Tout peut changer, Naomi Klein
Capitalisme et changement climatique (sous-titre)
Editions Babel, 2016.
Quatrième de couverture : Notre modèle économique est en guerre contre la vie sur Terre. Nous ne pouvons infléchir les lois de la nature, mais nos comportements peuvent et doivent radicalement changer sous peine d’entraîner un cataclysme. Tant par l’urgence du sujet traité que par l’ampleur de la recherche effectuée, Naomi Klein signe sans doute son livre le plus important à ce jour.
Naomi Klein a déjà publié plusieurs ouvrages, dont La stratégie du choc, 2008, où elle dénonçait déjà la manipulation de la violence et des catastrophes par les groupes multinationaux. L’audience est considérable et polarise violemment débats et critiques. Cette journaliste est une militante, mais bien d’autres choses aussi.
Présentation: « Tout peut changer » encore… Pour deux ans ? Au plus pour dix. Après, quoi qu’on fasse, il sera trop tard et les catastrophes engloutiront jusqu’à la démocratie. Ce qui se joue avant tout est bien de « transformer complètement notre façon d’habiter la planète », de retrouver les solidarités et la fraternité, de réduire les inégalités, d'assurer un avenir à nos enfants, mais aussi à nous-mêmes, tant les échéances sont imminentes. Nous pourrons alors « redonner du sens à nos vies ». La tâche est immense : libérer la Terre de l’esclavage où nous la tenons. Justement, nous avons aboli l’esclavage des hommes.
Avant-propos : D’une manière ou d’une autre, tout est en train de changer
Si nous continuons à laisser les émissions de GES (gaz à effet de serre) augmenter d’année en année, le réchauffement planétaire va bouleverser notre monde. On peut se demander pourquoi une femme aussi avertie que militante, pose d'emblée le réchauffement comme unique cause première, quand bien d'autres scientifiques dénoncent le fait qu'il s'agit là d'un des multiples autres problèmes qui mettent la planète en danger. Certains pensent que le dérèglement climatique est plus médiatisé car il est aussi le plus simple à régler ou à greenwasher!
Pour que ce désastre se concrétise, il nous suffit de ne rien faire et de poursuivre sur notre lancée en attendant le salut des technologies. Mais si un nombre suffisant d’entre décident que le dérèglement climatique est une crise grave nécessitant une intervention de l’ordre du plan Marshall, elle sera perçue comme telle, et la classe politique n’aura d’autre choix que de réagir. Cette malheureuse introduction donne le ton au reste du livre. Elle laisse penser qu'il y aurait un salut dans la technologie. Elle évoque l'aide américaine dite "plan Marhall" qui a suivi l'opération Normandie dont le nom de code était Overlord (en français suzerain). Le débarquement des Américains et le plan Marshall qui a suivi la "libération" a été à l'évidence une opération visant à vassaliser l'Europe, culturellement et économiquement. Elle considère qu'en cas d'effondrement, la classe politique n'aura d'autre choix que de réagir, ce qui, dans l'histoire de l'humanité ne s'est jamais vu. Les élites ont toujours fui les vrais solutions en tentant d'aménager le système qui les avait fait élites! Trois approximations en deux phrases n'aufgure rien de bon et c'est dommage, on aimait bien la Noémie Klein de "La stratégie du choc" !
Naomi qui pourtant a visité la Grèce en Crise, y a rencontré des militants engagés et constructifs (les membres de la SCOP autogérée Vio.Mé à Thessalonique par exemple). J'y étais, et son discours sur la crise (la pire que l'on ait connue en Europe dans une période de paix) était flamboyant! Elle avait vu et compris aussi les stratégies des gens de pouvoir pour endormir le peuple et tuer des initiatives comme celle des ouvriers de Vio.Mé.
La crise du climat pourrait en effet offrir la possibilité de rebâtir et raviver les économies locales, de libérer nos démocraties de l’emprise destructrice des géants du secteur privé, d'empêcher l’adoption d’accords de libre échange et renégocier ceux en vigueur, d'investir dans les infrastructures publiques....
Lors de son déplacement à Thessalonique et de son intervention à l'usine Vio.Mé, elle a vu que plus la Grèce s'enfonçait dans l'austérité, plus les élites politiques, financières et industrielles faisaient déjà l'exact contraire de ce qui était possible...
L’échec de la conférence hautement médiatisée de 2009 à Copenhague a clairement montré que les dirigeants de la planète ne veulent pas s’occuper de ce problème et ne se soucient pas de notre survie. Je préfère penser que les dirigeants ne savent pas faire autrement. Ils sont aussi coincés par le système que les usagers le sont par leur collaboration au système. Tout ce qui "pourrait offrir la possibilité de…" remet en cause les fondements mêmes du capitalisme. Comment demander aux capitalistes de se "convertir", de se tirer une balle dans le pied?
En fait, les émissions augmentent si rapidement que, à moins d’un changement structurel radical de notre économie, l’objectif des 2 degrés est d’ores et déjà utopique. [...] Alors pourquoi rien n’est fait pour prévenir ce désastre mondial ? Pourquoi? Parce que la remise en cause du système est trop globale. Il ne s'agit pas d'opter pour quelques simples réformes. La nécessité de réaliser des profits est à l'évidence la cause de la plupart des dégâts que Naomi constate. Or, comment pourrait-on imaginer un capitalisme sans profits financiers ou, a minima, avec un contrôle modérant les profits..
De fait, les difficiles négociations sur le climat se sont enlisées avant d’échouer lamentablement, alors que la mondialisation de l’économie a volé de victoire en victoire, établissant un cadre politique mondial qui garantit un maximum de liberté aux multinationales. Nous sommes bien d'accord: il est totalement naïf de demander aux décideurs qu'ils remettent en cause leur système. Protester ne peut les amener qu'à réprimer. Exiger serait vain. Proposer, c'est se mettre dans la situation de 2005: nous avons dit NON, ils ont compris OUI.
Notre système économique est en guerre contre la planète et ses nombreuses formes de vie -y compris humaine. La bataille fait rage et, pour le moment, le capitalisme l’emporte haut la main. Notre dilemme est le suivant : soit nous laissons le bouleversement du climat transformer radicalement le monde, soit nous transformons radicalement l’économie pour éviter le bouleversement du climat. La "fenêtre" est d'autant fermée que nous sommes en 2025 et que les environnementalistes sont pour la plupart comme Naomi Klein: Ils centrent tout leur discours sur le réchauffement de la planète en oubliant la perte de la biodiversité, la disparition des terres arables, l'acidification des océans, le déficit hydrique qui sévit un peu partout, les cycles biochimiques comme l'azote-phosphate, etc. Ces phénomènes risquent de mettre la survie de l'humanité en jeu bien plus rapidement que le réchauffement.
Première partie : DEUX SOLITUDES
La droite voit juste – le pouvoir révolutionnaire du changement climatique
Le changement climatique fait donc voler en éclat l’échafaudage idéologique du conservatisme contemporain. [...] les seules solutions proposées sont les technologies à haut risque de l’énergie nucléaire et de la « géo-ingénierie » fondées sur les raisonnements téméraires et à courte vue qui nous ont menés dans ce pétrin.
Les réactions des gens de droite et des climato-sceptiques que nous a décrites Naomi s'appuient sur une logique marchande. Si nous ne sortons pas de cette logique marchande, ce sont eux qui ont raison. Les critiques des anticapitalistes ne seront audibles que s'ils proposent à la fois un système meilleur que le capitalisme et une logique adéquat à ce système. Faute de quoi, ce sont ceux qui sont en place, qui gèrent et défendent le système actuel qui gagneront.
Si la gauche exige "l'arrêt de l'extraction débridée des énergies fossiles" il faut qu'elle demande aussi à ses militants de moins travailler, moins rouler, moins voyager, moins user de machines… On parle alors d'écologie punitive! Demander cela aux gens de gauche, c'est leur demander aussi de changer de mode de vie. Y sont-ils prêts? Jusque où? Sans machine à laver le linge, sans smartphone, sans voitures individuelles, sans matières animales dans leurs assiettes sauf le dimanche ?... La plupart des gens sont en effet "emprisonnés" à un point tel que briser les chaînes relève de l'héroïsme, chose que l'on peut demander à quelques militants de choc, pas aux militants de base.
2. Le commerce avant le climat – comment le fondamentalisme marchand contribue au réchauffement planétaire
La plupart des accords de libre-échange comportent une clause dite de « traitement réciproque » qui oblige leurs parties à ne faire aucune différence entre les biens produits par des entreprises locales et ceux produits à l’extérieur de leurs frontières par des firmes étrangères. Tout soutien à l’industrie locale devient donc illégal parce que « discriminatoire ».
Les lois étant faites pour protéger le système (lequel est vital pour le plus grand nombre), à moins de remplacer le système par un autre, les lois ne changeront pas. En outre, plus les indusrties sont concentrées en multinationales et plus elles ont les moyens de contourner les lois.
Sur le plan des responsabilités, les émissions provenant du transport international de marchandises (des années 1990 aux années 2010, le trafic des porte-conteneurs a augmenté de 400%) ne sont officiellement attribuables à aucun État, si bien que personne n’est tenu de les réduire ! De plus, les États ne sont comptables que des émissions générées sur leur territoire, et non de celles associées à la fabrication des produits qu’ils importent, lesquelles sont imputées aux pays exportateurs.
A toujours rester dans le constat factuel sans rechercher les causes premières, le problème paraît insoluble et n'incite qu'a baisser les bras ou à se rabattre sur les "petits gestes" 'fermer le robinet, éteindre la lumière pour soulager nos consciences…
Le système économique actuel fétichise la croissance du PIB sans tenir compte de ses conséquences humaines ou écologiques. Visiblement, il lui est plus facile d’accepter un bouleversement catastrophique du climat qu’une rupture avec la logique fondamentale du capitalisme.
C'est ce que l'on appelle une fétichisation: un système économique fait ce pour quoi il a été fait. Ce sont les usagers du système qui érigent le système en fétiche. Or, on ne touche pas à un fétiche, pas plus l'aborigène que le capitaliste. Le capitalisme accepte plus facilement un risque d'effondrement global que la remise en cause de la croissance infinie sans laquelle le totem ne devient qu'un vulgaire bois de bois planté au milieu du village. On est donc bien là dans un cas de logique religieuse à laquelle on ne peut opposer qu'un autre récit fondateur.
Alors que faire ? Moins consommer tout de suite. Revenir à un mode de vie comparable à celui des années 70 n’aurait rien de dramatique et serait bien loin des épreuves et des privations annoncées par les climato-sceptiques. Toutes sortes d’idées émergent sur la manière dont on pourrait réduire la consommation des ressources matérielles tout en améliorant la qualité de vie. Elles prônent une « décroissance sélective », fondée par exemple sur la diminution du temps de travail et un revenu minimum garanti pour tous. Encore une fois, sortir de la croissance subie pour entrer en décroissance voulue, cela revient à sortir totalement du capitalisme, donc à la nécessité de proposer un autre système dont les fondements seraient radicalement différents. C'est donc forcément une remise en cause de l'argent et de la valeur, de la marchandise et du travail, de l'État et du marché! Cela irait mieux et plus vite en le disant clairement, ne serait-ce que pour éviter de perdre du temps avec les illusions, les stratégies boiteuses et fausses bonnes idées…
3. Pour une gestion publique de l’énergie – surmonter les obstacles idéologiques au paradigme économique à venir
Tous les mouvements d’opposition à la privatisation de l’énergie, notamment en Allemagne et aux États-Unis, se sont vite aperçus qu’ils devaient renverser un pilier idéologique de l’économie de marché : la croyance en la supériorité des services privés sur les services publics.
Le problème c'est que les services publics sont issus de l'idéologie marchande et usent des mêmes techniques et organisations de la production. La seule différence, c'est qu'ils ne sont pas soumis à l'impératif des profits (du moins pas encore mais ça viendra) et peuvent donc plus librement penser au bien commun, (si tant est qu'ils en aient encore la capacité).
Il est désormais prouvé qu’il est tout à fait possible, sur le plan technique, de passer aux énergies renouvelables, et ce sans délai. Techniquement oui, mais à condition que des choix politiques y soient associés. Aurélien Barrau rappelle très justement qu'avec un bulldozer 100% constitué de matériaux renouvelables, issus du commerce équitable, fonctionnant à l'électricité verte et financé par une banque éthique, on peut très facilement déforester quelques milliers d'hectares de l'Amazonie! Tant que la fabrication d'un bulldozer sera suspendue à la nécessité de réaliser des profits, ces profits feront des dégâts et on trouvera cela bien puisque les dégâts sont à leur tour une source de profits... Tant que l'on pense dans le cadre marchand rien n'est possible. Pour penser autrement, il faut faire le deuil de l'argent et de l'échange marchand.
4. Planifier et interdire – rejeter la main invisible et bâtir un mouvement
Pour intégrer les contraintes environnementales à l’économie, nous devrons revoir de fond en comble nos façons de produire, de consommer, de nous déplacer, de vivre. Et pour revoir de fond en comble nos façons de produire et consommer, il faut imaginer une société organisée pour que l'argent devienne totalement obsolète. Ensuite nous pourrons planifier, construire de vrais services publics, consommer et produire, sans nuire à l'environnement et sans laisser pour solde de tout compte sur le bord du chemin le quart de l'humanité.
Les peuples devraient avoir le droit de décider démocratiquement du type d’économie dont ils ont besoin. C'est bien vrai, mais pour cela il faudrait que l'on soit en démocratie, ce que la France, l'Angleterre, l'amérique n'a pas voulu lors de leur révolution respectives. Ce n'est pas par hasard que l'on est démocratie représentative: pour ne pas être en démocratie, "ce que la France ne saurait être" nous a dit l'abbé Sieyiès en novembre 1789 dans l'Assemblée Constituante...
Mais comment faire accepter aux multinationales qu’on leur impose de ne plus se faire concurrence, de se soumettre à une règlementation coûteuse visant leur disparition ? La transition ne peut qu’être gérée par des instances publiques au service du bien commun. Lesquelles institutions sont totalement sous le contrôle des multinationales qui ont les moyens d'iomposer des lois, des traités internationaux et de surcroît de s'acheter le dirigeant politique qui leur convient, les journaux qui fabriqueront un Président sur mesure, de soudoyer la police pour neutraliser toute révolte, et la justice pour étouffer les contestataires sous des procès baillons.
Nationaliser l’énergie n’est pas forcément la meilleure solution. Il serait plus judicieux d’instituer un nouveau type de service public décentralisé, géré démocratiquement par les collectivités qui l’utilisent, et qui prendrait la forme de coopératives ou de « biens communs » (voir les politiques mises en œuvre au Danemark, en Allemagne, etc.).
Les services publics décentralisés existent en effet à la marge, mais elles n'empêcheront jamais que les sources d'énergie s'ajoutent au lieu de se remplacer (du solei, du vent, de l'eau et du bois, on est passé au charbon, puis au pétrole, puis au gaz, puis à l'électricité carbonée, puis à l'électricité verte, mais on continue à utiliser toutes ces sources d'énergies. Et cela s'est transformé plus la production d'énergie s'est concentrée jusqu'à la folie des centrales atomiques dont on ne sait même plus si elles sont strictement civiles ou d'un intérêt militaire!
Et voilà comment on se retrouve dans l'impasse. En pensant à un système économique monétaire supposé stable et juste, on refuse de penser à un système a-monétaire, sans échanges marchands, donc sans profits, sans les multiples effets pervers que l'on ne cesse de dénoncer. Nationaliser, c'est mieux mais cela n'empêche pas que la richesse soit détournée par une nomenklatura. Réglementer les pratiques économiques suppose que les législateurs soient "révolutionnaires" donc dégagés de toute accointance avec le pouvoir financier. Contraindre les multinationales à moraliser leurs pratiques, c'est demander gentiment aux escrocs d'avoir de l'empathie pour leurs victimes. Décentraliser les pouvoirs dans un contexte marchand, c'est demander à un tyran de se faire démocrate. On a le droit d'y croire…
J'ai survolé la suite du livre pour voir si une idée originale allait émerger, mais en vain. Que Noémie Klein nous parle des inégalités de revenus qui se creusent, de l'extractivisme totalement dérégulé, de l'incroyable production de déchets dont on ne sait plus que faire, des ONG qui se font financer par les plus gros pollueurs, des miiliardaires philothropes et écolos, les solution sproposées sont les mêmes. Il faut, y'a qu'à demander, exiger, expliquer...
Et le pire c'est quand je lis le chapitre 10: C'est l'Amour qui sauvera la planète. (sic) Là l'angoisse me prend! Que peut faire l'amour face à un bulldozer, à un robocop armé de grenades, à un financier hors sol? Que peut faire un parti politique radical, un ministre de l'écologie, un État dépendant des agences de notations?.... Quelle protection offre la belle vision du monde des indiens de l'Amazonie, des Jarawas des Andaman, des Inuits de l'artique, face aux rapacités des industriels Brésilens, Indiens, américains?...
Noémie Klein a beaucoup fréquenté les peuples premiers d'Amérique et du Canada. Elle s'est enthousiasmée pour leur détermination dans les luttes et leur philosophie traditionnelle supposée naturellement écologique. Sa générosité lui a fait oublier que la crise dans laquelle nous sommes tous engagés n'est plus solubles dans les bons sentiments fussent-ils portés par de gentils colibris….
Conclusion de Naomie Klein
Les répercussions économiques qu’aurait aujourd’hui une réduction radicale des émissions de GES sont comparables à celles de l’abolition de l’esclavage au XIXe siècle. Sauf que l'esclavage n'a pas été aboli par amour pour les esclaves noirs du Sud, mais parce qu'ils étaient moins rentables que les ouvriers agricoles du Nord et surtout plus couteûx.
Pour être efficace, la lutte contre l’idéologie dominante doit s’inscrire dans un conflit beaucoup plus large entre des visions du monde incompatibles. [...] La tâche consiste non seulement à élaborer un programme politique alternatif, mais aussi une vision du monde différente, fondée sur l’interdépendance plutôt que sur l’hyper-individualisme, sur la réciprocité plutôt que la domination, sur la coopération plutôt que sur la hiérarchie.
Je dirais plutôt une société fondée sur l'accès libre à tous les biens, services et savoirs dont on dispose, ce qui est à la fois plus concret et techniquement plus simple. Dommage qu'un si bel esprit n'ait produit qu'une conclusion si générale, si floue. Comment s'enthousiasmer face à autant de prudence? Un monde postmonétaire est possible et devient de plus en plus incontournable. L'idée est dans l'air du temps, et le temps s'accélère. Il est peut être encore temps d'arrêter les marchand du temple avant que celui-ci ne s'effondre...