La fin de l'utopie libérale, Michel Bourdeau, 2023
Editions Hermann, fév. 2023, 233 pages
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(Catégorie Radoteur)
Quatrième de couverture: Le propre des grandes œuvres est de se prêter à de multiples interprétations. Tout en adoptant un point de vue critique, celle qui est ici proposée vise à rendre fidèlement sa pensée. Elle demande à être prise avant tout comme une invitation à chercher, dans l’œuvre de Hayek, l’intelligence du monde actuel, et à faciliter la lecture de celui-ci comme de celle-là.
L'auteur: Michel Bourdeau est directeur de recherche émérite au CNRS. Spécialiste d'Auguste Comte et du positivisme. Il est en plus agrégé de philosophie et membre du Centre d'analyse et de mathématiques sociales.
Cet ouvrage est sous-titré "Introduction critique à la pensée de Friedrich Hayek". Rappelons que Hayek (1899-1992) est un économiste austro-britannique, l'un des penseurs clé du libéralisme et en particulier de la mise sous tutelle de l'État par le marché… Ses travaux ont été couronnés par le prix de la banque de Suède (dit Nobel de l'économie) en 1974. On peut trouver curieux que ce livre soit cité dans la bibliothèque postmonétaire, mais l'alpha et l'oméga de la stratégie est de bien comprendre son adversaire…
"Le monde dans lequel nous vivons est le résultat d’un patient travail, commencé dans le monde des idées, et dont le maître d’œuvre a été Hayek. Adversaire irréductible du socialisme, c’est pour le combattre qu’il a proposé de faire du libéralisme une utopie et qu’il est devenu sociologue…."
"La justice sociale faisant obstacle à l’avènement de la Grande Société, le libéral se doit de la combattre, mais il a pour cela besoin de l’intervention de l’État. Le but avoué est de détrôner la politique et de mettre l’État sous la surveillance du marché…"
Comment l'auteur arrive-t-il à chanter les louanges de Hayek et parler de la fin de l'utopie libérale. Soit il pense que les thèses de Hayek relèvent de l'utopie et se perdront dans les poubelles de l'histoire, soit il veut nous signifier que l'utopie était dans les prémisses de l'analyse de Hayek mais qu'elle est devenue définitivement réalité. Tout le livre est la démonstration de cette deuxième hypothèse. Il est vrai qu'au moment de la rédaction de ce livre, le libéralisme était encore considéré comme la fin de l'Histoire…
Deux décennies plus tard, la fin de l'Histoire est peu à peu remplacée par la fin du monde civilisé, la fin de La Grande Société rêvée par Hayek. L'accumulation des impasses systémiques tend plutôt à promouvoir une abolition de la monnaie qui mettrait fin à cet "ordre". Le lien structurel entre le pouvoir de l'argent et le pouvoir de l'État fait qu'il n'y a pas d'autre option que de passer à une société de l'accès sans condition. Michel Bourdeau, agrégé de philosophie et membre du Centre d'analyse et de mathématiques sociales, est très loin d'une révolution de "démonétarisation". Mais il nous donne quantité d'arguments pour démontrer que cette "révolution" n'est plus une option, juste l'unique porte de sortie, l'unique résilience possible…
En outre, son ouvrage est utile pour mieux comprendre la généalogie du capitalisme et comment les plus fervents opposants à ce système politique en soient venus à se contenter d'un "altercapitaliste"… Ce livre peut nous servir à comprendre l'extension des thèses d'extrême droite qui se développent actuellement aux USA (Trump), en Allemagne (AfD), en Italie (Méloni), Hongrie (Orban), en France (le FN 2ème parti politique)….
Je retiens une phrase au chapitre IV de ce livre qui me paraît essentielle : «C'est l'extrême complexité de la division du travail qui empêche la planification centralisée et contraint de s'en remettre aux mécanismes du marché.» En somme, la société est devenue si complexe qu'elle est soumise à un "ordre spontané" que nul ne peut raisonnablement dominer, pas même l'État. Faute de "dessein humain" identifiable, nous n'avons plus d'autre choix que de faire confiance à la main invisible du marché. De l'illusion des maîtres du monde domptant la nature, on en est arrivé à l'impuissance totale, à la soumission à l'aléatoire… C'est peut-être cela qui fait dire à Michel Bourdeau que l'utopie libérale est sur sa fin. Reste donc la liberté totale et sans frein des libertaliens façon Musk et Bezos.
Le communisme ayant échoué, le socialisme s'étant dissous dans le néolibéralisme, le libéralisme n'ayant plus d'utopie, que reste-t-il comme part de rêve sur le bateau Terre? Une société sans argent, postmonétaire?....