L'argent, Emile Zola, 1891

A public domain book.

 

RésuméZola: Dix-huitième roman du cycle des Rougon-Macquart et considéré comme une œuvre de maturité de l’écrivain, L’ Argent d’Émile Zola  mêle autant d’éléments naturalistes qu’historiques et développe des thèmes chers à l’auteur. 

      Le héros est Aristide Saccard, frère du ministre Eugène Rougon, qu’on avait déjà vu amasser une fortune colossale dans La Curée. Après une succession de mauvaises affaires, il doit repartir de zéro, mais son ambition est demeurée intacte. Il vend sa luxueuse propriété du parc Monceau afin de régler ses créanciers, puis loue deux étages d’un hôtel particulier à Paris où il installe la Banque Universelle, destinée à financer des projets de mise en valeur du Moyen-Orient. Tout est fait pour attirer petits et moyens épargnants, auxquels on promet des gains faciles et rapides. Les communiqués et articles de presse, les rumeurs savamment dosées font s’envoler les titres de la société. Saccard se retrouve à nouveau au sommet de la gloire et de la puissance. Mais celles-ci sont construites sur du sable, car il ne cesse d’acheter ses propres actions.
       Ce type d'histoires de financiers douteux remplit les colonnes de nos médias modernes et n'apporte guère d'idées neuves. Mais cela permet tout de même de constater qu'entre 1891 date de publication de ce livre et 2025 année de ce commentaire, la situation économique, politique, sociale, environnementale a considérablement changé mais que le système financier s'est modifier quasiment pas, sinon sur le plan technique (la gestion par algorithmes par exemple) et international (mondialisation). Si l'on compare l'évolution de la médecine et de l'économie, dans ces 233 années qui nous séparent de Zola, la "science économique" paraît étonnamment conservatrice. On imagine mal des économistes et des politiques faire en deux décennies ce qu'ils n'ont pas fait en plus de deux siècles. Or, chose nouvelle, l'avenir était prometteur au temps de Zola, c'est un effondrement global que nous apercevons à l'horizon. Le temps nous est trop compté pour espérer quoi que ce soit de l'économie, du marché, de la marchandise ou de la technologie. 
        Pourtant, Zola n'est pas opposé à l'argent, malgré les mystères de la Bourse, la spéculation, la fraude, les liquidations, les krachs. Il croit encore à son incroyable force de vie: «Je ne suis pas de ceux qui déblatèrent contre l'argent, écrivait Zola. Je pars du principe que l'argent bien employé est profitable à l'humanité tout entière.» Les Économistes Atterrés, les tenants de l'économie sociale et solidaire n'ont en somme pas évolué depuis 1891, depuis Zola. Nous pourrions même dire depuis Aristote…
          C'est en ce sens que Zola reste utile: il nous prouve que l'intelligence, la connaissance, l'éthique sociale ne suffit pas. Au mieux, le réformisme aboutit à une évolution de la sémantique, jamais à une évolution qualitative du système. Zola est classé dans la catégorie littéraire des "populistes", tout comme Hugo. Le Larousse définit ce courant ainsi: "Tendance artistique qui s'attache à l'expression de la vie et des sentiments des milieux populaires." Même Wikipédia qualifie le populisme littéraire comme un "courant dont l'idéal est de décrire le peuple de manière réaliste et bienveillante". Nul doute que le capitalisme vieillissant n'a rien changé depuis Zola, sinon les mots dont il abuse…        
         Zola critique l'argent mais ne peut s'en passer, pas plus que l'on peut choisir dans une vie humaine, la naissance et la croissance mais pas la mort!  «C'était bien ce que Mme Caroline avait compris, et elle écoutait Maxime, en approuvant d'un hochement de tête. Ah ! l'argent, cet argent pourrisseur, empoisonneur, qui desséchait les âmes, en chassait la bonté, la tendresse, l'amour des autres ! Lui seul était le grand coupable, l'entremetteur de toutes les cruautés et de toutes les saletés humaines. À cette minute, elle le maudissait, l'exécrait, dans la révolte indignée de sa noblesse et de sa droiture de femme. D'un geste, si elle en avait eu le pouvoir, elle aurait anéanti tout l'argent du monde, comme on écraserait le mal d'un coup de talon, pour sauver la santé de la terre.»
        Un peu plus loin , Zola fait dire à l'un de ses personnages:
 «Nous supprimerons l’argent monnayé... Songez donc que la monnaie métallique n’a aucune place, aucune raison d’être, dans l’État collectiviste. À titre de rémunération, nous le remplaçons par nos bons de travail ; et, si vous le considérez comme mesure de la valeur, nous en avons une autre qui nous en tient parfaitement lieu, celle que nous obtenons en établissant la moyenne des journées de besogne, dans nos chantiers... Il faut le détruire, cet argent qui masque et favorise l’exploitation du travailleur, qui permet de le voler, en réduisant son salaire à la plus petite somme dont il a besoin, pour ne pas mourir de faim. N’est-ce pas épouvantable, cette possession de l’argent qui accumule les fortunes privées, barre le chemin à la féconde circulation, fait des royautés scandaleuses, maîtresses souveraines du marché financier et de la production sociale ? Toutes nos crises, toute notre anarchie vient de là... Il faut tuer, tuer l’argent !   
     Mais son héros banquier et industriel s'en gausse: "Supprimer l'argent! La bonne folie!" En somme, les mots ont changé, pas les esprits. C'est ce à quoi s'attachent aujourd'hui les postmonétaires: résoudre un problème mental,  les biais cognitifs qui nous contraignent à s'accrocher aux seuls problèmes techniques…