The currency of politics, Stefan Eich

The currency of politics, Stefan Eich

Titre original:  "The currency of Politics",

éd. Princeton Un. Press, 2022.

               Eich-Stefan.jpegStéfan Eich, est professeur à l'université de Georgetown USA. Il est spécialisé dans l'histoire des théories politique de l'argent et du capitalisme financier.  Très en vogue en France parmi les rédacteurs de la revue de gauche Alternatives économiques, des articles, commentaires et traductions partielles y sont souvent publiés, dont celui du 8 avril 2023  la copie est jointe en PDF.  

«La monnaie est l’une de ces institutions tellement omniprésentes que nous réfléchissons rarement à ce qu’elle est réellement, […] sauf en temps de crise. […] Derrière ce système se cachent aussi toujours des questions de pouvoir. […] L’idée de monnaie neutre est morte, mais nous ne savons pas encore ce qui peut la remplacer.[…] Il s’avère donc que les banques privées sont chargées de fournir un bien public crucial, à savoir la monnaie, qui s’étend à tous les aspects de notre vie, des décisions les plus personnelles aux plus macroéconomiques. […]

                Tout est dit en quelques phrases au point que l'on se demande comment ce brillant économiste arrive à ne pas poser la question, pourtant simple et évidente, de l'abolition de l'argent. Le fait qu'on n'y réfléchisse jamais hors des temps de crise, devrait alerter. Cela me donne l'idée de paraphraser une chanson de Boris Vian. On pourrait dire:

                Vian-1.jpeg                                  Vian-argent.jpeg         

                               Boris Vian….                                                                 Version postmonétaire
                             (voir l'original)         

Mais Stefan Eich cherche encore des causes à tous nos soucis pour soigner le système:

 «…Une création monétaire privée signifie que le crédit va aux secteurs de l’économie qui offrent les profits les plus élevés (comme les industries des énergies fossiles) et non à ceux que nous voudrions favoriser en tant que société, mais qui ne généreraient pas, ou pas suffisamment, de profits. […] Les libertariens et conservateurs, en revanche, ont proposé un tout nouveau discours consistant, pour l’essentiel, à essayer de retirer complètement la monnaie de la politique. […] Or, Locke est parvenu à cette conclusion -que la monnaie doit être en dehors de la politique-, non pas parce qu’il pensait que la monnaie était d’une manière ou d’une autre naturelle, mais précisément parce qu’il pensait qu’elle était politiquement trop importante pour être laissée à la politique, à la main du souverain.[…] La réponse de Marx esEich-Stefan.jpegt que réformer le système monétaire sans changer le système de production sous-jacent était une confusion futile qui identifiait mal la source de l’exploitation.[…]

Nous voulons favoriser des entreprises utiles, mais seul le profit compte! Une monnaie hors de la politique serait peut-être mieux nous dit Locke. Marx nous dit que c'est le système de production qui est en cause, pas l'outil monétaire! Et on ne peut douter que ce chercheur en histoire économique ait épluché soigneusement toutes les propositions réformistes possibles et imaginables, des plus concrètes au plus idéalistes, des plus conservatrices au plus anarchistes. Et c'est, en définitif pour nous dire:   

«Je pense que le grand défi aujourd’hui est de réapprendre à parler en des termes démocratiques de la monnaie.[…] Les banques centrales comme laboratoires de la démocratie ! Cela peut sembler fou, mais pourquoi ne pas créer de nouveaux organes représentatifs, au sein ou rattachés aux banques centrales, qui ressembleraient à une assemblée de citoyens ou à un mélange d’experts et de personnes qui représentent différentes parties de la société, par exemple les syndicats, et qui seraient impliqués dans la prise de décision ? […] La façon dont nous pensons à la monnaie a le pouvoir de changer ce qu’elle produit. […]»

En somme, ce serait un défaut de démocratie qui rendrait l'argent dangereux! Une assemblée populaire consultative dans chaque banque…, et plus de mal d'argent. Boris Vian avait compris que ce n'est pas être "vraiment guéri", Stefan Eich pas encore!... Il nous dit que l'argent est un bien commun sans lequel la société s'effondrerait. L'historien devrait savoir que l'humanité a survécu 300 000 ans sans argent, qu'elle l'a inventé il y a 3 500ans au mieux et que cet argent n'a commencé à se généraliser qu'au XVIII° siècle et qu'il est le pivot de tout le système depuis un siècle seulement. Serions-nous devenus plus stupides et fragiles que nos ancêtres Néandertaliens? Comment croire quand on est rationaliste et scientifique, que le seul fait de penser l'argent autrement résoudra tous les problèmes causés par l'argent?... Pourtant, le même scientifique avoue un peu plus loin que:

 «Leur diagnostic [ceux de tous ses collègues théoriciens] était le bon mais c’était une impasse et ils n’ont pas eu assez d’imagination pour trouver une issue.» Et les banquiers ont fait le choix délibéré mais en huis clos: « en augmentant les taux d’intérêt, nous augmenterons intentionnellement le chômage car c’est le seul moyen d’atteindre notre objectif de stabilité des prix ». Quoi qu’on pense de la théorie monétaire qui sous-tend cette politique, ce n’est pas ainsi qu’un État démocratique est censé traiter ses citoyens ! Et c'est bien le problème un système monétaire démocratique, c'est objectivement un oxymore. Les banquiers le savent mais ne le disent pas, les écologistes et gauchistes le disent aussi parce qu'ils ne veulent le penser.

«En d’autres termes, ayons des alternatives et des concurrents publics aux banques privées afin que tous ceux qui ont besoin d’un crédit et de services financiers mais qui ne peuvent pas les obtenir auprès des banques puissent y avoir accès. Non seulement cela répondrait à un besoin réel, mais cela pourrait aussi, soit contraindre les banques privées à se mettre au niveau, soit les remplacer par une option publique. La relation de pouvoir entre les banques et l’État changerait alors fondamentalement.»

La peur d'abandonner l'outil monétaire fait imaginer l'inimaginable, c’est-à-dire à tordre la réalité pour la faire coller à notre désir. Fondamentalement notre désir est que rien ne change de la réalité. Et la réalité, c'est que jamais dans l'Histoire l'économique ne s'est intéressé au bien commun

«L’économiste Jonathan Kirshner a un bel exemple pour décrire ce phénomène : si vous êtes assis dans un avion et que tout le monde à bord est fermement convaincu que l’avion ne décollera pas, cela n’a pas d’importance, ce qui compte, c’est l’aérodynamisme. Ce n’est pas le cas pour la monnaie : si tout le monde pense qu’une certaine réforme monétaire ne fonctionnera pas, elle ne fonctionnera pas. Parce que la monnaie est en elle-même une question d’attentes et que celles-ci peuvent facilement devenir auto-réalisatrices.»

En somme, Stefan Eich avoue que la vision que l'on a de l'argent relève de la croyance, mais que cette croyance est auto réalisatrice. Nous ne sommes donc pas face à un problème technique de création monétaire, d'inflation ou d'économie spéculative, mais bien face à une doxa validée par des siècles de propagande. Seul un choc dans ce cas là peut secouer les neurones au point de douter de la doxa. Une crise financière ne suffira pas, une crise systémique globale peut au contraire être une belle opportunité… si toutefois on fait abstraction du formidable chaos que cela implique!... Nous sommes au bord de l'effondrement, mais le chaos annoncé est impensable donc impensé… C'est là le cercle vicieux que les économistes n'osent encore affronter…