Changer de boussole, Olivier de Schutter
Editions LLL, mai 2022, 229 pages
Quatrième de couverture: En tant que moyen de lutter contre la pauvreté et les inégalités, la croissance économique a franchi le pic de son utilité: dans les pays riches, elle est devenue contre-productive. La croissance nous a conduits à franchir une série de limites planétaires: la terre ne peut plus continuer à fournir des ressources à ce rythme, ni a absorber les déchets et la pollution causés par notre culture du jetable. Au nom de la croissance, on a flexibilisé le marché du travail, et fait émerger un précariat mondial. On a abaissé les obstacles aux échanges commerciaux et à l'investissement, ce qui a fragilisé les travailleurs et travailleuses les moins qualifiés et affaibli le pouvoir de négociation des syndicats. On a encouragé la marchandisation de pans entiers de l'existence, au risque d'augmenter encore la mise à l'écart de celles et ceux qui ont le moins.
Depuis quarante ans, la quête de croissance a ainsi créé de l'exclusion, et elle a entraîné une augmentation massive des inégalités. Il nous faut imaginer la prospérité sans croissance. C'est à cette condition qu'on pourra réconcilier la population, y compris les plus précarisés, avec la transformation écologique: faire en sorte que celle-ci soit vue comme une opportunité plutôt que comme un fardeau.
Olivier de Schutter, né en 1968, juriste belge (université de Louvain), rapporteur pour le droit à l'alimentation à l'ONU, puis pour le développement durable à l'ONU. Prix Francqui en 2013 pour sa contribution à la théorie de la gouvernance…
p.8: Quelques dates: En mai 1944 l'OIT (Organisation Internationale du Travail) déclare que "le travail n'est pas une marchandise" et qu'une paix durable ne peut être établie que sur la base de la justice sociale." 1972, rapport Meadows Limits to Growth, fait électrochoc. Le 4 mai le vice président de la Commission Européenne Sicco Mansholt adjure la CE de réorienter radicalement la politique européenne et d'opérer une bifurcation majeure. La quasi-totalité de la classe politique française de la droite au PC l'écrase sous les critiques. Une occasion ratée qui a permis à l'anthropocène de faire son entrée… Au lieu de limiter la croissance du Nord et de fournir une aide massive au Sud pour qu'ils ne refassent pas les même erreurs que nous, un autre consensus va s'imposer, celui du néolibéralisme à partir de 1980.
p.13: De 1980 à 90, sous couvert de mondialisation heureuse, les pays occidentaux délocalisent leurs industries et laissent se déployer un capitalisme débridé et se constituer des fortunes colossales. A la fin des années 1990, la critique de la croissance retrouve quelques timides couleurs et on commence à parler d'IDH (indice de développement humain).
p.15: Construire un indicateur autre que le PIB, c'est choisir une autre vision du monde, un choix terriblement politique. Et la bataille n'est toujours pas terminée 30 ans après. On peut même se demander si la bataille a commencé...
p.16: 2010, Jean Gadrey publie "Adieu la croissance" ; 2011, Isabelle Cassiers publie "Redéfinir la prospérité" ; 2018, avec Florence Janny-Catrice, nous publions "Faut-il attendre la croissance?", puis en 2021, "Sortir de la croissance" avec Eloi Laurent... Apparemment, les postmonétaires ont été plus prolixes à défaut d'être efficaces...
p. 19: Nous ne parviendrons pas à mettre en œuvre la "permanence de conditions de vie authentiquement humaine sur terre" (Hans Jonas) sans changer radicalement de système, de valeurs, de cadre cognitif, de cosmologie… Rompre avec le paradigme de conquête et de domination de la nature par les humains pour y substituer un rapport de respect et de soin. Il serait temps de prendre pour modèle et guide, François d'Assises…
Un peu vieillot comme étendard…, et en plus feurant bon la mythologie... Attendons la suite!
p.23: La croissance n'a pas seulement épuisé les écosystèmes. Elle a érodé le capital naturel dont nous disposons, mais aussi le capital social et humain. Elle a épuisé les organismes des hommes et des femmes qui travaillent. On a flexibilisé le marché du travail, multiplié les sous-statuts et créé un précariat soumis à des horaires imprévisibles pour des salaires indignes. Les syndicats ont beaucoup perdu en pouvoir de négociation. Depuis 30 ans, l'exclusion et l'inégalité explosent. Ce livre tente de proposer une croissance des pays pauvres et pour les pays riches une économie réellement inclusive.
Personne ne veux la croissance des pays pauvres..., en dehors des pauvres. Ce serait se créer de nouveaux concurrents au moment ou nous perdons pied dans la compétition mondiale.
p.27: …une fiscalité mieux redistributiste, une garantie d'emploi, investir dans les transports en commun, l'isolation des bâtiments, imposer l'agro écologie, rendre l'accès aux biens et services abordable… Tout le monde signera pour un tel programme, mais sans y croire plus que ceux qui l'auront proposé. Le coup de "Mon ennemi c'est la finance" de François Hollande a laissé des traces!...
p.29: une société démocratisée plutôt que prise en otage par les grands acteurs économique. En janvier 2015, ayant dissous l'Assemblée, perdu deux gouvernements, sous la menace d'une motion de censure voire, d'une révocation, Emmanuel Macron n'est pas loin de dissoudre le peuple, lequel continue à bosser au lieu d'opter pour une grève générale... Dans ce contexte, les propos de de Schutter sonnent bizarement!
La pauvreté moderne:
p.37-62: Je vise à illustrer les limites de l'approche conventionnelle de l'éradication de la pauvreté qui considère la création de richesse comme une condition préalable à toute possibilité de redistribution. Dans ce long chapitre, de Schutter tente de définir ce qu'est la pauvreté…. Comme dirait Macron, "il suffisait de traverser la rue" pour rencontrer un pauvre et lui demander comment on peut être pauvre!....
p.63: La doxa, c'est que seule l'augmentation de la croissance peut réduire la pauvreté (discours de droite). Elle s'oppose à la gauche qui plaide pour des solutions axées sur le renforcement de la demande. A droite, l'assainissement budgétaire profite aux pauvres, à gauche l'austérité tue la croissance et nuit aux plus pauvres. La logique serait alors de récuser la droite (bonnet blanc), la gauche (bonnet rouge) et les décroissants (bonnet vert)...
p.67: Ce que l'on constate pourtant, c'est que la croissance sert principalement à enrichir les plus riches et rend comparativement les pauvres plus pauvres. De quoi se plaignent les pauvres? Après tout, leur misère n'est que comparative! Il y a la réalité et le ressenti !!! L'auteur confirme en expliquant que la misère devient plus voyante et moins supportable…
Arrivés à ce stade de la réflexion, il est clair que la prise en compte de la "pauvreté ressentie" ne fait que brouiller la compréhension du problème et occulter les solutions évidentes. L'auteur tombe vite dans des lapalissades du genre "la richesse globale aggrave les souffrances de la pauvreté" aussi peu utile que "la misère est moins dure au soleil" chantée par Aznavour. Si la richesse des uns augmente le sentiment de pauvreté des autres, est-il pensable que la pauvreté des uns fasse baisser le sentiment de bien-être des autres?
p.93: L'augmentation de la production par l'introduction de technologies plus "vertes" est un leurre pour plusieurs raisons: 1° l'effet rebond: Réduire la quantité d'énergie nécessaire par exemple, rend la production plus abordable et augmente la demande quand il faudrait la réduire. Les technologies plus efficientes permettent au consommateur de limiter les dépenses donc d'augmenter l'usage des biens. Une voiture qui ne consommerait qu'un 1L/100km permet de rouler 10 fois plus qu'avec une voiture qui consomme 10L/100km.
2° l'effet classe moyenne: Si une bonne proportion de gens disposent d'un revenu mensuel de plus de 3000€, c'est la consommation de l'ensemble de la population qui augmente (les pauvres pour ressembler à la classe moyenne, les très riches pour s'en distinguer). Pourtant, l'auteur ne voit pas le rapport qu'il y a entre cet effet de classes et la redistribution des richesses qu'il prônait plus haut et encore moins avec la décroissance qui lui paraissait nécessaire.
p.99: La norme de suffisance. En 2019, un grand nombre de scientifiques rassemblés autour de la revue Nature adressent un appel à la raison destiné aux décideurs: "La démocratisation de la consommation à l'échelle mondiale a annulé tous les gains environnementaux apportés par les avancées technologiques." ("Scientist'swarning on affluence, Nature Communications", 2020, p.3107).
p.101: Le passage à un régime de sobriété, où dominerait une norme de suffisance, signifie également qu'il faudrait réorienter nos modèles économiques afin de passer d'un système de consommation individuelle à des systèmes mutualisés, fondés sur l'idée de communs où un même bien ou équipement pourrait servir au plus grand nombre. Il faudrait que les industries aient intérêt à réparer, réutiliser et recycler les biens en cours ou fin de cycle de vie. Il faudrait encourager le partage plutôt que l'appropriation, le durable plutôt que le jetable…, soit faire le contraire des dogmes capitalistes.
Curieusement, c'est ce que nous propose aussi l'ADEME dans ses publicités sur les "dévendeurs" qui proposent aux clients la location ou le partage de tout outillage qui ne sert que très peu mais est indispensable. (cf. pub: https://youtu.be/sloiijAkWes ). Pub qui a fait scandale au Ministère des finances et a suscité un débat houleux entre ministère des Finances et Ministère de l'Environnement, comme par hasard très peu médiatisé. Il n'est pas bon que le peuple commence à se poser de pareilles questions!…
Les limites librement consenties rendent libres!
p.106: Les ménages à faible revenus sont de véritables experts en matière d'économie de matières et d'énergies, de réduction des consommations, de réutilisation et réparations, non par choix mais par nécessité économique. C'est bien pour cela qu'ils ne sont pas libres de leurs choix. Pour les rendre libres en milieu capitaliste, il faudrait leur permettre de consommer tout leur soul! En somme, l'égalité sociale, vue par le prisme de la consommation, c'est la ruer des pauvres vers tout ce qu'ils n'ont jamais pu avoir, et mille combines de riches pour garder ce qu'ils ont, le nécessaire, l'utile et le futile ! Il est toujours plus simple de rendre impossible un abus que de le réguler....
p.117: Paragraphe sur la marchandisation: "La vie quotidienne doit être scrutée en fonction de ses possibilités d'intégration au processus d'accumulation capitaliste […] Le déplacement de tâches telles que la lessive, la cuisine, le nettoyage et les soins simples de santé, sans oublier les loisirs, de la sphère privée du ménage au monde marchand témoigne de cette immixtion du capital dans les interstices de la vie sociale. (Robert L.Heilbroner, The Nature and Logic of Capitalism, 1985, p.60.) Ce qui, dans un passé encore récent, était fourni comme un service entre voisins, amis ou membres de la famille, est désormais acheté à des inconnus, au prix du marché. Tout ce qui n'était pas valorisé en termes monétaires se voit attribuer un prix.
Enfin une remarque utile: Une seule fontaine publique, c'est des milliers de bouteilles d'eau en plastic de moins à vendre. Fabriquer des voitures individuelles capables de rouler à 160km/h, c'est ouvrir le marché aux fabricants de radars, de systèmes d'avertisseurs pour protéger des radars et fait rentrer beaucoup d'impôts dans les caisses de l'État. Fabriquer la même voiture bloquée à 110km/h et dotée d'avertisseur de vitesse couterait moins cher à la collectivité et diminuerait de facto la consommation énergétique, ce qui est mauvais pour l'économie.
p.122: En donnant une valeur strictement marchande et monétaire à certains biens au lieu de les laisser gratuits, on dévalorise ces biens en les ramenant à de simples euros. On les banalise, on les coupe de toute signification dans les rapports sociaux. Pour les personnes en situation de pauvreté, un monde où tout est payant et peut être approprié par le plus offrant dans la vaste mise aux enchères que constitue le marché, est bien pire qu'un monde dans lequel ces mêmes choses seraient traitées comme des biens communs, gérés démocratiquement et alloués sur la base des besoins!
124: L'une des seules conséquences positive à ce déploiement du capitalisme est nombre de tâches domestiques peuvent être externalisées et salariées. Mais ce n'est qu'une victoire à la Pyrrhus: la marchandisation de la vie n'a été qu'un prétexte commode pour retarder la véritable redistribution des rôles entre sexes. Les femmes, travail salarié ou pas, assurent l'essentiel des charges et services de la famille.
Il est curieux de voir, dans tout ce chapitre, autant de raisonnements simples, évidents, appelant des solutions tout aussi faisables techniquement qu'acceptables par le commun des mortels, sans aucun sentiment de perte ou de frustration, à la simple condition de se passer le l'outil d'échange marchand, de l'argent. Si cette évidence ne saute pas aux yeux des plus pointus sur la connaissance du monde et de ses institutions, ce n'est pas par manque d'imagination, d'esprit d'analyse, de bon sens ou d'intégrité intellectuelle, mais bien un problème mental qui empêche de tirer la conclusion qui s'impose. Il est difficile, quand une chose a été naturalisé, d'imaginer que l'on puisse la transformer radicalement, voire l'abolir. On peut interdire le jet de pierre mais pas la gravitation. L'argent n'est soumis à aucune règle physique mais fait plus de dégâts que toutes les pierres de la planète. Ce n'est qu'une convention sociale. Pourquoi ne pense-t-on jamais qu'il puisse être déclaré obsolète, sinon en raison d'un vulgaire biais cognitif.
Duopole État-marché et captation de la démocratie:
p.125: Les limites de la croissance tiennent aussi au rétrécissement démocratique qui en résulte. La richesse monétaire appelle une alliance étroite entre le marché et l'État, c’est-à-dire entre le gouvernement et la classe entrepreneuriale. L'État est contraint de veiller à ce que le marché puisse fonctionner dans un cadre qui maximise la capacité à créer de la richesse. Faciliter l'accumulation du capital et la croissance est devenu un "impératif d'État". De ce fait le condominium État-marché rétrécit nécessairement l'espace permettant aux communs de se développer. L'élaboration des politiques publiques est systématiquement biaisée en faveur des entreprises les plus puissantes. C'était me moment ou jamais de penser à l'abolition de l'État, le l'argent, du salariat, de la valeur....
p.132: une étude de 2017 analyse la situation des 100 plus grosses entreprises mondiales: 40% des bénéfices réalisés sont aujourd'hui le résultat de rentes: un pourcentage en augmentation constante qu'elles que soient les crises économiques traversées. C'est le vieux problème dit "cercle vicieux des Médicis": l'argent est utilisé pour accéder au pouvoir politique, le pouvoir politique est utilisé pour faire de l'argent. 10% des entreprises les mieux cotées en bourse captent 80% des bénéfices. Autrement dit, la concentration du pouvoir économique débouche sur une capacité pour les gagnants du système à manipuler celui-ci, de façon à encore renforcer leur position dominante.
C'est exactement l'une des principales critiques que font les désargentistes au sujet de l'argent qui se concentre mécaniquement entre des mains de plus en plus riches et de moins en moins nombreuses. Aucune stratégie fiscale, aucune redistribution de la richesse n'empêchera le processus mécanique d'agir. Cela explique aussi la loi mathématique: moins les personnes en grande précarité sont nombreuses, plus les politiques peuvent se permettre d'ignorer l'avis des dominants. C'est ce qui explique aussi ce que dit Michaël Ignatieff: "Les sociétés d'abondance qui pourraient réellement résoudre le problème de la pauvreté semblent moins se soucier de le faire que les sociétés de pénurie qui ne le peuvent pas!" (politicien canadien, écrivain et journaliste, expert en matière de droits humains, né en 1947)
pp.136-144: En tant qu'objectif fixé aux politiques publiques, la croissance du PIB présente cette vertu rare qu'elle peut faire consensus à travers un large spectre politique de la droite à la gauche. La gauche n'a jamais renoncé à son tropisme productiviste: si le gâteau grossit, il importe moins que des inégalités subsistent. Passage plus que trouble où l'on se demande si l'auteur n'est pas lui-même tenté par le mirage de la croissance économique, tout en déclarant à la page suivante….
p.147: Lutter contre la pauvreté autrement.
p.148: Diverses mesures réduisent l'impact environnemental de la production-consommation, créent des emplois pour les personnes à faible niveau de qualification et rendent bien des services nécessaire à une vie décente.... Il est indispensable ensuite de protéger l'ensemble des ménages des "privations matérielles sévères" en garantissant l'accès aux ressources indispensables. Il s'agit à minima de "moderniser la pauvreté" en instaurant un "panier minimum" de biens et services nécessaires à la subsistance, même si cela ne suffit pas à limiter les écarts de revenus. Il faut enfin garantir un droit au travail en démocratisant l'entreprise et en réduisant les temps de travail par le partage.
p.150: Le problème budgétaire, c'est souvent une impossibilité de soutenir à la fois l'accès aux biens de nécessité, les aménagements d'infrastructure, les services de santé et d'éducation.
p.151: Dans le secteur de l'énergie, il y a un formidable bassin d'emplois. De fait les énergies renouvelables pourraient offrir travail et confort minimum à tous. La transition énergétique peut être pensée comme un outil de lutte contre la pauvreté, y compris dans les zones rurales isolées.
p.157: Le bâtiment: Un milliards de personnes vivent encore dans des bidonvilles et garantir l'accès à un logement décent devrait être une priorité. 40% de la consommation d'énergie concerne le logement. Le potentiel d'économie est colossal. 7% de la main d'œuvre mondiale travaille dans le bâtiment et c'est peu au regard des besoins.
p.159: Alimentation: Au cours du XX° siècle les technologies de la "révolution verte" ont entraîné une augmentation considérable de la production alimentaire !!!! (sic) C'est totalement faux. Les terres européennes et américaines sont de plus en plus stériles, les aliments de plus en plus immangeables, la Révolution verte à doublé le nombre des bidonvilles urbains, etc. Elle n'a pas réduit la pauvreté, elle l'a accrue!
p.167: L'agroécologie offre une boussole à cet égard et présente un immense potentiel quoiqu'encore largement sous exploité. Voila un bon exemple de solutions techniques qui ne résolveront jamais un problème systémique. Dans le même paragraphe, l'auteur vante la "révolution verte" qui a jeté dans les bidonvilles de l'Inde des millions de paysans et "l'agroécologie " qui peine à remplacer les tracteurs et les intrants par la main d'oeuvre. Étonnant pour un expert des questions alimentaires au sein de l'ONU…
p.171 Mobilité: Le passage à une mobilité plus durable passe par l'aménagement du territoire et l'amélioration des transports publics. Il faut réduire les distances entre le domicile et le travail. L'interdiction des voitures dans les villes équipées en transports collectif est la mesure la plus efficace. De nombreux espoirs sont actuellement placés dans l'électrification du parc automobile… Bien que l'énergie grise, le lithium des batteries, le recyclage des anciens moteurs thermiques ne sont pas sans problèmes….
p.190 3. Redéfinir le travail.
p.191: On pourrait aller vers la reconnaissance d'un véritable droit au travail ou refondre totalement le droit DU travail, a minima pour que cela ne soit pas un "travail forcé", ce qui sera le cas temps qu'il faudra travailler pour survivre. ...Si la société s'imposait un devoir de s'assurer que tous les individus en âge de travailler puissent effectivement le faire. Mais tout le monde sait que si on éliminait tous les travaux qui n'ont pas d'autre but que d'alimenter la production, voir assurer un salaire en créant des "bullshit jobs", les taux d'épuisement professionnel atteigneraient pas des records comme le dit l'auteur. Le travail peut être une source de dignité, d'épanouissement et de fierté tout en étant essentiel à l'émancipation de l'individu. Il n'y a rien de plus faux! Ce mythe a été inventé par le capitalisme pour faire passer la pillule du travail forcé. Seule l'activité choisie (qui à la rigueur peut aussi être un travail) est émancipatrice.
p.194: Dans les pays de l'OCDE en 2021 0,58% du PIB est consacré au chômage (2,79% en France, 1,51 en Finlande, 1,53% en Espagne…). Le chômage est comme une épidémie. C'est au minimum une idée qui sert le capital. Une épidémie n'est jamais instituée pour un quelconque profit. Le travail ne vient pas d'un organisme exogène mais il a été voulu par les classes dominantes parce que c'était leur principale source de revenu, le chômage aussi, au titre de variable d'ajustement!
pp.222-226: Sur la réduction du temps de travail: De plus en plus, les travailleurs cherchent à travailler moins, mais sans réduction de salaire. Étant donné que le pouvoir d'achat baisse sans cesse et partout, le système est vite perverti par des gens qui ont deux emplois et d'autres aucun. Le partage du travail ne fonctionne pas dans un système monétisé et concurrentiel. Ce qui est confirmé par l'expérience de l'Uruguay sous le mandat du Président "Pépé mujica". La réduction de moitié du temps de travail n'a aboutit qu'à la recherche généralisée de deux métiers simultanés, les travailleurs espérant consommer deux fois plus. En revanche, l'abolition de l'argent aboutirait à des activités choisies, des durées de travail individualisées. Ce serait la fin du burnout et la fin de l'exclavage...
p. 229: De nouvelles alliances voient le jour autour de cette idée: la prospérité sans croissance est possible. Chez les postmonétaires oui, l'idée a vu le jour depuis longtemps. Mais quiconque refuse l'idée d'une abolition de l'argent est contraint de penser salaires, profits, subordination de l'employé à l'employeur, inégalités sociales etc. Faute de remettre en cause radicalement l'argent et la marchandisation, on est réduit à aménager le capitalisme, à espérer, encore et toujours, un capitalisme à visage humain.
Si ce livre a un quelconque intérêt, ce n'est pas dans la thèse qu'il défend, mais dans la structure même de la pensée qui s'y déroule. A quasiment chaque page, on peut se trouver face à une impasse qui ne pourrait s'ouvrir qu'en éradiquant l'argent et la marchandise. Il est clair que l'auteur a compris que tout est désormais marchandise: l'humanité, le travail, le repos, la naissance, la mort. Tout est donc centré sur le profit, lequel n'est possible que s'il est réalisé sur le dos d'un autre. A moins d'imaginer une société centrée sur le profit, mais sans accumulation de biens, sur la concurrence, mais sans faillite des uns et développement des autres, sur le bien-être, mais sans le sourire de la crémière, bref, à moins d'inventer une société oxymorique, il n'y a pas de futur possible très différent de ce que nous voyons aujourd'hui: un capitalisme à peine tronqué de quelques tares mineures et qui ne fera jamais rêver personne. En revanche, si à chaque situation très clairement énoncée dans ce livre, nous nous demandons ce qu'il en adviendrait dans une société sans argent et sans marchandise, si tout était en accès libre et sans condition, alors des solutions émergeraient. Reste la question de savoir comment et pourquoi on peut être universitaire, rapporteur spécial à l'ONU, expert reconnu sur les questions alimentaires et avoir un tel ancrage dans le monde figé du capitalisme, tel que les évidences ne soient plus accessibles. C'est sans doute la question que tout militant, qu'il soit centré sur le social, la politique, ou l'environnement, sur un territoire local ou sur la géopolitique, devra se poser. Comment sort-on du formatage mental, après 3 000 ans de marchandisation du monde et des esprits. Un livre à lire, juste pour s'aider à formuler les vraies questions!.... Un grand merci à Ollivier de Schutter de nous en faire la démonstration!