La psychologie de l'argent, Morgan Housel

Valor éditions, 2022, 285p.,

QuatrièmHousele de couverture:  Dans La Psychologie de l'argent, Morgan Housel, auteur plusieurs fois primé, partage 19 histoires courtes dans lesquelles il explore nos façons singulières d'envisager les questions d'argent. Ce faisant, il nous aide à mieux comprendre l'un des sujets les plus importants de la vie humaine.  

Je me méfie toujours des psychologues qui nous donnent des "cas  cliniques" qui souvent en disent plus sur l'auteur que sur le sujet. Mais la curiosité m'y a poussé....  

p. 11: Un riche à un comportement stupide: dirigeant d'entreprise, il achète un jour des pièces d'or de 1000 dollars et avec ses potes, ils les jetent à l'eau en faisant des ricochets. Commentaire du psy: Il est difficile de trouver exemple plus stupide des excès qu'induit l'argent. Ce n'est pas une nouveauté, voire l'expression "jeter l'argent par la fenêtre" qui date du moyen-âge et parle des riches, pas de l'argent. 
p.13: Un employé dans une station service meurt à l'âge de 92 ans et on s'aperçoit qu'il dispose de 8 millions de dollars. Toute sa vie il avait économisé et placé son argent dans des actions de premier choix… Et l'auteur conclut  le talent induit le mérite, ce qui fait d'un problème structurel d'inégalités sociales une simple question de valeur individuelle. Que sont devenus ceux qui ont choisi les mauvaises actions et se sont ruinés? Rien n'est dit sur la bétise de l'employé millionnaire qui meurt sans avoir utilisé ses 8 millions pour son plaisir ou pour aider les perdants....
p.16:  La finance attire les plus brillants esprits qui pourtant ne sont pas tous de bons investisseurs. Gilles Beaupré (La vie après l'argent)  fait remarquer que "les gens usent leur santé dans la recherche d'argent, puis dépensent tout leur argent en fin de vie pour leur santé!..." Remarque plus intelligente!  
p.25: L'auteur cite la suggestion de deux économistes:  la tolérance au risque des investisseurs individuels ne dépend pas de leur intelligence, mais de la situation économique qu'ils ont connu dans leur jeunesse (aisée ou difficile) Ils en déduisent qu'un comportement financier considéré comme extravagant par un groupe paraîtra parfaitement raisonnable à un autre. Cela prouve surtout que le système financier produit des effets bien plus importants que les qualités des acteurs économiques. En clair le système domine les hommes, pas l'inverse....   
p.29: Les ménages américains les plus démunis dépensent en moyenne 412 dollars par an en billets de loterie (4 fois plus que les ménages riches). Ce sont les mêmes qui affirment ne pas avoir 400 dollars de réserve en cas d'urgence. La publicité faite autour des jeux de hasard cible très clairement les plus pauvres qui eux n'ont pas les opportunités des plus riches d'améliorer leurs conditions de vie. C'est la double peine ! 
p.32: Le système par capitalisation n'est apparu qu'en 1978, le compte d'épargne retraite seulement en 1998. Cela aurait été le bon moment de se demander si, se projeter dans la mort à 20 ans, ne serait pas un signe de déséquilibre mental… Enfin une remarque judicieuse en faveur des retraites par mutualisation et contre les retraites par capitalisation.  
p.44: Cornelius Vanderbilt est à la tête d'une compagnie ferroviaire. Un conseiller l'avertit que toutes ses transactions enfreignent la loi. "La loi? Mais je m'en moque éperdument de la loi! J'ai le pouvoir, non?"  L'auteur se demande-t-il si Cornélius est immoral ou si le système le rend immoral? C'était l'occasion de démontrer qu'un système pervers fabrique des sujets pervers, à quelques exceptions près qui servent de justification. Maralité, changer la structure sociale est plus important que faire de la morale!...   
p.45: Benjamin Graham, l'un des plus grands investisseurs, mentor de Warren Buffett, a réussi grâce à un placement unique dans la compagnie d'assurance GEICO, ce qui allait à l'encontre des règles de diversification qu'il défendait  par ailleurs. La pauvreté ne s'explique pas totalement dans la bêtise ou le fainéantise, la richesse ne s'explique pas plus par le talent ou l'esprit entrepreneur. En somme l'auteur nous dit que c'est le hasard qui fait les riches et les pauvres, ce qui ne l'empêche pas de s'extasier sur les "premiers de cordée"…
p.51: Raja Gupta est un enfant du bidonville de Calcutta qui est devenu PDG de McKinsey à 45 ans, a occupé des postes important à l'ONU…En 2008 sa fortune générait à elle seule 600 dollars par heure, 24h sur 24! Pourtant cela ne lui suffisait pas et son objectif était de devenir milliardaire. Il apprend alors que la banque Goldman Sachs est en déroute et que Warren Bufett a investi 175 000 actions pour la renflouer. Aussitôt, l'action s'envole. Gain pour Gupta 1 millions de dollars. C'est un délit d'initié pour lequel Gupta a été condamné et fut ruiné. C'est là un cas puni contre des milliers d'autres parfaitement acceptés par la société. 
Analyse postmontaire: Le système monétaire est un pot de confiture à portée de main des enfants, l'argent est une drogue. Il est inévitable que les enfants mettent leurs doigts dans le pot de confiture, il est normal qu'une drogue crée des addictions. Le problème n'est pas qu'il y ait des enfants et des toxicomanes, mais qu'il y ait des fous pour laisser la confiture à portée de mains et mettre des drogues en circulation. Encore une fois, c'est le système qui est fou pas les humains, car nul ne pouvait prévoir, un siècle et demi avant notre ère, que fabriquer des petites pièces en bronze pour faciliter les échanges allait induire la French connection et la crise financière de 2008! La loi qui a condamné Raja Gupta est tout aussi absurde et inutile, juste bonne à soigner l'empoisonnement des gens par le système. La solution c'est l'abolition de l'argent qui rendra obsolète mles trois quart de nos lois...   
p.56: La compétence la plus difficile à acquérir dans le domaine financier, c'est d'apprendre à stopper l'inflation de ses désirs. Avoir goûté au plus d'argent, plus de pouvoir, plus de prestige démultiplie l'ambition au lieu de démultiplier la satisfaction. Il y a toujours un plus riche vers lequel on puisse lorgner. C'est un combat perdu d'avance. L'éducation la plus absurde est celle qui consiste à enseigner les règles financières qui vont mécaniquement détruire ce qu'il y a de meilleur dans l'espèce humaine. C'est battre un enfant pour lui enseigner la non-violence, c'est le gâter pour lui apprendre à différer ses désirs, c'est contraindre un gaucher à se servir de sa main droite pour l'initier à la calligraphie... 
p.58: A sa sortie de prison Gupta a déclaré à un journaliste: "C'est vrai, cette affaire a ruiné ma réputation, mais quelle importance si je n'y tiens pas plus que cela." En clair, Gupta n'a aucun remord d'en avoir ruiné beaucoup et tire comme leçon que la réputation (la vergogne aurait-on dit jadis) pourtant socialement inestimable, n'a aucun intérêt… C'est la leçon que l'on oublie en espérant inventer une monnaie juste, un commerce équitable, une banque éthique?... 

p.64: Milutin Milanković a découvert que l'axe de la terre variait légèrement en fonction de sa position par rapport à la lune et au soleil, ce qui explique les grandes glaciations. Puis Wladimir Köppen, un météorologue russe découvre que l'inclinaison de la terre fait que la neige ne fond plus en été et qu'une couche de neige subsiste  à l'approche de l'hiver qui alors gèle. Les résidus de glace s'accumulent et augmentant la glaciation. C'est ce qui explique qu'une inclinaison minime de la terre puisse aboutir à des phénomènes de grande ampleur. L'argent ne fonctionne pas autrement! Et voilà la comparaison si vicieuse qu'elle en devient déraisonnable. L'argent n'est pas un objet physique qui obéit aux lois de la physique. Le déraisonnable n'existe pas à l'état naturel, dans les systèmes complexes de l'univers. L'homme peut entrer dans un processus collectif suicidaire et c'est ce qui le distingue des autres espèces. L'homme en ce sens est pire que n'importe quel virus,  il est sans limites… Il était donc déraisonnable de lui offrir son argent de poche!  
p.73: Il existe un million de moyens de s'enrichir mais un seul moyen de rester riche, être sobre et paranoïaque! Jesse Livermore était le meilleur opérateur boursier de son temps. En 1929, il était mondialement célèbre pour sa richesse et en pleine crise, on dit qu'il gagna trois milliards de dollars en un seul jour. N'est-ce pas une bonne raison de se méfier du système qui permet cela au lieu de prôner la pingrerie et la paranoïa?...    
p.74: En 1940, Livermore se suicide. Il était aussi doué pour devenir riche qu'incapable de le rester…  Mais cela ne sert à rien de l'expliquer, pas plus qu'on peut expliquer à un toxicomane qu'il se met sur une pente dangereuse. Jusqu'à l'overdose finale, il vous répondra "je gère"! 
p.79: Trois grands principes: 1° Viser à rester indestructible et non à obtenir de rendements maximaux. 2° Planifier ses investissements mais toujours prévoir qu'ils puissent ne pas se réaliser comme prévu. 3° être optimiste face à l'avenir et paranoïaque par rapport à ce qui pourrait advenir en travers du chemin. Sans cela, nulle richesse n'est durable.
Morgan Housel serait-il en train de nous donner des bons conseils pour devenir riche et le rester? Se rend-il compte qu'il nous fait du Vauvenargues: "Soyez heureux, c'est là le secret du bonheur". Sauf que chez Vauvenargues, c'était de l'humour. Chez Morgan Housel, c'est un bon conseil…  

p.89:  Un génie de l'investissement, c'est quelqu'un qui parvient à agir normalement quand tous ceux qui l'entourent perdent la tête. Tout tient à des événements de traîne.  Dit comme cela, cela donne en vie d'entrer dans le jeu. En fait de jeu, on est bien dans le cas du Loto de FDJ: 1 seule chance sur 19 068 840 à chaque fois que l'on joue, et la même probabilité à tous les coups. Il y a de quoi décourager..., sauf les superstitieux et les naïfs, ça va de soi et ils sont apparamment nombreux ! 
p.101: Le principal bénéfice que procure l'argent c'est de pouvoir faire ce que l'on veut, quand on le veut. Cela relève de la maîtrise de son existence. …. En réalité, les banquiers d'affaires réputés pour être les plus facilement riches, font des journées plus longues et plus étroitement surveillées qu'il n'est humainement supportable. Juste remarque qui incite à plaindre le sort des milliardaires tout en rêvant d'entrer dans leur club. C'est assez proche de la schizophrénie!...
p.121: Ne pas confondre richesse et fortune. La richesse renvoie à un revenu présent, visible. La fortune est faite de revenus que l'on peut très bien ne pas dépenser. La fortune est une richesse qui se suffit à elle-même… Le monde est plein d'individus fortunés qui gardent une apparence modeste et de gens qui sont perpétuellement au bord de la faillite mais qui ont l'air riches. La richesse est essentiellement une question de spectacle, comme la société du même nom (voir Guy Debord).
p.127: l'édification de votre fortune a moins à voir avec votre revenu ou vos retours sur investissements qu'avec votre taux d'épargne.  Et pas un seul mot, même condescendant, pour celui qui n'a que le strict minimum pour vivre, qui ne pourra jamais épargner étant contraint de jeûner quelques jours avant la fin du mois… L'oublier n'est pas bon signe !
p.149: Scott Sagan, prof d'économie à Standford: "Des choses qui ne s'étaient jamais produites, il s'en produit tous les jours. Les économistes prennent les événements du passé pour modèle, en tirent des lois qu'ils projettent dans l'avenir. Cela ne marche pas, mais là en revanche, il n'en tienne pas compte. Une fois la théorie établie, ils tentent de faire coller le réel à la théorie… L'auteur persiste cependant à déclarer que "bien connaître l'histoire de l'économie permet d'ajuster ses attentes, de comprendre ce qui pousse à l'erreur, et donc ce qui tend à fonctionner. Mais elle ne peut en aucun cas servir de modèle pour prévoir l'avenir."
      Il n'est donc pas étonnant que des erreurs commises dès l'Antiquité n'aient pas servi de leçon et se soit reproduites inlassablement durant 3 millénaires. Les mythes d'une économie régulée, de la croissance infinie, d'un juste prix, de la concurrence comme support de compétitivité et d'efficience, du ruissellement de la richesse, d'un distributisme compensant les inégalités, etc., se retrouvent à toutes époques, d'Aristote à Piketty en passant par Pierre de jean Olivi, dans des philosophies aussi opposées que celles de l'Occident gréco-romain et de l'Orient héritier de Confucius et Lao-Tseu, dans des configuration politiques aussi diverses que le féodalisme, le capitalisme , le communisme, et avec l'habillage religieux chrétien, musulman ou bouddhiste… Il faudra bien qu'un jour les économistes reconnaissent qu'ils ont tout imaginé sauf de réfléchir ontologiquement à l'outil universellement utilisé, l'argent, qui, de l'aveu même de l'auteur, rend fou, déraisonnable, immoral et irrationnel. Son livre est le reflet parfait de ce manque de réflexion sur l'ontologie de l'argent  au profit d'une simple recherche pragmatique centrée sur les profits. Et cette curieuse posture est bien partagée puisque son livre s'est très bien vendu aussi bien en Amérique qu'en France.
p.154: Le problème ne tient pas à une erreur d'analyse, mais à un défaut d'imagination. Étonnant qu'un économiste avoue ce défaut chronique chez les économistes et ne se pose pas la question de savoir pourquoi il en est ainsi. L'Histoire, que l'auteur semble percevoir comme totalement incontrôlable, impossible à anticiper, est pourtant remplie de gens qui avaient annoncé le drame à venir. Dès 1930, le phénomène du nazisme a été annoncé par certains historiens ou politologues. Les collapsologues d'aujourd'hui nous annoncent un effondrement et en font une démonstration si claire que leurs opposants en sont réduits au déni ou à l'ironie. Les postmonétaires annoncent la fin du capitalisme qui emporterait avec lui son médium argent et toutes les catégories qui lui sont intimement liées (profit, valeur, croissance, etc.) Pour l'instant ils font rire mais ils pourraient bien avoir raison. Ils feront alors peur et seront pris pour des extrémistes et combattus comme tels  avant d'être admis comme les seuls à proposer une issue pour la survie de l'humanité.
p.165: L'auteur compare la finance au blackjack des casinos où le bon joueur peut établir un pourcentage des chances de tirer la bonne carte. Il reste que les  probabilités ne seront jamais des certitudes... Le seul gagnant n'est pas le meilleur calculateur de probabilités mais le Casino. En économie, tout fonctionne pour qu'il y ait beaucoup de perdants et très peu de gagnants. C'est du moins la conclusion que l'auteur aurait dû tirer de ses observations.
p.227:  Un chapitre m'a fait réfléchir:  "Quand vous êtes prêts à croire n'importe quoi." A la question posée à une vieille dame dans un documentaire: Quel est le jour le plus heureux de votre vie? La réponse a été : Le 11 novembre 1918. Pourquoi? Parce que nous savions qu'après cette guerre il n'y en aurait plus!...
Moralité que l'auteur en tire: 21 ans plus tard la guerre suivante faisait 75 millions de morts. On croit souvent vraies des choses uniquement parce qu'on désire ardemment qu'elles le soient. Pourquoi croyons-nous possible que l'on puisse instaurer un monde sans argent? Serait-ce parce que nous le désirons ardemment?  A moins que nous croyions qu'il suffise de le désirer pour que ces choses deviennent possibles? C'est souvent ce qui est reproché aux Postmonétaires, qui eux répondent par une citation de Périclès, le célèbre stratège de l'antique cité d'Athènes: "Quand on veut quelque chose que l'on n'a jamais ou avoir, il faut faire des choses que l'on n'a jamais fait". 
        Ce livre est à la fois décevant et instructif: Décevant parce que l'auteur nous raconte dans le menu détail les incohérences épistémologiques de la finance, la foi inconditionnelle en des dogmes vaporeux et des pratiques relevant plus du tâtonnement expérimental que du savoir, le tout sans beaucoup d'esprit critique quant à l'objet lui-même de la finance, à ses finalités, son utilité. Instructif,  car il explique parfaitement, et visiblement à l'insu de l'auteur lui-même, que l'économie n'est pas une science mais une boite à outils inventée pour conforter et justifier une convention sociale qui aurait pu être toute autre. Tout dans la finance fonctionne comme une mécanique prométhéenne qui aurait été si mal conçu que le seul moyen de lui permettre de perdurer aurait été de priver tous ses acteurs de toute possibilité de penser ce qu'ils faisaient, ce qu'ils voulaient, ce qu'ils espérait…
       C'est une preuve inconsciente et donc non dite que le système économique fondé sur l'échange marchand, l'argent, la valeur, ne tire son pouvoir monopolistique que d'une complexification constante, d'autant plus impérative qu'elle est hors de tout sens et de toute logique. Ses erreurs de jugement lui servent de bases, ses contre-expériences de pseudo-légitimité, et son ton péremptoire de validité. Remercions l'auteur de cette superbe démonstration par l'absurde que les Postmonétaires sont dans la bonne démarche…