La guerre du Péloponnèse, Thucydide, 410av. J.-C.

La guerre du Péloponnèse, Thucydide, 410av. J.-C.

Éd. Gallimard/Folio classique. 2000, 928 pages

Thucydide.jpeg                Thucydide d'Athènes vécut la guerre du Péloponnèse (431-404 av. J.-C.) comme citoyen, comme général, comme exilé (en 424) qui ne revint dans sa patrie qu'après sa défaite, enfin comme historien qui dit avoir perçu dès l'origine que ce conflit entre deux coalitions dirigées respectivement par Athènes et Sparte serait l'événement majeur de l'époque. Thucydide est le créateur de la raison historique. Comme la raison grecque en général, la raison historique est fille de la cité. Elle est fille aussi du gigantesque essor intellectuel qui soulève la Grèce du V° siècle, avec la médecine hippocratique, l'enseignement des sophistes, et l'activité des orateurs, singulièrement Périclès. L'histoire politique se modèle, chez Thucydide, sur cette création majeure du V° siècle qu'est la tragédie athénienne. Athènes connaît, comme les héros tragiques, la grandeur et la chute. Thucydide est l'historien de la raison et de la déraison dans l'histoire, il est le peintre de la tragédie d'Athènes. 
          Thucydide est contemporain de Périclès (de 30 ans son aîné) et l'a suivi dans la guerre du Péloponnèse. C'est donc un témoin oculaire de cet épisode. Il est considéré comme l'un des premiers historiens au sens moderne du terme. Contrairement aux habitudes de l'époque, il n'écrit pas pour chanter la gloire d'un roi ou  d'un héros, mais pour saisir le sens caché et la cohérence des faits. Il est donc utile pour éviter les anachronismes et autres lectures mythologiques de l'histoire ancienne. C'est dans la somme de 12 tomes sur la guerre du Péloponnèse que l'on découvre les discours de Périclès, l'analyse politique de la guerre entre les aristocrates (les propriétaires terriens) et les démocrates (le peuple vivant de son travail).
        Il est difficile de transposer les propos de Thucydide et de Périclès tant le contexte sociopolitique était différent du nôtre, mais force est de reconnaître qu'ils font encore sens aujourd'hui. Quelques citations le montrent:   

Périclès: « L'État démocratique doit s'appliquer à servir le plus grand nombre ; procurer l'égalité de tous devant la loi ; faire découler la liberté des citoyens de la liberté publique. Il doit venir en aide à la faiblesse et appeler au premier rang le mérite. L'harmonieux équilibre entre l'intérêt de l'État et les intérêts des individus qui le composent assure l'essor politique, économique, intellectuel et artistique de la cité, en protégeant l'État contre l'égoïsme individuel et l'individu, grâce à la Constitution, contre l'arbitraire de l'État »Reconnaissons que cette phrase pourrait encore servir d'introduction à une Constitution du XXI° siècle.Thucydide-portrait.jpeg

Thucydide: « Quant aux actions accomplies au cours de cette guerre, j'ai évité de prendre mes informations du premier venu et de me fier à mes impressions personnelles. Tant au sujet des faits dont j'ai moi-même été témoin que pour ceux qui m'ont été rapportés par autrui, j'ai procédé chaque fois à des vérifications aussi scrupuleuses que possible. Ce ne fut pas un travail facile, car il se trouvait dans chaque cas que les témoins d'un même événement en donnaient des relations discordantes, variant selon les sympathies qu'ils éprouvaient pour l'un ou l'autre camp ou selon leur mémoire »
        Plus moderne encore, Thucydide tient des propos qui pourraient être tenu par un journaliste indépendant critiquant aujourd'hui les journalistes des grands médias mainstream, privés de toute capacité d'investigation par les médias dominants. Ces antiques intellectuels montrent par leur grande actualité que l'on peut changer de configuration politique, de système économique, d'époque, de culture, de niveau scientifique sans pour autant changer le mode de vie et de pensée des citoyens. Les postmonétaires, pour cette raison, ne cherchent pas à "convaincre" leurs contemporains, ne réclament rien aux puissants et aux dirigeants politiques, ne suivent aucune lutte particulière mais s'intéressent à toutes, parlent du système et proposent d'en changer. Vingt quatre siècles sont passés sans que ces brillants esprits n'aient été entendus, et la nature humaine n'a guère changé ailleurs qu'à la marge.
        Pour bien comprendre le saut mental à effectuer pour se débarrasser de cet encombrant outil argent, il serait bon de lire, ou relire dans cet esprit, les textes du Romain Cicéron, du Grec Xenophon….

Périclès: «Si on veut obtenir quelque chose que l'on n'a jamais eu, il faut tenter quelque chose que l'on n'a jamais fait.»
        Depuis plus de 3 000 ans, on n'a plus jamais imaginé une société sans argent, sinon dans des petites communautés isolées, dans des contrées sauvages. Dans aucune nation dite civilisée, on n'a songé que cette convention sociale gérant les flux de matières et services pouvait être amonétaire. Il est peut-être temps de s'autoriser à tenter ce qui n'a plus été fait depuis le néolithique, une mise en accès direct et sans condition pour que chacun y trouve le moyen de subvenir à ses besoins essentiels. Depuis des millénaires on cherche et espére la liberté, l'égalité, la fraternité, on cherche à changer la nature humaineostrakon.jpeg, on s'acharne à soigner ce qui nous tue... Tentons l'impossible ! Si Périclès le disait déjà sur l'agora d'Athènes, avec les moyens intellectuels et technologiques que nous avons, croire encore que c'est impossible relève d'un pessimisme pathologique ! Périclès aujourd'hui voterait certainement "postmonétaire",  non plus avec son "ostrakon" (morceau de poterie sur lequel on gravait son nom avant de voter. Sur celui-ci, il est inscrit: "Périclès [fils de] Xanthippe"), mais avec un bulletin de vote paier ou numérique !
         Ce qu'aujourd'hui je retiens de la lecture de ces illustres prédécesseurs, c'est que toutes les tares du capitalisme que l'on dénonce aujourd'hui sont déja racontées par l'historien Thucydide: la concentration de la richesse et du pouvoir entre les mains de quelques-uns, les fraudes, arnaques et mafias en tout genre, la guerre économique qui se transforme inévitablement en guerre militaire, l'impuissance des élites à imaginer un cadre autre que celui qui les a formatées, la démocratie dénaturée par des manoeuvres politiciennes, etc. Périclès a raison, il faut faire quelque chose que l'on n'ait jamais faite. 

          Périclès aurait certainement été séduit par les amicales injonctions d'Albert Einstein : 
« Apprendre d’hier, vivre pour aujourd’hui, espérer pour demain. L’important est de ne pas arrêter de questionner. »