la crise: les gouvernements deviennent autoritaires et violents, les peuples se détournent de la politique, dénie toute légitimité à leurs représentants. Ce ne sera plus une "crise d'adolescence" comme en mai 68, mais une guerre civile entre la classe au pouvoir et la classe dépossédée du pouvoir… Pas plus qu'avec un ado en rupture, il ne pourra y avoir de transition douce…     

Ce délitement du lien social nous amène aussi à nous poser la question de ce que serait concrètement une société sans argent, sans domination et orientée vers l’entraide. La communauté humaine auquel j’aspire ne serait selon moi une société de production dans le sens où l’activité humaine serait certes basée sur l’assouvissement de nos besoins alimentaires, mais serait aussi et surtout l’expression de nos créations, au sein de la communauté. L’échange de produits ne serait pas fondamental…    L'aspiration de Bruno Signorelli est presque juste en ce sens qu'il est question d'entraide et non plus de concurrence. Il ne reste plus qu'un pas à franchir, celui d'abolir le merci. Si j'échange un œuf contre un bœuf, c'est un marché de dupe qui mènera au conflit. Celui qui n'aura que l'œuf  se sentira lésé et demandera réparation ou complément de don. Ce n'est pas forcément un imbécile échangeant un droit d'ainesse contre un plat de lentille parce qu'il a faim.  Ce peut être un homme qui n'a pas d'autre choix que d'abandonner un bœuf que l'on ne peut ni débiter vivant, ni manger en entier. C'est le propre de l'échange que d'établir des rapports de valeur, là où il pourrait y avoir partage. L'échange induit le merci quand il est équitable, le partage ne met pas l'un à la merci de l'autre car il peut se répéter dans l'autre sens. J'ai faim, l'autre partage son pain et devient mon co-pain.  Le co-pain a faim, je partage mon pain. Nous sommes deux à avoir faim, nous coopérons pour faire un peu de pain…

p.8: En finir avec l’argent et la domination, c’est aussi en finir avec les séparations qui sectionnent nos vies : producteur ou improductif, chômeur, consommateur ; en finir la notion de temps de travail/temps de loisirs. En étant partie prenante de l’activité humaine, on ne se sentirait ni producteur, ni consommateur, mais acteur dans la transformation de l’activité humaine. Les individus s’associeraient en fonction de leurs affinités, pour des tâches communes sans parcellisation.   C'est aussi la fin du SDF sachant qu'un jour je peux être dans le besoin et qu'un SDF viendra le secourir. C'est la fin du vol puisqu'il ne sert à rien de voler ce qui est en libre accès. Personne n'a jamais imaginer voler l'air que l'autre respire. C'est la fin de la prostitution et surtout du proxénétisme car personne n'aura assez faim pour envisager de s'échanger lui-même contre des poireaux qui sont partout gratuits….

p.9: Concrètement, on se doit de rompre avec les notions de territoires, de nation et évidemment d’État. La communauté humaine mondiale nous permettrait de nous déplacer où l’on veut sans avoir à présenter de papiers. Il n’y aurait plus de frontières culturelles ou étatiques, les différences entre communautés constitueraient une ouverture vers l’autre. Les États, les frontières, les nations, les passeports n'ont de sens qu'avec la propriété privée et la propriété privée n'est commode que dans un cadre monétaire. Les migrations seront certainement plus douces n'étant acceptées que de plein gré et non poussé par la faim, la peur, la mort promise… 

L’aspiration à la communauté humaine à un monde sans argent pourrait naître de l’envie de vivre d’autres rapports entre les êtres qui ne supporteraient plus d’être réduits à la fonction de producteur ou non-producteur du capital. […] La priorité du partage remplacerait la constante de l’échange. On peut même dire qu'au-delà de l'hétérogénéité des caractères individuels, sans la peur constante d'être à la merci d'un autre, la confiance mutuelle sera beaucoup plus facile, plus instinctive. L'argent ne pouvait marcher qu'avec la confiance de l'utilisateur que la valeur inscrite sur le billet ou la pièce était bien garantie, la société non marchande mettra la confiance ailleurs, dans les liens que l'ont tissera avec les autres. Il ne s'agit pas de morale, encore moins de moraline comme disait Nietzsche, mais d'une évidence, autant qu'il nous paraît évident de retenir la main de l'enfant qui va se poser sur le feu! 

p.10: Avec l’abolition de l’argent et de la marchandise, il existerait un contrôle conscient des êtres humains sur leur propre activité, au travers des relations et interactions existant entre eux et le reste de la nature. La communauté humaine serait une société où la première richesse résiderait dans les relations humaines basées sur la convivialité et l’entraide. Reste à comprendre ce qui empêche encore une majorité des humains de voir ce qu'un tel projet a d'attractif, au lieu de n'y voir que chaos, abus, hubris, comme si la société promise par le capitalisme était à l'évidence la seule viable….

Bruno Signorelli (été 2015-printemps 2016)

 

eSur le blog Temps critiques, on trouve la reproduction entre la revu

"Sortir de l'économie", Revue

Revue "Sortir de l'économie" n°4" 2012,

texte de 266 pages,  téléchargeable ici  

Ouvaton.jpegOuvaton est une coopérative d'hébergement numérique depuis 2001. Ouvaton se démarque d’un marché où le profit est la règle. Au-delà de l’idée de partager un "bout de disque dur commun", il s’agit également d’expérimenter un modèle économique pré-existant, mais jusque là jamais appliqué aux Nouvelles Technologies.

Sortir de l'économie est un "bulletin critique de la machine-travail planétaire". Cette équipe éditoriale a disparu du Web après la parution de ce numéro sans laisser d'autre trace que je puisse repérer…   

 Éditorial En deçà du brouhaha des phénomènes secondaires qui s'imposent à notre perception immédiate, l'économie est une forme de vie sociale, une façon implicite et généralisée de se lier les uns aux autres. Ses catégories spécifiques se sont déployées progressivement jusqu'à devenir un cadre global dans la deuxième moitié du XXe siècle. […] Chacun contribue, par ses activités apparemment sensées, à déployer un monde insensé qui le dépasse et l'englobe, sans même (avoir à) y penser. À partir d'un faisceau d'actes sociaux conscients mais séparés, émerge une totalité inconsciente qui en retour conditionne malgré nous le sens à donner à nos actes. Cette dimension, bien qu'irréelle, a des effets concrets sur le monde. C'est ainsi qu'a été décrit le fonctionnement prétendument irrationnel des fétiches dans les sociétés "primitives". Ce numéro de la revue propose deux directions: une "socio-histoire" de la synthèse sociale spécifique qui s’opère dans l'économie (ou le capitalisme, qui en est maintenant pour nous le synonyme) et une anthropologie des formes non capitalistes de vie qui dénaturalise notre vision du monde social tout en évitant l'apologie des formes passées et qui permet en quelque sorte de tracer une histoire des fétichismes. (Émile Kirschey)*

Les différents contributeurs de cette revue sont issus du mouvement de la "critique de la valeur" que l'on retrouve en France, aujourd'hui, sur le site "Palim-Psao" (voir) C'est sans doute le collectif le plus proche des Postmonétaires radicaux, ou dit autrement, ceux dont nous nous rapprochons le plus au plan théorique. (Clement Homs, Max l'Hameunasse…) et des apports étrangers célèbres comme Graeber, Tari ou Pemeranz…

Nota bene: Le titre "Sortir de l'économie" se retrouve tel quel ou avec des variantes dans quantité de titres d'ouvrages pourtant très contradictoires. En vrac, on trouve: "sortir de l'économisme", "Sortir de l'économystification",   "Sortir de l'impasse", "Sortir de la préhistoire économique", "Sortir de la croissance",  "Sortir de l'économie du désastre", "l'Iconomie"… Autant de titres qui disent tout et son contraire!...    

* Voir PDF article de cet auteur, 4p Lien

  1. Au delà de l'économie.

p.8: Par où la sortie, réflexions critique sur le MAUSS: Si ce qui suit constitue une critique, celle-ci se veut bienveillante, tant le paradigme du don défendu par le MAUSS reste un point d'entrée fondamental pour sortir de l'imaginaire marchand, de l'échange, du donnant-donnant. Pour défaire un monde où la marchandise est la forme universelle des activités humaines et de ses produits, on peut en effet penser au don, comme autre forme de circulation des « richesses », des objets, des services. […] Ce texte n'est donc pas un positionnement d'une école en face d'une autre mais plutôt une tentative de mieux cerner les limites d’une conception d’une sortie de l’économie uniquement fondée sur un autre type de circulation que l’échange donnant-donnant. On défendra la thèse que, pour autant que les modes de circulations alternatifs (don maussien ou autre) constituent des voies de sortie de la machine-travail, cela vaut à condition de sortir du travail-marchandise, en cloisonnant les activités de subsistance d’une part (ce que l’on appelle communément la « production ») et la circulation des biens d’autre part.
    
Le propos est donc bien de penser le futur dans un cadre non marchand et non salarial, mais à la différence, par rapport aux postmonétaires, que l'auteur "cloisonne" la production de la circulation des biens....    

Le travail: un utilitarisme halluciné. Pour briser la centralité d'un travail qui n'a plus de sens, on ne peut que proposer le reflux de celui-ci, plus ou moins piloté par l'État à travers le revenu garanti, la réduction du temps de travail, le soutien au secteur associatif.
                Pour analyser la spécificité du travail dans les sociétés capitalistes, la notion de double caractère du travail est toute indiquée: La face "concrète", la dimension opératoire et observable du travail, n'est que l'autre face d'une activité qui en comporte une autre, et qui est précisément celle qui reste dans l'angle mort des dissertations sur le travail en général : le "travail abstrait".
                Le travail ne peut s'analyser non plus comme un rapport social entre un travailleur et son employeur ou son client. Sa dimension abstraite vient du fait qu'il est orienté en vue de produire une valeur d'échange, dont l'existence et la quantité se déterminent en fonction des autres travaux. L'utilité du travail ne peut dès lors qu'être ambivalente, et l'utilitarisme dans le travail une hallucination.  La proposition d'un revenu de citoyenneté (revenu garanti) ne fait qu'entretenir cette hallucination. Pour sortir du travail, sortir de l'économie, il ne suffit pas que de l'argent soit distribué indépendamment du travail, il faut aussi que le travail ne soit plus rémunéré.
    Tout est dit dans cette dernière phrase: sortir de l'économie, c'est accepter que le travail ne soit plus rémunéré mais que les moyens de subsistance soient assurés par un autre médium que l'argent. C'est ce que nous appelons l'accès. Tout le reste n'est que moyen plus ou moins bien camouflé de préserver le capitalisme, en tout ou partie, dans un "capitalisme à visage humain" ou un "capitalisme tronqué".
    C'est la limite que nous posons à la validité du travail intellectuel du MAUSS, des convivialistes, et de pas mal de décroissants qui se contentent de "chasser" les comportements purement utilitaristes du capitalisme et donc, ne voient pas la nécessité de questionner les principes de base: la valeur, l'argent, le salariat, etc. de ce fait, la plupart des personnalités critiques du capitalisme, se contentent de prôner l'obligation de donner, recevoir, rendre, comme un invariant anthropologique. Si bien que les Maussiens établissent deux catégories: la socialisation primaire (les proches, la famille, où le don est prédominant) et  une socialisation secondaire (qui prennent la forme du contrat, du calcul). Ce qui nous semble évident et nous a fait "postmonétaires", c'est que le contrat et le calcul tend à étendre sa sphère jusqu'à rendre la famille, le clan, la communauté totalement soumise et dépendante du pouvoir capitaliste. La sphère marchande gagne du terrain quoique l'on fasse et viendra un temps où on trouvera incongrue qu'une mère nourrisse son petit au sein, sans contrepartie! Sur l'autre face de la médaille, on se moque bien de la valeur travail en tant que mode d'intégration sociale, ne considérant plus que la plus-value est susceptible de produire ou pas.
    Ainsi, quel sens y a-t-il à s’insurger contre l’utilitarisme s’il ne s’agit que d’un modèle théorique que la vie de n’importe quel travailleur-rouage invalide jour après jour ? Pourquoi, si la pensée utilitariste fondait la domination de l’économie, serions-nous si nombreux à douter de l’utilité de notre travail, quand celle-ci réside d’abord dans la nécessité de gagner de l’argent? […] un des effets de l’économie est d’avoir produit une synthèse sociale par le travail, un type de généralité liée à la forme-marchande des activités humaines et des produits de ces activités. Par cette construction originale historiquement, l’activité technique est contrainte dans son déroulement même par les règles « sociales » qui supportent la circulation des produits de cette activité. […]. La planification de l’économie, qu’il s’agisse d’un État ou plus banalement d’une entreprise, ne fait que piloter le travail (par les prix ou les volumes) en estimant ce qu’il est possible de consommer (ou acheter) et produire (ou vendre).

4: L'indésirable re-enchâssement de l'économie: Accéder à un socle de subsistance minimal sans travailler ne signifie pas la disparition du domaine des activités de subsistance, c’est-à-dire les activités dont nous savons qu’elles ont d’abord pour raison d’être notre survie matérielle. En cela, on ne peut guère sortir de l’économie par un seul mouvement de pensée qui nous ferait oublier le fondement matériel des relations sociales, et de la vie en général.   
     Cette formulation de l'opposition entre travail et activité  est intéressante et élimine le classique argument disant que, sans argent, plus personne ne travaillerait, ce qui n'exclue aucunement les "activités de subsistance" quoiqu'en disent certains. C'est ce que l'on dit en proposant de repenser ces activités hors de toute idée de marché. Car c'est bien le marché qui sépare actuellement le travail et l'activité, ou pour le dire en marxiste, qui sépare le travail abstrait du travail concret…

     C'est bien par la domination institutionnalisé des gestes productifs que l'homogénéisation des techniques des techniques a été possible et finalement l’impossibilité de vivre librement notre propre rapport au monde dans ce que nous pouvons faire nous-mêmes, indépendamment de ce qu’autrui peut faire à notre place, mieux ou plus vite.    Ce n'est pas autre chose que ce que nous disons en proposant un système où les usagers retrouveraient la maîtrise de leurs usages.

5. Un exemple de bien de subsistance : l'habitat. P.17  Certaines pages de la "Philosophie de l’argent" de Simmel semblent faire l’apologie de l’argent, en mettant évidence le pouvoir qu’il donne aux individus de se détacher de leurs communautés de base. C’est là une critique que l’on entend parfois sur la volonté de sortir de l’économie : sans la souplesse de l’argent et du travail moderne, nous serions condamnés à demeurer dans un entre-soi, assignés à résidence. […] Pour autant, doit-on considérer que seul l’argent permet de défaire et recomposer les liens sociaux, de quitter un endroit pour aller vivre ailleurs, et permettre ainsi une liberté à laquelle nous sommes aujourd’hui attachés ?   Là aussi, c'est un argument récurent que l'on nous oppose. Seul l'argent peut faire société au-delà de la tribu. 

S’il faut se passer d’argent sans renoncer à cette liberté, alors il serait bon de réfléchir à notre relation aux choses, en particulier aux biens « immobiliers », c’est-à-dire les choses qui par nature ne peuvent suivre les individus qui les quittent…
    La densité de ce texte de 266 pages ne permet pas un résumé exhaustif, mais ces quelques exemples d'analyses nous invite à reformuler notre argumentaire en ajoutant une touche théorique qui pourrait bien rendre crédible notre discours, jusque-là un peu trop "près des pâquerettes"… J'en propose une petite liste des questions posées:

  •   Peut-on imaginer l’institution d’un collectif réunissant des lieux d’habitation, possédant un droit de véto dans l'échange de chacun des lieux? Peut-on sortir de l'amalgame entre cette dimension essentielle de l’existence qu’est l’habiter, avec la « propriété privée » qui se trouve être une propriété marchande? Usus et Fructus sans abusus?...
  •  Jusqu'où les alternatives au capitalisme peuvent, par soucis d'efficacité, de pédagogie, de réalisme politique…, conserver quelques catégories capitalistes, provisoirement, au titre d'étape, de transition?...   
                La revue Sortir de l'économie poursuit par un intéressant récit (p.65-67) des luttes anarchistes (CNT) des années 1936 en Espagne (pour ceux que l'histoire des luttes ouvrières intéresse encore…). Je relève juste une note d'Abad de Santilllan (1897-1983) écrivain et militant anarchiste, qui déclare: « Il n’est pas nécessaire de détruire l’organisation technique existante de la société capitaliste, nous devons nous en servir. La révolution doit mettre un terme à la propriété privée des usines mais, si les usines doivent exister, et à notre avis elles le doivent, il est nécessaire de savoir comment elles marchent. Le fait qu’elles deviennent propriété collective ne change pas l’essence de la production ou la méthode de production. C’est la distribution des produits qui changera et deviendra plus équitable. »  
        Ce raisonnement a largement contribué à la faillite de l'anarchisme espagnol et se retrouve aujourd'hui dans tous les mouvements anticapitalistes qui se contentent d'un "altercapitalisme". Les mouvements postmonétaires ne sont pas immunisés naturellement par ce même risque et peuvent très bien imaginer une société a-monétaire qui préserve les fondements du capitalisme au point de se contenter d'une consensuelle demi mesure: une abolition de l'argent préservant le commerce, une économie réduite aux seuls échanges internationaux, une propriété privée exclusive et seulement contrôlée dans ses abus, etc.  L'histoire peut évoluer, mais les meilleurs militants peuvent aussi bégayer et répéter les erreurs anciennes, faute de les avoir analysées…

Annexe 4: l'éloge du travail pp.68-71 Il est toujours aussi difficile d’aborder la question de l’aversion des hommes pour le travail autrement qu’en stigmatisant les ouvriers récalcitrants, ou en encensant les autres…Le concept de « bon ouvrier » – qui, par antithèse, criminalisait celui qui dans la société bourgeoise vivait dans l’illégalité ou vagabondait – revint toujours en force. 
   Voir le bon député de gauche François Ruffin qui aujourd'hui reprend les concepts de "bon ouvrier" et de  "valeur-travail" au nom de la défense des emplois déconsidérés et sous-payés mais qualifiés d'essentiels. Ce bon sentiment conduira peut-être à une revalorisation de ces métiers, mais une simple compensation de leur pénibilité, de leur précarité, s'accompagnera jusqu'à la caricature, d'une ubérisation forcée. Le capitalisme en ressortira vainqueur, renforcé dans sa "légitime" exploitation de la ressource humaine!

    L'enfer est en effet pavé de bonnes intentions: « Nous ferons du travail la détermination suprême de la affiche-CNT.jpegvraie richesse, le signe unique du prestige social, il sera la plus grande source de fierté pour les travailleurs émancipés. » C'est signé Juan Fábregas,  un économiste bourgeois de la gauche catalaniste qui avait rejoint  la CNT en juillet 1936! C'est si proche du discours de l'Église catholique, du patronat traditionnel, qu'on peut se demander comment les anarchistes de la CNT ont pu adouber ce personnage et accepter l'idée que le travail était source de vie, d'émancipation, d'honneur. De Fábregas à Ruffin, rien n'a vraiment changé. Sans suppression de l'argent, rien ne changera... "Le travail est source de vie. En l'intensifiant, tu triompheras." (image ci-contre)

Au-delà de la "Centrale": pp. 75-108. « La révolte ne viendra pas avec des hommes qui demandent au gouvernement de faire leur bonheur mais avec ceux qui veulent leur bonheur en dépit et contre les gouvernements. » Albert Libertad, L ’Anarchie, 20 juin 1907. 117 ans après, cette sentence est toujours d'actualité. Ce chapitre permettra peut-être d'influer sur les diverses positions des Postmonétaires, allant de la collaboration pure et simple avec le, système à la radicalisation de l'abolition au plus vite de l'argent et de la valeur, de la marchandise et du travail, de l'État et du marché… Ce chapitre s'appuie sur les réflexions de François Partant (1926-1987), expert en développement aux quatre coins du monde, considéré comme élément essentiel de l'élite technicienne visant le "monopole du savoir"…

p.76:  Revendication d’un droit à vivre à côté de la société officielle, appropriation directe communisatrice ou sécession d’ « alternatives » ? L'idée de Partant était de " rompre avec le « grand soir » et d’appeler à une auto-organisation des non-rentables, des naufragés, des sans-le-sou, des dégoûtés, des révoltés qui doivent, pensait-il, ne compter que sur leurs propres forces, leurs propres moyens d’auto-organiser d’autres liens sociaux."
     Jamais un État, une politique publique, un programme, une prise du pouvoir (en soi) ou d'un parti ne feront cela […] Ceux qui veulent cette révolution « doivent revendiquer le droit de se constituer en société autonome, et de disposer d’une partie du territoire que se sont réparti les nations […] et pour cela il imaginait deux scénarios: "ou bien un État octroierait (on ne sait pas par quelle grâce) aux hommes et femmes non-rentables un morceau de territoire (et là il faudrait développer une véritable lutte revendicative au sein de la société officielle), ou bien un improbable milliardaire philanthrope leur mettrait à disposition ce même territoire."
     A juste titre la revue rappelle que c'est un vieux combat, bien illustré au XVII° siècle par les "Diggers" anglais qui réclamaient des communaux pour échapper au système. C'est le même projet développé par le mouvement "Droit paysan" en 2000 face au ministre écologiste Dominique Voynet. Aujourd'hui, c'est plutôt le système ZAD qui est revendiqué… Signe des temps?... Mais  on retrouve aussi, ici ou là, l'idée de créer un "ghetto alternatif", bien contenu entre murailles et check points comme "armée de réserve constituée par les humains superflus. (voir le texte de Ida Auken dans la catégorie Radoteurs).

p.80:  Or, parce que ce qui existe dans la modernité comme politique est pris, de par ses conditions sociales d’existence, dans la cage de fer de la logique de la valeur, une société post-capitaliste est nécessairement une société post-étatique et post-politique, ce qui ne veut pas dire bien sûr que toute mise en commun dans une société post-capitaliste ne puisse pas exister sous d’autres formes que ce que nous connaissons sous le terme de « politique » nous dit Anselm Jappe dans  Crédit à mort (éd. Lignes, 2011)

Scénario de l'archipel des alternatives : des ilots de gratuité, pourrait se fédérer, s'amalgamer peu à peu en archipels et constituer une force susceptible de l'opposer au capitalisme. Ce scénario reste bien vivace et, d'échec en échec, renaît régulièrement de ses cendres. L'objectif est vieux et l'échec permanent. Avec la génération des gens nés avec le numérique, c'est plutôt le réseau constitué de groupes disparates, mouvants, souvent éphémères qui semble gagner du terrain. Il serait bon d'en tenir compte.

 En 1979 dans Que la crise s’aggrave !, François Partant investissait encore des illusions dans le vieux schéma révolutionnaire déterministe du marxisme traditionnel, espérant qu’un aggravement de la crise soit seul à même de faire enfin prendre conscience au prolétariat des conditions objectives du pourrissement du capitalisme et de la nécessité de son dépassement. Mais, force est de reconnaître qu'aucun  archipel n'émerge jamais. Le préalable serait que des ilots "démontrent que ce qu’ils font est de nature à transformer la réalité dans le sens que les autres souhaitent" disait Partant, ce qui n'est pas le cas pour l'instant…  

p.83 Stratégie des squats (de terres ou de logements) :  Aucun pouvoir ne pourrait venir à bout d’une société qui déciderait de ne plus jouer le jeu, qui choisirait de s’asseoir au bord de la route. Les squats, c'est un bon moyen de s'assoir au bord de la route. Ce n'est qu'une question  de nombre et de temps : tôt ou tard ils se doteront d’un schéma politique commun capable « d’autogérer [leur] propre crise. […] François Partant pense alors qu’on peut trouver une solution réelle et juridique à cette première difficulté concrète. Il imagine la création de l’Association Socio-Économique Mondiale (l’A.S.E.M.) dont l’objectif serait de « donner à des chômeurs, à des paysans ruinés et à toute personne le désirant la possibilité de vivre de leur travail, en produisant, à l’écart de l’économie de marché et dans des conditions qu’ils déterminent eux-mêmes, ce dont ils estiment avoir besoin », ou encore de « réunir toutes les personnes qui souhaitent fonder ensemble une société au sein de laquelle sont exclus les rapports de domination et les relations de pouvoir. […] Au lieu d’un droit individuel de propriété, François Partant propose donc une propriété collective ; cependant, à la suite de la distinction qu’a faite Proudhon entre « propriété » et « possession », un « droit de jouissance perpétuelle » (héréditaire et transmissible) est donné à un groupe particulier». L'ASEM ne s'est jamais constituée et aucune instance "centrale" sensée permettre et orienter correctement les projets n'a vu le jour…, sans doute faute d'une élaboration franchement démocratique et décentralisée. Il n'est pas simple de "décentraliser une centrale constituée"! Seuls les groupes  Bolo'bolo ont peu ou prou réussi à imaginer des groupes qui réduisent fortement la nécessité d'une économie, d'un calcul de la valeur… du moins sur le papier, dans l'utopie éponyme!

pp.109-113: Vous avez dit "monnaie"?... Chapitre d'inégale valeur sur l'historique de la monnaie, les notions de "pouvoir d'achat", du fétichisme qui lui est associé… D'où la question: Une société post-économique est-elle ipso facto une société sans monnaie ou bien, au contraire, une société avec un ou plusieurs types de monnaies particulières ? Là, nous sommes face à une question toujours d'actualité, y compris chez certains postmonétaires (au moins au titre d'une transition). D'autres au contraire récusent toute tentative monétaire qui permettrait une sortie du monétaire ou a minima une moralisation de la monnaie. Il est probable que cette question ne sera tranchée qu'au moment où elle aura disparue et que nous seront contraints, dans la joie ou dans la panique, de construire quelque chose sans aucune référence à l'argent, à la valeur, à la dette…

p.114: P. A. Samuelson résume le problème de façon lapidaire, comme un paradoxe:  la monnaie est acceptée parce qu’elle est acceptée! Entendons acceptée par tous, et c'est ce qu'on appelle une "convention sociale", qui par nature aurait pu être toute autre et peut donc être abolie, transformée, décrétée valide ou mortifère…

     Un passage intéressant parle de l'échange originel: dans certaines tribus australiennes, le chasseur ne dispose pas de son gibier, il doit le remettre à d’autres, bien souvent ses beaux-frères, qui eux-mêmes doivent lui remettre le leur. Dans ce cas, nul échange, ni don ! Mais bien transfert réciproque dû à titre de dépendance réciproque (Alain Testart, Critique du don. Étude sur la circulation non marchande, Syllepse, 2007, p.50). C'est peut être une piste qui devrait intéresser les Postmonétaires : comme il ne peut y avoir d'échange marchand commode sans argent, si l'on veut sortir de l'argent, il faut aussi sortir de l'échange marchand pour ne conserver que la dépendance réciproque. Ce n'est pas évident pour tout le monde. C'est là une autre voie que le troc auquel on nous ramène sans cesse et qui est pourtant pas plus courant que les institutions de dépendances réciproques…Ces institutions se retrouvent sur les cinq continents, à toutes les époques, y compris l'actuelle (pour les indigènes des îles Andaman par exemple), et sous des climats allant de la riche forêt tropicale au désert de glace des Inuits.

p. 116: L'hypothèse de l'origine économique de la monnaie ne tient donc pas la route! A l'évidence, les premières formes de monnaies émergent dans le cadre de paiements liés à des obligations sociales, pas à des échanges. Voilà qui frappe d'obsolescence tous les arguments anti-postmonétaires liés au troc d'un côté, à la nature humaine de l'autre. C'est imprégné de culture marchande que les premiers anthropologues on tenté de comprendre les rites, conventions , règles, tabous qui règlent le quotidien des dits "primitifs"… Ils avaient sans doute une telle peur de la remise en cause de leurs propres totems et tabous, qu'ils s'en sont servi de grille de lecture universelle…

p.118: Monnaies primitives Vs monnaies modernes: Si l’on peut payer pour le bride-price (prix de la fiancée) dans les sociétés primitives, un tel paiement est impensable dans notre société et, inversement, si l’on peut aujourd’hui payer pour acheter de la terre, le travail d’autrui, voire de la monnaie, ceci était purement inconcevable dans les sociétés précapitalistes. L’usage de la monnaie moderne est donc bien spécifique à une forme de vie très particulière et, corrélativement, il est ainsi légitime de parler de monnaie à usage spécifique…. et tout a fait légitime de penser abolir toute forme de marchandisation, tout échange médiatisé par l'argent, et de là, tout achat ou vente d'une force de travail, et d'un espace de temps…      

p.128: Le Nayahan Banjar: Parmi les structures organisationnelles que l’on trouve à Bali, le banjar occupe une place de grande importance. Il s’agit d’une sorte de conseil qui existe depuis plus d’un millénaire et qui a, aujourd’hui encore, la charge de planifier la vie locale. Il y a environ 3000 banjars en activité. C’est une institution « démocratique » : il est formé d’un membre de chaque famille et chaque membre dispose d’une voix d’une importance égale. Par ailleurs, le chef du banjar est élu à la majorité simple, n’est pas rémunéré pour cette fonction et peut être destitué si une majorité de membres le décide. Les actions planifiées par le banjar sont diverses : cérémonies de mariage ou de crémation, aide aux écoles primaires, construction de routes, etc. Chaque rencontre, tous les trente-cinq jours, permet d’assurer le suivi des projets en cours mais également de proposer de nouveaux projets. Cette relation d'un système ancien mais pérenne nous pousserait à s'inspirer des sociétés anciennes pour construire un nouveau monde. Mais si ce type de structure sociale change radicalement selon les périodes, les lieux, les cultures, ce n'est pas par hasard. On en conclue qu'aucun modèle archaïque ne peut être reproduit tel quel, qu'aucune sagesse ancestrale ne peut se transposer dans le présent et encore moins dans le futur. Chacun de ces systèmes, donne des indications, ouvre des voies mais interdit toute copie. On peut remarquer au passage que la recherche d'une composition syncrétique de tous ces modèles qui viseraient un mondialisme, voire d'un altermondialisme, relèvent de l'utopie au sens populaire du terme (un objectif enviable mais impossible à atteindre). Quelque que soit les systèmes que l'on puisse inventer, aussi géniaux qu'ils soient devront être adaptés à l'espace, au temps, à la culture.  En même temps, croire …qu’il suffirait simplement de changer de monnaie pour changer le monde est bien trop naïf. Les monnaies locales ne constituent, par elles-mêmes, aucune alternative à la forme de vie capitaliste que nous subissons. Bien pire ! Leur usage actuel, ne conduit, à travers des financements de projets plus ou moins « écolo-solidaires » ou « socialo-locaux », qu’à perpétuer et à approfondir les rapports sociaux capitalistes. Bref, les bonnes intentions ne peuvent se substituer à une véritable réflexion. Les enfers sont pavés de bonnes intentions, dit-on.

p.132: A propos de Le Goff et de son livre Le moyen âge et l'argent (Perrin, 2010) :  Pour Le Goff, on ne peut pas plaquer notre vision moderne de l'argent sur ce que l'on continue à appeler à tort « l'argent » au Moyen âge (parlant « d'argent » au Moyen Âge, le titre même du livre est un anachronisme comme le dit son auteur qui n’a choisi ce titre qu’en fonction de règles éditoriales). Selon lui, l’« argent » n'est clairement pas au Moyen âge une entité économique, sa nature et ses usages relèvent plutôt de conceptions non-économiques. Il n'y a d'ailleurs nulle trace dans les sources historiques du concept d’« argent » en tant que forme monétaire de la richesse. L' « argent » est limité à la monnaie (il n'existe pas de mot « argent » dans les sources, les textes parlent toujours de telle ou telle monnaie particulière, on trouve souvent par exemple le mot « denaio » = denier). Les historiens de l'usure médiévale du fait de leur fascination pour le capitalisme, ont tendance à plaquer des catégories modernes qui vont servir de grille de lecture pour interpréter les sources médiévales.   Il n'y a qu'une critique possible à cet argumentation : cela n'a pas empêché le Moyen âge d'inventer des catégories économiques telles que nous les connaissons aujourd'hui. Mais la grande majorité des textes économiques on été mis à l'index par le Vatican, pour incompatibilité théorique avec la théologie des Pères de l'église. On a maintenant les textes de Pierre de Jean Olivi, par exemple, qui pose le problème de l'argent, de la valeur, du profit, du marché, des prix, etc., dans des termes que n'aurait pas renié Marx. Ces textes n'ont été exhumés du Vatican que depuis peu, donc étaient inconnus au moment de la sortie du livre de Le Goff…  

p.134: Un archipel de lieux en propriété d'usage: Comment s’acquiert la propriété d’usage ? Comment partir d’un lieu en propriété d’usage sans tout perdre pour habiter ailleurs quand ce n’est plus possible ou désirable de rester là où on a vécu ?  Quelles sont ces relations économiques à réaménager ?
     Dans une société marchande, si je veux quitter ma communauté, ma famille, mon couple, le scénario est toujours le même : ce que je peux prendre avec moi, je le prends ; le reste, je le vends. Le reste, c’est tout ce qui ne peut pas être mobile comme les personnes, soit les terrains, les immeubles, les appartements, en un mot l’immobilier. En autorisant la marchandisation des lieux de vie, l’économie permet donc aux relations humaines de se défaire et de se refaire… ailleurs. Qu'en est-il dans la propriété d'usage? On ne peut vouloir réinstaurer la propriété d'usage sans réinventer un nouveau cadre juridique, faute de quoi, tous les efforts de mise en place seraient vains. […] La propriété d'usage est l'institution d'une garantie en dehors de l'économie marchande. La perspective dans laquelle nous situons cette propriété d'usage n'est donc pas la restauration du lien social sur une base marchande inchangée. La propriété d'usage est l'institution d'une garantie en dehors de l'économie marchande. La perspective dans laquelle nous situons cette propriété d'usage n'est donc pas la restauration du lien social sur une base marchande inchangée. L’association CLIP créée par le collectif Ouvaton joue le rôle d'instance de veille sur la revente d’un lieu en empêchant sa réalisation […] Quand ce type d’attachements se défait, le collectif veille à ce que le bien ne devienne pas une marchandise et se charge du transfert de l’usage selon les règles qu’il s’est fixées. La propriété d’usage peut être mise en œuvre légalement par un montage juridique.

p.140 Critique des thèses de Karl Polanyi: Je n'ai pas commenté ce chapitre, trop technique et qui ferait doublon dans notre bibliothèque avec d'autres ouvrages de (ou sur) Polanyi ou des écrits du MAUSS (il suffit de savoir que le MAUSS a été influencé  largement par la thèse de la "grande transformation", un mixte entre trois pôles, l’échange marchand, la redistribution et la réciprocité. André Gorz est cité dans ce texte comme ayant, un temps au moins, adhéré à cette thèse et en conclure une possible cohabitation entre sphère marchande et sphère non marchande. Peu avant sa mort, Gorz avait radicalement changé de position, en témoigne le texte dactylographié (un projet non aboutit) qui figure dans cette bibliothèque sous la rubrique "Livres Postmonétaires"…

p.177-178: Métaphores naturelles et société: la réduction du social au naturel et l'ontologie naturaliste : Les évidences naturalistes au sujet de la société, et plus particulièrement de l’économie, sont le principal obstacle pour penser et réaliser l’impensable : un basculement vers une autre forme de synthèse sociale que celle constituée par le travail et la logique fétichisée de la valeur et de sa manifestation concrète, l’économie. […] Le social est systématiquement renvoyé sur le naturel comme l'institutionnel est fondé sur le biologique. Ce naturalisme économique conceptualisé par les intellectuels a son pendant populaire, magistral mais simpliste copie, avec cette nature humaine immuable et empêchant toute solidarité (au nom de la concurrence), toute entraide (au nom de l'égoïsme naturel), toute décroissance (au nom de la pulsion naturelle d'accaparement), etc. Il est donc bon d'écouter les intellectuels opposés à cette naturalisation abusive…

"S’il est difficile de rendre compte avec exactitude des multiples transformations sociales qui se produisent sous l’influence de la modernité, chacun sait en revanche ce que signifie le développement d’un enfant ou d’une plante. Processus imperceptible, impossible à constater dans l’instant, et pourtant manifeste lorsqu’on le suit dans la durée, il se déroule de manière spontanée et prévisible en dépit d’une apparente immobilité. Au moyen de cette analogie, on rapporte donc un phénomène social à un phénomène naturel, en faisant comme si ce qui est vrai de l’un devrait l’être nécessairement de l’autre. C’est donc cette métaphore, c’est-à-dire ce transfert du naturel au social qu’il convient d’interroger d’abord" (Gilbert Rist, Le développement : histoire d’une croyance occidentale, Presses de Sciences Po, 2001, p. 49.) La visée du naturaliste est constamment l’ordre et la hiérarchie (il a donc toujours une forte implication politique parce que ce qui est naturel ne peut qu’engendrer un ordonnancement naturel du monde pourtant constitué socialement). Il recherche toujours un fondement naturel, transhistorique et transculturel de ce qui n’est que phénomène sociohistorique spécifique à telle ou telle formation sociale…

     Philippe Descola  nous dit : "L’anthropologie s’est enfermée lorsqu’elle a posé que le monde pouvait être réparti entre deux champs bien séparés de phénomènes [nature et culture] dont il faut ensuite montrer l’interdépendance. A l’une des extrémités, on affirmera que la culture est un produit de la nature, terme générique bien commode sous lequel on peut ranger pêle-mêle des universaux cognitifs [positions de Levi-Strauss], des déterminations génétiques, des besoins physiologiques ou des contraintes géographiques ; à l’autre extrémité, on maintiendra avec force que, livrée à elle-même, la nature est toujours muette, voire peut-être inconnaissable en soi, qu’elle n’advient à l’existence comme une réalité pertinente que traduite dans les signes et les symboles dont la culture l’affuble." Un raidillon presque impraticable en conclut Descola, tant il est aisé de glisser d'un côté ou de l'autre… La radicalité de Descola est de proposer de sortir de ce ping-pong incessant entre les anthropologues. D’abord parce que la distinction hermétique entre la « nature » et la « culture », si partagée dans la vision moderne, n’apparaît plus comme évidente, transhistorique et transculturelle. En réalité, les critères de distinction entre l’humain et le non-humain, entre le « sauvage » et le « domestique », etc., sont complètement brouillés dans de nombreuses sociétés.  La croyance dans la « nature » et la distinction entre deux ordres du réels tels que la « nature » et la « culture », sont alors pour lui, une singularité occidentale moderne dont on peut faire l’histoire de la genèse. Le langage populaire a une étonnante expression quand il annonce qu'untel dévoile "une seconde nature" . Une même personne pourrait avoir une nature (spontanée) et une nature opposée (acquise)... 

p. 184: Penser les sociétés humaines au-delà de la raison utilitaire: l’anthropologie a largement entériné la vision naturaliste des Modernes en décrivant les relations des primitifs à leur milieu ‘‘naturel’’,  alors que ce mot n'avait aucun sens pour ces peuples eux-mêmes, et en projetant sur eux la fameuse dichotomie nature/culture dérivée du modèle oppositionnel pôle-Objets/pôle-Sujets. L’anthropologie économique a alors abouti au XXe siècle à d’innombrables contorsions et subtilités théoriques pour essayer de démontrer que malgré tout, l’économique, encastré dans des rapports sociaux non-économiques, donc dans un état larvaire et non apparent à la conscience de ces sociétés, était quelque chose de transhistorique et de transculturel...
    Il est tentant de transposer cette tendance à ce qui arriverait en cas d'effondrement du vieux monde nécessitant l'invention d'un nouveau monde. Après avoir biberonné à l'échange marchand dès la naissance et de génération en génération, le réflexe sera long à perdre de penser le nouveau monde selon les critères de l'ancien. Seuls les Postmonétaires y seront quelque peu préparés, non qu'ils aient des capacités d'adaptation hors normes ou une intelligence supérieure, mais simplement parce qu'ils se seront accoutumés à chasser d'abord les normes et croyances anciennes pour arriver à penser autrement. Comme dans l'apprentissage d'une langue étrangère, il faut beaucoup de temps et de pratique pour enfin penser autrement que dans langue maternelle!

p.187: Le point commun entre le matérialisme historique, l’anthropologie économique substantiviste ou même l’écologie culturelle, est de remettre en cause l’existence et l’autonomie des phénomènes culturels et sociaux en décrétant que finalement l’ensemble des interactions humaines sont déterminées en dernière instance par des dispositions biologiques, écologiques et un contexte métabolique entre l’homme et la « nature ». Pour ces courants, comme on le croyait aux XVIIIe et XIXe siècles, il existe toujours une « nature humaine » qui se comporte de manière uniforme et invariable à travers les âges et dans toutes les sociétés. Raison de plus pour centrer notre réflexion sur le problème mental que soulève une abolition de l'argent, bien plus que sur des questions pratiques, techniques, sur des problèmes de faisabilité! Il nous faut affirmer fortement et clairement que l’individu n'existe pas dans le seul rapport premier et fondamental aux choses (sous les traits des besoins, relations utilitaires, mode de production, travail, division du travail, etc.), de manière a-sociale et an-historique. Et dans ce cadre, la vie sociale n’est plus le moyen de quelque chose qui lui est forcément extérieur, mais possède sa propre institution, sa propre logique, son autonomie, sa propre forme de domination.

"Les conditions d’après lesquelles les individus sont en relation les uns avec les autres sont des conditions faisant partie de leur individualité" note le philosophe Michel Henry. L’être même des individus n’est donc jamais extérieur à la vie en société, il se constitue dans et par celle-ci. L'individu ne se pense qu'au pluriel, ou dans sa relation entre le Je et le nous disait Lacan… Quant à Bourdieu, il affirme que l'individu n'a de connaissance que "praxéologique": "…En clair, «qui a pour objet non seulement le système des relations objectives que construit le mode de connaissance objectiviste, mais les relations dialectiques entre ces structures objectives et les dispositions structurées [habitus] dans lesquelles elles s’actualisent et qui tendent à les reproduire, c’est-à-dire le double processus d’intériorisation de l’extériorité et d’extériorisation de l’intériorité »

p.196: Qu'est-ce que la production: «Tout système, pour devenir fin en soi, doit écarter la question de sa finalité réelle. À travers la légitimité truquée des besoins et des satisfactions, c'est toute la question de la finalité sociale et politique de la productivité qui est refoulée» (Jean Baudrillard*, Pour une critique de l'économie politique du signe, 1972)
    *Baudrillard: 1929-2007, philosophe français théoricien de la société contemporaine et de la postmodernité, créateur de la revue "Utopie", enseignant à Paris X Nanterre, satrape du collège de pataphysique, pivot du mouvement structuraliste. Sa méthode: aller par anticipation au bout d'un processus pour voir ce qui se passe au-delà (ce qui pourrait se passer au-delà est en fait déjà là dans le processus même, la fin est déjà là à partir du commencement).

      Quelques phrases extraites de ce chapitre qui permettent de se poser les bonnes questions pour qui veut dépasser les apparences…

p.196:  Sous le règne de la croissance et de la quantité, produire toujours plus est devenu l'impératif répondant aux nécessités présentes d'une valorisation du capital qui peine à se poursuivre au vu de la croissance de la capacité des forces productives actuelles…
p.199:  Le produit tend à limiter la « vision » (la conscience) des individus à l’espace et au temps tels qu’il les a structurés, par le biais des croyances fétichistes dont il fait l'objet. Ce monde de la conscience dans le paradigme de l'économie est ainsi un monde où l'objet parait animé d'un pouvoir d'élaboration de rapports sociaux entre les entités individualisées « conscientes » et l'extériorité de leurs environnements sociaux et « naturels ».
p.206: La production a tendance, surtout avec la nouvelle adaptation catastrophique  du capitalisme, à dévoiler sa véritable "nature" en étendant l'hégémonie de sa praxis sur l'ensemble des aspects de nos vies sociales et personnelles (capacité, désir, apparence, langage, comportement, amour, etc...). Une praxis qui dérive alors vers une "auto-production" d'individus normalisés en fonction d'impératifs systémiques de production de valeur et dont l'effet rampant est de déstructurer et de dé-humaniser plus encore les relations humaines, y compris avec notre propre personnalité, ainsi que celles existant encore peu ou prou entre les humains et les collectifs non-humains.
p.209: Le « paradigme de la production », en unifiant ces deux facteurs que sont l'ensemble des « faits » et l'ensemble des « normes », donc en les médiatisant, formule un ensemble de règles par lesquelles sont déterminés, du moins en grande partie, les « besoins » et les « intérêts » sociaux qui font référence à ces derniers au sein des sociétés modernes.  
p.210: Le sens du mot « besoin » découle de l'idée de manque et celui-ci, s'il a de tout temps été occasionnellement présent dans la vie et les craintes  des hommes, n'en est pas moins structurellement rivé à la pensée qui prévaut dans les sociétés modernes par le biais de la rareté, celle-ci ayant historiquement et idéologiquement déterminée une forme de praxis, la production, par rapport à laquelle s'ordonnent la subsistance et la socialisation. Si l'état de manque, ou de besoin, fut lié historiquement à des situations dé-structurantes (guerres, catastrophes naturelles, excès de pouvoir de la chefferie, etc.), pour la pensée moderne, il prend l'apparence d'une réalité permanente et oppressive à laquelle doivent se soumettre l'ensemble des pratiques humaines.
p.211: « L’exigence d’une production, qui se ferait uniquement en vue de la satisfaction des besoins appartient elle-même à la préhistoire, à un monde où l’on ne produit pas en vue de besoins mais pour engranger du profit et instaurer la domination ; à un monde où, pour cette raison même, règne le manque. Une fois le manque disparu, la relation entre besoins et satisfaction va se transformer. Dans la société capitaliste, la contrainte qui fait qu’on produit en vue du besoin – dans sa forme médiatisée par le marché, est l’un des principaux moyens de s’assurer la fidélité des hommes.
Les besoins ou les états de manque seraient les prémisses ontologiques à partir desquelles se fonderait l'économie en tant qu'art de gérer la production et les échanges nécessaires à leur satisfaction et ce depuis que l'homme vit en société, soit depuis les origines lointaines et obscures des temps sauvages et démunis.

p.212: Marshall Sahlins* réussit à démontrer que "les personnes vivant au sein de tribus et communautés primitives subsistent sans que le besoin ne colle quotidiennement à leurs basques, sans que perpétuellement ils ne vivent dans un état de manque qui les domine et les angoisse." (M. Sahlins, Âge de pierre, âge d'abondance, p. 68-69.)
p.224: En exergue, Graeber évoque Castoriadis, filiation naturelle:  Pour Castoriadis, l'histoire n'est plus une question de développement ou de jeu des forces productives ou de classes, mais l’œuvre de l'imaginaire, qui est invention ex nihilo, où la mutation est « le postulat d'un nouveau type de comportement […] l'institution d'une nouvelle règle sociale […] l'invention d'un nouvel objet ou d'une nouvelle forme » qui est « une émergence ou une production qui ne peut pas être déduite sur la base d'une situation précédente ».  
    La référence à Castoriadis est rare chez les postmonétaires, (ce qui est étonnant ou dénote une faille culturelle) quand on sait que pour le philosophe, la grande question est devenue "l'émergence du nouveau". La plupart des moments réellement géniaux de l'histoire humaine implique l'invention de quelque chose d'inédit, quelque chose qui n'avait jamais existé auparavant, que ce soit la démocratie athénienne ou la peinture de la Renaissance, et c'est précisément ce que nous  avons l'habitude de trouver « révolutionnaire » à leur sujet.  L’histoire, donc, fut une question de pression constante de l'imagination contre son endiguement social et son institutionnalisation.Exemple: Castoriadis à propos de la démocratie nous dit qu'une vraie démocratie est une société qui s'auto-institue, mais en toute connaissance de cause, ce qui devrait "nous parler" et nous rappeler notre propre "slogan-projet": redonner aux usagers la maîtrise de leurs usages

p.246: Qu'est-ce donc qu'un fétiche, alors ? Un fétiche est un dieu en cours de construction… Les objets que nous avons créés ou acquis en vue de nos propres desseins apparaissent soudainement comme des puissances qui nous sont imposées (des divinités), exactement au moment où ils commencent à concrétiser un certain lien social nouvellement créé. Aussi abstrait que cela paraisse, c'est pourtant ce que l'on observe aussi bien dans une société totalement isolée d'Amazonie que dans un club chic de Wall Street!...