T.A.Z., Hakim Bey

Editions Anti-copiright, 1983, 171p.
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Bey.jpeg4ème de couverture: La TAZ (Temporary Autonomous Zone), ou Zone Autonome Temporaire (ZAT), ne se définit pas. Des "Utopies pirates" du XVIII° au réseau planétaire du XXI° siècle, elle se manifeste à qui sait la voir, "apparaissant-disparaissant" pour mieux échapper aux Arpenteurs de l'État. Elle occupe provisoirement un territoire, dans l'espace, le temps ou l'imaginaire, et se dissout dès lors qu'il est répertorié. Elle est une "insurrection" hors le Temps et l'Histoire, une tactique de la disparition. Le terme s'est répandu dans les milieux internationaux de la "cyber-culture", au point de passer dans le langage courant, avec son lot obligé de méprises et de contresens. La TAZ ne peut exister qu'en préservant un certain anonymat ; comme son auteur, Hakim Bey, dont les articles "apparaissent" ici et là, libres de droits, sous forme de livre ou sur le Net, mouvants, contradictoires, mais pointant toujours quelques routes pour les caravanes de la pensée. On a un peu oublié que l'acronyme actuel ZAD (Zone À Défendre) est venu de la ZAT d'Hakim Bey…

Hakim Bey (en arabe "M. le Juge" en turc, ou "Le sage" en arabe), de son vrai nom Peter Lamborn Wilson, (1945-2022) est un écrivain politique et poète américain se qualifiant d'anarchiste ontologique et de soufi. Il est vite devenu célèbre dans les milieux anarchistes, situationnistes, pirates, hackers. Il aurait passé plusieurs années en Inde, au Népal, au Pakistan et en Afghanistan, et travaillé à l'Académie impériale de philosophie en Iran. Son livreTAZ, écrit en 1997, a été traduit et publié dans quantité de pays.  

            Ce livre d'Hakim Bey a mal vieilli, mais cela reste un document intéressant quant à l'histoire des mouvements contestataires en tout genre. La critique du système capitaliste marchand est toujours la même, l'absence de projet systémique toujours aussi flagrante. Comment se fait-il que les "bifurcations post-soixante-huitardes" soient tombées dans le folklore, que les ZAD restent aussi éphémères, que les mouvements de masse finissent toujours par s'essouffler, et qu'à la fin le capitalisme gagne la partie? C'est d'autant plus étrange que le système en place semble, à tout moment et sur bien des aspects, tout prêt de s'effondrer. Notre mouvement postmonétaire est à l'évidence en phase de croissance, au moins en nombre de militants, mais reste encore invisible dans le paysage politique, médiatique, social. Une utopie certes séduisante, mais hors course quant au rapport de force.
       Des théories parfois fumeuses d'Hakim Bey, il ne reste que son désir d'insurrection qu'il juge plus stratégique que celui de révolution, il reste l'idée de la ZAT, des lieux hors cadre qui mettent en acte un autre monde et disparaissent quand ils sont dans le viseur des pouvoirs politiques et médiatiques pour mieux se reconstruire ailleurs. C'est déjà pas mal…        

  Le terrorisme poétique: "Entrez par effraction dans des maisons, mais au lieu de les cambrioler, laissez-y des objets poétiques…Kidnappez quelqu'un et rendez-le heureux… Érigez des plaques commémoratives là où vous avez connu une révélation ou une expérience sexuelle particulière…Sortez nus pour un signe… gribouillez des poèmes dans les toilettes des palais de justice… graffez des slogans sur les murs… Déguisez-vous, laissez un faux nom, soyez mythique, restez contre la loi sans vous faire prendre, l'art est un crime, le crime est un art…"
       Traduit en langage actuel, cela veut dire qu'il faut étonner, choquer, déranger, amuser par tout exercice possible, comme seul moyen de susciter des réflexions hors cadre…

p.42:  Bolos, kallikaks et ashrams: une  proposition:
       Le bolo est une forme de communauté autosuffisante. Les kallilaks étaient des groupements familiaux eugénistes des années 1920 aux USA, inspirés par  Henry H. Goddard, un psychologue américain. L'ashram du Chaos et de la même veine! Pour Hakim Bey, "l'Empire n'a jamais pris fin" (de César à Macron nous dit aujourd'hui Pacôme Thiéllement, l'exégète de Blast) et c'est ce qui motive son refus de "collaborer" avec le système. Il a une soif inextinguible d'activités ludiques, de sabotage, d'insurrection… Il nous dit que «entre un passé tragique et un futur impossible, l’anarchisme semble manquer d’un présent, comme s’il était effrayé de se demander à lui-même, ici et maintenant, "quels sont mes désirs réel.
     Les postmonétaires offre-t-il un programme concret pour lequel les défavorisés pourraient se battre? Sont-ils capable d'échapper à la fois au collectivisme et à l'individualisme?  Expérimentent-ils de nouvelles tactiques afin de remplacer le bagage dépassé du Gauchisme. En relisant Hakim Bey, sans projections anachroniques, on ne peut éviter de se poser ces questions…Quelques phrases piquées ici ou là invitent à la réflexion:        "

          "Nous qui vivons dans le présent, sommes-nous condamnés à ne jamais faire l’expérience de l’autonomie, à ne jamais nous tenir debout, ne fut-ce que pour un bref instant, sur un bout de terre qui soit dirigé par la seule liberté ?"

            "La question n’est pas de changer la conscience, mais de changer le monde."

            "La ZAT est comme une insurrection qui n’affronte pas directement l’État…"

            " Notre siècle est le premier sans terra incognita."
       Cette dernière remarque d'Hakim Bey est juste. Il ne subsiste plus aucun ilot, bout de rocher ou sommet escarpé qui ne soit pas inclus dans un État-nation, qui n'ait pas été contaminé par la marchandisation. Aucune tache blanche sur aucune carte… Les rêves d'éco-village sans argent, de lieux alternatifs ou villes postmonétaires, n'ont pas pour l'instant abouti. Ce qui existe concrètement relève plus de la ZAT: un marché gratuit mais temporaire, des magasins gratuits, mais approvisionnés par les surplus du capitalisme, des systèmes d'échanges et de mutualisation qui évitent de consommer, d'acheter ou louer… Ces expériences foisonnent mais toujours dans le cadre marchand qui s'infiltre irrémédiablement via des taxes, des impôts, de l'énergie payante, des technologies pour l'instant incontournables… Comme le suggère Hakim Bey, ces alternatives postmonétaires doivent toujours prévoir le moment où cette pression capitaliste les menace de compromission, pour tout effacer et recommencer ailleurs ou autrement…