La crise de la culture, Hannah Arendt, 1961
Éd. Folio essai 1989, 384p.
(Podcast Elucid 28:34), (Voir)
(Catégorie Le pas suspendu de la cigogne)
Hannah Arendt : 1906-1975, philosophe et politologue allemande naturalisée américaine, particulièrement centrée sur les totalitarismes. D'origine juive, elle côtoie les philosophes Heidegger et Karl Jasper. Elle épouse en 1929 Günther Anders et émigre aux USA pour fuir le nazisme.
Quatrième de couverture: L'homme se tient sur une brèche, dans l'intervalle entre le passé révolu et l'avenir infigurable. Il ne peut s'y tenir que dans la mesure où il pense, brisant ainsi, par sa résistance aux forces du passé infini et du futur infini, le flux du temps indifférent. Chaque génération nouvelle, chaque homme nouveau doit redécouvrir laborieusement l'activité de pensée. Longtemps, pour ce faire, on put recourir à la tradition. Or nous vivons, à l'âge moderne, l'usure de la tradition, la crise de la culture. Il ne s'agit pas de renouer le fil rompu de la tradition, ni d'inventer quelque succédané ultramoderne, mais de savoir s'exercer à penser pour se mouvoir dans la brèche. Hannah Arendt, à travers ces essais d'interprétation critique -notamment de la tradition et des concepts modernes d'histoire, d'autorité et de liberté, des rapports entre vérité et politique, de la crise de l'éducation-, entend nous aider à savoir comment penser en notre époque.
Commentaires: Les réflexions d'Hannah Arendt sur l’éducation, la culture et la conquête spatiale nous donnent des armes pour comprendre et peut-être résoudre quelques-uns des problèmes fondamentaux que connaissent nos sociétés depuis le début du XXe siècle."
Le commentaire d'Elucid pécise que, contrairement aux Grecs de l'Antiquité (Hérodote par exemple qui est considéré comme l'un des premiers “historiens” ), “l'Histoire est un processus créé par l'homme, qui lui-même, déclenche des évènements. L'homme a la capacité de “faire commencer” quelque chose qui n'a pas de fin déterminée à l'avance.”
Il est de bon réfléchir à cette idée puisque nous nous battons pour faire émerger un évènement, l'abolition de l'argent, qui n'aura ni commencement spontané ni fin déterminée. Il est logique que les intellectuels, formés et formatés par les “humanités” grecs et latine, résistent à cette vision de l'Histoire qui évacue toute notion de “nature”. C'est un obstacle qui restera insurmontable et rendra toute révolution copernicienne impossible, tant que nous n'aurons mis des mots sur ce qu'est l'histoire de l'argent, du commerce, de l'échange... Ce n'est pas tout à fait par hasard si, longtemps, la philosophie a délaissé la réflexion sur le politique! Si l'homme fait l'histoire, alors les hommes se retrouvent dépouillés de tout monde commun. Déjà dépouillé de la Religion, il est aussi dépouillé de sa communauté humaine. Réintégrer l'humanité dans un sens commun est peut être l'intérêt premier des postmonétaires, postmodernes et autres utopiques vision d'un fuur encore inédit... En attendant, il est bon d'écouter ou réécouter Hannah Arendt:
«L’éducation, la culture, l'autorité sont en crise. L’éducation a cessé de vouloir intégrer les enfants au monde existant ; en promouvant l’autonomie des enfants, les adultes ont, au contraire, créer une séparation. En outre, la culture est devenue un objet de consommation et a perdu sa “durabilité”. Arendt propose ainsi de penser la culture et l’éducation comme des sphères qui doivent être reliées aux hommes et contribuer maintenant à la construction d’un monde commun.»
Voilà qui change du discours très moderne que l'on entend à longueur de média autant qu'au comptoir du café du commerce. La jeunesse est inculte, ne s'interesse qu'aux choses futiles, ne s'engage pas en politque, a perdu l'usage des fondamentaux (écriture, orthographe, calcul, savoir scientifique de base...) J'ai 81 ans et j'entendais déjà mes parents le dire quand j'étais en primaire. Une étude de 2024 annonce que 70% des parents d'élèves et 85% des enseignants s'accordent à dire que le niveau baisse. Ce qui est rassurant c'est qu'Aristophane, au beau milieu du IV° siècle av. J.-C., faisait le même constat en son temps: Jadis les jeunes étaient bien éduqués, ils sont ajourd'hui corrompus par la mollesse et la perversion des moeurs... Personnellement, je trouve les enfants et les adolescents bien plus éveillés et mieux informés que nous l'étions, ne serait-ce qu'en raison de la proximité et le dialogue inter-générationnel. Nous devions nous taire à table, écouter le maître, et les adultes ne se souciaient pas ou peu de nous apprendre la vie! Dans certains domaines les enfants d'aujourd'hui en savent trop !!!
Hannah Arendt est décédée en 1975, soit en pleine "Trente glorieuses" et ne pouvait imaginer totalement ce que serait le XXI° siècle, malgré sa clairvoyance. Son temps n'était pas à la désargence, même pas à l'idée d'un effondrement global, ni économique ni thermodynamique ni culturel. Pourtant, quelques unes de ses fulgurances nous font regretter qu'elle n'ait pas produit plus de penseurs de son rang!
Hannah Arendt par exemple pose d'emblée cette question sur le terrain économique et ce n'est pas pour me déplaire : «L’éducation a cessé de vouloir intégrer les enfants au monde existant ; en promouvant l’autonomie des enfants, les adultes ont, au contraire, créer une séparation. En outre, la culture est devenue un objet de consommation et a perdu sa “durabilité”. Arendt propose ainsi de penser la culture et l’éducation comme des sphères qui doivent être reliées aux hommes et contribuer maintenant à la construction d’un monde commun.» Et plus loin, « l'économie s'est dévoyée en passant des sciences sociales aux mathématiques, et les sciences humaines ont souvent sombré dans l'utilitarisme. »
Arrendt souligne qu'étymologiquement le terme aurorité est forgé sur le verbe latin augere (augmenter). La seule autorité qui vaille serait alors celle qui augmente les fondations de la société! L'autorité ne peut alors se confondre avec le pouvoir. S'il fallait une raison de changer de Constitution, ce serait celle-là. Au mieux nos libertés ont été réduite à notre stricte sphère privée. Arendt fait le lien entre l'autorité, la vérité, la liberté politique, l'éducation, le passage de la culture. de prestige à la culture de masse. L'étymologie agricole du mot culture (faire grandir, prendre soin, préserver…) a été oubliée.
La culture pour Arendt est avant tout une «réflexion du politique comme domaine public créé par les hommes au sein duquel ceux-ci font l’expérience de leur liberté à travers "l’action"». Elle ajoute que « la "culture" est devenue un objet de consommation et a perdu sa "durabilité" ». En 1975, tout était évidemment "durable", le progrés, la nature, les acquis culturel. Depuis le "durable" est devenu une hypothétique volonté d'éviter le pire! Nombre d'objets sont devenus jetables (de l'imprimante au mouchoir de poche), et les idées ont suivi le mouvement (une information chasse l'autre, une vérité est vite opposée à ses contre-vérités, les certitudes sont taxées d'idéologisme.... Comment la culture pourrait supporter "l'instantanéité du jetable"?
«La culture est ainsi ce qui survit aux hommes et à leurs besoins. Dans cette perspective, la "culture de masse" ne constitue pas une véritable culture. Elle est plutôt un "loisir de masse". Le produit culturel vendu à la masse recouvre tout autant le concert que le tourisme, le livre que l'image cinétique (film, TV, vidéo) qui techniquement s'est "démocratisé". L'exemple type est l'art photographique qui est à la porté de tous via le smartphone qui permet de prendre des centaines de photos et vidéo par jour, d'une qualité technique automatique incroyable. Qui se souvient du rapport entre la focale et le temps de pose qu'il fallait calculer pour obtenir un cliché net et une profondeur de champ particulière? En plus, il fallait développer la pellicule, régler l'image sur le papier, le tremper dans deux bains, le sécher, tout ça remplacé par un clic. On ne se soucie plus de garder les images qui reste stockées dans le smartphone et finissent par disparaitre quand on le modèle d'appareil de l'année paraît sur le marché et qu'on jette l'ancien... La photographie n'est plus un art, mais un usage commun...
«Cependant, "vérité" et "opinion" se différencient nettement. La vérité ne se discute pas, mais s’impose aux hommes et présente, en cela, un caractère "despotique". L’opinion, au contraire, a une faculté "représentative" : on se forge une opinion à propos d’une question en se "représentant" ce que peuvent penser les autres de cette même question. D’une certaine façon, le menteur est un "homme d’action" qui ment parce qu’il veut que les choses soient différentes de ce qu’elles sont. Le mensonge est donc un fait qui atteste de la "liberté humaine". Au contraire, la "vérité", le fait de dire ce qui est déjà, contribue davantage à la conservation, à la stabilité des choses telles qu’elles sont. Les fakes news, les théories complotistes, la contestation des faits scientifiques, la crédibilité des élites intellectuelles, des scientifiques, philosophes et politiques, tout disparaît puisque tout se vaut. Ma liberté me permet de dire ce que je veux, sans justification, sans débat possible. Du premier ministre au gamin de banlieue, toute vérité se vaut et ne supporte plus aucune remise en cause....
«Parce que la science a été absorbée par la technologie, l’homme se trouve seul, face à lui-même, dans un monde dont il est déconnecté...» Plus rien n'empêche de croire que la terre est plate, qu'un complot orchestré par la CIA nous fait croire le contraire. Sur le Net on trouve des centaines de démonstrations "techno-scientifiques" qui prouve indubitablement la platitude. On peut en rire, demander au platiste d'aller au bout de la terre pour voir ce qu'il y a, rien n'y fait. C'est ma vérité!
Hannah Arendt aurait certainement été séduite par les thèses postmonétaires si elle ne nous avait pas quittés en pleine Trente glorieuses!...