Pourquoi l'égalité est meilleure pour tous, Richard Willkinson
Editions Les petits matins, 2014, 487 pages
Quatrième de couverture: Pourquoi les Japonais vivent-ils plus longtemps que les Américains ? Pourquoi y a-t-il plus de grossesses chez les adolescentes aux États-Unis qu'en France ? Pourquoi les Suédois ont-ils la taille plus fine que les Grecs ? La réponse est chaque fois : l'inégalité. État de santé, espérance de vie, obésité, santé mentale, taux d'incarcération ou d'homicide, toxicomanie, grossesses précoces, succès ou échecs scolaires, bilan carbone et recyclage des déchets, tous les chiffres vont dans le même sens : l'inégalité des revenus nuit de manière flagrante au bien-être de tous. Conclusion des auteurs : " Ce n'est pas la richesse qui fait le bonheur des sociétés, mais l'égalité des conditions. "
L'auteur: Richard Wilkinson (1943- ) est un épidémiologiste anglais qui travaille depuis des années sur le lien entre conditions sociales et santé. Il a enseigné à l'Université de Nottingham, après des études d'économie, d'histoire, de sociologie. Son travail sur les conséquences médicales des inégalités lui ont valu une renommée internationale.
Pour Wilkinson, le stress et la violence générés par les inégalités affectent tous les membres de la société, même les riches et les plus privilégiés. C'est un angle de réflexion qui tranche avec les analyses classiques étudiant les classes défavorisées ou privilégiées. Il ne s'agit plus d'opposer les classes sociales mais de s'interroger sur le système économique et social qui les affecte toutes. En ce sens, il rejoint la réflexion des postmonétaires, à la différence près qu'il se contente de proposer une réforme, d'une amélioration du système existant. C'est dommage, mais ses études donnent aux postmonétaires, sans qu'il semble s'en rendre compte, un étayage conséquent.
Les inégalités de revenus entrainent des maladies, la drogue, la délinquance, la défiance, le nombre de grossesses chez les adolescentes, etc. L'enrichissement d'un pays, dont a priori on se félicite, s'accompagne partout d'une détérioration de la santé sociale, physique et psychique si seuls les riches deviennent plus riches. A revenu moyen identique, une population marquée par les inégalités souffre nettement plus qu'une population égalitaire. Les inégalités n'affectent pas que les pauvres: même la santé des plus aisés est plus fragile dans une société inégalitaire.
Une étude d'Emmanuel Todd sur l'espérance de vie comparée des Américains et des Russes montre que les courbes des deux pays se sont croisées. L'Amérique nettement meilleure en terme d'espérance de vie est passée en dessous de celle de la Russie et ce renversement correspond exactement à des périodes de croissance et décroissance des inégalités.
La recherche de Wilkinson est partie du constat d'un paradoxe: Entre les pays riches, les différences de revenu moyen (PIB par tête) ne semblent avoir aucun effet sur la santé: la Grèce fait aussi bien que les États-Unis! Les différences de revenus jouent à l'intérieur du pays, mais pas entre les pays. Dans les quartiers les plus pauvres de Paris, l'espérance de vie est de 5 à 8 ans inférieure à celle des quartiers les plus riches. L'explication du paradoxe, c'est que ce qui compte n'est pas le revenu mais le revenu relatif. Un Américain pauvre est plus riche qu'un paysan gabonais mais le premier est bien plus en souffrance que le second.
On peut d'emblée en tirer la conclusion que le système monétaire étant structurellement producteur d'inégalités sociales, il rend malade quel que soit ses réussites et son taux de croissance. La richesse nationale perçue partout comme un progrès social est en réalité un recul global de la santé. Cette étude étant mondiale, on ne peut rendre responsable de ce fait ni les individus, ni les systèmes politiques, ni la culture, mais bien l'argent par nature créateur d'inégalités. Or aucun pays, aucun système, même ceux qui bénéficient de la réputation indéboulonnable de pays de cocagne comme les pays scandinaves, n'échappe à cette loi d'airain: le système marchand et son outil argent nuisent à la santé, au point d'être responsables de milliers de mort chaque jour! Comment peut-on encore croire à un "capitalisme à visage humain" après un tel constat, c'est un mystère, surtout quand le "découvreur" de cet état de fait, persiste lui-même à rechercher une égalité de revenu sans s'attaquer à l'argent ou une meilleure répartition.
Wilkinson admet que "tous les problèmes, ceux qui sont plus graves au bas de l’échelle, sont plus lourds quand les inégalités s’accroissent…"
Il suffit en réalité de comparer, dans cette optique, deux pays, l'un très riche, l'autre très pauvre, pour le constater. D'un côté le Bhoutan (PIB/personne en 2023: 3 $) et la France (3 049 $). Les plus pauvre du Bhoutan doivent être largement en dessous du seuil de pauvreté quand les plus pauvres des Français sont mille fois plus riches et pourtant, ce sont ceux du Bhoutan qui sont en meilleure santé, au sens de l'OMS: "La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité."
La causalité entre l'argent disponible et la santé est sans cesse remis en cause par nos détracteurs au motif que "l'argent ne fait pas le bonheur" et que "une vie simple et modeste garantit une bonne qualité de vie"… Mais, si on écarte les inégalités, l'argent, la marchandise, le capitalisme, comment expliquer que les États-Unis aient une espérance de vie plus basse que la plupart des autres pays développés, plus de prisonniers, plus de violence, plus de naissances chez les adolescentes…?
Au mieux, on nous dit que c'est le capitalisme qui est en cause et qu'il faut voter à gauche! Certes, le néolibéralisme n'a pas arrangé la santé des gens, mais alors pourquoi le même phénomène se retrouve sous n'importe quel régime politique existant, du plus libéral au plus communiste, du plus démocratique au plus autoritaire?... Quand on ne veut pas voir, on ne voit pas et Wilkinson n'y changera rien "s'il ne vire pas postmonétaire!..."
Quant au progrès social, culturel et technologique, force est de constater qu'il a été visible et rapide dans quantités de pays sans jamais avoir rendu les gens plus heureux et en meilleure santé. S'il y a un progrès enviable, il est ailleurs, vraisemblablement dans une société fondée sur d'autres paradigmes que ceux qui sont en usage aujourd'hui… Une révolution "copernicienne" s'impose. Alors pourquoi pas une société sans argent, Monsieur Wilkinson… C'est d'autant plus étonnant que vous concluez dans une interview du Nouvel Obs du 20.10.2013: Les hommes politiques veulent tous créer une société sans classes, mais vous ne pouvez pas faire cela sans réduire les inégalités de revenus…"
Comment réduire les inégalités de revenu avec un système monétaire fondé sur la valeur relative de l'argent? Et comment sortir de la logique de cette "relativité de l'argent" dans un système marchand soumis à la concurrence, à la recherche de profits, à la nécessaire croissance de son chiffre d'affaire? Il faudrait que la rémunération soit égalitaire (tous le même salaire), ce qui revient à payer le laboureur aussi cher que le médecin spécialisé, ce qui serait totalement injuste. Un passage de l'égalité des revenus à l'équité serait plus judicieux (à chacun selon ses besoins). Mais que veut dire une société équitable qui soit en perpétuelle concurrence et recherche de profits? C'est ni plus ni moins la quadrature du cercle. Au 13° siècle, un moine franciscain, féru d'économie et conseiller de tous les marchands de Narbonne et Béziers, s'était posé la question cornélienne: "Peut-il y avoir un prix juste…" C'est du même ordre. Il n'y a pas de prix juste hors de transactions entre deux amis, pas trois, et pas sur des sommes quelque peu conséquentes. C'est comme l'héritage qui régulièrement divise des familles jusque là solidaires et pleines d'empathie…
Ce n'est pas par hasard si Wilkinson fait remarquer que la France grave le mot égalité en tout lieu et que les français sont pourtant les champions toutes catégories de la consommation d'antidépresseurs! Ce n'est pas par hasard si les Japonais, qui ont la culture zen et le théâtre No, aient des taux record de suicides d'adolescent.
Au lieu d'imaginer une société non marchande, Wilkinson pense à une meilleure gestion des impôts, à des subventions favorisants l'économie sociale et solidaire, à des taxes sur les plus hauts salaires… Et pourtant, après avoir classé cet éminent scientifique dans la catégorie des gens intéressants, j'aurai tendance à lui attribuer une petite place dans celle du "pas suspendu de la cigogne". Mais l'homme est né en 1943 et a donc 81 ans, ce qui est un peu tard pour changer un fusil d'épaule… L'arthrose mentale l'en empêche, avec tout le respect que nous lui devons pour ce livre considérable…