Edward Bellamy - Cent Ans Après ou l'an 2000

Edward Bellamy - Cent Ans Après ou l'an 2000

 

traduit de l'anglais (Looking Backward) par Paul Rey, 215p,

téléchargement gratuit 

 

Quatriècapture-décran-2025-03-14-085139_e397d.pngme de couverture: Julian West, un jeune Bostonien aisé, né en 1857 et contemporain de l'auteur, se trouve mystérieusement projeté an l'an 2000, passant d'un monde d'injustice et de pauvreté noire à une société où règne l'harmonie, la justice et la prospérité. Sous l'aimable docteur Leete, de sa femme et de sa fille Édith, il découvre ce nouveau monde ne manquant pas de faire de tristes comparaisons avec son époque d'origine. Dans cette nouvelle société, le problème ouvrier a disparu quand la nation a rendu obligatoire le travail -réparti équitablement- de 21 à 45 ans, avec pour unique employeur, l'État: ainsi est constituée "l'armée industrielle". Chaque citoyen voit son temps de travail aménagé selon la pénibilité de sa tâche, librement choisie (excepté lors des premières années)…

Biographie: Edward Bellamy (1850-1898) est né à Chicopee, dans le Massachusetts. Son père, Rufus King Bellamy, était un ministre baptiste. Sa mère était calviniste fille aussi d'un ministre calviniste, mais franc-maçon. Après l'école, Bellamy passe un an en Europe et étudie brièvement le Droit. De retour en Amérique il devient journaliste socialiste. Atteint de tuberculose, il décide d'abandonner tout travail journalier et se met à écrire plus d'une vingtaine d'ouvrages. Son livre sur une société libérée de l'argent et de la misère a inspiré des légions de lecteurs. Bellamy a lui-même participé au mouvement politique qui a émergé de son livre. Il est considéré comme le père du postmonétarisme par les uns, du distributisme par d'autres.

Présentation: 

Il est difficile de commenter une fiction sans lui en faire perdre tout intérêt. Vous n'aurez donc pas d'extrait commentés comme je vous ai accoutumé, mais juste un petit résumé de la forme de société que Bellamy avait inventé. Certes, ce modèle n'est plus reproductible tant le monde d'aujourd'hui est différent du Boston de la fin du 19° siècle. Mais il est étonnant de remarquer à quel point "l'expérience de pensée" que Bellamy nous présente ici est remplie de fulgurances, d'innovations techniques, d'utopies aussi et qui restent d'actualité.

L'argent reste comme simple outil de comptabilité, sous forme de carte de crédit, sans achats ni vente, deux actes incompatibles avec la bienveillance. Il n'y a donc plus de salaires, au sens que nous connaissons, mais des attributions de crédits calculés sur les activités, l'âge, l'utilité sociale de la qualification et réparti pour que nul ne manque de l'essentiel. Les magasins sont remplacés par des dépôts où chacun trouve ce dont il a besoin, en fonction du crédit qu'il a. Ce crédit correspond à la part du produit annuel de la nation et inscrit sur les livres de l'État. C'est l'État qui seul est propriétaire et gérant des usines, ateliers, services et nul ne peut profiter de la faiblesse d'un autre pour s'enrichir. Ce système s'est mis en place progressivement et sans conflit car la grande majorité y était gagnante. Les employeurs privés n'ont rien pu faire contre ce mouvement général qui en plus s'est mondialisé. Tout est fait pour que chaque individu trouve sa place, que chaque nation ait accès à tout ce qui lui est indispensable. Le travail est toujours choisi par les travailleurs qui ont tous les moyens de se former, de changer d'orientation. De zéro à 24 ans, les jeunes se cherchent et apprennent, de 25 à 45 ans les adultes doivent travailler au bien commun, de préférence dans ce qui les motive le plus. Les tâches ingrates, fatigantes ou dangereuse offre un crédit légèrement plus avantageux mais surtout beaucoup d'honneurs. La grande nouveauté du système c'est que l'on ne produit rien pour le seul profit. Donc dans les dépôts tous les produits se valent et la seule chose qui distingue deux outils ou deux vêtements identiques, ce n'est ni le luxe ni l'utilité, mais le goût de chacun. Il y a pleins de pantalons, robes ou meubles différents selon la personnalité des gens mais tous de bonne qualité et de même valeur. En somme, la valeur est toujours qualitative, jamais quantitative. Quelque soit la santé physique ou psychique chacun a sa place, partant du principe que nul n'est capable de se suffire à lui-même. La dépendance réciproque implique la garantie du secours réciproque. Celui qui est faible, sans énergie, sans compétence et même sans envie de progresser a quand il le souhaite un petit service à rendre, et autant de moyens de subsistance que l'hyper actif. Les techniciens et inventeurs ne font pas fortune comme avant, mais ils cherchent tous ce qui est utile et sans effets pervers. Ces gens sont très fiers d'avoir inventé les concerts permanents via un système de téléphone, d'avoir construits des tunnels reliant tous les dépôts et usines pour le transport des productions par air pulsé…

Bonne lecture à vous, si ce bref aperçu vous intrigue

Image de couverture

Nathalie Baray - Une vie ordinaire

 

éd. In libro veritas, PDF Ebook, fev.2013, 12 p.

 

PrésentationCouverture-Barray.jpeg: Cette courte nouvelle publiée sur un site en Open source, n'a pu être retrouvé. Je vous en ai fait une copie. Une femme perd connaissance sur une route de campagne et se réveille dans un autre monde pour le moins curieux. La ville toute proche est calme, sans panneaux publicitaires, sans bruit de moteurs et croisent des gens qui entament aussitôt une conversation. Ils sont aimables, curieux, détendus et prennent leur temps. Quand elle parle du monde d'où elle vient, les gens sont horrifiés: un monde de sauvages, où il faut travailler pour vivre et se demandent pourquoi ces gens ne se révoltent pas…

 

Biographie: "Mère de deux enfants, j’ai posé mes bagages dans le Sud de la France, racine maternelle de mon père. Je travaille dans l’animation et dans la formation pour adulte.
Ma vie a toujours été sous le signe des voyages et des rencontres. Rien n’égale la rencontre de l’autre, la rencontre de l’instant, pour enrichir et agrandir la beauté de nos cœurs.
La lecture et l’écriture, nourritures ouvrant l’esprit à la connaissance du monde et de l’humain, m’ont toujours accompagnée. Elles sont, pour moi, une recette magique, me permettant de donner corps aux fruits de l’esprit, mûris au soleil de mes expériences de vie."

Texte de Nathalie Baray: 

Une vie ordinaire.

 

Mais par quel moyen était-elle arrivée ici ? Elle ne se rappelait pas avoir perdu connaissance. Son corps était intact, ses vêtements en parfait état. D'ailleurs, elle remarqua qu'ils étaient inappropriés à la situation. Ce qui ne lui arrivait jamais ! Elle se trouvait ridicule, sur ce monticule, au milieu de la nature, vêtue de son tailleur de marque et de ses chaussures à haut talons, destinées au bureau.

Elle était belle et paisible cette nature. Pourtant, à quelques mètres, plus bas, se dressait une ville moyenne, où circulaient des véhicules, des gens. Le calme naturel n'en était pas perturbé. Normalement, placée où elleétait, elle aurait dû entendre le brouhaha des moteurs de cette activité de petite ville.

Elle observa. Pas de panneaux publicitaires, pas de bruit de moteur. Des funiculaires serpentaient autour d'habitations circulaires. Ils étaient discrets, silencieux, de tailles différentes, mais pas plus de 3 mètres de long. Leurs rails étaient construits en hauteur de façon à ne pas gêner les piétons et ils avançaient, se garaient sans heurts ou ralentissements dans leur trajet. Les gens y entraient et sortaient, jusqu'à trois pour les plus petits véhicules, en petit groupe pour les plus grands. Tous semblaient heureux, actifs et détendus. Elle était étonnée de voir que personne ne s'ignorait et que chaque rencontre faisait naître un contact. Elle avança donc, décidant de se déchausser pour marcher plus à l'aise. Il n'y avait pas de bitume, mais la terre était tassée de façon à offrir des chemins agréables aux pas, tout en gardant sa liberté naturelle.

« Bonjour, lui dirent les deux premiers individus rencontrés.

- Bonjour.

- Tu sembles nouvelle et je dirais assez perdue, même anachronique avec tes vêtements. D'où viens-tu ? lui

demanda l'homme aux cheveux blancs, semblant porter une soixantaine vigoureuse.

- A vrai dire, je ne sais plus. Mais, je me sens bien. C'est étrange, je me sens en sécurité. - C'est normal de se

sentir en sécurité.

- Oui, mais je veux dire que c'est étonnant, parce que je ne connais pas cet endroit et pourtant, je me sens en

sécurité.

- Mais on se sent toujours en sécurité quand on va dans une ville qu'on ne connaît pas !, s'étonna la femme,

 

qui devait avoir, comme elle, la quarantaine. Elle se sentait pitoyable fatiguée, tant cette femme était ra-

dieuse.

- Ben, je n'ai jamais vécu ce sentiment de sécurité en ville, et encore plus en ville inconnue. Ici, c'est particulier.

On ne sent pas d'agressivité, de danger. Ce n'est pas ainsi dans le monde d'où je viens.

- Mais d'où viens-tu ? D'un cauchemar ?, questionna l'homme, en décochant, à l'instar de sa comparse, un

sourire dubitatif.

  • Peut-être bien, oui. Un cauchemar, soupira-t-elle! »

Oui, peut-être un cauchemar qui s'arrêtait. Elle sentait ses épaules se détendre, son mental surtout. Elle ne sentait aucun jugement dans le regard de ces gens. Elle ne se sentait pas étrangère, malgré son anachronisme et sa mine défaite, qu'elle avait crue radieuse jusqu'à présent, car si bien maquillée ! Elle se sentait si laide face à ces humains, splendides sans maquillage ou bijou, habillés simplement. Elle fut invitée à partager les moments et les repas et, toute la journée, elle découvrit une ville où tout était gratuit et où chacun avait une belle place pour vivre. Elle découvrit une ville où de hauts moyens technologiques étaient utilisés pour faciliter le travail de chacun. Tous les citoyens participaient quelques heures par semaine aux tâches nécessaires pour produire des biens pour la communauté. Tout se faisait avec joie et envie. Pas de stress, que de l'échange. Pas d'énergies polluantes, pas de moteurs bruyants, pas de quartiers riches et pauvres. Pas de police. Pas de mendiants. Et tous souriants et d'allure saine.

 

« Je suis sur quelle planète ?, demanda-t-elle alors qu'ils partageaient le repas.

- Ben, sur terre ! répondit la femme, en souriant.

- Mais, vous n'avez pas d'argent, de voitures à essence, de supermarchés ! Vous ne travaillez pas ! » Elle leur raconta en quelques mots l'endroit où elle vivait. La façon de vivre en ville, de travailler. Le bruit, la pollution. Elle était employée de banque et donnait 35h de sa semaine pour gagner l'argent qui lui permettait d'avoir ce dont elle avait besoin pour vivre.

« Tu veux dire que là d'où tu viens, vous vivez dans un monde pollué et fatigant et vous acceptez ça ? Mais pourquoi ? demanda la femme.

- On n'a pas le choix ! Si tu n'as pas d'argent, tu crèves ! »

Elle leur raconta les mendiants, les pays pauvres, la famine...

« Et tout le monde est d'accord pour vivre comme ça ! » L'écarquillement de leurs yeux, les rictus de leurs bouches montraient l'ampleur de leur dégoût et de leur incompréhension.

« Comme je vous ai dit, on n'a pas le choix.

- Tu veux dire qu'on vous force à vivre comme ça ! Mais c'est la pire des dictatures ! s'exclama l'homme.

- C'est monstrueux !, renchérit la femme. Je ne pensais pas qu'on pouvait en arriver à ce point d'assouvissement !

- Personne ne se révolte ?, questionna l'homme.

- Ben, c'est à dire que dans mon pays, nous sommes en démocratie. »

Elle leur expliqua la démocratie de son pays, elle leur expliqua les dictatures. Elle leur expliqua comment était organisé le gouvernement, le vote, le pouvoir, les lois, la police, l'armée.

Il y eu un grand moment de silence. Ils avaient les larmes aux yeux et restaient éberlués, fixant le sol. Elle regardait le monde qu'elle venait de décrire, qu'elle venait de quitter. Oui, c'était un cauchemar et elle y avait vécu.

 

« Si nous te comprenons bien, vous élisez des gens qui prendrons les décisions collectives à votre place! dit l'homme.

- Et en plus, ces élus mettent en place des systèmes polluants, inégalitaires, violents et vous acceptez cela en continuant à aller voter et ce depuis des siècles sans réel changement de mode de vie, malgré la détérioration de votre monde!, s'étonna la femme.»

Elle avoua que c'était bien ainsi que cela se passait et se rendit compte combien le vote privait le peuple de son pouvoir de décision. Et pourtant, comment faire pour gérer toute la population ? Il fallait bien des chefs !

« Les chefs sont nécessaires si tout le reste du groupe estime qu'ensemble, il n'est pas capable de mettre en place des modes de vie bénéfiques à chacun. » La femme venait de lui pointer son incapacité à prendre sa vie en main. Elle qui se croyait libre !

L'homme ajouta : « Apparemment, la force de votre système est de vous faire croire que vous êtes libres, alors que vous ne l'êtes pas.

  • Vous savez, depuis ma plus petite enfance, les adultes m'ont fait croire que si j'avais un bon métier, je serais libre car je pourrais m'acheter tout ce dont j'ai besoin et même du luxe. Je suis responsable d'une agence bancaire et j'ai toujours été fière de ma carrière. Maintenant, je réalise à quel point je me suis trompée.
  • Responsable d'une agence bancaire ? Explique-nous. »

Elle leur raconta le rôle des banques, les comptes courants, les comptes épargnes, les crédits, la spéculation, les taux d'intérêt.

 

« Tu veux dire que les banques s'enrichissent en prêtant de l'argent et te paient avec le fruit de cet enrichissement ! Mais d'où vient l'argent qu'elles prêtent et pourquoi les taux d'intérêt ? »

 

Elle ne comprit pas de suite la raison de la forte honte qu'elle ressentait en répondant : « Les banques créent une écriture bancaire qui fait valeur de monnaie.

 

- Tu veux dire qu'elles créent la monnaie en prêtant une richesse qui n'existe pas dans la circulation des richesses et demande un remboursement avec de la monnaie concrète en y ajoutant des taux d'intérêt ! s'exclama l'homme.

- Oui, c'est ça, répondit-elle timidement.

- Mais c'est du vol ! C'est une logique d'appauvrissement des populations ! s'écria la femme.

- Vous acceptez ça ?, questionna l'homme.

- Je ne me suis jamais rendue compte que notre système avait légalisé une escroquerie, depuis des générations !

- C'est normal que vous soyez pauvres et que vous vous détruisiez. Vous élisez des gens, toujours des riches, qui dictent votre constitution, vos lois, sans vous donner de pouvoir de décision, analysa l'homme.

  • Et en plus, vous définissez la richesse dans de la monnaie qui est créée ex nihilo et qui est rendue rare, ajouta la jeune femme.
  • Pour finir, conclut l'homme, il semble qu'on vous pousse à utiliser de plus en plus votre monnaie, en vous incitant à acheter des biens inutiles. C'est le serpent qui se mord la queue et vous le nourrissez en croyant que vous êtes libres. »

Elle se vit et raconta les hypermarchés, la publicité, la consommation, les conditions de production des biens. Les mimiques de dégoût fusaient. Pour changer d'atmosphère et de pensées, ils se levèrent et l'amenèrent visiter leur beau monde. Elle était émerveillée devant tant de paix, de joie. Des vêtements aux fibres naturelles. Tout gratuit et à disposition. Pas de produits toxiques. De la haute technologie sans pollution. Des êtres intelligents et libres. Se soignant et vivant naturellement. Partageant le travail et les richesses de la terre. Tous égaux et libres. Tous se distinguant par leur bonté et leur créativité. Tous vivant pour le bien de soi et des autres. Plus elle marchait, plus elle réalisait l'horreur de son monde. Les animaux torturés pour créer des produits de beauté, des produits ménagers, des médicaments, des mets à outrance. Des êtres usés par le stress, tués par les guerres, par le travail, vivant dans la peur, se soumettant les uns aux autres. Une extermination de la nature. Des êtres mourant de faim pour que d'autres puissent se vautrer dans des luxures outrageuses. Et tout cela pour Une vie ordinaire Une vie ordinaire à accumuler de la monnaie virtuelle !

Elle se réveillait d'un cauchemar. Plus jamais ça ! Non, plus jamais ! Elle ne voulait plus revivre une telle horreur et y participer !

Un drôle d'oiseau se mit à chanter. Son chant semblait mécanique, pas aussi joyeux que les autres. Elle voulu écouter de plus près et se sépara un moment du groupe.

Le réveil sonnait. 7H30, l'heure de se lever pour le bureau...

 

Aristophane - Ploutos, 408 av.J.-C.

Aristophane - Ploutos, 408 av.J.-C.

Traduction les Belles Lettres, 1983, 162p.

 

Couvert.JPGQuatrième de couverture: Après la bataille d'Aigos Potamos, en 405 avant J.-C., la situation d’Athènes est désastreuse : l’armée défaite, les longs murs rasés, le trésor épuisé, le bref mais meurtrier gouvernement des Trente est contesté... Tous ces malheurs, en quelques années, ont fondu sur Athènes ; et la brillante cité qu’avait connue le poète au début de sa carrière est désormais exsangue. Le ton de son œuvre s’en ressent : les circonstances sont si lamentables que le poète n’a plus guère le cœur d’en rire. La satire politique, qui n’est cependant pas absente de cette pièce, s’adoucit pour laisser la place à une comédie plus axée sur les mœurs et la société, mais tout aussi désopilante. Ploutos, Dieu de la Richesse en personne, guéri de la cécité à laquelle Zeus l’a condamné, instaure lui aussi un ordre nouveau, où sont récompensés les justes, au grand dam des sycophantes et de quelques vieilles n’ayant plus de quoi entretenir les complaisances de leurs mignons. Pour Aristophane, la richesse est un dieu aveugle, mais en passe de devenir maître du monde.

    Les quatrièmes de couverture des éditions Belles-Lettres sont généralement très consensuelles. Exceptionnellement (merci Aristophane), celle-ci est révolutionnaire. Traduite en français vernaculaire cela donne ceci: «La richesse estaristote_0356e.jpg aveugle, et récompense uniquement les plus riches appauvrit les plus pauvres. Les inégalités sociales deviennent totalement indécentes. Les milliardaires continuent à chercher fortune alors qu'ils ne pourront jamais dépenser celle qu'ils possèdent déjà. Les Grecs du temps d'Aristophane aurait parlé "d'hubris" (outrance doublée d'orgueil). Un économiste borné s'est fait soigner par un certain Asclépios et a trouvé une martingale pour réduire ces inégalités, la richesse n'est plus aveugle, depuis le revenu universel, dit-on. Elle sera mieux répartie. C'est l'ordre nouveau, au grand dam des financiers et des riches "cougars" craignant de ne plus pouvoir payer leurs gigolos. Tant pis pour eux, la richesse ne sera plus la grande maîtresse du monde.»
     Mais, voulant abolir la richesse mais pas l'argent, le but mais pas l'outil qui est devenu but ultime, on s'aperçoit vite que rien n'a changé et qu'il faut passer à l'étape suivant, l'instauration d'une civilisation sans argent. Revient Aristophane, tu avais vu juste avec 24 siècles d'avance!...

                Lire ce texte ou l'entendre dans l'une ou l'autre adaptation théâtrale ne manque pas de piment pour peu que l'on fasse le lien entre l'antiquité grecque et l'hubris du monde actuel. A chaque personnage, on peut trouver son équivalent moderne. Presque chaque réplique peut être adaptée aux circonstances qui sont nôtres….

                Les personnages: Ploutos est le dieu de la richesse, il est aveugle de naissance. C'est en effet depuis l'origine que la richesse se partage entre les hommes de manière très inégalitaire.  Sur le conseil de l'oracle de Delphes (équivalent de l'analyste économique), le citoyen Chrémylos (l'argent en grec se dit  chrima ) convainc Ploutos de se faire soigner par Asclépios (demi dieu capable de soigner les gens, son bâton entouré d'un serpent est devenu l'emblème des médecins). Ce fou de Ploutos, une fois guéri, se met à faire le bonheur des honnêtes gens!   Karion, l'esclave de Chrémylos, suit Ploutos à la trace et constate que, quoiqu'il fasse, Ploutos laisse derrière lui des mécontents: Chrémylos est devenu riche mais pas assez à son goût. Pénia et sa bande (les prolétaires du coin: pénia peut se traduire par "la Dêche") trouvent que Ploutos est ingrat. Ce sont eux qui font le monde et ils n'ont que des miettes. Arrivent ensuite un sycophante (un délateur professionnel) ruiné, une vieille femme rejetée par son mignon, etc. L'aménagement de l'outil monétaire n'entraîne que des désordres, voire de l'insécurité. Entre l'insécurité et la richesse il faut choisir, sauf pour les aristocrates qui ont l'argent et la sécurité, la liberté en prime!...  

                Étymologie de "tragédie": le mot grec ancien tragéodia  vient de tragos (le bouc) et de ôdia (le poème chanté),  donc le chant rituel lors du sacrifice du bouc et par extension, le poème (tragique ou comique) accompagné de chants, la comédie musicale au temps d'Aristophane. Quand on sait cela, on comprend que l'effondrement que l'on nous annonce, ne présage ni de la comédie ni de la tragédie, mais simplement que cela va nous faire chanter ou pleurer, rire ou déprimer! Tout dépend de la façon dont on l'imagine et l'écrit… Aujourd'hui, il y a aussi des Aristophane qui font de brillantes analyses économiques (Lordon par exemple), des comiques qui nous font rire face aux misères (Coluche était bon dans ce genre), des tragédiens qui parlent de fin du monde (les collapsologues), les agitateurs jamais contents (généralement de gauche), les mafieux, proxénètes et autres trafiquants qui sans argent seraient au chômage, privés même du vol à l'arraché…

                Ce serait bien qu'un dramaturge nous refasse le coup d'Aristophane : un "Ploutos" moderne!....    

 

Sebastien Augié - Argent trop cher

Sebastien Augié - Argent trop cher

éd. Libranova 2023, Roman, PDF. 353p.

 

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4ème de couverture: …Sébastien, mettant en scène avec humour sa vie familiale, son métier dans le webmarketing et sa passion pour le rock, projette son quotidien dans cette ère nouvelle et débusque jusqu'aux changements infimes qui l'impacteraient. Embarquez pour une histoire étonnante qui remet en question avec sagacité les fondations de notre société et invite à voir autrement nos croyances et nos habitudes de vie...

C'est une bonne idée de partir du réel quotidien, un métier pour gagner sa croute, une femme et deux enfants, du camping en montagne pour les vacances… Que voulez vous de plus?...Pourtant,

"Depuis toujours l'argent révèle ce qu'il y a de plus obscur en l'humain…" (p.38)

Quelques que soient les lois, il y a toujours un plus malin qui trouve la faille et arnaque ceux qui prennent des risques en travaillant. C'était déjà comme ça au Moyen âge, et bien avant dans l'Antiquité. Donc Sébastien imagine qu'une série télévisée obtient un succès mondial et "met le feu"! La série se termine sur une abolition de la monnaie qui donne des idées à beaucoup et les médias s'en mêlent…

p.22: Deux ans plus tard, au retour d'un temps de camping sans lien avec le reste du monde, la petite famille découvre qu'entre temps l'argent a disparu. Les villes sont vides, les magasins ont baissé leur rideau de fer, les distributeurs ne donnent plus de billets… Il y a eu un krach boursier, et cette fois sur le plan mondial! Le débat sur l'abolition de l'argent repart de plus bel… On parle de plus en plus d'un référendum donnant le choix entre une société avec ou sans argent. Plusieurs types d'organisations s'affrontent. Il n'y a plus d'argent et on est au pied du mur, mais comment fait-on sans? Les avis sont partagés…

p.50: La question des "quotas individuels": Quels critères seront choisis pour déterminer la valeur: l'envie? Le besoin? L'âge? La condition physique? L'essentiel et le futile? Ce qui relève de la reproduction matérielle ou pas? Ce qui est simplement utile ou ce qui est utile et beau, précieux, ce qui est inutile mais beau ou précieux? Les affects liés aux objets? Les objets qui soignent par leur fonction contraphobique, antistress, purement intellectuelle? Les marqueurs sociaux qui permettent l'établissement d'une hiérarchie? La capacité individuelle à différer un désir?... Liste impossible à clore, tant les critères peuvent être variés et individualisés. N'est-ce pas plus simple de se contenter des critères non de valeur mais d'accès possible: il y a ou pas? C'est écologique ou pas? C'est renouvelable ou pas? Cela nuit à quelqu'un ou pas? …

p.53: "Bien que l'argent entraîne des changements profonds, la société restera régie par les mêmes lois…"

Là, on reste totalement dans l'utopie. 90% de nos lois ont été produites dans un contexte "argentique" et deviendront obsolètes. Tout est à repenser en matière de Droit. Les rares exemples de société sans argent, des plus archaïques aux plus modernes et même à titre purement expérimentales ont eu des codes radicalement différents. (Voir les Inuits, les Sans, les Jarawas, et les peuples de Zomia actuels (répartis sur 2,5 millions de km² en Chine, Birmanie, Inde, Bangladesh, Bhoutan, Thaïlande, Laos, Vietnam et Cambodge, avec 5 familles de langues, et des millions d'individus ayant résisté à toute idée d'État- nation, de patriarcat, d'impôt et de conscription… ). Tu parles plus loin (p.332) de "quelques lois réajustées" par l'État. C'est un peu plus que ça! Il nous faudrait dans nos collectifs quelques juristes patentés qui imaginerait de nouveaux codes postmonétaires…

p.55: "Il faut simplement des règles de transition…" Tout fait débat, même l'orientation vers une transition ou vers une rupture volontaire

p. 56: Sébastien (le héros du roman, peut-être pas l'auteur) rêve visiblement d'un monde sans argent "qui ne soit ni laxiste ni sous contrôle total." Où ce trouve ce juste milieux?...

p.59: "Le porte parole de l'ODG4 [une des organisations chargée de la mise en place de la nouvelle société] monte à Paris pour débattre sur l'histoire des quotas."

Pourquoi Pariset pas Grenoble ou Rioms? Sera-t-on aussi Jacobins sans argent qu'avec lui? Et pourquoi un tel sujet doit-il être national? Un ODG4 a-t-il un sens, sinon celui d'uniformiser les pratiques? Ceux qui pensaient jadis que les Français étaient ingouvernables, se réjouiront de ce genre de questions…

p. 65-66: " Le personnage central du roman, après avoir été à des réunions à Bordeaux puis Paris, rejoint en retard la réunion locale de son village"

C'est exactement ce qui s'est passé dans beaucoup de communes qui ont tenté la démocratie directe,le municipalisme… Peu de gens sont capables de supporter en permanence des réunions longues, bavardes et conflictuelles. Or, c'est bien le placage d'un feuilleté de niveaux sociaux qui multiplient le rythme des réunions et finit par fatiguer tout le monde. S'il y a une chose que peut immédiatement apporter une société sans argent c'est le temps, le refus de court terme (maintenant, time is not money!). Mieux vaut mobiliser une fois un groupe de tirés au sort qui va passer quelques mois à plancher sur un sujet que de se payer le luxe de plusieurs réunions par semaines en espérant tenir le rythme jusqu'à vitam aeternam !

p.67 La question des métiers qui disparaîtraient dans un monde postmonétaire est essentielle.

Elle mériterait d'être un de ces jours travaillée avec soin. En effet, elle angoissera certainement plus de 2 millions de personnes en France!

p.70: "Cela permettra au moins de partager les tâches ingrates, pénibles, salissantes…."

En effet, une telle main-d'œuvre disponible permettrait de les réaliser très occasionnellement, donc sans gros effort, contrairement aux salariés soumis pendant 40 ans au même travail pénible. C'est la garanti d'avoir toujours des volontaires. C'est par des questions ainsi posées que l'auteur nous donne des envies de "révolution"!

p.95: "A la place, des panneaux d'annonces d'évènements, de nouvelles, de demandes d'aide… Chacun rédige une fiche propre au métier qu'il exerce pour imaginer ce qu'il devient sans l'argent."

Voilà ce que nous devrions faire, dès maintenant. Parmi les quelques milliers de sympathisants (Mocica, Désargence, postmonétaires….), si chacun rédigeait une fiche sur le ou les métiers qu'il a exercé, on aurait vite un tableau intéressant du monde sans argent. Il suffirait d'ouvrir une page dédiée sur un de nos sites où chacun pourrait mettre un texte à son idée et que chacun pourrait commenter, annoter, critiquer…

p.122: « Les 20 € d’adhésion au Grand Projet pour un monde sans argent serviraient en réalité à acheter des armes et à monter une armée pour imposer la société postmonétaire par la force. »

Les fakes news, la manipulation des peurs légitimes des gens donnent au récit une touche crédible. Un tel changement risque en effet de ne pas ressembler à un long fleuve tranquille!

p.125: "L’argent est une secte de laquelle nul ne peut sortir.[…] On ne peut rien entreprendre, malheureusement, si ce n’est attendre le moment opportun. C'est-à-dire la crise de trop qui sera responsable de l'effondrement de la société."

Même si l'effondrement n'est qu'une possibilité parmi d'autres, il y a de fortes chances que cela arrive plus vite et sur un mode plus brutal que de raison…

p.139: Discours attribué au vice président du Conseil des droits de l'homme à l'ONU…

C'est peut être un point faible du livre. Ces gens-là ont eu l'audace de confier la présidence du groupe consultatif de la dite Commission à l'ambassadeur de Riyad, Faisal Trad, juste au moment où son pays s'apprêtait à crucifier un jeune opposant chiite de 21 ans! Peut-on les croire sur parole?... Très souvent j'entends des commentaires politiques qui relèvent franchement de l'utopie. Croire qu'une institution comme l'ONU est susceptible d'instaurer la paix ou de militer pour une désargence, cela relève du fantasme…

p. 175: "Le verdict tombe: 98% de oui pour une Europe de l'Accès!"

C'est beau un tel optimisme! Personnellement, un petit 52% m'aurait comblé! Relater des événements limites et imaginer les efforts à déployer pour que tout ne s'écroule pas face au réel aurait peut-être était plus crédible…

p.176: "Sébastien doit changer de métier: "consultant en webmarketing" ça n'existe plus sans l'argent."

Pour un militant postmonétaire, c'est une imprévoyance étonnante. Cela laisse imaginer les difficultés pour ceux qui n'y ont jamais cru et qui doivent s'adapter d'un jour à l'autre. Or, la fonction principale du mouvement postmonétaire, c'est justement de prévoir à l'avance ce qui peut advenir et ce qu'il faudra faire si le système s'effondre, ce qui est le plus probable.

P.209: "Les enfants reprennent l'école…"

Rien n'aurait changé dans l'école? Est-elle toujours obligatoire jusqu'à 16 ans? Les profs travaillent-ils 24h par semaines, préparation des cours et corrections comprises? Les examens, concours, notes sont toujours d'actualité?... Le sujet de l'enseignement est un sacré chantier. Cela mériterait un bien plus grand développement. Mais on ne peut pas tout dire en 300 pages. Cela devrait incité l'auteur ou d'autres écrivain à poursuivre ce genre de fiction indispensables…

p.324: "On n’est plus tous seuls ! Dans six mois, un milliard et demi de Chinois abandonnent l’argent et optent pour une civilisation de l’Accès."

Pourquoi pas, en effet. Le système chinois, au moins pour l'économie intérieure, est compatible avec l'idée postmonétaire. La politique chinoise faciliterait même le passage au monde postmonétaire puisque tout se décide au sein du Comité central et que tous les moyens de coercitions sont en place.

Conclusion:

Après ces quelques extraits cités et commentés, il ne reste plus qu'à espérer que le plus grand nombre possible se plongent dans le roman de Sébastien Augé et que beaucoup d'autres Sébastien écrivent d'autres fictions, des BD et des chansons, réalisent des films et des séries.

Si on compare ma propre fiction1 à celle de Sébastien, on trouvera quantité de projections différentes, d'idées parfois opposées, de rêves plus ou moins roses ou noirs et c'est ce qui fera la richesse de ce mouvement d'idées. Merci Sébastien…

 Le livre intégral est téléchargeable gratuitéement sur le site de Sébastien

 

1Le Porte Monnaie, une société sans argent.