Le Grand mythe, Naomie Oreskes & Eric Conway

Comment les industriels nous ont appris à détester
l'État et à vénérer le libre marché. (sous-titre)
Editions LLL, janv. 2024, 704 pages

 

Oreske-Conway.jpeg 4ème de couverture:  C’est l’histoire vraie d’une idée fausse. Celle de la construction d’un mythe à deux têtes : le méchant gouvernement et un marché pétri de bonnes intentions. Un mythe qui, en une centaine d’années, a été affiné, propagé et martelé, au point de passer aujourd’hui pour une évidence. Une enquête passionnante qui mêle la petite et la grande histoire.

Le sujet est intéressant, les auteurs compétents (l'une est professeure d'histoire des sciences à Harvard et l'autre écrivain et historien), mais le prix (30€) et les 704 pages m'ont fait hésiter. Je vous propose donc un condensé de l'excellente interview de Naomi Oreskes, publiée par la revue Alternatives économiques du 16.03.2024 (article visible en s'inscrivant, voir: Lien).  

            Naomi Oreskes a entrepris en 2000 une recherche sur les controverses scientifiques à propos du climat, ce qui lui vaut, dès la publication du premier article, une campagne d'injures et une attaque violente de la part d'un sénateur républicain. Elle enquête donc sur ses adversaires du moment et croise l'historien Eric Conway. Tous deux s'aperçoivent que ce sont les mêmes qui attaquent le consensus scientifique sur les trous dans la couche d'ozone, qui, financés par les mêmes industriels, défendaient l'innocuité du tabac! La mobilisation d'intérêts privés finançant une fausse science climato-sceptique n'est pas d'aujourd'hui mais toujours aussi active, y compris dans le domaine économique. Les deux chercheurs commencent alors une enquête sur la manière dont le fondamentalisme de marché a cherché à s'imposer tout au long du XX° siècle.

            Dans les années 1920, les grosses entreprises industrielles posent l'idée que le capitalisme et la liberté vont de pair, et que, dès qu'on attaquait le premier, c'était un pas vers le totalitarisme. Dans les années 1930, la National Electrix light Association (NELA), syndicat des grandes entreprises, découvre que la production publique d'électricité est meilleur marché que celle du privé. La NELA veut évidemment prouver le contraire à n'importe quel prix. Or, il y a toujours des experts prêts à vendre quand on a beaucoup d'argent. Dans les archives d'Harvard, Naomi Oreskes découvre que la NELA a fait réécrire tous les manuels de lycée et les a envoyés gratuitement, par milliers d'exemplaires, dans les bibliothèques scolaires et universitaires: la régulation du marché de l'électricité ne doit surtout pas être publique. Le marché s'en charge très bien! Elle découvre même le reçu du chèque de la NELA accepté par Harvard.

            La campagne de la NELA n'a pas vraiment réussi, essentiellement à cause du gouvernement américain de l'époque (Roosevelt). Ils ont donc inventé l'expression "Big government" pour dénoncer l'interventionnisme de l'État. Ils ont repéré l'université de Chicago comme susceptible de les soutenir pour déclarer "vous voyez ce ne sont pas nous, les businessmen qui défendons la supériorité du marché mais tous ces brillants économistes…" Le tout sans préciser que c'était eux qui les finançaient. Le livre de Friedman, Capitalisme et liberté", publié en 1962 est en réalité une commande destinée au public américain.

            Dans le même temps, le juriste Robert Bork, développe l'idée selon laquelle les entreprises en position de monopoles sont celles qui dominent le jeu de la concurrence, donc mes meilleurs dans leur business, ce qui est bon pour les consommateurs. Parallèlement les businessmen vont développer un christianisme avec comme message de fond: un bon chrétien doit défendre le capitalisme de marché libre. Ronald Reagan, devenant président en 1981, scelle le mythe du marché libre et régulateur. C'est l'aboutissement de 80 ans de combat des fondamentalistes du marché. Même si leurs idées sont contestées et si la réalité dément leurs thèses, ils n'abandonnent jamais. Ils se regroupent, définissent des stratégies et mettent l'argent qu'il faut sur la table, ils n'en manquent pas. Ils se perçoivent comme des gens brillants ayant réussi. L'histoire nous enseigne que l'on ne peut laisser ces businessmen faire ce qu'ils veulent. Il faut réguler leurs activités au nom du collectif et seuls les gouvernements peuvent le faire…

            Dommage que Naomie Oreske ait oublié de préciser dans cet interview que les "businessmen"' en question sont aussi capables de s'acheter des présidents, des députés, des sénateurs, et qu'on en est arrivé à un point où aucune régulation n'est possible. Seul un changement radical de système peut renverser la table!... Ce livre s'est-il limité au constat, néanmoins instructif, ou propose-t-il une issue de secours?... Si un des lecteurs du site en sait plus pour avoir lu le livre ou trouvé des commentateurs plus incisifs, qu'il n'hésite pas à me contacter...