Sortir de l'économie, Appel des 138 économistes, Collectif
Editions LLL, 2016, 220 pages
En se référant à la crise des années 30 et au "new deal" de Roosvelt, les 138 économiste, la plupart "atterrés" mais pas seulement, annoncent qu'il y a des solutions à la crise économique, sociale, écologique, à la finance dérégulée, au formidable gaspillage environnemental, à la crise du modèle néolibéral, aux exigences du marché, à l'emballement des dettes, à la défiance des populations, à l'austérité imposée par l'UE, à la volonté des multinationales… Diantre, c'est ambitieux! Mais de suite, ils parlent de "l'État qui ne doit pas être la voiture balai du marché, d'autres règles de répartition des richesses, une autre organisation de la production… " Sans ma curiosité malsaine, j'aurai pu arrêter la lecture ici!... Il n'y a rien de neuf dans leurs propositions, rien qui ressemble à autre chose que le choix de la relance ou de l'austérité, deux options largement expérimentées sans pour autant résoudre le début d'un problème.
Introduction, pp.7-16: Ce livre s'ouvre sur une citation de Franklin Roosevelt datée de mai 1932, ce qui marque l'ancrage de ces experts es-économie moderne! : «Le pays exige une expérimentation continuelle et audacieuse. C'est du bon sens que d'adopter une méthode et de l'essayer: si cela ne fonctionne pas, il faut l'admettre franchement et en essayer une autre. Mais par-dessus tout, essayer quelque chose […] Les millions de personnes dans le besoin ne resteront pas indéfiniment silencieuses.»
Le futur président Roosevelt en campagne électorale annonçait là le "New deal" face à la crise, à la "grande dépression". Avec le recul de près d'un siècle, on peut apprécier l'audace et l'originalité du plan, tout autant que le réveil des masses populaires qui viennent de voter Donald Trump aux USA, qui font les yeux doux à Jordan Bardella en France, à Alice Weidel de l'AfD en allemagne… Mais s'il s'agit de propose un old "new deal" pour sortir de l'impasse économiste, ne faisons pas la fine bouche et lisons…
«La crise actuelle est multiforme, économique, politique, écologique… idée pour le moins perspicace. La fuite en avant est néolibérale… comment ne l'avons pas vu arriver?... Les inégalités, la dureté des rapports sociaux ont explosé et miné le contrat social. Mais les législatives anticipés de juin 2024 ont permis d'échapper aux risques des extrêmes de gauche et de droite… La solution est simple, il faut réorganiser la production et la redistribution de la richesse. Proposer au peuple un bouquet de 22 propositions phares, quasiment identique à ce que propose actuellement le Front de gauche, "économiquement délirant" nous disait sans rite le ministre de l'économie, en ajoutant: "et mené par des antisémites notoires et des islamo-gauchistes avérés!... "
Le décalage entre l'appel groupé de 138 éminents économistes parmi lesquels on trouve Thomas Porcher, Michel Agglietta, Olivier Favereau, David Cayla, Michaël Zemmour, pour ne citer que les plus médiatiques et les plus sympathiques à mes yeux.
Une transition écologique, pp.19-45
«Notre système énergétique est le produit d'une planification et d'un pilotage centralisé qui ont donné naissance à de grandes entreprises publiques (EDF, Engie, Areva, Total…) […] mais la Commission européenne a appelé les États à libéraliser leurs industries… On est très loin des promesses des experts européens.»
Pourtant, une bonne partie de la gauche traditionnelle a largement participé à ce massacre, par réalisme politique, par attachement au rêve européen. Qu'est-ce qui peut changer rapidement de ce qui était prévisible dès le tournant de la rigueur des socialistes en mars 1983? Qu'y a-t-il de neuf dans les syndicats, les mouvements populaires, les partis traditionnels? En arriver à 100% d'énergie renouvelable c'est possible et bon pour l'emploi nous dit Thomas Porcher.
Philippe Kirion, chercheur au CNRS, constate que l'Adène et Négawatt sont en parfaite accord sur la nécessité de prendre réellement en compte la crise climatique, ce qui nécessite de faire comprendre que la transition vers un système énergétique 100% renouvelable relève de l'intérêt général! Qui veut-il convaincre? Ceux qui n'ont aucun pouvoir et subissent le dérèglement climatique ou ceux qui n'y ont aucun intérêt tant que les dégâts font du profit en plus?...
Michel Aglietta, expert de France Stratégie, réclame la création d'institutions financières spécialisées, une banque carbone, la création d'une nouvelle classe d'actifs financiers pour les investisseurs vertueux, une infrastructure juridique…, à l'exemple de la Chine et de sa mise en place d'une "Green Finance Task Force présidée par sa banque centrale! On croit rêver… La Chine, parangon de l'écologie!!!
Domestiquer la finance pour un nouveau pacte positif : pp.49-80
Laurence Scialon et Yamina Tadheddine (Universités Paris-Ouest et Lorraine) : Le régime d’accumulation financiarisé qui domine le système économique et social depuis 40 ans n’est pas capable de fonder une société viable…De nombreux travaux de recherche ont montré les effets nuisibles de l’hyper financiarisation sur la croissance économique…
Il fallait bien deux chercheuses "Bac+10" pour découvrir cela ! Mais il y a des solutions : renouer avec une finance plus proche des besoins de l’économie réelle… lier les banques à des engagements de long terme…favoriser les placements à forte rentabilité sociale…, développer la finance de proximité… La finance n’est pas une technique ou une vérité, c’est une construction sociale fondée sur des idéologies. Il revient au citoyen d’en choisir les fondements… (sic) Si le peuple était un tout petit peu souverain, il y a longtemps qu'il occuperait les ronds-points ou qu'il aurait déclenché une grève générale. Mais c'est vrai qu'il n'a plus ni partis ni syndicats qui lui proposent une véritable éducation populaire. Le peuple n'est plus qu'un tas informe de citoyens, livrés sans défenses à BFM, CNews et Consorts.
Jézabel Couppey-Soubeyran (Université Paris 1) propose de conditionner le soutien monétaire de la BCE au financement de l’investissement productif de long terme… La zone euro pâtit fondamentalement d’un policy mix inadapté, voire inexistant… Après l’enfoncement de cette nouvelle porte ouverte, plusieurs solutions sont proposées : Les taux d’intérêts négatifs, le quantitative easing for People…, mais l’auteur préfère le financement par la BCE d’institutions financières publiques, dans le cadre le plus démocratique possible, à différentes échelles ! Trop tard ! Il y a un moment déjà que la démocratie a été tuée par la finance…
Gabriel Colletis et Daniel Bachet (Universités Toulouse 1 et Evry) proposent de réindustrialiser pour valoriser le travail et changer l’entreprise. La désindustrialisation ne cesse d’inquiéter ! …il faut un gigantesque effort d’éducation et de qualification et une fiscalité différenciée qui favorise le réinvestissement des bénéfices. Le propos est audacieux et innovant. C'est à se demander si la finalité de l’entreprise n'est la recherche de profits pour les actionnaires! Et la conclusion est encore plus audacieuse : Le fait d’assigner à l’entreprise un autre objectif que le profit permet à terme de remettre en question la notion, non fondée en droit, de “propriété de l’entreprise” et de faire en sorte que le pouvoir d’entreprendre ne provienne plus de la seule propriété des capitaux. On peut s’étonner que ces deux auteurs s’arrêtent en si bon chemin : remettre en cause le profit, la propriété de l’entreprise et celle des capitaux, devrait aboutir à la suppression de ce qui, mécaniquement, induit les profits, l’argent… Mais là, c’est trop demander, ils ne seraient plus populistes mais fous !
Olivier Favereau (université Paris-Nanterre) se propose de remettre l’entreprise au travail. Sur le plan économique l’analyse que fait Favereau de la financiarisation et des effets pervers qu’elle induit est claire et puissante. Il imagine possible un passage du principe de “concurrence libre et non faussée” à une gouvernance travail/capital dans les entreprises (modèle scandinave) : “Nous serions sortis de l’ère de la financiarisation, même à système financier inchangé.” En somme, Favereau décrit bien l’enjeu des 138 : ne rien toucher au système mais le doter d’outils de régulation. On est loin d’une révolution copernicienne qu'on espérait de cet aéropage !
Changer l’euro et l’Europe
Eric Heyer, Mathieu Plane, Xavier Timbeau annoncent qu’une autre zone euro est possible, plus démocratique et plus efficace. L’Europe est dans l’impasse et elle doit muter vers la croissance, l’environnement, le plein emploi ! Les 138 sont donc prêts à tout, sauf à sortir du système monétaire actuel, de l’Europe, de l’euro et surtout de la croissance !
Jacques Mazier (Université Paris 13) est plus radical que les précédents : les grands projets européens sont complexes à mettre en œuvre et n’ont qu’un impact macroéconomique limité…Les politiques de déflation compétitives entre les pays européens ont des effets délétères… Cette contradiction ne peut être levée qu’en posant le problème de la sortie de l’euro…, de la réintroduction du mark allemand, d’un système d’euros multiples ou d’un euro bancor… Mais, on ne peut être sérieux dans le diagnostic et en même temps croire à une possible solution de rechange!
On peut d’ores et déjà remarquer que chaque intervenant a ici pris soin de relier son propos à la transition écologique. C’est donc un acquis dans la profession et il est dommage qu’aucun ne fasse une analyse des diverses prises de positions antérieures qui ont largement retardé cette nouvelle conscience de l’enjeu écologique. Leur constante recherche de croissance a induit des choix anti-écologique pendant longtemps mais va continuer à limiter considérablement leur velléité de changement…
D’autres réformes pour l’emploi.
Olivier Allain rappelle que les salaires ne sont pas seulement un coût de production. Ils sont aussi un revenu qui sert de base à la dépense de consommation. La modération salariale se traduit par un transfert de revenus fortement consommés (salaires) vers des revenus qui le sont moins, les profits induisent une baisse de la demande de consommation… La conclusion est moins clair que l’analyse : il faudrait que le gouvernement entame une réflexion sur la coordination des politiques salariales au sein de a zone euro… (sic) !
Suivent des vœux pieux sur le temps de travail, sur sa répartition équitable, sur l'instauration d'un “compte épargne temps de vie” (CETV) pour tous, sur une croissance verte, un écolo-keynésianisme, réconciliant la décroissance écologiste et la croissance économique. Plus original, Hervé Defalvard prône une ré-alliance autour du commun (Laval et Dardot), du solidarisme (Léon Bourgeois) comme troisième voie ni libérale ni collectiviste. Il cherche donc à construire un capitalisme communal, à relocaliser l’économie, à fonder un droit d’usage dans les entreprises… L’idée est sympathique et pour la première fois (arrivés à la page 178) sort des sentiers battus et rebattus. Dommage que pour ces économistes, le capitalisme reste encore indépassable.
David Cayla s’interroge sur le revenu universel qu’il ne considère pas comme progressiste par rapport à la situation actuelle. …Ces généreuses propositions sont douteuses en ce sens que cette promesse d’un travail librement consenti, produit d’un choix strictement individuel, revient à nier le caractère collectif du travail (les individus ne peuvent décider d’arrêter de travailler que si d’autres décident de continuer)…
Conclusion : L’appel pour sortir de l’impasse économique a été publié dans Le Monde du 10.02.2016, lequel y a vu qu'il est possible de ré-enchanter l’avenir, y compris en matière économique… Raté, j’ai lu 210 pages sans avoir un instant avoir découvert un détail innovant, un mot qui fasse rêver ! Les alternatives existent pour sortir de l’impasse…, mais elles ne sont pas capitalistes, pas même alter-capitalistes. Elles sont postmonétaires. Les 138 économistes resteront jusqu’au bout dans l’impasse qu'ils connaissent si bien. Ils vont repeint les murs, lavé le pavé, la décorée de fleurs…
Il est temps d’abandonner cette politique qui conduit à l’enlisement sans fin dans la crise. La solution, c’est d’ouvrir un grand débat entre citoyens, associations, syndicats, politiques… C’est sortir de la logique du mépris généralisé du peuple… Mais j’ai le sentiment, avec cet appel inconsistant et pourtant rédigé par un panel d’universitaires et d’experts imposants, d’avoir été pris pour un niais, d’avoir été méprisé !
Les 138 intellectuels ont accouché d’une souris…