Traités des contrats, Pierre de Jean Olivi, 1295

Traduction de Sylvain Piron
éditions Belles Lettres, 2012

Olivi.jpeg            Rédigé à Narbonne vers 1293-1295, le moine franciscain Pierre de Jean Olivi,  le Traité des contrats est considéré comme le premier traité d'économie connu de l'Occident médiéval.  Les grands marchands de la région venait le consulter avant de signer un contrat important avec des compagnies italiennes, espagnoles, hollandaises. C'est ce qui lui a donné l'idée de consigner ses réflexions sous forme de traité.  Tirant les conséquences de règles et de notions élaborées par les traditions juridiques, théologiques et philosophiques du treizième siècle, Olivi aborde le champ des relations économiques dans sa globalité, du point de vue d'une théologie morale attentive à la liberté des acteurs et respectueuse de la capacité normative des communautés politiques. 

            Ce texte mérite d'être lu car il montre une étonnante proximité avec les grands penseurs économiques modernes. Sous le langage propre aux théologiens du 13° siècle, on retrouve quasiment toutes les grandes catégories définies par Marx, et des questions toujours d'actualités: par exemple, "peut-il y avoir un prix juste?" La vigueur et l'acuité de ses analyses, déplut au Vatican, et le bon moine fut accusé d'hérésie, ses écrits mis à l'index. Plusieurs moines disciples de Pierre Olivi ont fini sur les bûchers de l'inquisition. Umberto Eco s'est servi de cette histoire pour construire le personnage de Guillaume de Baskerville, dans Le Nom de la Rose.

           Les réflexions de Pierre, fils de Jean Olivi (Olieu en occitan, Olivier en français, a été traduit par Olivi en latin) sur les déterminants de la valeur des biens et services ou sur le profit futur d'un "capital" investi dans des opérations commerciales sont d'une étonnante modernité. Il pose les bases de l'économie de marché, traite des problèmes moraux quasi insolubles entre les nécessités commerciales et la morale : l'échange marchand peut-il être gagnant pour les duex parties? L'intérêt financier d'une affaire est-il impératif ou soumis à l'intérêt de la communauté humaine? Comment rédiger un contrat et éthique?....  

            Découvert dans les années 1970, le texte d'Olivi a suscité des réactions contrastées. Dame, la modernité de nos économistes actuels en prend un coup! Cette nouvelle édition critique, mettant à profit des témoins supplémentaires, résout les principales difficultés qui entravaient la compréhension du Traité. La présentation et les commentaires, qui visent à situer l'ouvrage dans ses différents contextes d'interprétation, permettent d'expliquer un paradoxe apparent: l'un des partisans les plus décidés de la pauvreté franciscaine a en même temps été le penseur le plus perspicace de l'économie médiévale. 

            S'il y a une chose que Pierre Olivi a réussi avec brio dans par ses écrits, c'est qu'un individu peut avoir raison contre tous, qu'une bonne idée peut mettre des siècles à émerger mais qu'elle finit toujours par y parvenir. Pierre Olivi, en ayant inventé des catégories telles que la valeur, la plus-value, le marché…, que Marx nous a servi plus tard sans même avoir pu avoir connaissance de son prédécesseur, cela prouve que l'argent, l'économie, la monnaie relèvent d'une constante, bien au-delà des cultures, des époques et des configurations politiques. Et cette constante produit éternellement, puisque structurellement, les mêmes erreurs, les mêmes dogmes, les mêmes effets. 

            Les postmonétaires qui tentent, souvent en vain face aux inquisiteurs de la doxa, de donner une logique et une historicité aux grandes questions de fond qui se posent aujourd'hui, auraient intérêt à s'intéresser à ce curieux personnage, en avance de sept siècles sur son temps!...

Sylvain Piron, le traducteur et commentateur,  est maître de conférences, habilité à diriger des recherches, à l'École des hautes études en sciences sociales de Paris.