Utopies réalistes, Rutger Bregman
Editions Points, sept 2020, 336p.
Quatrième de couverture: Ouvrir grand les frontières, établir une semaine de travail de quinze heures ou le revenu universel de base. Des idées naïves et dépassées ou bien la force de l’utopie renouvelée ? Résolument anti-décliniste, Utopies réalistes tombe à pic et nous explique comment construire un monde idéal aujourd’hui et ne pas désespérer ! D’une ville canadienne qui a totalement éradiqué la pauvreté à l’histoire d’un revenu de base pour des millions d’Américains sous Richard Nixon, Bregman nous emmène dans un voyage à travers l’histoire et défend des idées qui s’imposent par la force même de l’exemple et le sérieux de la démarche historique.
En sous-titre de la couverture, l'auteur explique qu'il s'agit d'en finir avec la pauvreté, qu'il faut un monde sans frontières et une semaine de travail de 15 heures. et que ce sera un succès mondial!
Pendant des siècles, l'homme a rêvé d’un monde meilleur, principalement du point de vue matériel. Pour les gens vivant au Moyen Âge, l'utopie c'était le « Pays de Cocagne ». Aujourd'hui, vu par un homme médiéval notre mode de vie pourrait ressembler à ce pays de Cocagne : fast-food ouvert 24 heures sur 24, contrôle de la température ambiante, revenu sans travail, une médecine qui nous permet de prolonger la jeunesse…
Ce qui nous manque aujourd'hui, nous dit Rutger Bregman, c'est une utopie. « Le progrès c'est la réalisation des utopies » disait Óscar Wilde. Mais aujourd'hui notre horizon lointain reste vide. Il n'y a pas de nouveaux rêves parce que nous ne pouvons imaginer de monde meilleur que le nôtre (du moins pour les occidentaux). De fait, dans les pays riches, les gens croient que leurs enfants vivront moins bien qu’eux.
L'objectif de l'ouvrage de Rutger Bregman , c'est « d'ouvrir en grand les fenêtres de notre esprit » en nous présentant en détail trois utopies :
La première utopie, c'est l'idée que tous les humains devraient avoir accès inconditionnellement de l'argent. C’est l’idée de revenu universel, idée dont Thomas More rêvait déjà dans son ouvrage Utopia de 1516. À travers un voyage dans l'histoire, où l'on découvre que Richard Nixon a été à deux doigts, il y a 40 ans, d'instaurer le revenu universel, il nous montre que la pauvreté n'est pas une fatalité, et à quel point est contre-productif notre obsession de lier revenu et travail. « Dans une société capitaliste ou communiste, un pauvre est un pauvre, et ces deux systèmes partagent une idée fausse qui a failli être dissipée il y a 40 ans, et qui veut qu'une vie sans pauvreté soit un privilège, qu'il faut travailler pour le mériter, et non un droit que nous méritons tous ».
La seconde utopie c'est la réduction drastique du temps de travail, la semaine de 15 heures. Depuis le début de l'ère industrielle le temps de travail n'a fait que diminuer. Mais, dans les années 1980, les réductions du temps de travail s'arrêtent nettes. La croissance économique ne se traduit plus par davantage de loisirs, mais par davantage de choses. En multipliant les exemples, l'auteur nous montre que cet arrêt de la diminution du temps de travail n’est pas une fatalité et que nous pourrions aller beaucoup plus loin, vers la semaine des 15 heures, solution qui présente de nombreux avantages « Ce n'est pas une coïncidence si les pays où la semaine de travail est la plus courte ont aussi le plus grand nombre de bénévoles est le plus important capital social ».
La troisième grande idée qu'il développe, c'est l'idée de supprimer les frontières. « Nous voici en pays d'abondance, à philosopher à propos de décadentes utopies fondées sur de l'argent gratuit et des semaines de 15 heures, tandis que des centaines de millions de gens cherchent à survivre avec un dollar par jour. Ne vaudrait-il pas mieux nous atteler aux plus grands défis de notre temps : permettre à tous les habitants de la terre d'avoir accès aux joies du pays d'abondance ? »
Il nous entraîne alors dans une réflexion sur l'aide au développement « à minima » telle que la pratiquent actuellement les pays riches dans un monde aux frontières fermées. Il développe une idée provocatrice, à savoir que l'ouverture des frontières rendrait le monde entier deux fois plus riche. Il déconstruit ensuite les idées couramment véhiculées pour justifier la lutte contre l'immigration. « Ouvrir nos frontières, les entrebâiller même, c'est de loin l'arme la plus puissante dans la lutte mondiale contre la pauvreté », nous dit –il.
Et voilà encore une utopie qui reste bien ancrée dans le monde moderne alors que le monde a besoin d'une utopie, une véritable utopie, c’est-à-dire un monde que l'on ne connaît pas encore, qui n'a jamais existé, qui est radicalement différent. Les trois solutions proposées sont parfaitement compatibles avec le capitalisme marchand. Que l'on redistribue par le revenu universel, qu'on réduise le temps de travail à quelques heures par semaine, ou que l'on supprime les frontières ne gêne en rien le capitalisme. Il serait même possible de réaliser ces trois "prétendues utopies" en même temps sans que les inégalités sociales, la prédation sur l'environnement et la dictature financière continuent leur œuvre destructrice. On peut même imaginer une parfaite dystopie avec ces trois utopies: une petite classe aristocratique vivant dans un luxe indécent, une classe moyenne la plus réduite possible chargée de servir les riches et la masse de travailleurs de réserve, parqués dans des lieux de bans, des banlieues loin des villes de riches, survivant chichement du revenu universel et strictement surveillés pour assurer la tranquillité de l'Aristocratie. Lors grand raout de Davos de 2016, Mme Ida Auken, ex-ministre de l'écologie en Suède avait présenté cette dystopie comme un bel avenir possible pour l'humanité! Son récit, pour elle parfaite utopie, fait froid dans le dos!
Une authentique utopie s'appuie généralement sur un changement de paradigme. On peut choisir le paradigme de l'échange marchand comme les postmonétaires, celui du pouvoir comme l'a proposé Emmanuel Dockès, sur une technologie qui changerait totalement le mode de production. Mais espérer partir sur les mêmes bases pour inventer un monde meilleur est pour le coup une parfaite utopie au sens péjorative du terme, "une société dont on est sûr qu'elle n'adviendra jamais…"