Günther Anders - Le temps de la fin
éd.L'Herne, 2007, 118p.
(Podcast 25:26) Voir
(Catégorie Le pas suspendu de la cigogne)
Günther Anders (1902-1992) est un philosophe et un journaliste autrichien. Fils d’un couple de psychologues, il est le premier mari d’Hannah Arendt et le cousin du philosophe Walter Benjamin. Après avoir obtenu un doctorat en philosophie sous la direction de Husserl en 1924, il étudie quelques années avec Heidegger. Après son divorce avec Hannah Arendt en 1937, il fuit l’Allemagne nazie et part s’installer aux États-Unis. Il y exerce divers petits boulots et rentre en Europe en 1950 et s’installe définitivement à Vienne.Édité pour la première fois en 1960,nous parle du sentiment de fin de cycle qui effleurait la société de son temps. 64 ans plus tard, cet essai est d'une actualité brulante…
Günther Anders met en lumière les risques qui sont nés avec l’âge atomique, mais, surtout, s’efforce de démontrer comment son avènement a profondément modifié l’humanité. Ce changement brutal commence avec Hiroshima, événement qui remet en cause la foi dans la technologie et du progrès continu. Il nous parle "d'une modification métaphysique: du genre mortels, nous sommes passés à celui de genre mortel…" qu'il juge aussi important que l'écroulement de la croyance géocentrique. Ce qui nous arrive est en ce sens une révolution "copernicienne", qu'on le veuille ou pas, qu'on le craigne ou l'espère. Il qualifie sa génération de "première génération des derniers hommes". L'éventualité d'un suicide de l'humanité n'est plus de la science-fiction…
Plus exactement, Anders pense qu'il y a "d'un côté le nombre infinitésimalement petit d’hommes qui peuvent décider de la production et de l’éventuel emploi des outils technologiques et de l’autre, les millions d’habitants du globe non impliqués, impuissants et non informés qui en seront victimes…Les médias aujourd'hui ont concentré notre attention sur le climat (sans doute parce que c'est la part environnementale qu'il est le plus facile de réguler techniquement), comme jadis ils l'avaient concentrée sur l'arme nucléaire. Mais Günther Anders ne pouvait le prévoir. Reste son analyse des comportements face aux risques qui nous intéressent au plus haut point.
"La technologie nucléaire et, plus largement la technique, ont créé une distance entre les hommes et leurs actes. Le geste technique – appuyer sur un bouton par exemple – permet à l’agent de ne jamais réfléchir au sens de ses forfaits. Le mal ainsi fait prend la forme d’un travail, travail que la technique rend de plus en plus facile."
En effet, la guerre se fait de plus en plus à distance avec des drones, des armes télécommandées. Les idées se développent via l'IA. L'anonymat et les avatars permettent de tout dire sur les réseaux sociaux sans risque ni responsabilité. La finance se fait à la nano seconde et n'est plus contrôlable (Darknet et shadow banking)… Le "mal" dont parlait Anders devient puissant, inabordable au commun des mortel, totalement déresponsabiliser. Y aurait-il un autre moyen de reprendre en main ce qui nous a échappé sinon en abolissant l'argent?... Un autre moyen de quitter l'idéal technique pour retrouver l'idéal politique?...Pour sortir du piège sans apocalypse?...
Gûnther Anders nous prévient qu'il n'y a plus de distinction entre coupables et de victimes, sinon quantitativement et que la conscience du danger conduit à l'ignorer justement parce que ce danger est trop grand. Il dépasse tant nos capacité cognitives qu'il prend la forme d'une "indifférence à l'apocalypse. " Alors que la technique a créé une distance entre les hommes et leurs actes, nous nous retrouvons déchargés de la responsabilité de nos actes et des remords que ceux-ci peuvent occasionner." […] "la tendance qu’expriment les machines actuelles […] vise à obtenir un maximum d’effet et de puissance avec un minimum de force humaine."
A juste titre l'auteur met le doigt sur un changement de perception de l'apocalypse: la croyance dans le progrès "qui est devenue pour nous une seconde nature, nous apprend à attendre un futur infailliblement meilleur que le présent. D’une certaine manière, cette situation est déjà le meilleur des mondes, puisqu’on ne peut rien imaginer de meilleur que le fait de devenir toujours meilleur ».
Même les révolutionnaires n'extirpent pas l'idée d'un "royaume" dans leurs analyses! Et pourtant nous sommes bel et bien entrés dans un temps d'apocalypse sans royaume! Quand un scientifique nous prédit tel événement bon ou mauvais pour 2030, 2050, voire 2100, il ne fait que démontrer l'analyse de Anders!!! C'est oublier, comme le souligne Anders que…
Le "temps de la fin", peu importe combien de temps il durera, il sera toujours celui "de la fin".