Pour comprendre l'indice des prix, A. Caillaud
Pour comprendre l'indice des prix
A.Caillaud, Documentation INSEE, n°81-82, 1998
Ce PDF de 196 pages est extrait du site de l'INSEE (Institut National de la Statistique et des Études Économiques), téléchargeable sur l'icone ci-contre. C'est la synthèse du travail collectif de la division INSEE "Prix à la consommation". L'indice des prix est sans doute celui qui est le plus scruté, tant par les économistes qui en tirent des conclusions sur les tensions inflationnistes, que par les citoyens qui sont directement impacté par les prix à la consommation, et par les médias qui trouvent dans le "panier de la ménagère" un excellent "marronnier" pour les temps creux de l'information!
A l'occasion, ce texte permettra aux Postmonétaires, de mieux comprendre les mécanismes de la valeur monétaire et d'en percevoir l'opacité… J'ai cherché la fréquence avec laquelle de tels compte-rendu était produits par l'INSEE: le précédent datait de 1987 et, hormis les annonces mensuelles de l'évolution des prix, il ne semble pas qu'une telle synthèse ait été produite depuis 1998…
p.7: «Les résultats publiés ne vont pas toujours dans le sens de ce que les agents économiques perçoivent ou croient percevoir : chacun se fait une idée de l’évolution globale des prix, sur la base de ses constatations personnelles, à l’occasion de ses achats quotidiens, ou de ce qu’il lit ou entend dire à ce sujet. […] À vrai dire, une certaine méconnaissance de l’instrument, de la manière dont il est construit, des résultats qu’on peut en attendre peuvent expliquer ces réactions, au moins en partie. Il est donc important que soit bien connu l’instrument utilisé par l’Insee … Il semble bien en effet que le calcul du "panier de la ménagère" ne soit pas un "instrument" très fiable après qu'il soit traduit en langage courant dans les médias. Il est ressenti par la population avec une nuance de "ressenti" encore plus conséquente qu'au sujet des conditions météorologiques!
p.8: «L'indice est censé répondre aux besoins de mesurer les tensions inflationnistes et l'évolution du pouvoir d'achat des revenus, de servir à l'indexation des contrats privés ou des revenus, de comparer les taux d'inflation à l'international. Ces objectifs peuvent ne pas être compatibles. […] Il ne s’agit pas de "coût de la vie" ni même de ses variations (en dépit de certaines habitudes de vocabulaire fâcheuses), il ne s’agit pas non plus de budget, chiffré en francs, du consommateur moyen ou du consommateur le plus pauvre, ni de ses variations. Si l'indice des prix, n'est ni le coût de la vie, ni la variation des prix, qu'est-ce donc?
Les observations faites en nombre important, mais limité, doivent « représenter » fidèlement la multitude de celles qui ne sont pas faites, c’est-à-dire donner des résultats très proches de ceux qu’on aurait obtenus si on avait pu réaliser aussi ces dernières. Toutes les ménagères censées tenir le fameux panier ne permettent aucune cohérence si on tient compte des revenus, de la classe sociale, du lieu d'habitation. Certaines y ont très peu de choses comptabilisées dans le "panel", d'autres en ont beaucoup, et sans que cela change l'évaluayion du panier…
p.12: Chaque objet choisi a un indice qui varie dans le temps: sur une base 100 en 1990, l'indice de la viande de mouton est de 106,8 en septembre 1996, celui du pain 113,7. Cela veut dire qu'entre 1990 et 1996 le prix du mouton a moins augmenté (+6,8%) que le prix du pain (+13,7%). On peut déjà en conclure deux choses: celui qui consomme plus de pain que de mouton voit son pouvoir d'achat augmenter plus que celui qui consomme plus de mouton que de pain. Cela veut dire aussi que celui qui ne consomme jamais de mouton ou de pain, mais beaucoup de légumes ressent différemment l'augmentation des prix.
p.13: Les indices sont comparés entre une période de référence et une période comparée. Soustraction faite, cela donne la variation absolue entre les deux périodes. On divise ensuite la variation absolue par la valeur pour la période de référence ou la valeur pour la période comparée par la valeur de la période de référence!!! Pourquoi tenter de comprendre l'indice des prix, si à l'évidence c'est fait pour n'être pas compris?... Quoique… prenons le prix du pain de campagne entre 1992 et 1996; soit 4 ans après. Le prix passe de 16,56 à 18 => augmentation de 1,44 sur le prix du pain. 1,44/16,56= 0,087, soit une augmentation de 8,7%. Si on fait le même calcul pour le rôti de veau sur la même période on obtient une augmentation de 6,8%. On suppose donc que l'augmentation du panier est la somme des augmentations divisée par le nombre des objets de référence… Il suffit donc d'ajouter le fer à béton au milieu du pain et du rôti de veau pour faire baisser l'augmentation du coût de la vie. La durée d'usage n'est pas non plus prise en compte: on mange du pain tout les jours, ce qui n'est pas le cas de l'ordinateur. Ajoutons à cela qu'il est possible de calculer l'évolution de l'indice en glissement ou l'évolution de l'indice en moyenne annuelle… (6,9% dans le premier cas, 8,3% dans le second cas). Nous lisons dans la presse très régulièrement l'annonce de l'augmentation d'un produit, la baisse d'un autre. Jamais personne ne m'avait expliqué si c'était en glissement ou en moyenne annuelle !!! Il y a même à parier qu'un journaliste peu scrupuleux qui a envie de faire peur donnera le chiffre le plus élevé, celui qui veut rassurer, le chiffre le plus bas. Ce n'est pas rassurant….
p.26: Apparaît dans cette page un IUC (un Indice à Utilité Constante). Lors du passage de la période (0) à la période (1), les prix évoluant, le consommateur adapte la composition du panier de marchandises achetées de façon à maximiser l’utilité de sa dépense. Il augmentera généralement les quantités achetées des produits dont les prix ont crû moins vite que la moyenne et réduira les quantités achetées des produits dont les prix ont augmenté plus rapidement. Et là aussi il y a deux modes de calcul donc trois indices différents pour une même chose appelés par les noms des statisticiens qui les ont créés
p.22: C’est pourquoi les indices de prix les plus simples utilisent soit un panier fixe généralement celui de l’année de base (Laspeyres), soit le panier de l’année courante (Paasche), soit une moyenne des deux (Fisher). Sic… Je commence à me demander s'il ne suffirait pas de prendre un volontaire par classe sociale (un smicard, un cadre, un chef d'entreprise, un grand PDG…) ou par région (par exemple un parisien, un banlieusard, un paysan) chacun d'eux notant scrupuleusement leurs achats du 1er janvier au 31 décembre, quitte à leur adjoindre un comptable. L'année suivante, il suffira de reprendre les mêmes achats et de comparer. Mais n'étant pas statisticien, ce que j'en dis est peut être stupide!... Donc j'abandonne, le reste du PDF pourtant instructif. La suite en effet s'attaque aux produits qui apparaissent ou disparaissent du marché des effets de qualités qui évoluent (comme le prix d'un PC n'augmente pas mais devient plus performant), des produits saisonniers, et autres variables multiples.
p.43 il est posé la question: "Qui décide du contenu et des méthodes?" On y apprend que l'INSEE a dû d’abord lutter pour préserver son indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics qui voulaient pratiquer une « politique de l’indice ; que le lancement d’un nouvel indice a été une opération très suivie par les partenaires sociaux et surtout par les pouvoirs publics ; que l’Insee a dû affronter d’autres remises en cause suscitées par certaines organisations syndicales accusant l’indice d’être « truqué ; que le 14 février 1973 un avis important sur l’indice des prix, recommandant notamment un élargissement du champ couvert (prise en compte des frais de garde des enfants ou des assurances par exemple)… C’est à l’Insee seul qu’échoit la responsabilité d’élaborer le meilleur indice possible26 compte tenu des inévitables contraintes qui pèsent sur lui. Le gouvernement garde quelques prérogatives pour certaines "incitations" comme la lutte contre le tabagisme qui a interdit à l'INSEE de publier un indice avec tabac.
p.46: De quelle consommation s'agit-il? Le désir de voir l’indice des prix s’étendre à la totalité des charges de dépense qui pèsent sur les ménages est compréhensible. Mais il n’est pas conforme à la simple logique : l’indice des prix à la consommation n’a bien sûr à couvrir que les catégories de dépense pour lesquelles la somme payée résulte d’un prix appliqué à une quantité et, parmi ces catégories, celles qui correspondent à une consommation des ménages. Ainsi, un certain nombre de dépenses sont-elles exclues de l’indice, parce que, au sens de la comptabilité nationale, elles ne sont pas des dépenses de consommation : impôts directs comme toutes les autres charges qui ne sont pas des consommations, les achats ou construction de maisons qui relèvent de l'épargne, les assurances, les automobiles d'occasion, les locations, etc.
p.57: Un tableau comparant les pourcentages par poste budgétaire de tous les ménages comparés aux seuls ménages urbains ouvriers et employés montre que ces derniers dépensent proportionnellement plus dans l'alimentation +0,21%, le tabac +0,99, l'habillement + 0,14, le logement +2,26, soins personnels +0,14 (chiffres 1996). On voit que les ménages ouvriers subissent plus d'augmentations de leur budget que la moyenne des français. Plus on est pauvres plus on paye….
p.88: Les loyers: Les loyers des résidences principales (5,6 % de la pondération totale) ne sont observés que trimestriellement à partir d’enquêtes auprès des ménages. L’échantillon est un panel de 8500 logements renouvelé par huitième chaque trimestre. L’indice mesure l’évolution du loyer mensuel moyen au m 2 de chaque début de trimestre. Encore un élément du coût de la vie qui est flou: on nous dit souvent que le loyer qui représente 20 à 30% dans le budget global des familles n'entre pas dans "le panier de la ménagère". L'Insee affirme qu'il prend en compte le logement dans l'inflation, via l'IPC. En réalité, la prise en compte du logement dans l’IPC s’appuie sur la part des dépenses de logement dans l’IPC, qui s’élèverait à 6 %. Ce niveau peut légitimement susciter de l’incompréhension. Globalement, la part du loyer dans le budget est évaluée à 14%, mais c'est une moyenne. Un ménage vivant sur un SMIC dépasse de loin ces 14% (40% pour un locataire sur cinq!). L'INSEE lui-même avoue que les polémiques sur cette question traduisent avant tout des conflits de répartition liés à l’utilisation qui est faite de cette statistique, notamment dans les règles d’indexation des loyers, des prestations sociales, des pensions alimentaires, des taux d’épargne réglementés, etc.(Voir) Pour y voir plus clair, il faut entrer dans la base de données de l'INSEE en sachant que la plus récente enquête sur le coût du loyer date de 2019 (voir) On peut souhaiter bon courage aux chercheurs…
p.93: Indice du prix des voitures particulières: Pour la majorité des Français, avoir une voiture pour se rendre au travail, faire les courses, transporter les enfants, est quasi indispensable. Or, l’indice mensuel du prix des automobiles repose sur le suivi d’un échantillon représentatif de véhicules neufs. L’échantillon comporte 160 véhicules environ dont le prix est relevé chez 65 concessionnaires de l’agglomération parisienne considérés comme représentatifs de l’ensemble de la France. (sic) Le poste voiture dans le budget pour la plupart des ménages les plus modestes est apparemment oublié…
p. 95: Le niveau agrégé des indices: Il s’agit de passer des indices par poste, au nombre de 265, à l’indice d’ensemble (ou de tout regroupement de postes). Comment procède-t-on ? Le mieux est de citer l'explication façon Insee: Pour obtenir l’indice du mois courant m de l’année n en référence 100 en 1990 qui est l’indice publié, il suffit de « chaîner » l’indice du mois courant base 100 en décembre de l’année précédente et l’indice de ce mois de décembre ayant pour référence base 100 en 1990, c’est-à-dire de faire le produit l’un par l’autre (au facteur 100 près, et en notant « Imn » l’indice du mois m de l’année n): Im n (1990 = 100) = 1 100 x Im n (déc. n-1 = 100) x Idéc. n-1 (1990 = 100).
Évident mon cher Watson! L'Insee décrit dans le chapitre 4° quelques biais possibles qui peuvent influer sur l'indice des prix: Biais de substitution (p.113); biais des nouveaux produits (p114), de l'effet qualité (p.115), des "vrais produits nouveaux" (p.116), des nouveaux circuits de distribution (p.117), de la précision des échantillonnages (p.119), de la précision de l'indice en base 100 (p.120) A cela s'ajoute "L'harmonisation des indices au niveau européen"! (p.128)
p.139 Les usages des indices de prix: Dans le cadre de la comptabilité nationale, l’indice « ensemble des ménages » permet, le partage de l’évolution de la valeur de la consommation des ménages en une évolution de prix et une évolution de volume….
…. En réalité, il existe deux indices agrégés issus de la comptabilité nationale en France. L’un est obtenu par chaînage de la division des comptes en valeur par les comptes dits « aux prix de l’année n-1 », l’autre comme division des comptes en valeur par les comptes dits « aux prix de 1980 »…
…L’indexation peut être partielle ou intégrale. Elle est totale si la grandeur indexée suit, sur l’intervalle de temps retenu, la même variation que l’indice des prix choisi comme référence. Elle est partielle lorsque seule une partie de la variation de prix est prise en considération…. Comprenne qui pourra…, d'où l'avertissement qui suit (p.158): …pour qu’il y ait une transparence parfaite dans la publication des principaux indicateurs économiques, l’Insee diffuse leurs résultats selon un calendrier arrêté à l’avance qui s’impose à tous (pouvoirs publics y compris) selon une procédure officialisée par une note du 30/9/93 du Secrétariat général du Gouvernement. Cet échéancier est porté à la connaissance des journalistes par le bureau de Presse de l’Insee….
L'intérêt pour nous de comprendre cette jungle administrative, c'est d'en repérer la logique purement mathématique qui en découle. Tout ce qui fait l'essence de la vie est balayé au prix d'une rigueur comptable. La question qui se pose alors est de savoir si le choix de cette logique est motivé par des intentions politiques ou simplement par un biais cognitif venu de la confusion entre sciences dures et sciences sociales. Il y a sûrement un peu des deux, mais à l'évidence, le système monétaire et marchand, tel que conçu par le capitalisme moderne et a fortiori par le néolibéralisme, ne pouvait conduire qu'à cela. Une fois de plus, on constate que le problème est systémique et non humain. Il est probable que les fonctionnaires qui établissent ce genre de "méthode rationnelle" d'évaluation sont eux-mêmes prisonniers du système et ne peuvent en sortir. Une sortie du système monétaire est la seule voie qui puisse échapper à cette logique et poser enfin les seules questions qui vaillent: pourquoi produisons-nous et consommons-nous? Un indice de valeurs vaut-il quelque chose face à un indice de bien-être? Les structures sociales peuvent-elles être humanisées sans révolution copernicienne, c’est-à-dire sans changement de cadre de pensée et de paradigmes… Ce que l'argent produit peut aussi être défait par l'abolition de l'argent!