Pour comprendre l'indice des prix, A. Caillaud

Pour comprendre l'indice des prix

A.Caillaud, Documentation INSEE, n°81-82,  1998

 Insee.jpeg        Ce PDF de 196 pages est extrait du site de l'INSEE (Institut National de la Statistique et des Études Économiques), téléchargeable sur l'icone ci-contre. C'est la synthèse du travail collectif de la division INSEE "Prix à la consommation". L'indice des prix est sans doute celui qui est le plus scruté, tant par les économistes qui en tirent des conclusions sur les tensions inflationnistes, que par les citoyens qui sont directement impacté par les prix à la consommation, et par les médias qui trouvent dans le "panier de la ménagère" un excellent "marronnier" pour les temps creux de l'information!

         A l'occasion, ce texte permettra aux Postmonétaires, de mieux comprendre les mécanismes de la valeur monétaire et d'en percevoir l'opacité… J'ai cherché la fréquence avec laquelle de tels compte-rendu était produits par l'INSEE: le précédent datait de 1987 et, hormis les annonces mensuelles de l'évolution des prix, il ne semble pas qu'une telle synthèse ait été produite depuis 1998…

p.7: «Les résultats publiés ne vont pas toujours dans le sens de ce que les agents économiques perçoivent ou croient percevoir : chacun se fait une idée de l’évolution globale des prix, sur la base de ses constatations personnelles, à l’occasion de ses achats quotidiens, ou de ce qu’il lit ou entend dire à ce sujet. […] À vrai dire, une certaine méconnaissance de l’instrument, de la manière dont il est construit, des résultats qu’on peut en attendre peuvent expliquer ces réactions, au moins en partie. Il est donc important que soit bien connu l’instrument utilisé par l’Insee …   Il semble bien en effet que le calcul du "panier de la ménagère" ne soit pas un "instrument" très fiable après qu'il soit traduit en langage courant dans les médias. Il est ressenti par la population avec une nuance de "ressenti" encore plus conséquente qu'au sujet des conditions météorologiques!

p.8: «L'indice est censé répondre aux besoins de mesurer les tensions inflationnistes et l'évolution du pouvoir d'achat des revenus, de servir à l'indexation des contrats privés ou des revenus, de comparer les taux d'inflation à l'international. Ces objectifs peuvent ne pas être  compatibles. […]  Il ne s’agit pas de "coût de la vie" ni même de ses variations (en dépit de certaines habitudes de vocabulaire fâcheuses), il ne s’agit pas non plus de budget, chiffré en francs, du consommateur moyen ou du consommateur le plus pauvre, ni de ses variations.  Si l'indice des prix,  n'est ni le coût de la vie, ni la variation des prix, qu'est-ce donc?

 Les observations faites en nombre important, mais limité, doivent « représenter » fidèlement la multitude de celles qui ne sont pas faites, c’est-à-dire donner des résultats très proches de ceux qu’on aurait obtenus si on avait pu réaliser aussi ces dernières. Toutes les ménagères censées tenir le fameux panier ne permettent aucune cohérence si on tient compte des revenus, de la classe sociale, du lieu d'habitation. Certaines y ont très peu de choses comptabilisées dans le "panel", d'autres en ont beaucoup, et sans que cela change l'évaluayion du panier…

p.12: Chaque objet choisi a un indice qui varie dans le temps: sur une base 100 en 1990, l'indice de la viande de mouton est de 106,8 en septembre 1996, celui du pain 113,7. Cela veut dire qu'entre 1990 et 1996 le prix du mouton a moins augmenté (+6,8%)  que le prix du pain (+13,7%). On peut déjà en conclure deux choses: celui qui consomme plus de pain que de mouton voit son pouvoir d'achat augmenter plus que celui qui consomme plus de mouton que de pain. Cela veut dire aussi que celui qui ne consomme jamais de mouton ou de pain, mais beaucoup de légumes ressent différemment l'augmentation des prix.

p.13: Les indices sont comparés entre une période de référence et une période comparée. Soustraction faite, cela donne la variation absolue entre les deux périodes. On divise ensuite la variation absolue par la valeur pour la période de référence ou la valeur pour la période comparée par la valeur de la période de référence!!! Pourquoi tenter de comprendre l'indice des prix, si à l'évidence c'est fait pour n'être pas compris?...  Quoique… prenons le prix du pain de campagne entre 1992 et 1996; soit 4 ans après. Le prix passe de 16,56 à 18 => augmentation de 1,44 sur le prix du pain. 1,44/16,56= 0,087, soit une augmentation de 8,7%. Si on fait le même calcul pour le rôti de veau sur la même période on obtient une augmentation de 6,8%. On suppose donc que l'augmentation du panier est la somme des augmentations divisée par le nombre des objets de référence… Il suffit donc d'ajouter le fer à béton au milieu du pain et du rôti de veau pour faire baisser l'augmentation du coût de la vie. La durée d'usage n'est pas non plus prise en compte: on mange du pain tout les jours, ce qui n'est pas le cas de l'ordinateur. Ajoutons à cela qu'il est possible de calculer l'évolution de l'indice en glissement  ou l'évolution de l'indice en moyenne annuelle… (6,9% dans le premier cas, 8,3% dans le second cas). Nous lisons dans la presse très régulièrement l'annonce de l'augmentation d'un produit, la baisse d'un autre. Jamais personne ne m'avait expliqué si c'était en glissement ou en moyenne annuelle !!! Il y a même à parier qu'un journaliste peu scrupuleux qui a envie de faire peur donnera le chiffre le plus élevé, celui qui veut rassurer, le chiffre le plus bas. Ce n'est pas rassurant….

p.26: Apparaît dans cette page un IUC (un Indice à Utilité Constante).  Lors du passage de la période (0) à la période (1), les prix évoluant, le consommateur adapte la composition du panier de marchandises achetées de façon à maximiser l’utilité de sa dépense. Il augmentera généralement les quantités achetées des produits dont les prix ont crû moins vite que la moyenne et réduira les quantités achetées des produits dont les prix ont augmenté plus rapidement. Et là aussi il y a deux modes de calcul donc trois indices différents pour une même chose appelés par les noms des statisticiens qui les ont créés   

p.22: C’est pourquoi les indices de prix les plus simples utilisent soit un panier fixe généralement celui de l’année de base (Laspeyres), soit le panier de l’année courante (Paasche), soit une moyenne des deux (Fisher). Sic… Je commence à me demander s'il ne suffirait pas de prendre un volontaire par classe sociale (un smicard, un cadre, un chef d'entreprise, un grand PDG…) ou par région (par exemple un parisien, un banlieusard, un paysan) chacun d'eux notant scrupuleusement leurs achats du 1er janvier au 31 décembre, quitte à leur adjoindre un comptable. L'année suivante, il suffira de reprendre les mêmes achats et de comparer. Mais n'étant pas statisticien, ce que j'en dis est peut être stupide!... Donc j'abandonne, le reste du PDF pourtant instructif. La suite en effet s'attaque aux produits qui apparaissent ou disparaissent du marché des effets de qualités qui évoluent (comme le prix d'un PC n'augmente pas mais devient plus performant), des produits saisonniers, et autres variables multiples.

p.43 il est posé la question: "Qui décide du contenu et des méthodes?" On y apprend que  l'INSEE a dû d’abord lutter pour préserver son indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics qui voulaient pratiquer une « politique de l’indice ; que  le lancement d’un nouvel indice a été une opération très suivie par les partenaires sociaux et surtout par les pouvoirs publics ; que l’Insee a dû affronter d’autres remises en cause suscitées par certaines organisations syndicales accusant l’indice d’être « truqué ;  que le 14 février 1973 un avis important sur l’indice des prix, recommandant notamment un élargissement du champ couvert (prise en compte des frais de garde des enfants ou des assurances par exemple)…  C’est à l’Insee seul qu’échoit la responsabilité d’élaborer le meilleur indice possible26 compte tenu des inévitables contraintes qui pèsent sur lui. Le gouvernement garde quelques prérogatives pour certaines "incitations" comme la lutte contre le tabagisme qui a interdit à l'INSEE de publier un indice avec tabac.

p.46: De quelle consommation s'agit-il?  Le désir de voir l’indice des prix s’étendre à la totalité des charges de dépense qui pèsent sur les ménages est compréhensible. Mais il n’est pas conforme à la simple logique : l’indice des prix à la consommation n’a bien sûr à couvrir que les catégories de dépense pour lesquelles la somme payée résulte d’un prix appliqué à une quantité et, parmi ces catégories, celles qui correspondent à une consommation des ménages. Ainsi, un certain nombre de dépenses sont-elles exclues de l’indice, parce que, au sens de la comptabilité nationale, elles ne sont pas des dépenses de consommation : impôts directs comme toutes les autres charges qui ne sont pas des consommations, les achats ou construction de maisons qui relèvent de l'épargne, les assurances, les automobiles d'occasion, les locations, etc.

p.57: Un tableau comparant les pourcentages par poste budgétaire de tous les ménages comparés aux seuls ménages urbains ouvriers et employés montre que ces derniers dépensent proportionnellement plus dans l'alimentation +0,21%, le tabac +0,99, l'habillement + 0,14, le logement +2,26, soins personnels +0,14  (chiffres 1996). On voit que les ménages ouvriers subissent plus d'augmentations de leur budget que la moyenne des français. Plus on est pauvres plus on paye….

p.88: Les loyers: Les loyers des résidences principales (5,6 % de la pondération totale) ne sont observés que trimestriellement à partir d’enquêtes auprès des ménages. L’échantillon est un panel de 8500 logements renouvelé par huitième chaque trimestre. L’indice mesure l’évolution du loyer mensuel moyen au m 2 de chaque début de trimestre.   Encore un élément du coût de la vie qui est flou: on nous dit souvent que le loyer qui représente 20 à 30% dans le budget global des familles n'entre pas dans "le panier de la ménagère". L'Insee affirme qu'il prend en compte le logement dans l'inflation, via l'IPC. En réalité, la prise en compte du logement dans l’IPC s’appuie sur la part des dépenses de logement dans l’IPC, qui s’élèverait à 6 %. Ce niveau peut légitimement susciter de l’incompréhension. Globalement, la part du loyer dans le budget est évaluée à 14%, mais c'est une moyenne. Un ménage vivant sur un SMIC dépasse de loin ces 14% (40% pour un locataire sur cinq!). L'INSEE lui-même avoue que les polémiques sur cette question traduisent avant tout des conflits de répartition liés à l’utilisation qui est faite de cette statistique, notamment dans les règles d’indexation des loyers, des prestations sociales, des pensions alimentaires, des taux d’épargne réglementés, etc.(Voir) Pour y voir plus clair, il faut entrer dans la base de données de l'INSEE en sachant que la plus récente enquête sur le coût du loyer date de 2019 (voir) On peut souhaiter bon courage aux chercheurs…

p.93: Indice du prix des voitures particulières: Pour la majorité des Français, avoir une voiture pour se rendre au travail, faire les courses, transporter les enfants, est quasi indispensable. Or, l’indice mensuel du prix des automobiles repose sur le suivi d’un échantillon représentatif de véhicules neufs. L’échantillon comporte 160 véhicules environ dont le prix est relevé chez 65 concessionnaires de l’agglomération parisienne considérés comme représentatifs de l’ensemble de la France. (sic) Le poste voiture dans le budget pour la plupart des ménages les plus modestes est apparemment oublié…

p. 95: Le niveau agrégé  des indices: Il s’agit de passer des indices par poste, au nombre de 265, à l’indice d’ensemble (ou de tout regroupement de postes). Comment procède-t-on ?  Le mieux est de citer l'explication façon Insee: Pour obtenir l’indice du mois courant m de l’année n en référence 100 en 1990 qui est l’indice publié, il suffit de « chaîner » l’indice du mois courant base 100 en décembre de l’année précédente et l’indice de ce mois de décembre ayant pour référence base 100 en 1990, c’est-à-dire de faire le produit l’un par l’autre (au facteur 100 près, et en notant « Imn » l’indice du mois m de l’année n): Im n (1990 = 100) = 1 100 x Im n (déc. n-1 = 100) x Idéc. n-1 (1990 = 100). 

Évident mon cher Watson! L'Insee décrit dans le chapitre 4° quelques biais possibles qui peuvent influer sur l'indice des prix: Biais de substitution (p.113); biais des nouveaux produits (p114), de l'effet qualité (p.115), des "vrais produits nouveaux" (p.116), des nouveaux circuits de distribution (p.117), de la précision des échantillonnages (p.119), de la précision de l'indice en base 100 (p.120) A cela s'ajoute "L'harmonisation des indices au niveau européen"! (p.128)

p.139 Les usages des indices de prix: Dans le cadre de la comptabilité nationale, l’indice « ensemble des ménages » permet, le partage de l’évolution de la valeur de la consommation des ménages en une évolution de prix et une évolution de volume….

…. En réalité, il existe deux indices agrégés issus de la comptabilité nationale en France. L’un est obtenu par chaînage de la division des comptes en valeur par les comptes dits « aux prix de l’année n-1 », l’autre comme division des comptes en valeur par les comptes dits « aux prix de 1980 »…

…L’indexation peut être partielle ou intégrale. Elle est totale si la grandeur indexée suit, sur l’intervalle de temps retenu, la même variation que l’indice des prix choisi comme référence. Elle est partielle lorsque seule une partie de la variation de prix est prise en considération…. Comprenne qui pourra…, d'où l'avertissement qui suit (p.158): …pour qu’il y ait une transparence parfaite dans la publication des principaux indicateurs économiques, l’Insee diffuse leurs résultats selon un calendrier arrêté à l’avance qui s’impose à tous (pouvoirs publics y compris) selon une procédure officialisée par une note du 30/9/93 du Secrétariat général du Gouvernement. Cet échéancier est porté à la connaissance des journalistes par le bureau de Presse de l’Insee….

                L'intérêt pour nous de comprendre cette jungle administrative, c'est d'en repérer la logique purement mathématique qui en découle. Tout ce qui fait l'essence de la vie est balayé au prix d'une rigueur comptable. La question qui se pose alors est de savoir si le choix de cette logique est motivé par des intentions politiques ou simplement par un biais cognitif venu de la confusion entre  sciences dures et sciences sociales. Il y a sûrement un  peu des deux, mais à l'évidence, le système monétaire et marchand, tel que conçu par le capitalisme moderne et a fortiori par le néolibéralisme, ne pouvait conduire qu'à cela. Une fois de plus, on constate que le problème est systémique et non humain. Il est probable que les fonctionnaires qui établissent ce genre de "méthode rationnelle" d'évaluation sont eux-mêmes prisonniers  du système et ne peuvent en sortir. Une sortie du système monétaire est la seule voie qui puisse échapper à cette logique et poser enfin les seules questions qui vaillent: pourquoi produisons-nous et consommons-nous? Un indice de valeurs vaut-il quelque chose face à un indice de bien-être? Les structures sociales peuvent-elles être humanisées sans révolution copernicienne, c’est-à-dire sans changement de cadre de pensée et de paradigmes… Ce que l'argent produit peut aussi être défait par l'abolition de l'argent!     

Démocratie délibérative Vs démocratie agonistique? Loïc Blondiaux

Le statut du conflit dans les théories et  les pratiques de participation contemporaines

Éd. CAIRN, presses de Sciences Po, 2008, PDF 19 p.

Blondiaux-portrait.jpegLoïc Blondeaux: né en 1962, politologue et professeur à Sciences Po, puis à Paris 1. Thèse de doctorat sur "la fabrique de l'opinion" à propos des sondages. Il est spécialiste de la démocratie participative et directeur de la revue Politix.

  Ce texte nous propose une réflexion sur la mise en place depuis une vingtaine d’années, par les gouvernements nationaux et locaux de nombreux États contemporains, de dispositifs visant à une participation élargie des citoyens à la discussion des affaires publiques. Il s'agit ensuite de l’affirmation, depuis une vingtaine d’années également, d’un programme théorique qui vise, autour de l’idée de démocratie délibérative, à renouveler les justifications de l’idéal démocratique. Il est donc clair, dès la première phrase, qu'il ne s'agit ici de rien de bien révolutionnaire mais d'un aménagement du système politique pour un meilleur lien entre les Institutions et le peuple. Néanmoins, il est sans doute bon d'entendre l'argumentation de ce chercheur qui par ailleurs, entend poser des limites à ces pratiques. La question que nous, postmonétaires, nous posons est de savoir le rapport possible  entre la participation de citoyens au sein d'institutions d'État, donc du rapport de force entre les deux participants. En somme, dans le cadre actuel, la participation est-elle compatible avec les principes fondamentaux de l'égalité, de la liberté, de la fraternité!... 

 Ce modèle délibératif pose, pour faire vite, que « la légitimité et la rationalité des décisions collectives reposent sur un processus de délibération collective, conduit rationnellement et équitablement entre des individus libres et égaux.» Entre une administration, même locale, et des citoyens ordinaires, peut-il y avoir équité si les individus n'ont pas les mêmes pouvoirs.

Certaines de ces expériences [Porto Alegre 2002 ou le gestion des services publics] visent explicitement à repenser la division du travail politique dans nos sociétés et les modalités de la prise de décision là où d’autres, beaucoup plus nombreuses, n’ambitionnent aucun changement véritable et cherchent simplement à donner un surcroît de légitimité à des autorités contestées […] Quelles définitions de la citoyenneté visent-elles à promouvoir ? Comment penser l’articulation entre sphère publique institutionnelle et mouvements sociaux ou entre participation et décision ? Dans quelle mesure cette institutionnalisation de la participation est-elle compatible avec l’expression réelle des conflits traversant la société ? Comment peut s’y affirmer le point de vue, souvent dissident et dissonant, des groupes sociaux les plus faibles ? […] Chantal Mouffe a dénoncé la possibilité même d’un consensus rationnel au nom de la dimension inévitablement agonistique de la politique démocratique. [agonistique: ce qui se rapporte à la lutte, au combat]. L'auteur cite trois formes différentes de conflits:

  1. Pour certains auteurs de la mouvance délibérative, un critère de réciprocité doit s’imposer dans la discussion qui oblige les interlocuteurs à n’employer que des arguments qu’ils savent pouvoir être acceptés par l’autre.
  2. Quelle peut être la place, dans ces dispositifs, des groupes défendant des intérêts qui ne sauraient être discutés, de ceux pour qui accepter la position de l’adversaire reviendrait à accepter un changement radical de leur identité politique.
  3. Quelle tolérance enfin les dispositifs délibératifs peuvent-ils avoir face aux attitudes, aux discours qui ne respectent pas formellement les « règles du jeu » et qui, le plus souvent, proviennent de ceux qui ont trop de choses à dire pour pouvoir les dire dans les formes autorisées ? 
  4. A cela, on peut opposer le recours exclusif aux dispositifs représentatifs traditionnels (vote, agrégation des volontés, principe majoritaire), ou une "démocratie adversariale". Fixer des limites aux arguments revient à exclure ipso facto certains groupes de la possibilité même de s’y exprimer. Concevoir des dispositifs de délibération qui ne chercheraient pas à abolir les conflits, mais au contraire en favoriser l’expression, cela est-il envisageable, très concrètement, sans mettre en danger la discussion elle-même ?

Une démocratie orientée vers le consensus?

La démocratie délibérative peut être critiquée sous l'angle de la rationalité, de la réciprocité, de l'impartialité, de l'universalité, en somme, comment transcender les points de vue particuliers ou les finalités de cette démocratie […] Les théoriciens de la démocratie délibérative ne feraient que projeter un idéal de discussion académique sur la réalité politique, négligeant ainsi le fait que la position « scolastique » de détachement et d’apesanteur du savant n’a strictement rien de comparable avec celle du citoyen engagé. La délibération serait-elle à la fois irréaliste et inacceptable pour ceux qu’il contraint d’une manière excessive? Ne faut-il pas reconnaître d’autres formes de communication, moins contraintes et plus ouvertes... Tel qu'il est posé, le problème ressemble bien à une quadrature du cercle… La démocratie délibérative est prise dans le piège de deux postures antagonistes: l'expression de la parole citoyenne et du conflit ou sa canalisation?!

Ces dispositifs renvoient la plupart du temps à des mouvements d'institutionnalisation impulsée d'en haut.  Ce qui a été le cas lors de la convention citoyenne sur le climat  de 2022, où le cadre posé par le gouvernement a permis de confiner les participants à la convention à un simple rôle consultatif tout en affirmant qu'ils seraient largement entendus dans leurs conclusions… Il semblerait qu'une instance délibérative devrait au préalable poser le cadre des débats par les gens qui vivent les débats et non par un pouvoir supérieur, lequel peut avoir un avis sur le cadre mais en aucun cas le dernier mot (surtout quand ce pouvoir supérieur est incarné par une personnalité "jupitérienne"! Mais ces pratiques "à la mode" sont l’objet d’un processus de standardisation à l’échelle nationale et internationale. Qu’il s’agisse des jurys de citoyens, du budget participatif, des sondages délibératifs ou des conférences de consensus, ces formes institutionnelles sont aujourd’hui largement codifiées et éprouvées, jusqu’à faire l’objet parfois d’un copyright de la part de leurs inventeurs.  Un copyright, donc de l'argent. Même la démocratie est susceptible de marchandisation! Les spécialistes de ces procédures se sont ainsi autoproclamés "seuls habilités" à les animer…  

La gestion des conflits constitue l’un des objectifs prioritaires de la participation. […] La participation est pensée ainsi comme une alternative possible au conflit ouvert ou au contentieux judiciaire…comme une « concession procédurale » faite par le gouvernement à la suite de conflits importants qu'il faut désamorcer… On peut même dire que la délibération est la goupille de sécurité des grenades sociales! L'auteur se demande s'il ne s'agit pas de procédures totalement artificielles, détachées de toute réalité et portée effectives. Les résultats de la convention citoyenne de 2022 ont certainement répondu à sa question… Elle a été à l'évidence, comme le prévoyait Blondiaux, une imposture démocratique!

Blondiaux persiste cependant à croire possible  une discussion qui tolère les formes d’expression les plus conflictuelles et les « moins civiles » en soulignant que « parfois seule l’intensité de l’opposition peut abattre les barrières du statu quo » et forcer les groupes dominants à écouter…

Il cite deux auteurs (Fung et Wright) « les diverses forme de délibération participative seront généralement incapables d’engendrer les bénéfices anticipés par leurs partisans en l’absence de contre-pouvoirs substantiels." Le mot est lâché: contre pouvoir! Aucune instante démocratique, délibérative, ne peut se passer d'un contre pouvoir, qu'il s'agisse d'une instance gouvernementale ou d'une assemblée de citoyens. Or, notre cadre politique actuel a été conçu pour protéger tout pouvoir étatisé contre un quelconque pouvoir de la "populace"! Gracchus Babeuf n'a pas été guillotiné pour rien! Le peuple, transformé en populace, ne peut espérer que des miettes de contre-pouvoir arrachées dans la lutte à l'occasion d'une exception momentanée dans le rapport de force.  Et quand il y a débat sur les règles du débat, le dernier mot est toujours aux organisateurs pas aux participants…

Il reste par ailleurs une arme suprême à la disposition de ceux auxquels ces pseudo-consultations sont destinées : l’indifférence, la désertion, le refus d’entrer dans le jeu. Qui l'eu cru! Cet enseignant de Science Po prônerait-il le pas de côté, la bifurcation, l'objection de conscience, la désertion?... L’expérience des conseils de quartier du XXe arrondissement a montré que le retrait offrait une solution aux citoyens tirés au sort, convaincus de l’inanité de leur rôle. Nul hasard non plus si les groupes absents de ces enceintes sont ceux qui se savent le moins armés pour s’y faire entendre (les jeunes, les catégories populaires, les personnes d’origine étrangère).   

…Il est même possible de formuler l’hypothèse selon laquelle ces dispositifs n’ont de chance d’exister politiquement que s’il existe un conflit préalable ou que s’ils parviennent à susciter par eux-mêmes de la conflictualisation. Conclusion: l’existence d’une controverse ou d’un conflit préalable garantit en effet une participation minimale du public. Si les postmonétaires n'arrivent pas à susciter eux-mêmes une controverse médiatisée, ils n'auront jamais la parole. S'ils n'arrivent pas à structurer la controverse, à la normatiser, ils seront anonymisés. S'ils n'arrivent pas à susciter une mobilisation suffisante, un conflit suffisant, cela n'aura aucun impact sur le monde politique. Merci professeur Blondiaux pour ces trois conseils: créer la controverse, la mener sur la place publique, rechercher le soutien d'une mobilisation massive. Ce programme colle assez bien avec l'idée de création d'une ONG!  

En favorisant le travail en petits groupes, en recherchant systématiquement leur cohésion, en accompagnant la parole de chacun, ces procédures contribuent très fortement à abaisser les coûts sociaux de la prise de parole politique. […] Plus généralement, il faut se demander si l’institutionnalisation de la participation ne peut pas constituer, sous certaines conditions, un point d’appui pour les revendications des plus faibles.  En deux phrases le problème stratégique est posé: le travail en petit groupe, c'est l'archipel des mouvements postmonétaires, c'est nos réunions zoom. La participation, c'est ce que Marc Chinal et son équipe font lors des élections, mais cela reste du domaine "des plus faibles": îlots même pas fédérés en archipel, participations anecdotiques à des consultations nationales, parole inaudible pour l'instant….

 Cette condition, c’est le plus souvent l’intervention d’un tiers garant, d’un pouvoir arbitral et neutre, placé à équidistance entre les différents acteurs en présence, autonome par rapport au décideur et capable de faire respecter les règles du jeu de la concertation.  Le tiers garant était jadis prioritairement constitué par les médias, lesquels sont aujourd'hui totalement colonisés par les puissances d'argent. Seuls résistent encore les médias libres qui ne survivent que des dons des abonnés et subissent les calomnies et les procès baillons. La question reste bien de trouver les moyens de moBlondiaux-2.jpegnter sur le devant de la scène sans recevoir trop de tomates!... Reste à se trouver des tiers audibles suffisamment autonomes pour contrecarrer l'asymétrie des pouvoirs et légitimer notre parole…

Pour aller plus loin on peut lire le livre de Blondiaux, "Le nouvel esprit de la démocratie", éd. Le Seuil, 2008,  112 p.:  Une nouvelle demande de participation se fait jour dans les démocraties. Sous des formes variées (blogs, forums, journalisme participatif, conférences de consensus, concertations…), elle exprime une insatisfaction à l’égard de la démocratie représentative comme de ses médiations traditionnelles. Comment donner corps à ce « nouvel esprit de la démocratie » sans succomber aux faux-semblants d’une rhétorique de la proximité ? Comment faire vivre cet impératif de participation des citoyens sans sortir du cadre de la démocratie...  

Quatre scénarios futurs pour les villes, Sébastien Marot

 

 

Interview du site Circular-Métabolism

59:09 mn, https://youtu.be/Zz5eHhAoc4Y

 

Marot.jpegSébastien Marot est philosophe, spécialiste de l'histoire de l'environnement et professeur à l’École d'Architecture de la Ville et des Territoires (ENSA Paris-Est). Il est l'auteur du livre Prendre la clef des champs (Agriculture et architecture), 293 p., éd Wildproject, sept.2024.

Le site Circular Metabolism propose chaque semaine l'interview d'un intellectuel avec pour objectif de mieux comprendre le métabolisme de nos société, dans une optique systémique. On peut y retrouver Arthur Keller, Timothée Parrique, Yamina Saheb, etc. Ces interviews sont en libre accès sur Youtube et mérite d'être vus, lus, commenté....

 

L'urbanisation ne cesse d'augmenter et ça va continuer, c'est ce que nous disent toutes les études et statistiques. C'est dans le monde entier le destin de l'humanité au point qu'on ait inventé le néologisme d'urbanocène. En même temps, quand on s'intéresse aux grandes problématiques environnementales, aux risques d'effondrement, on ne peut se répartir du sentiment inverse que la poursuite de cet urbanisation est impossible. On est au cœur d'une évolution qui est à la fois inévitable et impossible. Il est difficile de vivre une telle situation. Pour continuer à réfléchir dans cette situation, il serait bon de récapituler l'histoire de ces deux grandes pratiques de domestication que sont l'agriculture et la domestication des sociétés à l'intérieur de territoires urbains. Il est certain qu'on ne pourra pas poursuivre de la même manière, il faudra bien se dépêtrer de cette situation à la fois inévitable et impossible.Marot-portrait.jpeg

C'est exactement le constat que nous faisons vis à vis de l'argent et de la croissance qui, aussi commodes qu'ils aient été, nous ont mis dans une situation à la fois inévitable et impossible.

L'agriculture et l'urbanisme ont fonctionné à partir des mines : comment relativiser la part d'usage des sols dont le modèle est la mine, pour aller dans un autre modèle rapprochant l'urbanisme et l'agriculture. Comment passer du schéma de la mine à celui du jardin. La mécanisation et les intrants ont fait passer l'agriculture dans le modèle de la mine extractiviste gourmande en énergie. L'urbanisme est tout aussi gourmand en fer, sable, béton, verre qui nécessite des industries lourdes gourmandes aussi en énergie. Résoudre ce problème, c'est une révolution considérable.

Depuis quelques décennies sont apparus des discours assez articulés sur l'agriculture sans intrants ni machines comme l'architecte laisse émerger des habitats sobres et passifs. Ce n'est pas une mode mais un début de prise de conscience du problème.

L'architecte anglais Colin Moorcraft à 25 ans (en 1972), publie un article dans la revue Achitectural Design où il décrit les trois principes d'une technologie postindustrielle : 1, qui recycle intrant comme entrants dans un système circulaire. 2 qui est flexible, cad concevable, réparable adaptable par les usagers et dans un rayon raisonnable, 3 qui fonctionne en collaboration : chaque élément joue plusieurs fonctions et chaque fonction est assurée par plusieurs éléments. C'est un vrai fonctionnalisme mais radicalement opposé au standard industriel actuel où chaque élément remplit sa fonction bien distincte des autres. C'est un alter-fonctionalisme. C'est le même principe que la permaculture mais dans le domaine industriel et ça rejoint les ambitions des postmonétaires qui veulent redonner aux usagers la maîtrise de leurs usages et ainsi s'ouvrir à des fonctions multiples. Si on pense que l'exode rural a été la signature de l'accumulation du capital, que cette accumulation a été nourrie par les mines et les énergies denses et qu'il faut sortir de la mine pour aller vers le jardin, on en arrive à penser un exode urbain.

Image de couverture

Pascal Boniface - Les intellectuels faussaires

EBook Gawsewitch Éditeur, 2011, 256p.

 

QuatrièmBoniface.jpege de couverture:  Le mensonge est devenu la marque de fabrique de plusieurs intellectuels. Ces faussaires qui assènent sans aucun scrupule des contrevérités pour défendre telle ou telle causse sont quasi intouchables. Quoi qu'ils racontent, o, les respecte et personne n'ose dénoncer leurs arrangements permanents avec la vérité? Les "intellectuels faussaires" dont il est question dans cet ouvrage sont bien connus. Ils s'affichent sur les plateaux de télévision et tiennent des chroniques à la radio ou dans la presse. En levant le voile sur leurs pratiques, Pascal Boniface dénonce une nouvelle "trahison des clercs". Une réflexion iconoclaste sur les dérives du débat intellectuel aujourd'hui en France.

L'auteur: Pascal Boniface est directeur de l'IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques), enseignant à Paris VIII. Il a écrit ou dirigé une quarantaine d'ouvrages sur les relations internationales, la politique étrangère française ou l'impact du sport à l'international…

pp.8-13: Avant-propos: Le "mentir vrai" se porte à merveille. Un sportif qui alignerait les contreperformances cesserait d'être sélectionné. Un expert peut enchaîner erreurs et mensonges en étant toujours invité sur les plateaux… Ce sont des faussaires qui fabriquent de la fausse monnaie intellectuelle pour assurer leur triomphe sur le marché de la conviction. Pire il y a les "mercenaires" qui ne croient en rien mais semblent adhérer à des causes parce qu'elles vont dans le sens dominant. La frontière entre faussaires et mercenaires n'est pas étanche…

Lorsque les élites mentent ainsi, il ne faut pas s’étonner que le public s’en détourne. Or, la coupure entre les citoyens français et les élites est de plus en plus grande. C’est un danger pour la démocratie, les « faussaires » font le lit des démagogues.

De la malhonnêteté intellectuelle en général:

  1. La France, le pays où les intellectuels sont rois

p.18: Clemenceau écrit : « N’est-ce pas un signe, tous ces intellectuels venus de tous les coins de l’horizon qui se regroupent sur une idée ? » (à propos de l'affaire Dreyfus)

p.19: Quel rôle doivent jouer les intellectuels ? En 1927, Julien Benda* publie La Trahison des clercs. Il y dénonce l’attitude des clercs (on dirait aujourd’hui intellectuels), c’est-à-dire « tous ceux dont l’activité, par essence, ne poursuit pas de fin pratique »… « à la fin du XIXe siècle se produit un changement capital : les clercs se mettent à faire le jeu des passions politiques. Ceux qui formaient un frein au réalisme des peuples, s’en font les stimulants ».

*Julien Benda: 1867-1956, philosophe et écrivain français (Goncourt et Nobel)

p.21: Nizan dénonce « les hommes, qui sont la production de la démocratie bourgeoise, édifient avec reconnaissance tous les mythes qu’elle dénonce».

p.23: Face au développement des inégalités, à la montée croissante des injustices, aux multiples violations des droits et de la dignité humaine et leur connaissance facilitée par la globalisation et la médiatisation, rester sur son Aventin, fût-il scientifique, ne paraît plus tenable.

p.24: Un intellectuel défend-il une cause pour la servir ou s’en servir afin d’améliorer sa notoriété, sa popularité, son espace personnel dans le paysage intellectuel ou ence ses ventes de livres ?

2. La faute aux médias!

p.26: Régis Debray écrivait il y a plus de trente ans : « Les mass media marchent à la personnalité, non au collectif ; à la sensation, non à l’intelligible ; à la singularité, non à l’universel. Ces trois caractéristiques inhérentes aux nouveaux supports, qui n’en font essentiellement qu’une, détermineront désormais, et la nature du discours dominant, et le profil de leur porteur. Elles imposent à la fois une stratégie individuelle et une désorganisation collective. Plus besoin des codes, ni de problématiques, ni d’enceinte conceptuelle. »

À la télévision, le temps est court. On se rappelle cette interrogation de Bernard Pivot au grand orientaliste Maxime Rodinson à la fin d’une émission : « En trente secondes, pouvez-vous nous dire si l’islam est une religion agressive ou pas ? »

p.27: Ceux que l’on appelle les intellectuels médiatiques auraient donc pris la place des intellectuels tout court. Peut-on être intellectuel et médiatique ? N’est-il pas préférable d’être photogénique qu’intelligent ?

p.29: « progressivement l’idée s’est répandue dans le public que le système médiatique n’est qu’un vaste appareil de manipulation de l’opinion mise au service d’intérêts obscurs et malfaisants, une simple région du pouvoir sans autonomie propre ni règle loyale de traitement de l’actualité ». (Roland Joffrin, Média-paranoïa)

p.31: Si des « faussaires » parviennent à avoir pignon sur écran, c’est parce qu’ils disent ce que l’on est prêt à entendre, qu’ils se coulent dans le bain amniotique de la pensée commune.

 

  1. La morale en trompe-l'œil.

p.34: L’accès à l’opinion devient un moyen de se faire valoir. On se sert du public, on ne se met pas à son service. […] Aucun gouvernement ne justifie plus sa politique par le seul intérêt national. Un État produit toujours des « raisons légitimes » afin de donner un aspect présentable à chaque décision concernant sa politique extérieure.

p.35: On ne crée pas un mouvement de sympathie envers une cause si elle n’a aucun fondement. Là, cela reste à démontrer, par exemple avec la guerre en Ukraine. La sympathie pour ce pays est évidente parce que fabriquée, autant sans doute qu'est fabriquée la haine de Poutine. De Zelensky ou Poutine, lequel est le plus respectable? On est en droit de se poser cette question au lieu de leur distribuer, sans réflexion préalable, les qualificatifs de bon ou mauvais, agresseur ou agressé. La même question a été éludée avec Kadhafi, reçu un jour à l'Élysée en grande pompe et qualifié de tyran à abattre le lendemain…

La morale est souvent évoquée selon une géométrie très variable. Le terme « dictateur », par exemple, n’est pas attribué en fonction de la brutalité d’un despote ou de l’ampleur de la répression menée par celui-ci. C’est la proximité ou l’éloignement stratégique vis-à-vis de la puissance qui s’oppose à lui qui conditionne, ou pas, l’emploi de ce qualificatif…

p.36: Sur le terrain de la morale, on retrouve toujours le problème du double standard, de l’application sélective du principe universel, du fait d’accepter dans certains cas ce que l’on condamnerait dans d’autres.

Dernier exemple du jour: Poutine est génocidaire et mérite des sanctions économiques, Netanyahou bombarde deux millions de civils dans un lieu clos, sans abri potentiel, mais à le droit de se défendre. Sans préjuger des situations et personnages, il est vrai très différents, le double standard est patent, mais annulé par le risque d'être soit russophile soit antisémite…

p.37: Croit-on vraiment qu’armés d’une telle grille de lecture, nous puissions expliquer le Proche-Orient, le Liban, l’Afghanistan, les conflits africains, ceux du Caucase ou d’ailleurs ?

p.38: Les « faussaires » occupent souvent une place enviable dans la presse écrite alors que leurs critiques trouvent « refuge » sur Internet. Les dérives déontologiques ne sont pourtant le monopole d’aucun type de média…

p.40: Lorsque l’on porte ainsi la morale en bandoulière, il n’y a évidemment que les barbares qui s’opposent à vous, et on ne discute pas avec les barbares : on les élimine. Le procédé est loin d’être nouveau. Ainsi, il est quasiment impossible d'émettre la moindre critique sur Israël, comme on peut le faire sur l'Inde ou les États-Unis, sans être définitivement antisémite, il est impossible de parler de l'Islam sans être aussitôt islamo-gauchiste ou raciste. C'est l'exemple type de la "procédure bâillon" adapté au débat intellectuel.

  1. SOS pour le monde occidental.

pp. 45-52: Chapitre peu convaincant en ce sens qu'il renvoie dos à dos, les mondialistes et les suppémacistes américains, les occidentalistes et les orientalistes, les bipolaristes et les multipolaristes, ceux qui croient en un monde unipolaire et ceux qui voient au contraire un archipellisation de la terre… Bien malin celui qui pourra trancher entre ces multiples options…

 

  1. Israël en danger

p.53: Les attentats du 11 novembre 2001, à New-York posent beaucoup de questions: « Pourquoi nous haïssent-ils tant ? » (Bush), Défendre Israël ou les palestiniens? Que faire des Talibans Afghans, de l'État ismlamique?... Comment lutte-t-on contre des terroristes isolés et prêts à mourir? Le coup de force du Hamas de janvier 2024 relance les débats houleux où chacun est sommé de qualifier les Palestiniens de terroristes.

pp.56-58 L'affrontement est-il entre Juifs et Arabes, occupant et occupé, Musulmans modérés et radicalisés, sioniste ou frère musulman, manipulé par les Américain, les Iraniens ou les Saoudiens, chroniqueur de gauche ou de droite... Là encore, il était essentiel de justifier ce soutien à travers une approche morale… Par conviction pour les uns, par intérêt pour les autres, la dénonciation du terrorisme s’est ainsi transformée en interdiction de réfléchir à ses causes. Ceux qui tentent d'évoquer les pauses, sont au choix accusés d’être atteints du syndrome de Stockholm ou… d’être des nouveaux munichois….

  1. L'islamofascisme, un concept creux en vogue:

p.59: Le renforcement de la solidarité entre le monde occidental et Israël passe donc par la fabrication d’un ennemi commun. Manifester sa solidarité avec Israël ou défendre une superpuissance militaire régionale, dotée du monopole de l’arme atomique au ProcheOrient et qui, au mépris des règles du droit international, occupe un territoire qui ne lui appartient pas et réprime la population qui s’y trouve…? Inventer un ennemi commun permet de conférer une nouvelle légitimité au lien Israël/Occident…

p.60: C’est ainsi que sont apparus les termes contradictoires et pourtant interchangeables d’« islamogauchisme » ou d’« islamo-fascisme ». Le fait que les deux termes soient employés de façon indifférenciée montre que l’on n’est pas à une nuance près. Associe-t-on l’islam au fascisme ou au gauchisme ? Peu importe ! Ce qui compte, c’est d’attaquer l’islam et de le disqualifier… On peut vouloir combattre le fascisme et l’islamisme radical. On peut aussi, pourquoi pas, vouloir combattre le gauchisme et l’islamisme. Mais le fait-on efficacement en fusionnant ces notions ? L’amalgame ainsi créé fait-il sens politiquement ?...

p.62: En juin 2010, Alain Finkielkraut dénonce aussi le danger d’un mouvement « islamo-gauchiste » ostensiblement indifférent à la mémoire de la Shoah. De son côté, Éric Denécé du Centre français de recherche sur le renseignement, considère que la tentative d’attentat de décembre 2008 contre le Printemps Haussmann à Paris, revendiqué par un mystérieux Front révolutionnaire afghan, témoigne de l’émergence d’une menace "islamo-gauchiste". « L’ultra-gauche et les salafistes ayant un objectif commun, détruire la société capitaliste occidentale, ils pourraient nouer des relations logistiques voire opérationnelles communes.» (Le Figaro 23.12.2008)

p.64: Bush explique à propos de Al-Qaïda, le Hamas et le Hezbollah (un mouvement athée): « Malgré leurs différences, ces groupes forment un mouvement unique, un réseau mondial de radicaux qui utilisent la terreur pour tuer ceux qui se mettent sur le chemin de leur idéologie totalitaire. La guerre que nous livrons aujourd’hui est plus qu’un conflit militaire. C’est la lutte idéologique décisive du XXIe siècle. »

p.65: « Après avoir vaincu le fascisme, le nazisme et le stalinisme, le monde fait face à une nouvelle menace globale de type totalitaire : l’islamisme. » (Charlie Hebdo). Ainsi, fascisme, communisme, islamisme, tous ces ennemis sont les mêmes, ils n’ont des différences que chronologiques dans leur opposition aux démocraties occidentales.

p.66: Au final, peut-on véritablement enfermer dans un même sac le Hamas, le Hezbollah, les salafistes algériens ou les mollahs iraniens ?

p.68: L’expression « fascisme islamique » est surtout utile en raison de sa charge émotionnelle. Elle permet d’alimenter la peur en accréditant l’idée que l’Occident combat un nouveau fascisme et de nouveaux Hitler. Ce concept permet de préparer l’opinion à accepter l’idée que la guerre peut et doit être préventive.

p.69:Fabriquer de faux concepts : voilà encore une nouvelle trahison des clercs. Au lieu de permettre au citoyen de réfléchir à des phénomènes complexes, on simplifie à l’extrême, on fournit à l’opinion publique des produits intellectuellement frelatés et toxiques et on fabrique des leurres idéologiques.

7. L'islam fait peur:

p.72: Ces manipulations se font sur la durée et à force en deviennent très efficaces: En octobre 1985, Le Figaro Magazine titrait : « Serons-nous encore français dans trente ans ? » avec photomontage d’une Marianne portant un foulard islamique. Le 5 janvier 2011, un sondage publié dans Le Monde indiquait que l’islam est considéré comme une menace par 40 % des Français

p.85: On s’inquiète beaucoup de la montée en puissance de Marine Le Pen et du « populisme » en France. Son entrée dans le débat sur la définition de « populisme » a fait réaliser que le rejet des élites se nourrit des mensonges de ces dernières. Nos intellectuels « faussaires », dont les mensonges ne trompent plus le grand public, mais qui continuent de prospérer grâce à la connivence dont ils bénéficient, contribuent à la montée de l’extrême droite. Il me semble que cette conclusion sur le long chapitre consacré à l'Islam est faible. La tromperie a été plus efficace qu'on le pense. Il faut lire l'historien Johan Chapoutot, spécialiste du fascisme ou écouter l'interview qu'il donne à Lundi Matin sur le sujet (https://youtu.be/RDioThIzv5M )

           De quelques faussaires en particulier.

  1. Alexandre Adler, les merveilleuses histoires de l'oncle Alexandre

p.93: Adler est hypermnésique. Il enregistre tout ce qu’il lit. Il est doté d’une mémoire phénoménale. Tous ceux qui l’ont côtoyé ont pu le vérifier. Problème : Alexandre profite de ses talents oratoires et de la véritable bibliothèque logée dans son cerveau, pour souvent raconter des histoires.

p.94: Mais Alexandre Adler est tellement sûr de son expression, de l’impression qu’il produit sur ses interlocuteurs, que personne ne se risque à le contester.

p.95: Alexandre Adler est aussi d’une très grande fidélité politique. Ainsi, depuis 1981, il a toujours été en faveur de la majorité présidentielle. Il s’est rallié à Chirac sans états d’âme, après avoir été « chevènementiste », « séguiniste », « fabiusien ». Tenté en vain d’être « jospinien », il s’est converti au « sarkozysme ». Il est prêt à devenir « strausskhanien » si DSK l’emporte en 2012, et si c’était Martine Aubry, il se découvrirait une âme de Ch’ti.

p.96: Pourtant, malgré son omniscience, Alexandre Adler n’est pas toujours très doué pour les pronostics. Il avait, entre autres, prédit l’élection de John Kerry en 2004 comme président des États-Unis, celle de Khatami en 2005 comme président en Iran et avait même osé affirmer en mars 2003 que la guerre d’Irak n’aurait pas lieu.

p.97: Alexandre envisageait l’alliance de la Turquie et de l’Iran avec les États-Unis et Israël et prévoyait également le ralliement de la Russie à la cause américaine et la naissance d’une nouvelle alliance russo-américaine.

p.104: Alexandre Adler est en fait un véritable talent gâché. Son intelligence, sa mémoire, ses capacités auraient pu faire de lui l’un des plus grands intellectuels de notre époque. Si, seulement, il avait un peu mieux encadré l’immensité de ses talents par davantage d’honnêteté et de rigueur.

2. Caroline Fourest, sérial-menteuse

p.105: Selon moi, Caroline Fourest est au débat intellectuel ce qu’est Marion Jones à l’athlétisme. L’apparence est parfaite, les performances exceptionnelles. Mais, heureusement pour Caroline Fourest que le dépistage des « faussaires » est moins bien organisé que les contrôles anti-dopage. Si Marion Jones a été sanctionnée, Caroline Fourest truste toujours les plateaux télévisés

p.106: Elle va devenir une sorte de pasionaria de la lutte contre l’islamisme, celui-ci faisant peser selon elle une menace existentielle sur nos libertés. Un combat qu’elle mène bien sûr au nom de la laïcité, de la défense des droits des femmes et des minorités sexuelles.

p.107: Prix du Livre politique pour son ouvrage sur la Tentation obscurantiste, elle est devenue, après un passage à Charlie Hebdo, chroniqueuse au Monde, à France 24, à France Culture, France Inter…La grande force de Caroline Fourest est d’enfourcher des chevaux de bataille largement majoritaires dans l’opinion et plus encore parmi les élites médiatiques.

p.111: La technique de Caroline Fourest consiste à accuser ceux avec lesquels elle n’est pas d’accord, de complicité avec l’islamisme, de nondénonciation de l’antisémitisme, de passivité devant les viols, le sexisme, l’homophobie dans les cités, de vouloir par compassion défendre tous les exclus, des désœuvrés de banlieue aux Palestiniens, le problème c’est qu’elle ne cite jamais un texte qui pourrait confirmer ces affirmations gratuites.

3. Mohamed Sifaoui, pourfendeur utile de l'islamisme

4.Thérèse Delpech, Madame Tapedur

P.139: Thérèse Delpech, directrice des Affaires stratégiques du Commissariat à l’énergie atomique, est également chercheuse associée au Centre d’études de relations internationales de Sciences-Po (CERI). Cela lui permet de s’exprimer à titre universitaire, et non comme une salariée du CEA, organisme dont la fonction principale n’est pas a priori de susciter le débat stratégique en France, mais de défendre les intérêts de la filière nucléaire, ce qui n’est pas tout à fait la même chose.

5. Frédéric Encel, un homme d'influence

6. François Heisbourg: qui paye la musique choisit la partition

7. Philippe Val: De Léo Ferré à Torquemada

8.BHL, seigneur et maître des faussaires

Il est dommage que Pascal Boniface se soit laissé embarquer dans une suite de remarques purement factuelles des huit "faussaires" qu'il a sélectionnés. Il eut été intéressant de décortiquer un peu plus leurs écrits et déclarations pour mettre en exergue leurs méthodes et leurs objectifs cachés derrière leur parfaite élocution et leur sens de la polémique. L'essentiel du livre semble se concentrer sur une sorte de "règlement de compte" et sur les questions autour de l'islamisme. Les deux vont d'ailleurs ensemble puisqu'il n'y a pas de sujet plus propre que l'islam à déclencher la guerre des élites médiatiques. J'aurai aimé avoir une mise en exergue aussi fournie des mensonges politiques, géopolitiques, économiques, sociologiques. Les dogmes, les croyances, les fausses statistiques pullulent dans ces domaines. Répété à l'envi sans jamais, ou presque, de réelle contradiction sur le fond, ces dogmes deviennent vérité, évidence… Oui, le "mentir vrai" se porte bien!!! Il serait intéressant d'en faire un recensement quant au système monétaire et l'échange marchand, où le mentir vrai se porte au mieux...