Revolution required, Hervé Hannoun et Peter Dittus
Éditions Independently published, 2017, 123p.
Texte PDF (en anglais) en accès
4ème de couverture: La confiance dans les décideurs publics et les institutions publiques s’érode. Les gens ont le sentiment que quelque chose ne va pas dans la façon dont les élites politiques et économiques des pays du G7 s’acquittent de leurs responsabilités. Ce manifeste soutient que l’opinion publique a raison : la trajectoire actuelle des politiques dans les pays du G7 mène directement à une crise systémique. Cela montre à quel point les politiques clés sont irresponsables, que ce soit dans les domaines des politiques monétaires et macroéconomiques, ou dans les domaines du changement climatique et de la défense. Mais ces politiques sont présentées comme étant d’intérêt public. Les médias grand public présentent des informations qui prétendent montrer que tout va bien, tandis que les opinions indépendantes et critiques sont peu couvertes. En termes d’élaboration de politiques, le monde a basculé en quelques années. Les opinions hérétiques d’il y a cinq ans sont devenues dominantes ; L’analyse dominante d’hier est considérée comme ne « comprenant pas ». Le manifeste plaide en faveur d’une révolution de la pensée si l’on veut arrêter la marche de l’horloge apocalyptique vers minuit. Il prône la transition du modèle imprudent du G7 vers une « économie du bien commun ». Un modèle aujourd’hui considéré comme une utopie – mais qui pourrait bientôt devenir un impératif catégorique.
Les auteurs : Hervé Hannoun, Français né en 1960, a été nommé directeur général adjoint de la BRI au 1er janvier 2006. Licencié en droit, ancien de l'ENA et inspecteur des finances, chargé de mission auprès de Mitterrand, puis directeur de cabinet de Bérégovoy, puis sous gouverneur de la Banque de France. Peter Dittus, Allemand, est titulaire d'un doctorat d'économie de l'université du Michigan. D'abord économiste à la Banque Mondiale et à l'OCDE, puis il rejoint la BRI en 1992 dont il devient secrétaire général de 2005 à 2016. Ces deux personnages étant à la retraite publient deux livres qui ont fait un certain bruit dans le landernau économique: Revolution requise en 2017 (en anglais) et Stop OTAN en 2022, ce dernier en français.
Il peut paraître étrange que des militants postmonétaires s'intéressent aux propos d'économistes issus de la BRI. En même temps, il est bon d'entendre les critiques de ceux qui ont été au cœur du système. Il est évident que la révolution nécessaire à laquelle ils aspirent n'est qu'une révolution à intérieur au système, pas un changement de système. Mais le bon stratège est celui qui connaît parfaitement son ennemi et peut prévoir ses réactions.
Cependant, le sous titre du premier livre est "The ticking time bombs of the G7 model" (Les bombes à retardement du modèle G7). Rien que cela donne un sens au titre "Une révolution s'impose". Le second, "Stop Otan" induit, non seulement la fin de cet organisme, mais aussi une remise en cause radicale de l'hégémonie américaine, et dans la foulée, de la construction européenne. Si des économistes, si bien placés dans la hiérarchie administrative, une fois libérés par la retraite du joug de la BRI, nous parlent d'une révolution devenue nécessaire, après les opérations suicidaires de l'Institution qui les a employés, on peut en effet s'inquiéter. Historiquement, toutes les fins de civilisations ou fin de cycles ont vu les élites se déliter, de l'Empire babylonien à l'URSS en passant l'Empire romain. Quand deux membres imminents de l'intelligentsia se rebiffent, cela mérite quelques attentions…
Pourtant, on a très peu parlé de ce livre. Il n'a jamais été traduit en français (ni sur papier ni en numérique), et je n'ai trouvé aucun interview de l'un ou l'autre des auteurs dans les moteurs de recherches francophones. J'ai donc tenté la traduction de quelques passages (my english is broken, since my school studies!...). Il s'agit d'une traduction SGDG!!!
p.7: «Le consensus était alors que la politique monétaire non conventionnelle serait temporaire. Mais huit ans plus tard, le soutien temporaire semble être devenu la nouvelle norme à long terme. La perspective de la normalisation semble lointaine. Pire encore, la majeure partie de l'Europe continentale (la zone euro, le Danemark, Suède et Suisse) et le Japon ont évolué vers une forme plus extrême de normes, en introduisant des taux d’intérêt directeurs négatifs auprès des banques centrales…» Effectivement, le quantitative-easing (QE) instauré après la crise de 2008 aurait paru tout à fait incongru aux économistes des générations précédentes. Aucune évaluation sérieuse n'en été faite et peu à peu cela a été institué comme une norme. Une fois la norme établie, elle s'enkyste dans le système qui n'est plus capable de la remettre en question. C'est ce qui rend les post monétaires si méfiant envers toute institution...
p.8: «Ces dernières années ont vu l'émergence d'une croyance dominante parmi les commentateurs et acteurs du marché influents et les cercles universitaires traditionnels que les banques centrales ne devraient pas hésiter à mener des actions illimitées d'interventions monétaires sur les marchés obligataires afin de contrer le risque de déflation et dépression…» La Grèce, depuis des années est perçue comme le potentiel "laboratoire du néolibéralisme". Elle aurait été parfaite pour évaluer les interventions monétaires de la "Troïka" (FMI-BRI-BCE). Il n'en fut rien, sinon d'amener certains économistes à projeter une fin de crise heureuse avant 2050, quand ceux-ci sont incapables de prévoir quoi que ce soit à l'échéance de cinq ans!
p.11: «Quelle est la signification économique des taux d’intérêt nuls ou négatifs ? Cela signifie que, par convention, un euro a aujourd'hui la même valeur que dans cinq ou dix ans. Cela brise un pilier clé de l’économie selon lequel le temps a une valeur intrinsèque. Le taux d’intérêt est le prix de la préférence temporelle dans l’économie. Le comportement des agents économique en termes d’épargne, d’investissement ou de consommation est conditionné par la valeur attribuée au temps. Aujourd’hui, avec ses taux négatifs, la BCE suggère implicitement qu’il n’y a pas de risque intrinsèque à la valeur du temps, qu'il n'y a pas de préférence pour le présent (c'est-à-dire que vous n'êtes pas mieux loti d'avoir de l'argent maintenant que dans le futur). Cela signifie que les épargnants, au lieu de voir leur épargne croître, les voient stagner ou fondre. Un certain nombre de gouvernements d'Europe continentale sont maintenant payés pour emprunter. Les investisseurs ne sont plus rémunérés pour prendre un risque.» Là aussi, ces taux négatifs et la non-prise en compte du temps, aurait paru totalement fou aux économistes du 20° siècle. Aucun d'eux n'aurait pensé voir un jour des investisseurs prêter de l'argent à des taux négatifs, c’est-à-dire à perte! C'est comme un épicier qui vendrait moins cher ce qu'il s'est donné la peine d'acheter. Quand une économie en arrive à de telles manœuvres, c'est que son pronostic vital est engagé!
p.14: «Comment expliquer les décisions des acteurs du marché d'acheter de grandes quantités d'obligations à taux d’intérêt négatif ? La seule justification de telles décisions apparemment irrationnelles doit être qu'on peut s’attendre à ce que la partie se poursuive, sur la base des signaux donnés par la BCE de sa volonté d'en faire davantage, quoi qu'il en coûte. Ces signaux permettent aux investisseurs de croire que les rendements négatifs accumulés seront plus que compensés par le capital gain. La bulle obligataire continue ainsi de gonfler…» Le "quoi qu'il en coûte" d'Emmanuel Macron a été largement utilisé lors de la crise Covid. En économie, oser une telle formule est inepte, que ce soit pour une "économie de "bon père de famille" ou pour une "économie d'État". Il fallait Macron pour oser cela, être un économiste pris de panique pour lui emboiter le pas…
p.16: «La solution proposée par la pensée du "nouveau courant dominant", c'est que les achats illimités d’obligations d’État par les banques centrales peuvent retarder le jour des comptes, tout en « résolvant » le problème de la dette publique. Bien que Les banques centrales aient clairement indiqué que les achats d’obligations d’État à grande échelle constituent un problème.» Voilà qui nous rappelle d'autres choses, cette fois au sujet de l'environnement, du climat, de l'artificialisation des sols. Créer des dégâts irréversibles au patrimoine naturel, a de tout temps été compris comme un "écocide" fait sur le dos des générations à venir. C'est confondre le problème et la solution. Une seule chose est sûr, c'est que tôt ou tard il faut "payer la facture". Au niveau environnemental, la facture sera salée…
p.18: «Avec la monnaie hélicoptère, les banques centrales abandonneraient l’argent directement de la planche à billets de la banque centrale vers les agents économiques. Cela représenterait le passage d’une politique monétaire non conventionnelle à une politique monétaire véritablement excentrique. En réponse à des journalistes, le président de la BCE n'a bien sûr pas soutenu une telle démarche, mais a noté que la monnaie hélicoptère était "un concept intéressant". Bien sûr, c'est difficile à concevoir, notamment parce que cela pourrait impliquer une dimension pénale.» Cette idée de lancer une "monnaie hélicoptère" (de vrais billets jetés par les airs sur le bon peuple) paraît totalement absurde. C'est une idée qui avait traversé les conseillers d'Hitler durant le seconde guerre mondiale, mais pour provoquer sur l'Angleterre une inflation et donc de sérieux problèmes d'approvisionnement en armes, carburant, nourriture. Ce projet (l'opération Bernhard, du nom de son promoteur) pouvait peut être se concevoir comme arme de guerre, mais dans une économie normale, c'est un risque aussi létal que la guerre!
p.24: «Le chapitre 2 décrit le modèle de croissance tirée par la dette dans les pays du G7. Sa caractéristique est l’augmentation rapide de la dette au cours de la dernière décennie. Cette augmentation rapide permet que la demande augmente plus vite que l’offre, et soutienne ainsi la croissance à court terme. Malgré la poussée alimentée par la dette, la croissance dans les pays à revenu élevé est restée modeste. Mais la dette a désormais atteint des niveaux sans précédent en temps de paix. Il semble peu probable que ces niveaux puissent être dépassé. Lorsque les taux d’intérêt augmenteront, ces niveaux finiront par être considérés comme insoutenables.» Il faut croire que l'économie n'est pas une science exacte! Le livre de nos deux auteurs a été écrit en 2016 et depuis huit ans, la dette augmente et la croissance ralentit. Il faut donc persister dans l'erreur puisqu'elle fonctionne si bien. C'est Gribouille qui se jette à l'eau pour n'être pas mouillé par la pluie!...
p.36: «Les chapitres précédents ont décrit comment les apprentis sorciers appelaient politiques monétaires et budgétaires qui ont conduit les économies avancées dans un piège. Les politiques monétaires mondiales hautement expansionnistes encouragent et garantissent la croissance rapide de la dette. Des niveaux d’endettement élevés rendent alors difficile la normalisation monétaire. Cette relation symbiotique entre la politique monétaire, le laxisme budgétaire et l’endettement est encore plus évidente, renforcé et rendu plus difficile à dénouer par le manque d’intégrité du système financier mondial.» Curieux encore que Hannoun et Dittus n'aient pas fait le rapprochement avec le personnage populaire de Gribouille. Ils parlent d'intégrité des grands argentiers quand il serait plus juste de parler de "niais" qui, par crainte d'un mal, se jettent dans un pire…
p.36: «L’époque où les marchés financiers surveillaient attentivement ce que faisaient les banques centrales paraît terminée. Il semble plutôt que la relation se soit inversée. Maintenant, il semble que les banquiers centraux surveillent avec inquiétude ce que les marchés financiers attendent d'eux et comment ils pourraient réagir. Il n’existe aucune étude approfondie décrivant comment les marchés financiers, ainsi que les puissants médias financiers traditionnels, ont préparé le terrain pour une politique monétaire sans délibérations politiques.» S'il y avait eu une étude sérieuse sur la prise en otage de la politique par les économistes, il est évident qu'il y aurait déjà eu une révolution. Un beau jour, il faudra bien que ce genre d'étude nous explique comment les partis de gauche de la plupart des pays européens se sont laissés entraîner dans le néolibéralisme au nom du réalisme économique. Venant de Mitterrand, qui n'est passé à gauche que par opportunisme, cela pouvait s'entendre, mais que penser des Rocard, Hollande, Jospin et consorts et de leur virage austéritaire?...
p.39: Les guerres de devises ne constituent pas un risque. Elles sont une réalité, le résultat d’une attitude peu coopérative et du chacun pour soi des banques centrales. Les banques centrales du G7 se sont de facto engagées dans une politique de "dévaluation compétitive". La justification derrière cela est simple : la dépréciation du taux de change peut stimuler les exportations nettes et donc, la croissance et le chômage, tout en soutenant l’inflation grâce à une hausse des prix des importations. Le problème de cette tactique est que tous les pays ne peuvent pas déprécier leur monnaie en même temps. S’ils essaient, des guerres monétaires éclateront sous la forme d’un assouplissement monétaire compétitif, un jeu à somme nulle. La guerre des devises existe depuis la Grèce antique, dès le 5° siècle avant J.C. Mais elle ressemblait à des guerres pour du faux comme les enfants armés d'épées de bois. La guerre économique s'est sophistiquée, elle est plus "massacrante" et n'est plus limitée aux seuls marchands puisque nous sommes tous devenus des "acteurs économiques". Avec la mondialisation, la guerre s'est délocalisée, aussi vite que l'industrie textile. L'économie spéculative a remplacé les épées de bois et il est peu probable que la nouvelle guerre économique ne nous entraîne pas, plus vite que l'on croit, vers une déroute généralisé. Sur ce sujet, Hannoun et Dittus ont été très prudents…
p.54: «Dans ce manifeste, nous expliquons pourquoi nous pensons que le monde du G7 se dirige vers une crise majeure. Notre objectif principal est l'élaboration de politiques économiques et nous nous concentrons donc sur les politiques du G7 dans les domaines des politiques monétaires, budgétaires et prudentielles. Nous pensons que ces politiques sont imprudentes. Ce qui est inquiétant, c'est que le même schéma peut être observé dans d'autres domaines politiques, où les conséquences peuvent être encore plus graves qu’une « simple » crise économique. Les conséquences des politiques de défense du G7 et de l’OTAN en sont un exemple, la croissance basée sur le carbone en est un autre. Nous les passerons brièvement en revue dans les deux prochains chapitres….» Un scoop: le monde du G7 se dirige vers une crise majeure! La politique économique du G7 est "imprudente". Le terme exacte serait "suicidaire"… Les auteurs font le même lien, avec la même imprudence vis-à-vis de l'OTAN, du carbone. Il y a un gouffre entre le constat, le titre révolution required et la conclusion logique qui devrait en découler. C'est la démonstration involontaire qu'il n'y a rien à attendre des élites politiques et économiques. Si les mieux placés dans le système, les plus conscients du problème, les plus libres de parole puisqu'ils sont retraités, en sont là, il est clair que toute transition s'appuyant sur le système et ses thuriféraires est vouée à l'échec….
p.102: Ce qui est également urgent, au nom de l’humanité, c’est un transfert mondial significatif des ressources, loin du complexe militaro-industriel et de l’industrie des énergies fossiles, et vers le financement des investissements verts nécessaires à la gestion de la transition énergétique, le financement du fonds de 100 milliards de dollars promis à Copenhague aux pays émergents et en développement pour les aider à contrer la tendance au réchauffement climatique et à résoudre les problèmes dramatiques auxquels sont confrontés les pays à faible revenu, comme la pression croissante sur les ressources en eau, la famine et les épidémies…
C'est pour les profits financiers que les capitalistes détruisent la planète et uniquement pour cela. Aujourd'hui encore, les journaux évoquent un procès contre Nestlé qui en 15 ans a gagné 3 milliards en fraudant sur le traitement des eaux minérales (18 milliards de bouteilles en plastique vendues, l'épuisement de nappes phréatiques alimentant des villes entières, des eaux moins contrôlées que celle du robinet et 70 fois plus chères, etc.). Il faut, y'a qu'à investir dans "l'industrie verte et durable"… La seule chose qui soit considérée durable par le capitalisme, c'est la croissance, la prédation, les profits. Et ça tombe bien puisque plus les profits font des dégâts, plus les dégâts font à leur tour du profit… Hannoun et Dittus en concluent qu'il faut modifier notre organisation économique, que les humains souhaitent travailler à temps plein afin d'augmenter leur consommation sans limites. On croit rêver devant tant d'illusions…
La conclusion de Hannoun et Dittus, c'est une involontaire déclaration d'impuissance. Une gouvernance mondiale ne peut s'appuyer sur des Institutions (ONU, FMI, BRI, G20, etc.) sans pouvoir de contrôle et de répression, sans perspectives à long terme et surtout, totalement aux mains des puissances financières. Le problème n'est jamais une solution. Mais reconnaissons qu'un tel essai finira sans aucun doute par convaincre le plus grand nombre de l'impasse structurelle du capitalisme (privé ou d'État), qu'il n'y a pas d'autre logique interne au dit capitalisme qui soit réaliste, que l'échange marchand qui justifie l'ensemble ne peut exister sans profits, qu'il ne peut donc exister de justice sociale, de démocratie, d'écologie dans ce système qui depuis cinq mille ans ne fait que s'adapter aux circonstances autour des mêmes paradigmes. Nous pouvons remercier Hervé Hannoun et Peter Dittus de nous en fournir cette remarquable démonstration!...