L'économie basée sur les ressources, Pierre-Alexandre Ponant

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            Ce textePonant.jpeg présente le point de vue d'un collectif postmonétaire qui est parti sur la question des ressources et de leur gestion comme point central. Comment, sans le système monétaire, les ressources et les besoins peuvent être mis en concordance de façon équitable. Cette approche pratique a l'avantage d'être très concrète et compréhensible par tous, mais l'inconvénient de manquer parfois de bases théoriques et d'occulter quelques aspects particuliers pourtant essentiels. Il est donc à rendre pour ce qu'il est et non comme synthèse globale de ce que recouvre le terme générique de "postmonétaire"…

p.8: Imaginez un monde débarrassé de la pauvreté et des désastres écologiques, un monde d‘abondance dans lequel l‘homme vivrait en harmonie avec la nature tout en jouissant d‘une qualité de vie jamais égalée au cours de l‘histoire l‘humanité.

P.A.Ponant ouvre cette réflexion par la proposition d'une "expérience de pensée". Pour envisager une autre société ayant résolue les impasses que produit le système actuel, il faut commencer par prendre cette proposition comme un postulat, c’est-à-dire comme un fait imaginaire dans le but de voir ce qu'il produit. Et en effet, une fois accepté ce principe, on s'aperçoit vite que les possibilités sont immenses et les solutions évidentes. Hors du principe de base de l'échange marchand et de l'argent, ce monde qui nous dépasse et paraît ingérable s'éclaire et s'ouvre sur quantités de possibles, décolonise nos imaginaires coincés par les dogmes monétaires. C'est ce qui est arrivé aux membres de ce collectif qui annoncent dès l'introduction l'étendu de ces "possibles":

  •  Un nouveau modèle économique complet qui nous sort d‘une économie basée sur le profit, la compétition et la rareté
  •  La réforme complète de la notion de marché économique avec un modèle qui favorise une demande qui viendrait directement du consommateur
  •  Un système de gestion holistique et écologique des ressources qui a pour but d‘optimiser au maximum l'utilisation de nos ressources terrestres en ne dépassant pas leurs capacités de renouvellement et en produisant de manière locale
  • Une économie basée sur l‘accès et l‘abondance dans laquelle notre temps de travail obligatoire serait diminué de 75 % grâce à la gratuité et à l‘automatisation des tâches pénibles
  •  Un modèle industriel écologique, s‘inspirant du biomimétisme, avec de nouveaux standards de durabilité et de recyclabilité permettant de ne pas surexploiter nos ressources naturelles et de vivre en harmonie avec la nature
  •  Un modèle de centres de distribution de biens de consommation que l‘on appellerait « objetothèques » qui fonctionnent selon le principe de bibliothèques de prêts d‘objets
  •  Un nouveau modèle de gouvernance vraiment démocratique qui nous permet de nous affranchir d‘un gouvernement et qui redonne le pouvoir aux citoyens….

            L'auteur, affirme que la politique actuelle n‘est pas à la hauteur de nos connaissances scientifiques et techniques. Et notre modèle économique n‘est pas adapté pour répondre à ces problématiques, et il a raison. En revanche, il paraît tout aussi évident que ce modèle économique induirait la refonte totale de tout ce qui fait société: le droit, la justice, la division du travail, la valeur, l'État, le choix d'un système social pyramidale ou en réseau, la gestion globale des grands sujets tels que l'éducation, la santé, la sécurité, les relations internationales…

            Pour prendre un seul et simple exemple: il est fait souvent allusion à la technologie qui, sans réflexion éthique, axiologique, poétique, pourrait nous conduire aux mêmes impasses systémiques que le capitalisme. C'est ce que souligne très justement l'astrophysicien Aurélien Barrau quand il explique qu'avec un bulldozer entièrement construit avec des matériaux recyclables, mû par une énergie totalement verte et durable et pour produire des biens essentiels de façon sociale et solidaire, on peut éradiquer l'Amazonie! C'est aussi le problème qu'occulte l'excellent technophile Idriss Aberkane avec sa biotechnologie. En copiant les fabuleuses techniques de la moule, du bigorneau, on peut certes fabriquer des fils chirurgicaux et des céramiques de rêve, mais si c'est pour opérer les seuls "ultrariches" ou  fabriquer des "missiles intelligents", est-ce souhaitable? Est-ce parce que l'on peut faire quelque chose qu'il faut à tout prix la faire? Un homme doit-il faire tout ce que ces possibilités lui permettent de faire ou à l'inverse, et comme le disait Albert Camus, "un homme, ça s'empêche…

            Après cette critique sur le fond, il faut reconnaître les vertus de ce long et dense texte de Pierre Alexandre Ponant sur l'EBR. Ce n'est pas parce qu'il est incomplet qu'il faut rejeter ce qu'il a de juste.

            Il en va de même sur le plan économique, même si on prend ce terme en son strict sens étymologique, "la gestion de la maison", aujourd'hui de la "maison terre". Dès la page 15, Ponant affirme que la circulation de l‘argent devrait en réalité être un bien public puisque c‘est l‘État qui garantit cette possibilité grâce à la création de billets de banque. C'est donc l'État qui est garant du bon fonctionnement économique. A ramener l'économie à sa seule fonction de facilitatrice de l'échange, on en arrive à donner sens à la conservation de ce qui nous détruit. Il n'y aura d'écologie et de justice sociale qu'au prix d'une abolition pure et simple du système monétaire, même si ce système est un temps conservé au titre d'une transition. Il faut choisir entre l'accès et le système marchand de façon plus radicale, faute de quoi, la société postmonétaire restera dans la marge de la page capitaliste…

            Pour autant, la démarche de l'EBR reste essentielle, une vraie et grande porte pour enfin se débarrasser du profit, de l'accumulation, du productivisme, de tout ce qui met en péril l'humanité autant que la planète. Sans doute qu'aucun des mouvements postmonétaires ne renversera l'hydre au mille têtes, mais tous réunis, du plus prosaïque au plus poétique, certainement…       

MOCICA, trois étapes pour changer le monde, J.P. Huber

 27p., 2014   PDF, Accès direct ici PDF, Accès direct ici   

 

Site: https://mocica.org/  

 

Mocica.JPGJean-Philippe Huber est ostéopathe à Nancy et fondateur du MOuvement pour une CIvilisation Consciente et Autonome (MOCICA). Le mouvement s'est enrichi d'un Site d'Échange et d'Offre de Services (SEOS).  SEOS et MOCICA ont le même idéal selon lequel seul la solidarité et le partage peuvent rendre la société plus harmonieuse. MOCICA explique très bien la réalité du marché : la monnaie n’est qu’un outil utilisé par le système monétaire, qui est lui-même un système de marché basé sur l’échange.  Leur constat est simple et les études le prouvent : l’argent diminue l’altruisme et le contact social. De plus, il favorise toutes sorte de dérives et de problèmes comme les inégalités sociales, la faim dans le monde ou encore l’inaction climatique. Afin de relever les principaux défis de notre société moderne, MOCICA propose une alternative axée sur le partage, et s’engage à abandonner le rôle de la monnaie sur le marché. Si depuis sa création le mouvement a évolué et continue à s'enrichir de talents et d'idées, ce texte reste fondateur. Il décrit les trois étapes, simples, efficaces et rassurantes,  qui peuvent nous faire basculer du monde capitaliste à une société sans argent, sans échange marchand. 

p.11: 

Étape 1° Le rassemblement qui permet de comprendre le projet, les valeurs morales qu'il induit et permet de se regrouper et de diffuser cette idée. Depuis le tout petit groupe du début, le mouvement s'est ainsi étoffé de plus de 13 700 membres, actifs ou sympathisants, présents sur les cinq continents. "Rester ouvert d'esprit, tolérant, empathique, bienveillant et souriant a un effet contagieux sur ceux qui en bénéficient. Nous devons petit à petit baigner dans cette atmosphère douce et rassurante, c'est la meilleure façon de la répandre." […] La gratuité, le partage, l'altruisme et le service sont bien évidemment applicables dès aujourd'hui. Le visage de notre civilisation s'illumine de jour en jour. Il existe de plus en plus d'associations partout à travers le monde qui mettent en avant l'entraide, la gratuité des biens et de l'alimentaire. N'hésitons pas à les rejoindre et à en créer toujours plus. […]  L'objectif est d'atteindre une majorité suffisante de citoyens à travers le monde et d'assurer par la même occasion tous nos fondamentaux avant de décider le même jour comme un seul homme de ne plus se servir du système monétaire sous toutes ses formes: billets, carte bleue, chéquier, monnaies, virement. Ainsi, le jour J en question viendra de lui-même, au bon moment : celui où nous serons prêts.

 p. 13:

Étape 2° La maîtrise de la situation: il est important, dans un premier temps, que nous continuions notre vie habituelle sans utiliser le système monétaire. Nous serons reconnaissants envers ceux qui ont des métiers éprouvants de persévérer au moins le temps de l'étape 2. Exercez votre profession, que ce soit artisan, agriculteur, cultivateur, gardien de la paix, chauffeur de bus, dentiste, continuez à être boulanger, ouvrier, charpentier, coiffeur, routier, fleuriste, vendeur, pêcheur, électricien, etc. Vivez aussi normalement que possible. Faites vos courses comme vous l'avez toujours fait, ne consommez pas plus, éventuellement moins, toujours en laissant la priorité aux pauvres et précaires actuels…Pour ceux qui devront se reconvertir dans une autre activité, ils deviendront encore plus de mains d'œuvres disponibles…Nous ferons petit à petit des produits meilleurs pour notre quotidien et notre santé, car nul n'aura besoin de diminuer leur qualité pour augmenter les bénéfices…Discutons, proposons des solutions, agissons ensemble et humainement. Chacun devra se prendre en main pour lui et les autres. Faire simplement de son mieux répondra largement aux besoins de l'organisation commune…

p.15: Étape 3°: L'organisation: Tout en s'assurant de garder une base solide dans les pays dévelop: pés afin qu'ils restent rassurants pour eux même et efficaces pour les autres, nous devrons nous tourner le plus rapidement possible vers les pays pauvres ou dits "sous-développés". Nous seuls avons les forces et les capacités techniques pour changer notre monde, pas eux…Rien ne doit être imposé, la base est le volontariat. C'est un des piliers du nouveau paradigme….Qui va gouverner? Personne. Surtout aujourd'hui, ce ne serait ni un avantage ni un besoin. Ne plus avoir de dirigeant est une perspective non seulement concrète mais en plus incontournable. Cela nous assurera la base sociale la plus saine et durable que l'on puisse rêver…Les lois et les décisions doivent être le résultat d'un choix commun, et non d'une seule personne ni même d'une assemblée. Elles peuvent être beaucoup plus simples et réduites que la masse des lois actuelles en se basant uniquement sur des principes évidents, clairs et fondamentaux….L'organisation ne devra plus se faire dans une hiérarchie verticale mais dans une cohésion horizontale de la société. Par quartiers, puis villes, régions et pays pour une distribution intelligemment étudiée des besoins et des ressources…Nous ne pouvions pas imaginer un meilleur réseau de communication que celui dont nous disposons déjà : Internet. Par lui, nous avons la possibilité d'avoir une communication élargie, à plusieurs niveaux…Pour les besoins communs d'une ville ou d'une région (réseau routier, infrastructures, accès aux services, etc.) nous pourrons mettre en place des organismes qui ne répondront pas aux décisions d'un élu mais qui auront pour objectif de recueillir les demandes de tous, puis d'organiser la mise en place des besoins….

Un monde sans argent ne suppose pas l'abolition du système judiciaire et de la police, qui doivent continuer à nous assurer la sécurité et le respect des lois…Nous pensons qu'il serait intéressant de redéfinir tous ensemble des textes de lois modernes, d'une société non-monétaire qui seront par le fait extrêmement réduits et simples en comparaison à la lourdeur et à la complexité de ceux d'aujourd'hui…Sans le système monétaire, et uniquement dans cette condition, nous pourrons définir le cadre adéquat de notre société en nous tenant qu'à une seule et unique finalité : assurer et protéger la liberté maximum de chaque individu…

Distribution des tâches? Pour commencer, les professions de demain ne seront pas tout à fait les mêmes, elles toucheront les secteurs du bâtiments, de la gestion des ressources, de la technologie, de la communication, des infrastructures, de la distribution, de l'enseignement, de la recherche, de l'habillement, de la santé, de l'art et la culture, de la justice et de la sécurité, du divertissement, du loisir, du sport et de l'écologie…Il est important de préciser que chacun sera considéré à niveau égal des autres. Tout le monde ne ferait pas 10 ans d'études pour devenir médecin, mais peu de médecins voudraient s'user physiquement comme un maçon pour une seule année d'apprentissage non plus. Si le maçon peut avoir sa vie sauvée par son médecin, ce dernier à nécessairement besoin de lui pour avoir un logement. Aux yeux d'une société moderne, faire de longues études ne prévaut en rien des faveurs vis à vis de quiconque et inversement…Vouloir maintenir un système qui obligerait des individus à travailler dans des conditions inacceptables pour le confort des autres revient à consentir l'existence de l'esclavage.

Tout a été pensé dans ce programme: la distribution des tâches, l'accès aux biens consommables et aux fournitures, la propriété, les transports et voyages, l'écologie, l'armée, l'éducation, l'art, la santé, les ressources naturelles… Bien sûr, on ne présente pas un projet de société radicalement innovant en 27 pages… Bien sûr, tout n'est pas prévisible et rien n'est figé dans ce programme. Ce sera à chaque citoyen de proposer, en fonction de ses compétences et de son expérience, de nouvelles possibilités d'organisations. Ce n'est d'ailleurs pas un programme au sens où les partis politiques nous ont accoutumés. C'est juste une ouverture de l'esprit pour que chacun réalise que le système monétaire et marchand nous a coincés dans un carcan impossible à dénouer. Il suffit d'accepter que tout dépend du  "contrat social" que l'on se choisi et que chacun a son mot à dire, au moins pour ce qui fait sa vie est dont il est le meilleur expert.

Chaque jour, des postmonétaire qui se sont lancé dans cette aventure, découvrent des entraves qu'il nous faut arracher, des possibilités que seul l'argent empêchait, des capacités individuelles et collectives qui ne demandent qu'à s'épanouir. Le mouvement MOCICA a l'avantage de laisser une place à tous, sans exclusive ni dogme, sinon ceux de l'équité, de la liberté, de l'entraide enfin possible à écrire dans nos vies et non plus au fronton des mairies…        

Mort à la démocratie, Léon de Mattis

 

éd. Altiplano 2023



 Mattis-4.jpegRésumé: L'auteur, candidat d’un grand parti à une élection municipale en 1989, aura tiré de cette expéruience les leçons qui s’imposent : il ne prendra plus jamais part à aucun scrutin, de quelque nature qu’il soit et nous explique pourquoi. "Mort à la démocratie" est un slogan, tagué sur les murs de l’École des hautes études en sciences sociales de Paris (EHESS) durant le mouvement contre le CPE. Il a été pris par la majorité des médias comme la preuve de la folie irresponsable de ceux qui occupaient les lieux. C’était toucher là à un tabou. La démocratie, comme le capitalisme d’ailleurs, est devenue l’horizon indépassable de notre époque. Tout discours qui tendrait à la remettre en cause est disqualifié d’avance : on ne veut tout simplement  plus l’entendre.

La démocratie, pourtant, a surtout fait jusqu’à présent la preuve de son échec. Le monde qu’elle domine est toujours un monde de soumission, de privations et de pauvreté. Le droit de vote est censé assumer à lui seul l’expression de la volonté populaire : mais croit-on encore que quoi que ce soit puisse changer grâce à des élections ?

       Léon de Mattis était à en avril mai 1988 engagé dans un  parti de gauche (le PS), et tout jeune militant, colleur d'affiche émérite pour le candidat Mitterrand, puis en 1989 comme candidat sur une liste communale de la région parisienne. Il fut à ce point déçu par le mode de fonctionnement du Parti, de sa cellule locale, du système électoral lui-même, qu'il vira  qu'il vira anarchiste: "Élection, piège à con !..." Toutes les critiques qu'il fait sur le système des partis rappelle étrangement le texte de la philosophe Simone Weil dans les "Écrits de Londres" en 1941 et intitulé "Note sur la suppression générale des partis politiques" (voir le compte rendu de lecture dans la bibliothèque, section Conseil de lecture). 

        A cette époque, Léon de Mattis n'arrive pas "à imaginer une autre solution que la conquête du pouvoir par les voies démocratiques". Rien que la formulation de cette phrase donne une bonne idée du poids de la culture politique du vieux monde: "Conquête du pouvoir" alors que le problème c'est en partie le pouvoir, "voies démocratiques" dans une pseudo démocratie faite pour que "la France ne soit pas démocratique, ce qu'elle ne saurait être"  (Constituante du 7 septembre 1789)

La vie du Parti est occupée par la lutte interne entre les rocardiens et les fabusiens… Pour monter dans la hiérarchie du parti, il faut se positionner pour l'un ou l'autre camp…. Visiblement dans la description que fait Léon, le centre d'intérêt principal du Parti, c'est de répondre aux enjeux du moment, pas de s'interroger sur les lendemains (le court terme privilégié par rapport au long terme…). De fait, il n'est pas question de parler de la chute du capitalisme mais de prendre le pouvoir. L'anticapitalisme n'est plus "un opérateur politique efficace comme il l'était il y a 15 ans" 

Léon pose un constat sans appel: "Depuis Condorcet (1743-1794) on sait que la méthode de vote ne rend pas compte de la réalité de l'électorat, on a des solutions alternatives, mais rien ne change. Pourquoi, sinon par peur que le peuple impose ses vues et influe sur la politique…"

Conclusion de Léon: Pourquoi perdre son temps à suivre des débats insipides  et à écouter des discours creux, pourquoi se presser un dimanche pluvieux, si c'est pour savoir que son misérable bulletin ne change rien, si quel que soit le candidat élu il appliquera la même politique?...Pourquoi les non inscrits ne sont-ils jamais comptabilisés dans les statistiques, même pas dans les votes blancs ou nuls?.... Pourquoi les non-votants ne pèsent-ils pas dans les pourcentages des candidats?... Avec le même nombre de voix, le pourcentage peut passer de 52% à 26%, et le taux d'abstention passer de 50% à 31,25%, (calcul fait sur plusieurs élections). Pourtant l'élection donne une totale légitimité à l'élu, ce qui est un comble d'hypocrisie…

L'idée même de "représentation" est une escroquerie faramineuse. .. Si quelqu'un parle à ma place, c'est qu'il m'a confisqué la parole… Personne n'a la légitimité de parler quand les autres n'ont que le droit de se taire.

L'idéologie de la représentation vient tout droit de l'ancien régime (idéologie récupérée à la révolution par la bourgeoisie jaloux du pouvoir des nobles…) Le représentant ne représente personne, il se substitue à tous….Même les syndicalistes ne peuvent représenter le salariat. 

Le récit de ce parcours militant est intéressant à lire, ne serait-ce que pour ne pas refaire les erreurs du passé. La tentation de la "transition", qui au départ peut sembler stratégiquement inévitable, peut aboutir au renforcement de cela même que l'on veut combattre. L'exemple que nous donne Léon au sujet des syndicats est intéressant. A son époque, le PC était le deuxième parti de France et la CGT était assez puissante pour imposer ses vies au patronat. Les syndicats ont été à ce point sûr d'eux qu'ils sont devenus des "partenaires sociaux" sans que les ouvriers et employés en soient choqués… Les syndicats interviennent non pas dans la lutte mais quand elle s'est essoufflée et que les ouvriers ont cessé la lutte, pour les négociations finales, au nom de leur représentativité… Ce qui fait dire à Léon: dans les luttes sociales, chaque victoire est une défaite, et chaque défaite est une défaite encore plus grande. Le mouvement syndicaliste aujourd'hui est loin de sa puissance des années 1970. La puissance d'un mouvement tient à sa capacité à remettre en cause les cadres étroits de la domination ordinaire.

Il faut donc espérer que le mouvement postmonétaire, par soucis de réalisme politique ou de "pédagogie révolutionnaire" ne suive pas ce même chemin et ne devienne pas le partenaire idéal de la "démocratie représentative", idiot utile du capitalisme. Entrer dans le cadre idéologique et administratif d'un gouvernement pour prendre le pouvoir de révolutionner le système peut en effet permettre une transition (amener le peuple à reprendre son pouvoir de décision) ou à l'inverse perdre le mouvement dans la confusion des genres. La CGT actuelle est si proche du Medef qu'elle perd peu à peu tous ses militants, comme le PS de Mitterrand a été si proche des thèses libérales qu'on peut se demander si le PS est encore de gauche aujourd'hui. Il serait dommage que le mouvement Postmonétaire finisse par défendre un capitalisme modéré pour les mêmes raisons…

Léon de Mattis au sujet de la démocratie en vient formuler des questions intéressantes par leur côté provocateur:       

«La démocratie directe est une fausse bonne idée. Elle partage avec sa grande sœur la démocratie tout court le fétichisme de sa forme. […] défendre la démocratie directe, c'est croire que notre véritable nature serait enfin révélée si d'aventure on se libérait des contraintes que le système fait peser sur nous.» […]  «La démocratie doit être considérée comme ce qui fige les choses en l'état et non comme ce qui permet de les modifier.» (p.74) 

On peut penser en premier que Léon est antidémocratique. Si la démocratie "fige les choses" et "ne permet pas de modifier quoi que ce soit", c'est effectivement un système à fuir.

Léon ajoute: Le pire est dans le fait que tout le monde se rend bien compte que tout ceci est vain. Au lendemain des élections, rien n'a changé. Les exploités restent exploités et les riches restent riches. Aucun gouvernement n'a jamais pu rien changer tout simplement parce que n'est pas le pouvoir qui possède la possibilité de dissoudre l'être même du pouvoir. Et aucune analyse sincère ne peut nier ce fait. Ici ou là, une époque où l'autre on a connu des gouvernements de droite ou de gauche, autoritaires, dictatoriaux ou fasciste, qui sont renversés, qui finissent par imposer une forme de démocratie. Léon nous donne l'explication la page suivante.  

p.81: "Les tares de la démocratie ne tiendraient pas à elle-même mais à son inachèvement perpétuel. C'est en ce sens le contraire de la dictature qui se prétend parfaite…" La démocratie qui se trouve figée dans un système politique, technocratique ou de planification, surtout s'il ce système est centralisé et pyramidale, n'est démocratique qu'en façade. Dans la pratique elle est dictatoriale au sens latin du terme. Le Dictateur romain prenait le pouvoir pour sauver le peuple et la République, une sorte de Robespierre, mais pour six mois et sur un mandat populaire révocable. Or, les hommes politiques peuvent être "providentiels" un temps, à ce titre être "dictateur",  mais dans la durée, ils deviennent des tyrans. La démocratie pour s'exercer sur un long terme ne doit en rien être figée, quand bien même elle serait garantie par une Constitution, un pacte social, des contre-pouvoirs. Léon n'est pas antidémocrate, il est prudent! NDLR: Ne pas confondre les termes: Le tyran est bon ou mauvais, mais dans tous les cas est porté au pouvoir par le peule. Le dictateur, c'est celui qui est désigné par le peuple pour prendre les décisions à sa place (en somme un fonctionnaire et il est des bons et des mauvais). Le despote n'est pas élu par le peuple mais a hérité du pouvoir ou l'a pris par la force. Il est donc par nature illégitime dans une démocratie. Bien qu'il y ait dans la "démocratie européenne" des gens non élus mais dotés de pouvoir (la BCE, la Commission européenne par exemple)… Si on tient compte de tout cela, on ne peut qu'être contre un État dont le président aurait d'immenses pouvoirs durant cinq années, sans révocation possible. S'il faut un État, il doit être révocable à tout moment et instituer des contrôles tels que tout pouvoir exécutif  ne puisse devenir tyrannique, dictatorial ou despotique…   

Léon de Mattis rappelle qu'une idée fort commode pour le pouvoir a été martelée tant de fois qu'elle est devenue une évidence: L'homme est un loup pour l'homme. Il doit donc être domestiqué pour vivre en société. L'État, comme concentré de puissance sociale est l'instrument de cette domestication. Le pouvoir de l'État, aussi terrible soit-il, ne sera jamais aussi néfaste que l'homme sans État.Pour la plupart, que le pouvoir soit absolu, oligarchique ou démocratique, peu importe pourvu qu'il soit. L'homme ne sera jamais plus libre que dans la soumission volontaire à la loi qu'il s'est choisie…C'est le premier temps du chantage!

Après l'État, Mattis s'en prend à l'idée de nature humaine (p.85) "L'état de nature", purement individuel, sans rapports sociaux  est un non-sens. L'hominidé a été social avant d'être homme. Pourtant, un État n'a jamais été une nécessité pour assurer l'existence d'une vie sociale. […] Le propre du pacte social, c'est que personne ne l'a jamais signé, donc personne n'a consenti librement, n'a même jamais été libre de ne pas y consentir. L'État, ne se justifie pas autrement que par son existence !!!   

Dans ce chapitre, de Mattis revient sur l'État dont il dit qu'ils ont tous une histoire de violence, de meurtres et d'oppression. Ils servent essentiellement à réaffirmer l'exclusivité de leur toute puissance. Ce n'est pas un Gilet jaune amputé d'un œil ou d'une main qui nous contredira….L'imaginaire contestataire de 1968 pensait alors pouvoir rire des attributs ridicules du pouvoir, jugés si obsolètes qu'ils en seraient devenus inopérants. Le socialisme des années 80 aura ramené tout le monde à la raison. On n'abat pas une machine de domination si vieille d'autant de siècles en croyant qu'il suffit de l'ignorer;  [… ] Le droit n'est en rien lié à la démocratie. Les États non démocratiques sont aussi des États de droit.  Il y a eu un droit nazi, un droit communiste, un droit libéral, un droit dictatorial […] Parler de "droit naturel" est à peu près aussi dénué de sens que de parler que de parler d'un "centre des impôts naturel" ou d'un "Palais de justice naturelle"! 

p.94: Le droit ne s'identifie pas à la règle. Bien des sociétés ont fonctionné sans droit au sens moderne parce qu'elles étaient sans État, ce qui ne signifie pas qu'elles étaient sans règles, sans consensus social. 

Sujet de réflexion intéressant si l'on veut imaginer une société postmonétaire. Le Droit nous dit que si j'exerce une violence sur  un voisin j'ai droit à un séjour en prison. La règle me dit: un homme ça s'empêche de nuire à son voisin. 

La légitimité fait à la subjectivité une part bien plus étendue que la légalité. La légalité s'attache au respect de la loi, la légitimité s'attache au sentiment que l'on a sur la situation. C'est pour cela que dans la plupart des sociétés actuelle, désobéir à un ordre inique est un droit (parfois même un devoir) sauf dans les armées de ces sociétés! C'est le principe même de la Loi qui pose problème: Une loi ne peut être illégale. Elle ne viole pas le droit d'une autre loi, elle la réforme ou la remplace. Une loi n'est donc jamais que la mise en forme du primat de la force dans les relations sociales…p.97: 

C'est par une confusion dans les termes que l'État fait croire qu'il pourrait y avoir un service public qui ne serait pas soumis à la pure logique marchande. L'opposition couramment faite entre service public et privé oblitère totalement le rôle réel de l'État dans la perpétuation de la domination et de l'exploitation capitaliste. C'est l'erreur si bien partagée à gauche quand on  réclame la tutelle protectrice de l'État contre les puissances de l'argent. 

On peut remercier Léon de Mattis de soulever ce lièvre: notre société est exclusivement (ou presque) divisée entre ceux qui sont pour l'État et le délaissement du service public et ceux qui sont pour L'État et le service public subventionné. On voit même d'authentiques militants qui se réclament de l'abolition de l'argent…, sauf pour le service public! 

p.102:C'est pour cela que le "mandat impératif", c’est-à-dire l'obligation légale pour un élu de s'en tenir à un programme défini préalablement, ou l'idée de soumettre l'action des politiques à l'appréciation de "jurys de citoyens sont très vite soulignées par les "constitutionnalistes classiques" qui craignent ce qu'ils qualifient de "dictature de l'opinion" ; et c'est ainsi qu'aujourd'hui encore "l'excès" de la démocratie est toujours appelé "dictature". […] La démocratie s'est imposée de manière évidente comme le moyen le plus puissant et le plus sûr pour asseoir de manière durable l'écrasante oppression de l'État.

Dit ainsi, il paraît évident que l'on peut être anarchiste en défendant mordicus l'argent ou être postmonétaire en défendant mordicus l'État. Pour les uns comme les autres, c'est regrettable, mais il faudra encore un moment indéterminé, avant que les tous les anarchistes deviennent amonétaires et les amonétaires antiétatiques… Le débat n'est pas clos camarade Léon!...

p.106: Les États ne s'opposent pas les uns les autres parce qu'ils seraient pour ou contre le capitalisme ou parce qu'ils défendraient la démocratie contre la dictature. Ils s'opposent pour des raisons de puissance qui dépendrait de la force de leur capitalisme national…

Nous en sommes bien à une internationalisation du capitalisme, avec le risque que le gigantisme monopolistique du système monétaire et marchand entraîne l'intégralité du système vers sa chute. L'Empire romain s'est effondré essentiellement en raison de son gigantisme: du Maroc à l'Égypte actuelle, de l'Angleterre à l'Espagne, de la Bretagne à la mer Caspienne. Un territoire ingérable par rapport aux moyens de communication, de contrôle, de puissance militaire. La moindre information devait mettre des mois pour arriver à Rome ou rejoindre les confins de l'Empire…. Le capitalisme mondial regroupant dans un même système uniformisé des problématiques aussi diverses est tout autant fragile, quoi qu'en disent les fidèles de Davos!... 

Chapitre 7, Léon évoque la police avec un regard intéressant: Quand les forces de police (les ex gardiens de la paix) sont positionnés dans un quartier populaire et ont pour ordre d'arrêter des sans-papiers, elle ne peut que faire des contrôles au faciès. Que le policier soit ou non raciste ne changera rien à l'affaire. Ce sont les consignes qui lui sont données qui de toute façon le conduirons à l'être, et pourtant, ce sont des consignes respectueuses du droit démocratique! 

C'est d'autant plus évident que les décideurs qui vont penser ces consignes sont très loin mentalement des quartiers sensibles et de leurs populations. Ils ne sont ni du même milieu, ni de la même culture, ni du même niveau social. Encore une fois de plus, les décisions politiques sont "hors sol", totalement inadaptées et incompréhensibles pour les gens qui les subissent. Faire pire serait difficile et pourtant on nous dit qu'une société postmonétaire est totalement impossible à réaliser concrètement… 

Chapitre 8, Léon s'interroge sur le vote qui est d'une injustice flagrante: A l'image d'Athènes, toute démocratie est, a toujours été et sera toujours une oligarchie. La seule chose qui change c'est la proportion entre citoyens et non citoyens. Mais cela n'empêche pas l'État de réclamer de ces non-citoyens une adhésion à la République, laquelle appartiendrait "à tous"… Pour l'étranger comme pour  nous, c'est la république qui est étrangère! Cela s'adresse aussi à l'école de la République, à la bibliothèque, au terrain de sport communal. Démolir les infrastructures de cette république qui dénie à certains résidents de longue date d'être citoyen paraît cohérent bien que pénible pour les usagers citoyens…

p.122: La démocratie n'accepte donc pas d'autre critique que celle qui vient de l'intérieur de la démocratie. Elle de ce fait devenue incritiquable et que le simple fait de se déclarer contre elle suffit à invalider définitivement le discours de celui qui le tient. […] Un mode libéré de l'argent et de l'État, un monde sans exploitation et sans domination ne serait en rien une "démocratie". Le mode d'organisation de la communauté, le rapport entre le collectif et l'individu sont encore à créer : ils ne peuvent être déterminés à l'avance.

Je suis presque d'accord avec Léon de Mattis. La démocratie, étant une démarche visant à offrir à tous et en parts égales, la liberté, l'égalité (l'équité serait encore mieux) et la fraternité, couvre parfaitement l'étymologie du terme le pouvoir (cratos) du peuple (démos). Qu'il ait été mal conçu au départ puis dévoyé pour que "la France ne soit pas en démocratie, ce qu'elle ne saurait être" vient de la révolution de 1789 qui était bourgeoise: une bourgeoise se méfiant du peuple qui risquait de prendre le pouvoir aux successeurs de la noblesse. Bacchus Babeuf avait raison quand il critiquait cette révolution qui disait-il allait transformer le peuple en populace…En revanche, que cette nouvelle démocratie soit à réinventer intégralement, en comblant les manques des Athéniens et en éradiquant les perversions bourgeoise du 18° siècle, c'est plus qu'évident. S'il fallait tout changer dans la démocratie à commencé par son nom, il faudrait de toute façon inventer un autre mot. Une chose qui n'a pas de mot n'existe pas et ne peut se développer. Or, je n'ai pas connaissance d'une racine plus significative que le cratos du démos, qu'on le dise en français en grec ancien ou en javanais…Pour l'État, c'est plus évident qu'il faille œuvrer à sa chute. L'État, c'est la reproduction de la royauté à peine habillée de neuf. Il était donc inévitable que les Présidents ou Premiers ministres finissent par se prendre pour Jupiter, pour des Rois absolus avec comme mission de canaliser la populace… Avec les Macron, Von der Leyen, Trumps, Poutine, Kim Jong-un, Javier Milei et autres despotes, il serait temps de passer à l'acte avant d'être coincé dans une dystopie orwellienne !         

Utopie 2021, Léon de Mattis

Éd. Acratie, 2021, 139p.

 

UtopieC:\Users\33609\Contacts\Documents\Classement Postmonétaire\Biblio\CR Finalisés\Site\Livres.images\Mattis.1.JPG 2021 a pour ambition de répondre à une question : est-il encore possible d’imaginer, de nos jours, un monde totalement différent du monde actuel ? Un monde qui ne soit pas dominé par le capitalisme, et dans lequel il n’y ait ni propriété, ni argent, ni classes sociales ?

Le retour en force de la critique des excès du capitalisme depuis la grande crise de 2007-2008 s’est en effet accompagné d’un curieux phénomène : l’incapacité à aller au bout de cette critique.

Les utopistes contemporains, ceux qui veulent changer le monde, imaginent toutes sortes d’alternatives : des monnaies alternatives, une propriété alternative (« les communs »), des formes d’organisations politiques alternatives (plus démocratiques), des moyens de production alternatifs. Mais très peu, voire aucun, ne semble capable d’imaginer une société où il n’y ait plus d’État, plus d’argent et plus d’échange marchand du tout.

Utopie 2021 prend le contrepied de la tendance actuelle. Son objectif est de montrer qu’il est possible d’imaginer une société sans domination et sans exploitation, de se figurer la création d’un tel monde dans un moment révolutionnaire et de concevoir, à partir des luttes actuelles, le surgissement d’une telle révolution.

L’utopie, on le sait depuis Thomas More, ne nous parle ni de l’ailleurs ni du futur : l’utopie, ou l’uchronie, ne sont situées hors de l’espace et du temps actuels que pour mieux décaler le regard. La réflexion utopique menée par Utopie 2021 ne cherche donc pas tant à penser à quoi pourrait ressembler un monde différent qu’à imaginer par quelles voies il serait possible de l’atteindre : comment et pourquoi les luttes pourraient se transformer en autre chose que ce qu’elles sont maintenant. C’est ici que l’utopie rejoint la critique sociale dont elle n’est, somme toute, que le versant positif. L’utopie sert d’abord à critiquer la société de son temps, et c’est pourquoi elle a toujours une date. C’est ce qui explique le titre du livre : Utopie 2021.

Imaginer la création d’un monde différent ne signifie pas croire en son surgissement réel. Une nouvelle organisation sociale, de toute façon, ne pourra jamais naitre de cette manière. Un rapport social ne sort pas du cerveau d’un seul individu, quel qu’il soit, mais est toujours le résultat de l’activité d’un nombre incalculable de personnes.

L’utopie, bien qu’elle soit imaginaire, n’est pas non plus le fait d’un seul. Les manques et les défauts que chaque lecteur ne manquera pas de relever dans cette utopie seront des défauts pour ce lecteur, mais l’ensemble du projet lui permet de comprendre que c’est à lui de recomposer cette utopie pour y ajouter ce qui manque ou corriger ce qui, selon lui, ne va pas.

Un livre qui parle de la révolution est nécessairement un « livre-dont-vous-êtes-le-héros ». L’ambition d’Utopie 2021 n’est pas de décrire un futur radieux, mais de proposer une réflexion collective sur les formes que peuvent prendre la critique en actes de la société actuelle.

Plan: Utopie 2021 est composé de trois parties précédées d’une introduction. Les parties sont intitulées : « communisme », « production du communisme » et « critique en actes du capital ». Cependant, le terme « communisme » pourraient être remplacé par « anarchisme » dans tout le livre sans que le sens n’en soit le moins du monde changé, et ces trois parties pourraient donc aussi bien s’intituler « anarchisme », « production de l’anarchie » et « critique en actes du capital ».

La première partie présente, en des termes généraux, l’idée que l’on pourrait se faire de l’organisation d’un monde différent. La seconde partie est un aperçu de la manière dont la révolution peut s’envisager à l’heure actuelle. La troisième partie, enfin, analyse les luttes contemporaines en cherchant comment elles pourraient conduire à la révolution. Au premier abord, on pourrait penser que la première partie nous parle d’après-demain (le communisme ou l’anarchisme achevé), la deuxième partie de demain (la révolution) et la troisième partie d’aujourd’hui (les luttes actuelles). En réalité, chacune de ces parties, conformément à la manière dont est définie l’utopie dans cet ouvrage, ne nous parle que du présent.

Le texte de Léon de Mattis est très proche de ce que les membres de notre groupe ONG-CSA ont pu produire depuis quelques années. La concordance des points de vue est évidente au-delà que quelques divergences propre à la culture, à la généalogie, à personnalité des uns et des autres. Une telle convergence montre qu'il y a dans ces élaborations intellectuelles une logique, une cohérence dans "l'air du temps". Ce qui paraissait fou, totalement irréalisable il y a quelques années seulement, devient une évidence: nous n'échapperons pas à l'abolition de l'argent, de l'échange marchand, avec toutes les conséquences qui en font une proposition de "révolution copernicienne". 

Cette lente mutation est en train de nous faire passer de la "période moderne" initiée par le siècle des Lumières à une période postmoderne. La nouvelle parenthèse qui ouvre cette période sera peut-être postmonétaire, mais si nous ne pouvons encore  l'affirmer avec certitude, à l'évidence les contradictions internes et structurelles de la société marchande capitaliste ne pourra très longtemps faire illusion.  Comme ce fut le cas dans tous les changements de civilisation, il y aura une transition, la parenthèse fermant le vieux monde chevauchera le nouveau, celle qui s'ouvre sur le nouveau monde devra supporter un temps quelques résidus du vieux monde. Nous sommes certainement au milieu de cette phase de transition, même si pour l'instant, elle n'est pas visible pour tous, appréhendable par le plus grand nombre. 

Les signes qui annoncent l'entrée dans la période postmoderne sont pourtant nombreux. Il s'agit de signes inédits qui émergent sans annonce, comme des cygnes noirs: les "bifurcations" de jeunes hautement qualifiés qui abandonnent des études brillantes ou quittent des emplois rémunérateurs et à forte valorisation sociale pour devenir maraîchers bio, bergers ou coopérateur d'un fablab en sont un exemple. Les magasins gratuits, les entrepôts de mise en commun de l'outillage, les mutualisations de transports ou d'habitat, les échanges de services libérés de toute comptabilité sont autant d'autres cygnes noirs. 

[Le cygne noir est un concept développé par le statisticien libano-américain Nassim Taleb. Un cygne noir est un événement qui a la très faible probabilité d'advenir, un événement rare et inattendu qui émerge, qui parait insignifiant mais qui produit ensuite des conséquences d'une portée considérable. La jeune génération, née avec les outils informatique mais privée d'avenir qui chante, ne cesse de mettre au jour des cygnes noirs, discrets, polymorphes mais bien réels et opérants. Je pense en particulier à la tendance à sortir de la logique rationnelle pour s'attacher au subjectif, la tendance à fuir toute hiérarchie pyramidale institutionnalisée pour lui préférer le clan, l'équipe, la réseau à privilégier le présent au futur, etc. C'est une autre mentalité générique, une façon d'être et de penser radicalement différente des procès de la génération de leurs parents. C'est un phénomène que les élites du vieux rechignent à analyser et même à prendre en compte. Nombre d'enseignants nés après 1980 constatent ce décalage avec leurs élèves et tentent non sans difficultés à s'adapter. Cela commence par des détails: quel enseignant oserait dire à un enfant qu'il doit travailler pour obtenir plus tard un emploi quand une bonne part des parents ont été de studieux élèves et se retrouvent au chômage ou dans des bullshits-jobs?... Guettez les cygnes noirs, c'est un bon moyen de devenir postmonétaire! ]