Eloge des frontières, Régis Debray

Editions Folio, juin 2013, 96 pages

     Dans son soDebray.Couvn livre Éloge des frontières Régis Debray est pris en flagrant délit d'intoxication capitaliste ! L'ancien guérillero aux côtés du Ché, l'authentique militant de gauche pense une institution, en l'occurrence les frontières entre États, comme si le capitalisme était la fin de l'Histoire. Son raisonnement donne, à son insu, beaucoup d'eau à notre moulin...

      "La frontière est le seul moyen de donner forme au chaos, en permettant, pas d’interdire, mais de réguler les échanges entre un dedans et un dehors."
       Mais sans échanges marchands les frontières serviraient à quoi ?... Dans n'importe quel "échange de bon procédé", la seue question qui se pose, c'est l'intérêt qu'a chacune des deux parties à cet échange. Que ce soit à l'intérieur d'une frontière ou de part et d'autre de cette frontière. La frontière n'éxiste qu'en raison de la propriété privée, de la valeur, du profit que les partenaires de l'échange envisage. Une frontière en configuration postmonétaire ne peut avoir d'autre sens que de délimiter symboliquement les territoires dont des groupes humains  ont l'usage coutumier. Le chaos ne vient pas des relations entre personnes ou groupes de personnes, mais de la marchandisation du monde.  
      "Si le monde est en réseau, nous ne pouvons pas habiter ce réseau, nous avons besoin d’un « bercail », d’un dedans, autrement nous nous retrouvons déracinés et tentés de nous réfugier dans toutes sortes de croyances."
        N'importe qui faisant partie d'un réseau sait que cela n'empêche en rien l'existence d'un dedans et d'un dehors. Le généalogiste amateur qui fait partie d'un des nombreux réseaux organisant des échanges de données sait très bien qu'il est membre du réseau "Généanet" que son voisin à préféré le réseau des généalogistes de la SNCF ou de MyHéritage. Cela n'empêche personne de demander un service à un réseau qui n'est pas le nôtre. Tout étant bénévole, il n'y a pas de profits à réaliser, le don gratuit d'un renseignement est la pluaprt du temps suivi d'un renvoi d'ascenseur. Il ne viendrait àpersonne d'attendre un "retour sur investissement". Et le plus beau, c'est que ce système est remarquablement plus efficient que les Archives Nationales qui, pour des raisons budgétaires n'ont pas réussi en deux siècles à collecter, classer, numériser les millions de renseignements que ces dépôts recèlent. Les clubs de généalogie ont réussi à dépouiller des millions de registres de notaires, à établir des dossiers numériques fabuleux, y compris les plus anciens qui demandent des connaissances en paléographie, en latin, en langues vernaculaires, en onomastique que des bénévoles ont acquises peu à peu. Il n'est pas rare de voir des archivistes tout droit sortis de la prestigieuse École des Chartes conseiller à un chercheur de s'adresser au généalogiste amateur local! Ce bénévole retraité, réputé spécialiste des contrats de mariage du Moyen-âge, habite bien un lieu tout à fait circonscrit (sur le département voisin il ne sait pas grand chose), il travaille juste pour le plaisir, n'attend même pas un merci, se trouvant déjà largement payé par la reconnaissance de ses talents!   
         "Un réseau est par essence une liaison entre de multiples "bercails". Il n'est pas fait pour "habiter" le réseau mais pour organiser les échanges non marchands entre les bercails qui le constitue."
         Le réseau n'est pas juste une liaison entre plusieurs bercails. Et s'il est non-marchand, il rend les mêmes services que n'importe quel Centre d'Archives, et même mieux. Il n'est pas fait pour habiter mais il est il est bien constitué d'habitants. C'est même sa force.  
"L’erreur du sans-frontiérisme est de croire que la frontière est par essence mauvaise. Au contraire, la destruction de la frontière profiterait uniquement aux puissants, qui utilisent les flux pour s’enrichir."
       
Objection votre honneur ! Les "no-borders" ne sont pas contre les frontières, mais contre les frontières marchandes et policières. Même dans une ZAD, il y a un dedans et un dehors, des règles pour y rentrer et s'y établir. C'est étrange un tel acharnement à tout traduire en langue commerciale et financière! Cela relève d'une confusion entre le réel, le symbolique et l'imaginaire qui pourrait être pathologique... Généralement, les critiques vis à vis des frontières émergent dans l'optique d'un monde à démarchandiser, pas dans la régulation des marchés. 
     "L'absence de frontière ne fait qu’encourager une confrontation des cultures qui, dans un tel monde, mène inévitablement à la xénophobie et à l’extrémisme religieux. Seule une bonne frontière, autorisant le passage tout en préservant l’intégrité des peuples, pourra soigner notre monde et éviter l’épidémie des murs qui nous guette."
       
Quand on veut tuer son chien on dit qu'il a la rage. Quand on veut préserver une frontière on dit qu'elle préserve l'intégrité culturelle. Les zones frontalières montrent généralement une formidable porosité quand il s'agit de culture. Les Catalans français et espagnols, les Alsaciens et les Allemands, les Piémontais et les Niçois ont fini par se ressembler étrangement.  En revanche, la frontière qui empêche le réfugié politique de sauver sa peau, qui complique la survie du réfugié économique, c'est une véritable perte culturelle. 
Sans les échanges culturels entre l'Orient et le Levant, le Nord et le Sud, nous serions encore dans des limbes culturelles. Régis Debray admet qu'il puisse y avoir de bonnes frontières qui autorise les passages, mais à condition que soit préservée l'autonomie des peuples. Mais qu'est-ce qui peut nuire à cette intégrité, sinon l'argent, la marchandisation, la mise en concurrence par la course au profit, autant de chose qui disparaîtraient en même temps que l'argent.
      Le raisonnement d'un intellectuel, dont on ne peut douter de ses réelles capacités cognitives et rhétoriques, prouve qu'il est en réalité totalement "colonisé" par le dogme monétaire. Faute de pouvoir imaginer, même au titre d'une expérience de pensée, que la convention sociale du système monétaire puisse être abolie, il juge de tout, donc aussi des frontières, dans le strict cadre monétaire. C'est le coup du marteau de Maslow qui ne peut voir le monde qu'en forme de clou !...

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