Devant l'effondrement, essai de collapsologie, Yves Cochet

 

Editions LLL, 2019, 256p.

CochetQuatrième de couverture: La période 2020 - 2050 sera la plus bouleversante qu'aura jamais vécu l'humanité en si peu de temps. L'effondrement de notre civilisation industrielle s'y produira à l'échelle mondiale, probablement dans les années 2020, certainement dans les années 2030. L'ouvrage examine les origines écologiques, économiques, financières et politiques de cet effondrement et, surtout, leurs relations systémiques.

Biographie: Né en 1946, Yves Cochet fait une thèse de mathématique  et devient enseignant à l'INSA de Rennes. Politiquement, il est écologiste EELV, député de 1997 à 2011, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement entre juillet 2001 et mai 2002 (10 mois sous Jospin), puis député européen de 2011 à 2014. Il vit dans une maison de campagne (7 ha) près de Rennes où il se prépare à l'effondrement…
       Yves Cochet est un modéré, au départ européiste (il a fait campagne pour le OUI en 2005), de la gauche classique et longtemps persuadé que des réformes étaient possibles. En fin de carrière, il reconnait n'avoir rien pu faire de décisif, ni en tant que député ni en tant que ministre de l'écologie. Les solutions qu'il propose face à l'effondrement, ce n'est pas de changer radicalement de modèle politique, mais de limiter au mieux l'activité humaine qui nous conduit vers le mur. Sa maison de campagne est quasiment autonome, il a prévu un attelage de chevaux pour ses déplacements, ses terres sont 100% écolo…, mais à aucun moment il n'a pensé qu'une abolition de l'argent serait la seule solution assez radicale pour changer la donne.

Critique du livre:

                On se demande bien pourquoi Yves Cochet n'a pas tiré les leçons de sa longue expérience politique, et comment il peut se préparer à l'effondrement sans imaginer le basculement dans un autre système global, une société enfin débarrassée du capitalisme. Yves Cochet fait partie de la caste "du pas suspendu de la cigogne"! Il adhère à toutes les thèses de la collapsologie et reprend la définition de Pablo Servigne: « l’exercice transdisciplinaire d’étude de l’effondrement de notre civilisation industrielle, et de ce qui pourrait lui succéder, en s’appuyant sur les deux modes cognitifs que sont la raison et l’intuition, et sur des travaux scientifiques reconnus. » (Servigne, Stevens, 2015, p. 253). Lui-même donne une définition très claire, pages 29-30 de son livre : « le processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, mobilité, sécurité) ne sont plus satisfaits pour une majorité de la population par des services encadrés par la loi. Ce processus concerne tous les pays et tous les domaines de l’activité humaine, individuelle et collective ; c’est un effondrement systémique mondial. »

                Un effondrement systémique mondial ne peut se résoudre avec un peu moins de pollution et des toilettes sèches! Refaire un État du même style que celui qui aura failli dans ses devoirs d'assurer quelques services à la société et au point de nous mener au chaos, cela paraît un peu naïf. Yves Cochet apparaît dans ce contexte comme un pessimiste ("c'est foutu") individualiste ( "nous devrons nous attendre à une extrême violence, qu’elle soit inter-étatique ou entre les communautés locales"). Pourtant, Yves Cochet est lucide sur beaucoup de points. Il a même daté la suite des événements: "la fin du monde tel que nous le connaissons (2020-2030), l’intervalle de survie (2030-2040), le début de la renaissance (2040-2050)". (p. 115)

                En somme, le livre d'Yves Cochet peut nous intéresser pour ce qu'il ne dit pas de ce que pourrait être la renaissance. Personne n'adhèrera à un bouleversement civilisationnel sans un récit crédible de ce que pourrait être cette renaissance, quelles structures sociales seraient susceptibles de former une colonne vertébrale à la société sans reproduire les mêmes effets pervers du capitalisme néolibéral triomphant! Les postmonétaires ont déjà produit quantité de projections plausibles, sous forme de fictions ou d'essais, pas toujours cohérentes, mais qui, au moins, ouvre une porte sur un monde décolonisé de ses tares les plus anciennes…

Quelques citations:

p. 9-10: « Ce n’est plus l’économique qui est déterminant en dernière instance, c’est l’écologique. » Et ce serait l'évènement le plus opportun pour apprendre à se passer de l'argent et de l'échange marchand et inventer une économie a-monétaire. A défaut de révolution postmonétaire, il n'est pas impossible que nous soyons amenés, dans l'urgence et le chaos, à considérer que l'argent est devenu obsolète, au moins pour répondre aux besoins vitaux et locaux.  Visiblement, Cochet a du mal à s'y résoudre et propose un "bricolage" en attendant que nous puissions nous organiser en société postmonétaire qu'il n'ose même pas nommer!...

p.115: « la période 2020-2050 sera la plus bouleversante qu’aura jamais vécu l’humanité en si peu de temps. À quelques années près, elle se composera de trois étapes successives : la fin du monde tel que nous le connaissons (2020-2030), l’intervalle de survie (2030-2040), le début de la renaissance (2040-2050). »

La vision d'Yves Cochet est en tout état de cause une façon de nous prévenir qu'il est déjà trop tard pour une solution en forme de "révolution tranquille". Il imagine une décennie entière d'une pagaille monstre, génératrice de projets inédits, suivie d'une autre décennie de lente reconstruction. Nombre de militants postmonétaire sont en effet dans l'idée d'une transition d'abord subie, puis acceptée comme inéluctable. Puisque j'écris ce commentaire en février 2024, si Yves Cochet a raison, nous allons nous enfoncer dans une longue période chaotique qui pourrait être sinon évitée du moins raccourcie en préparant dès aujourd'hui cette société autant postcapitaliste que postmonétaire. Il est tout de même plus aisé de rassembler toutes les compétences et énergies autour de  l'élaboration d'un projet de société,  avec les services de l'électricité, de l'Internet, du supermarché, des moyens de transports que sans! Le premier combat logique serait d'étouffer les polémiques autour de ces trois étapes si bien datées. Le bon Pascal aurait certainement ressorti son histoire de pari s'il était parmi nous. En effet, prenons la chronologie de Cochet, prémonitoire ou farfelue, peu importe. S'il s'est trompé dans la date de l'effondrement, à la baisse nous serons prêts plus vite. S'il s'est trompé à la hausse, nous aurons plus de certitudes et d'expérience pour la suite. Si la "Renaissance" est plus précoce nous aurons des excuses de n'être pas prêts, plus tardive, nous serons plus sereins.  Qu'importent les dates exactes, si les trois étapes sont à ce point probable! Les railleurs n'ont pas le monopole de la vérité et de la lucidité.

Néanmoins, la transition selon Cochet ou selon les altercapitalistes, c'est le risque évident que, par peur de l'inconnu, nous nous contentions d'un "altercapitalisme", à peine tronqué de ses tares essentielles et qui permette de reculer pour mieux sauter. Est-ce un choix judicieux? On peut en débattre mais c'est me semble-t-il jouer avec le feu, prendre le risque d'entrer dans une longue période de dictature, forme toujours séduisante de réponse au chaos.

p.202: Cochet est en même temps réaliste, pragmatique (en bon mathématicien) puisqu'il  exprime sa propre peur en ces termes: « je suis trop rationnel pour souhaiter un désastre. » Voilà bien un argument pervers mais récurent que j'entends sans cesse. Au motif que nous souhaitons la sortie du monde marchand nous serions favorable à l'effondrement global. C'est stupide. Si effondrement il y a, après des années de déni de cet éventualité, c'est une bonne moitié de l'humanité qui risque de disparaître dans des guerres, des actes de vandalisme, des épidémies, des carences en eau et nourritures. Au nom de quoi ne rechercherions nous pas à  imaginer un après qui soit réalisable, ne serait-ce que pour sauver un minuscule pourcentage de l'humanité? 0,1% de vies sauvées à l'échelle de l'humanité c'est tout de même 80 millions de personnes. Cela vaut la peine d'en prendre "le risque" et de supporter les ironiques remarques des gens sérieux!....

                Il est clair pourtant qu'il ne manque vraiment pas grand-chose pour qu'il adhère à nos idées et principalement à celle de base: nous ne pourrons échapper à l'abolition de l'argent, volontairement ou par défaut. Mais le discours d'Yves Cochet est si clair que nous l'hésitons pas à le placer dans la catégorie du "pas suspendu de la Cigogne!" 

                Pour compléter et nuancer mon sentiment sur le livre de Cochet, on peut aussi lire le commentaire en PDF signé Bruno Villalba pour OpenEdition. Voir 

Indécence urbaine, Guillaume Faburel

Pour un nouveau pacte avec le vivant,

Editions Flammarion-Climat, 323p., février 2023

Faburel.jpegGuillaume Faburel est géographe, professeur à l'université Lyon 2 et chercheur à l'UMR Triangle. Il est l'auteur des Métropoles barbares et du Manifeste pour une société écologique post-urbaine. Partant de ses compétences de géographe, il étudie la place prise par les métropoles dans nos sociétés et en déduit une sévère critique d'un capitalisme débridé qui ne peut mener qu'à l'effondrement du système global. En ce sens, il apporte beaucoup d'eau au moulin des postmonétaire….

Quatrième de couverture: Les grandes villes sont responsables des crises majeures de notre temps. Elles imposent des rapports consuméristes et productivistes au monde sans offrir en retour une écologie à la hauteur de la dévastation orchestrée par l'idéologie urbaine. L'équivalent d'une ville comme New York sort de terre tous les mois dans le monde. Les cent premières villes de France ont trois jours d'autonomie alimentaire. Les métropoles deviennent des fournaises. Et le sentiment de leur invivabilité prévaut chaque jour davantage. 
       Pour enrayer ce mouvement mortifère, il ne s'agit pas seulement de changer de civilisation, mais de changer ce qu'est la civilisation, de développer la recherche d'autonomie comme mode de vie, dans ce qu'elle recrée de proximité et de solidarités, en faisant le choix d'une autre abondance, celle de la vie. Le monde d'après est là.
      Paysannerie revivifiant les ruralités par une agriculture non prédatrice, redéploiement de l'artisanat, multiplication des lieux d'expérimentation, redécouverte de savoirs aujourd'hui discrédités, réappropriation de l'ingéniosité libératrice des individus et des collectifs: tel est aujourd'hui le fondement révolutionnaire d'un nouveau pacte avec le vivant.

Notes et commentaires: Extraits du texte en italliques noires et commentaires en bleu

       Faburel part du constat que les limites planétaires ont quasiment toutes été, une à une, franchies et qu'il est temps de "radicalement bifurquer". En bon géographe, il fait le parallèle avec la ville "symbolisant l'accès de la grande majorité à de meilleures conditions de vie… Tous urbains, voilà le credo dominant…". Il met en chiffres des apories du système évident pour tous mais rarement illustrés: 6 millions de logements en France sous-occupés et 600 000 sur-occupés!  "Ne serions-nous pas en train de tranquillement sacrifier la résolution de la crise du vivant par celle du logement?" La réponse est d'ordre purement idéologique! La thèse que Faburel développe dans ce livre, c'est que "nous n'avons d'autres choix si nous voulons enrayer la catastrophe que de décroître en désurbanisant nos vies, en dé-métropolisant nos géographies."  
Il est intéressant de voir comment un enseignant-chercheur en études urbaines, en arrive à défendre la désurbanisation?...

                Un monde métropolisé:

Faburel commence par le constat des problèmes, insolubles pour la plupart, des villes actuelles, et ils sont nombreux:

- L'urbanisation du monde ne cesse de croître (60% de la population est urbaine, il y a 600 villes de plus d'un million d'habitants, 32 de plus de 10 millions). Plus les villes grossissent, plus elles sont sensibles aux pandémies. En France la population est urbaine à plus de 80%.
- Pas moins de 20 000 et 50 000 hectares sont artificialisé chaque année en France, soit l'équivalent de la moitié d'un département, à 70% pour le logement.
- La ville a toujours poursuivi deux finalités: l'une économique (fécondité, possibilités marchandes et patrimoniales), l'autre politique (légitime les institutions et leurs gouvernements, les administrations, régule les pratiques et les conduites).  Cela induit qu'une meilleure répartition de l'habitat affaiblirait l'État et le rendrait moins indispensable....(A ce propos, l'auteur fait une digression historique pour expliquer que les États naissent de la ville et pour la ville, alors qu'une meilleure répartition des populations aurait rendu plus facile la démocratisation et le renforcement des pouvoirs locaux:  La longue épopée des villes est donc le produit d'une domestication: celle du vivant aux fins de subsistance, celle des humains aux fins de gouvernance par la naissance de quelques autorités. Et de ce fait, tous les systèmes économiques, de l'Antiquité à nos jours, se sont fondés sur l'exploitation et tous les régimes politiques se sont fondés sur la subordination.  Cette logique ne peut se renverser que par la relocalisation proportionnée de la population dans un système global non marchand et non monétisé. Le système économique fondé sur l'accès limite toute possibilité d'exploitation (usages raisonnés des ressources) et fin des subordinations figées dans des classes sociales (chaque citoyen peut, sur son territoire, passer d'une classe à l'autre, d'une compétence à l'autre, d'une fonction à l'autre). La logique économique concentre les habitats, la logique urbaine, accumule les effets dévastateurs sur le plan écologique. Et l'auteur ajoute cette question: qui peut croire encore que la marchandisation du monde n'est pas responsable de ces désastres?...
       Partant de là, Faburel entre dans le vif du sujet et constate que  l'urbain a pris le pli de l'économie de marché au point d'en devenir la médiation première, et ce par le travail et sa division, par la marchandise et sa consommation, la monnaie et ses étalons, les pouvoirs institués et leur reproduction. Le tout accompagné d'un productivisme, d'un extractivisme accompagnant le développement urbain et industriel. Du coup, Guillaume Faburel passe de la catégorie des livres intéressants à celle du pas suspendu de la cigogne! Est-il secrètement postmonétaire?... Et continuant dans le constat, il ajoute: 
- Entre 1900 et 2015, la population mondiale a été multipliée par 4.6, la population urbaine par 14, la consommation énergétique par 15, l'extraction de matériaux par 12, les déchets par 11 et les émissions de GES par 15.
- Depuis le déclin orchestré de la paysannerie (…) jusqu'à l'imposition de l'agriculture industrielle, les bras ont été retirés des campagnes, converties de force à la modernité. Il est difficile de ne pas penser aux barrages routiers que font les agriculteurs pendant que j'écris, avec pour principale demande aux décideurs : «Dites-nous ce que l'on doit faire et comment le faire et nous le ferons, mais cessez de nous imposer tout et son contraire, l'écologie et la concurrence internationale par exemple.»
     A cela vont correspondre la prolifération des grandes exploitations agricoles et des fermes-usines comme giga-factories, les grands barrages et centrales énergétiques, les champs d'éoliennes et de panneaux photovoltaïques, les grandes plantations forestières, les plateformes logistiques, les centres de loisirs, les data centers, les hubs du transport rapide, et aujourd'hui les méga bassines. En somme, ce qui fait l'essentiel des luttes écologistes aujourd'hui et ce que quoi s'acharne une violence d'État de plus en plus massacrante!
Selon l'OCDE, «l'augmentation du risque urbain résulte d'abord du développement des villes lui-même.» Selon l'ONU: «plus de 60% des villes de plus de 750 000 habitants sont d'ores et déjà exposées à au moins un risque majeur en lien avec le réchauffement: sécheresses, incendies, inondations…»   
     L'auteur remarque que les paysages et l'aménagement de nos grandes villes se ressemblent étrangement. Les équipements, les monuments, les rues et les quartiers, les espaces publics et les commerces…, tout y passe.
On pourrait croire que l'accroissement des villes va finir par s'inverser tant les risques sont grands, mais c'est le contraire qui se passe. La ville doit être en constante croissance, comme l'économie! 
        Il s'agit de faire venir les "catégories friandes, de préférence solvables et culturellement compatibles avec les discours de la modernité métropolitaine. Le tout avec le mot d'ordre de la mixité sociale pour le prétendu brassage dont les villes seraient le foyer. Le tri s'opère alors rapidement au profit de la "gentrification". La bourgeoisie vivant historiquement des rendements de la pierre y trouve son compte et recycle le surplus via Airbnb… A paris les cadres supérieurs et les entrepreneurs représentent 55% de la population active… Pour accueillir, il faut faire de la place, donc exclure les groupes intermédiaires en voie de déclassement et plus encore les classes populaires et les précaires des quartiers péricentraux et autres banlieues proches convoitées.
        Faburel nous dit que la ville moderne, c'est la mobilité et l'accélération. La mobilité c'est la liberté, l'accélération c'est un accomplissement. Peut-on rester aveugle au point de ne pas voir que l'ivresse recherchée par ce biais n'est autre qu'une tentative de purge psychologique au service du capitalisme du désir? Enfin, ajoutons un troisième véhicule de subordination, une connectivité continue avec le numérique embarqué, des possibilités digitales que toutes les autorités s'emploient à généraliser au nom d'une prétendue modernité. Mouvement, divertissement, connexionce qui remplace "avantageusement" Liberté, égalité, fraternité !!!
            Les classes populaires, majoritairement citadines, exploités dans des emplois dépréciés mais vitaux passent de plus en plus de temps dans les transports en commun, sont dans l'impossibilité de s'extirper de temps en temps et surtout durablement des quartiers bétonnés… Les seuls privilégiés restent la grande bourgeoisie qui se saisit de toutes les opportunités, qui profite à fond de la multi-résidentialité et de son pré carré qu'est le jardin planétaire pour souffler quatre fois par an. 
      Le travail est essentiellement urbain. Quitter la ville, c'est généralement perdre toute promesse d'emploi, toute possibilité de s'installer ailleurs, puisqu'une condition de vie stable est nécessaire pour rassurer banquiers et bailleurs. Une situation inextricable, une condamnation urbaine à perpétuité…

Défense et idéologie de la métropole

             Les mondes militants en quête de changements recherchent le pouvoir, donc ses organisations, ses institutions. La grande ville est certes le creuset des aliénations mais aussi de la vie civique et politique. Il s'agirait de peser dans la transformation et d'opérer le basculement en conquérant les institutions. Or, bien évidemment, cette autre densité se loge et s'ébroue, partout sur terre, dans les grandes villes. Difficile dans ces conditions d'envisager leur démantèlement.
       La grande ville est encore considérée comme le siège des formes les plus efficaces d'organisations instituantes par la politisation de la masse, depuis l'appartenance de classe jusqu'à la formation militante, depuis l'énergie de la rébellion jusqu'à la prise des institutions. C'est donc le lieu privilégié des militants, voire d'ambitions électorales. Mais déjà Aristote affirmait que si dix hommes ne sauraient constituer une Cité, 100 000 ne sauraient non plus en former une, ne pouvant converser entre eux et faire démocratie. Peut-on faire œuvre d'entraide et de solidarité à 1 million ?  En outre, et Faburel le montre bien, la ville crée plus de solitude que les campagnes.
     La solitude affecte 14% des Français, et le pourcentage augmente sérieusement si l'on ne compte que les Français urbains…
     Faburel cite à plusieurs reprises John Holloway (philosophe irlandais résidant chez les Zapatiste du Mexique) qui déclarait «La révolution ne consiste pas à détruire le capitalisme, mais à refuser de le fabriquer…» Voilà qui fait défaut dans les radicalités prétendues, dit-il.
      Il poursuit sur un paragraphe féministe avec le témoignage d'une jeune femme citadine: Je voulais étudier les sciences économiques, la métropole m'a dé-formée à la gestion capitaliste. Je voulais vivre les arts vivants, elle m'a dressée à l'industrie culturelle. Je voulais prendre soin du territoire, elle m'a convertie à l'urbanisme. Y a-t-il la place pour un autre récit que le discours métropolitain? La valeur c'est le mâle…Si la valeur se métropolise, la métropole se masculinise. La métropolisation est l'exacerbation du processus de valorisation du patriarcat producteur de marchandises…

Misère de la pensée académique

     Quelques "vérités" diffusées par les élites universitaires: L'habitat dans une zone à forte urbanité (densité + diversité) apparaît plus protecteur face à la pandémie (Jacques Lévy)….  La densité ne saurait être pathogène. (Michel Lussault)…. La lumière s'est déplacée vers la métropole. C'est elle qui est en première place pour la révolution numérique et écologique et qui offre le plus de possibilité de découvertes, de rencontres, d'aléatoire, où mes liens entre le numérique et les rencontres physiques sont quasi immédiats. (Jean Viard)….  On ne peut être progressiste si on ne reconnaît pas le fait urbain et la disparition des sociétés rurales. (Jacques Lévy)…. A travers la petite ville, les Français demandent la protection. Mais l'urbain, ce n'est pas la protection, c'est l'exposition! Si on ne joue que la protection, on tue l'espace public et on tue la démocratie…  
       Tout faire pour que rien ne change. […] Les pouvoirs publics prétendent façonner des villes écologiques, durables, sobres, frugales, douces, apaisées, résilientes et bio-inspirées, voire pourquoi pas rurales!…Transition, d'accord à la limite, mais à partir de quand? Résilient certes, mais pour revenir à quoi? Inclusif, mais de qui? Durable en quoi? A y regarder de près, force est de constater que les discours sur les vertus écologiques des métropoles sont plus qu'étonnants. […] Nombre de métropoles déploient pléthore de nouveaux règlements visant l'écologie, l'énergie. (réduire l'emprise publicitaire, baisser l'éclairage… Croit-on sérieusement que cela suffira?
          Agricultures contre nature:  La pandémie a révélé la faible souveraineté alimentaire des villes. Pour rappel, 3 jours pour les 100 premières villes de France. D'où les projets de ceinture alimentaire des villes et les jardins partagés et les microfermes urbaines intra muros, les potager sur les toits, etc.    Il serait temps aussi de virer les arbres et plantes dites ornementales pour les remplacer par des fruitiers et des légumes et ce avant de faire des murs végétalisés et des potagers en terrasse!  Cela ne rendra jamais l'autonomie alimentaire à des villes de plus de 100 000 habitants, ou même d'y rétablir une vraie biodiversité… Il faudrait six fois la surface totale de l'Île de France pour nourrir Paris. Et c'est sans compter que 30% des jardins familiaux ou partagés des grandes villes sont pollués au plomb, zinc, arsenic.
         La plantation frénétique d'arbres, 360 000 annoncés en 5 ans à Nice, 170 000 à Paris, 50 000 à Montpellier, cela ne suffira jamais à compenser le dérèglement climatique, surtout quand les mêmes municipalités scient des arbres matures à tour de bras et que les sols sont mités par des parkings, tunnels, et autres galeries. Jamais ces mesures ne seront suffisantes sans réduire en même temps le niveau de peuplement  et la densité de ses activités. L'essentiel de ce qu'on nomme écologie urbaine ressemble à du maquillage, à des tours de passe-passe.  
       Peut-on croire que cette soudaine passion pour le bricolage et la verdure soit à la hauteur des enjeux? Que la conversion au bio des cantines scolaires soit une réponse à la surconcentration?...  Tout cela ressemble à s'y méprendre à une politique de classe au profit d'un petit monde regroupé dans l'entre-soi grandissant des espaces métropolisés. Par quel miracle le développement métropolitain pourrait-il apporter les solutions aux problèmes qu'il a lui-même engendrés ou multipliés?... Après avoir fait disparaître la nature sous le bitume, nous voudrions que les villes soient résilientes à la place des écosystèmes qu'elle a dévastés.     
        Politique de masse, politique de nasse! C'est la matérialité même de la masse que représente l'urbain déjà bâti qui rend totalement illusoires les politiques de la ville, la transition urbaine, la résilience métropolitaine.  
      Je pense que cette critique est totalement adaptée à la transition postmonétaire que certains d'entre nous défendent au nom de la pédagogie, du réalisme, de la nécessité de mettre en acte dès maintenant des initiatives allant dans le sens d'une abolition de la monnaie. Cela risque fort d'aboutir à l'inverse de ce qui est souhaité, à la prolongation du libéralisme et de ses destructions, au recul des prises de conscience de la nécessité d'un changement radical, etc.
        On voudrait nous faire croire que les grandes villes auraient pris conscience, sinon de leur responsabilité, au moins de leur vulnérabilité, comme l'Institut Paris Région, en charge des pensées de l'aménagement de l'Île-de-France, s'y emploie depuis peu. Même le GIEC tombe dans le panneau: Dans son dernier rapport de 2022, ils appellent à faire de la grande ville la solution au dérèglement climatique. Elle serait profitable pour les mondes ruraux et pour les peuples autochtones!!!         Mais comment sortir de ce cadrage normatif de la pensée, avec ses catégories de sens qui nous dépossèdent de tout autre entendement? Sommes-nous réduits à n'être que les pantins de l'industrie cimentière ou d'une certaine pensée universitaire, du prêt à taux zéro ou du tout-vélo, de la passoire thermique à 50 000€ pour les moins fortunés ou de la petite propriété patrimonialisée pour les mieux insérés, de la grande distribution alimentaire dans les périphéries ou de la petite épicerie solidaire des quartiers privilégiés? Comment faire dignement et concrètement droit à d'autres formes de vie à la fois plus radicales dans la lutte contre le capital et un peu plus conséquentes dans leur écologie? Cela implique un retournement un brin fondamental, un basculement aujourd'hui plus que vital… Passage essentiel, car c'est bien le problème de toutes les alternatives qui, au mieux soignent un système qui nous détruit et des transitions qui croient éviter les risques d'un basculement, d'un retournement…

       Guillaume Faburel propose une alternative à ce redoutable constat avec un chapitre intitulé Habiter autrement la terre…Quittons les grandes villes!
     Il est plus qu'urgent de stopper la concentration des populations et son double environnemental, l'artificialisation. Et ainsi retrouver un peu de mesure dans notre habiter de la terre. Humanité, humus, humilité, même racine latine! […] Il est temps de songer enfin à désurbaniser nos vies et à décroître l'urbain, simplement pour augmenter le vivant qui sommeille encore en nous! Poursuivons la bataille des idées, mais cette fois-ci avec un peu plus de positivité. […]  La solution ne serait-elle pas de toutes et tous nous sevrer de cette totalité urbaine?
      Si l'on considère que l'écologie doit dorénavant devenir la matrice de toute pensée de l'agir, alors toute soutenabilité conséquente implique de tendre maintenant très sérieusement vers l'autonomie des villes, ce qui veut dire produire sur place de 90à 100% de l'énergie consommée sachant qu'actuellement nous en sommes à 7% à Lyon, 9% à Bordeaux, etc.
   
Mais ce n'est guère simple concrètement: C'est totalement impossible sans envisager de réduire le niveau de peuplement des installations urbaines, sachant qu'il faut plusieurs décennies pour restaurer sans intrants chimiques le potentiel organique d'un sol qui a été durablement asphalté. Il existe certes des expériences de re-végétalisation des surfaces bétonnées ou asphaltées sans les démolir qui ramènent ce délai à quelques années seulement: partant d'une dalle en béton, une couche de cartons d'emballage, bois en décomposition, couches alternées de coupe de gazon (azote) et feuilles mortes (carbone), puis semi de pommes de terre qui décompose le "lasagne" et fabrique de la terre. A condition de pailler le sol en permanence, on a très vite une très bonne terre maraichère…(voir)     
     Autre solution quitter la ville pour s'installer ailleurs. «La dignité consiste à refuser-et-créer: refuser de fabriquer le capitalisme et créer un autre monde» (Holloway). Si en plus de la rupture par voie insurrectionnelle et des luttes intérieures à l'État, on agit par le bas, par l'ordinaire des pratiques, là où la vie peut s'organiser de manière non capitaliste, tout n'est pas perdu…  Faburel nous donne un exemple avec le collectif RAARE (Ravitaillement alimentaire autonome et réseau d'entraide) à Angers, 150 000 habitants (voir reportage)

                Une enquête de juin 2019 par Cevipof, pose la question "dans l'idéal où préfèreriez-vous habiter?" Réponse 45% à la campagne, 41% dans une ville moyenne et 13% seulement dans une métropole. Une enquête Ipsos dans les villes de plus de 100 000 habitants, 42% souhaitaient travailler et vivre en zone rurale. On dit toujours que la ville-métropole est attractive, mais en réalité, c'est la campagne qui est attractive. Le problème c'est que c'est dans les grandes villes qu'il y a du travail salarié, pas à la campagne. En plus, un nombre important de logement ruraux sont utilisés comme résidences secondaires, ce qui en fait monter considérablement le prix et ne facilité pas l'exode urbain.
      Entre mars et avril 2020, 360 000 parisiens sont partis de Paris, soit 17% de la population. D'autres estimations indiquent que 100 000 familles auraient définitivement quitté une métropole durant la même période. Quantitativement de faible envergure, cet exode urbain atteste bien d'une dynamique. Un économiste à d'ailleurs constaté une baisse du nombre d'élèves dans les écoles métropolitaines et la même augmentation des inscriptions dans les écoles des petites et moyennes villes à la rentrée 2021.

                La densité est vécue depuis maintenant un certain temps comme une promiscuité non désirée, une absence d'ouvertures et d'espaces de nature. On observe partout un épuisement physique et mental, une saturation, s'exprimant par la perception d'une accélération sans frein de l'urbanisation, de suffocation dans un environnement de plus en plus minéralisé, le sentiment d'étouffement par l'occupation des espaces-temps du quotidien, de dépossession face à fonctionnalisation des lieux, la fatigue et la souffrance du fait des pressions exercées sur les vies .
Il faut croire que ce revirement inquiète : Les discours académiques sont à l'unisson pour au mieux relativiser le fameux "exode urbain". L'idée de "tout faire pour que rien ne change"…..Jusqu'à qualifier les néo-ruraux de "colons"…et à parler de "gentrification rurale" voire de "greentrification"… (il y a 3,2 millions de résidences secondaires en France)
           L'auteur voit dans cet "exode urbain" une stratégie possible: Plus que de révolutions pragmatiques qui n'en finissent pas de s'ajourner, n'est-ce pas de révoltes organiques que nous avons besoin? Plus que du vacarme d'une insurrection qui ne vient pas, d'une insoumission "archipélique" discrète? Le retrait ne pourrait-il pas, tout simplement, affaisser voire effondrer bien plus efficacement la méga-machine en sortant massivement du jeu et en s'autonomisant un peu? 
         Robert Owen estimait qu'un nombre de 500 à 3 000 personnes était idéal pour une bonne organisation autogérée du travail en communauté. Pour Murray Bookchin, le maximum d'habitabilité d'une ville est de 50 000 habitants pour faire écologie sociale. […] Pourquoi, dès lors, de telles échelles ne sont-elles jamais entrevues ni même imaginées officiellement pour nos habiter? Le Haut Conseil pour le climat pense devoir limiter  les villes à 300 000 habitants. Mais d'où ce nombre sort-il? Pourquoi pas 100 000 ou 500 000? Mais on reste dans la théorie affirmée sans étude sérieuse. Léopold Kohr: "Chaque fois que quelque chose va mal, quelque chose est trop gros."
       Pour le géographe Guillaume Faburel, le peuplement équilibré, c'est : des petites villes de 5 000 à 20 000 habitants,  des petites villes de proximité 2 500-5 000 habitants, des bourgs et centres-bourg 1 000 à 2 500 habitants, des villages centres 500 à 1000 habitants,  plus des dizaines de milliers de villages, hameaux, lieux dits qui maillent l'entièreté du territoire hexagonal. Telle pourrait être l'armature géographique d'une société écologique qualifiable de post urbaine.  Ce maillage faciliterait grandement la mise en place d'une société postmonétaire. A défaut on peut dire qu'une abolition de l'argent faciliterait grandement cet exode urbain!  
       En conclusion de ce passage, Faburel cite Bernard Charbonneau, cet autre postmonétaire avant l'heure: "La liberté est née dans les villes, mais maintenant pour vivre elle est obligée d'en sortir." 
       On a calculé qu'il faut 200 à 1 200 m² pour répondre sans intrant chimique ni mécanisation aux besoins vivriers en fruits et légumes, puisqu'un jardinier débutant peut espérer jusqu'à 5 kg de légumes au m² par an. En revanche il faut 4 000m² pour y inclure les besoins non vitaux (bois de chauffage, accès à l'eau, la consommation électrique, le logement, la mobilité douce et la traction animale…). L'auteur fait des calculs savants pour évaluer combien de m² de terre il faut pour être autonome en nourriture, bois de chauffage, etc. Mais il oublie la solution la plus simple et la plus radicale: consommer moins d'énergie (maison passive, permaculture, récupération d'eau, etc.) Des quantités de solutions sont disponibles, pour la production d'électricité et son stockage. Si on chauffe tous au bois c'est du CO² en plus dans l'atmosphère et l'éradication des forêts en peu de temps. En revanche la culture maraichère en sous bois (forêts potagères) y est plus productive que le bois de chauffage facilement remplaçable par le biogaz… Pour changer de système au lieu de le réparer sans cesse, il va falloir se mettre en situation d'expérienciation perpétuelle et mutualiser les savoirs….

Vers une géographie radicalement écologique

                L'auteur souligne bien la difficulté de "bifurquer" mais, jusque là, il manque une analyse des comportements et des motivations des bifurcateurs. Le seul réel problème aujourd'hui n'est pas dans la conscience du désastre écologique, mais dans une autre vision globale du monde dans des situations très variées: en ville ou en milieu rural, avec des technologies adaptées à partir des produits industriels ou innovations lowtech, non plus en îlots censés faire archipel mais en réseau sur le mode blockchain, ou encore mieux holochain (en maillages). Et de plus en plus y sont intégrées des idées de gratuité, d'oppositions frontales au marché, à la marchandise, au salariat, à la valeur, à l'argent…   

        Imposer une géographie post-urbaine
       Puisque nous n'avons rien à attendre des institutions du capital, des autorités de la pensée, alors il nous faut nous organiser. C'était la raison d'être de ma première proposition, celle d'États généraux pour une société écologique posturbaine… On ne peut être que d'accord avec cette proposition sous réserve que les différents courants (même très proches comme les écologistes et les décroissants) arrivent à entrer en synergie, c’est-à-dire à oublier les prises de position parcellaires et les priorités des uns et des autres pour réussir à s'entendre mutuellement. Il faut d'autre part construire un récit global allant du plus prosaïque au plus poétique, du plus local au plus local, du plus prudent au plus révolutionnaire. Je crois personnellement que la synergie et le récit ne suffiront pas si chacune des luttes utiles et des options théoriques ne pensent pas en même temps à l'État, à la finance internationale, à la géopolitique, au type de démocratie souhaitable, etc. Faute de quoi, chaque individu, groupes de réflexion ou d'action, collectifs et mouvements n'arrivera pas à lever le nez de son guidon pour collaborer au lieu de convaincre l'autre…  
        Malheureusement, ce sont des pensées conservatrices qui défendent avec le plus de vigueur une démétropolisation. C'est le cas d'une proposition récente émise par un groupe de réflexion qui n'est pas sans renouer avec la géographie volontaire d'après-guerre. Il propose plans directeurs et planifications, des programmes de sanctuarisation d'écosystèmes, la remobilisation de l'expertise territoriale et de ses métiers. Il y a effectivement beaucoup de groupes qui, partant d'un constat commun que tout se dégrade, en arrivent à des prises de position très conservatrices et qui seront certainement des freins à tout basculement vers un système global radicalement différent. Une vision quelque peu systémique est indispensable car le problème actuel est systémique. A vouloir préserver à tout prix le point de départ de sa réflexion on ne peut en avoir une vision globale et adaptée. Que l'on ait centré son intérêt sur l'écologie, la décroissance, l'éthique sociale, le système monétaire, l'urbanisme, la collapsologie, la permaculture, le revenu universel, la répartition des richesses, il n'y aura de solution commune qu'en prenant en compte tous les aspects du problème et pas de victoire possible, ni sur les métropoles, ni sur l'économie, ni sur l'écologie, ni rien d'autre. Quand les murs d'une maison se lézardent au point d'imaginer leur complet effondrement, on ne convoque pas un architecte d'intérieur, pas même un maçon "conventionnel". On invente un autre type de maison plus adaptée!  Nous pensons que les causes des lézardes que chacun constate dans notre société sont multiples mais ont toutes un rapport avec l'argent, avec la marchandisation. Il n'y aura pas d'écologie sans remise en cause du capitalisme marchand, il n'y aura pas non plus de remise en cause sérieuse de l'argent sans une analyse sérieuse de ce que démocratie veut dire, etc. Il n'y aura aucun renversement sans confronter les experts et les peuples, les techniciens et les philosophes, les citadins et les ruraux, avec en prime le risque, sans cela, de rebâtir une société "toute nouvelle", mais pas plus saine que celle que l'on aura évacuée.
       L'auteur fait allusion dans le chapitre "Géographie d'État"  à une "dé-métropolisation" qui serait encadrée par des règlementations, des taxes, des lois, des incitations venues tout droit du sommet de l'État. Cela lui fait penser au "programme socialiste de 1966 vite ingéré par les pensées de la tradition"… Cette façon d'envisager l'action politique relève d'un tropisme bien connu, de la croyance sans faille en l'action publique  et ses politiques, dans les fonctions des gouvernements et des élus.    
        Une telle proposition se révèle en effet à l'examen très compatible avec l'ordre économique ambiant et plus encore avec les institutions politiques libérales qui en assurent à  ce jour la pérennité.  Et d'ailleurs on n'y trouve pas le moindre questionnement sur la marchandisation des liens à la terre ni sur le droit de propriété privée qui séculairement en assure la légitimité. La terre est pourtant le terreau du politique. Comment imaginer déménager sans remettre en cause l'histoire qui unit propriété privée, capital et dispositifs de l'aménagement à l'ère de la "minéralité fluide". Voilà comment on met sous le tapis un pan entier de l'histoire géographique: depuis des siècles les bras ont été retirés aux terres à cause de la croyance en une élicité économique exclusivement urbaine. Il va donc falloir rendre ces bras, non pas pour faire machine arrière mais trajet de retour, en pensant à restaurer au passage quelques fiertés.
      "Ce n'est donc pas du côté de la gauche sociale-démocrate et de ses fantasmes d'harmonie qu'on peut espérer l'établissement d'un rapport de force favorable pour contrecarrer les pouvoirs urbaphiles et la démétropolisation réactionnaire.
         Faburel se fait plus précis quand il précise plus loin…un réempaysannement et une désurbanisation dans le même mouvement de décroissance radicale, passant par le réensauvagement des imaginaires politiques, le réempuissantement de l'agir en politique, avec but d'en finir avec les institutions du genre urbain conduisant tranquillement l'humanité à sa propre fin. 

                La biorégion pour reprendre la main sur notre habiter

Biorégion, kesako?  Il convient, selon Alberto Magnaghi de repenser urgemment l'équilibre fondamental entre besoins et ressources, entre formes et milieux de vie, et ce dans le respect de la diversité biologique et sociale des situations locales et de leurs héritages… S'il s'agit de faire de la biorégion un véritable déménagement, s'il s'agit de la penser comme imaginaire instituant du vivant sur la base des formes décrites  et de leur révolution moléculaire, celle de la multitude décentralisée de révolutions potagères et maraîchères, alors elle se doit de porter un message politique clair. La biorégion est un territoire de vie, un lieu défini par ses formes de vie, ses topographies et son biote plutôt que les diktats humains; une région gouvernée par la nature non par la législation humaine. 
       Depuis les mondes de la recherche jusqu'aux métiers de l'action territoriale, la biorégion gagne partout en notoriété  sous cet intitulé ou d'autres (bioterritoires, écorégions…) Ce qui est intéressant dans ce constat, c'est que dans bien d'autres secteurs (financier, économique, administratif, santé, enseignement….), il y a partout des contradictions internes, irréductibles sans un changement complet de système. La révolution "géographique" que propose Guillaume Faburel ressemble en beaucoup de points à la révolution proposée par les Postmonétaires. Il ne reste plus qu'à relier tous ces mouvements, sanitaire, géographique, historique, politique monétaire, écologique, etc., pour enfin avoir en avoir une vision globale… C'est encourageant, et somme toute, assez nouveau, surtout par rapport aux recettes administratives les plus éculées.

Pour définir ce que bio région veut dire, Faburel s'appuie sur  la région de Cascadia en Amérique du Nord, territoire de l'Alaska de 15 millions d'habitants. Une unité géographique, topographique, morphologique et sociologique…. Pour tendre vers l'autosubsistance, les habitants de Castadia ont pris le parti de faire autrement communauté avec le vivant en désertant les grandes agglomérations et en fait sécession de l'organisation gouvernementale et de son ordre fédéral…..
     Castoriadis, plus prudent, avait souligné que "une société autonome ne peut être formée que par des individus autonomes. Et des individus autonomes ne peuvent vraiment exister que dans une société autonome.»
       On peut comprendre dans cette citation de Cornélius Castoriadis (philosophe franco-grec 1922-1997) comme une injonction paradoxale impossible à mettre en œuvre ou comme l'espoir d'un mouvement conjoint vers l'autonomie des peuples et des territoires, comme un tsunami, une lame de fond balayant tous les obstacles parce que massive et intellectuellement cohérente…
       Telle est l'ambition politique de l'authentique biorégion, puisque toute géographie véritablement alternative ne saurait être autre que le fruit de polarités opposées à la modernité occidentalocentrée, à ses pouvoirs capitalistes institués… et dès lors à l'urbain déifié. Comme toute politique économique alternative ne saurait être autre que le fruit de polarités opposées (l'argent, l'écologie, la décroissance, le refus de tout pouvoir, le féminisme, la sobriété heureuse…). On commence à entendre des slogans du genre "fin du monde, fin du mois" il est temps qu'on entende ("extinction = marchandise", "santé publique = fin du salariat" etc.
       En instituant une reprise de soi dans le souci de soi, elles [les formes de vie alternatives] rendent possible une libération par le gouvernement de soi dans le souci de soi et se faisant, offrent la possibilité d'une relation éthique, celle de la "non-puissance", portant attention aux capacités et savoirs, formes créatives et culturelles de chacun, pour alors faire la protection et le soin, non seulement intimité, mais également disponibilité et familiarité, et donc autrement altérité. (Allusion au philosophe Emmanuel Lévinas 1906-1995).
        Nous assistons (souvent sans en avoir conscience) en fait à une révolution à bas bruit du sujet moderne en dehors de l'urbain, en dehors de la masse, une révolution que l'on pourrait entrevoir comme une forme de décence ordinaire et commune, par déconcentration des existences, décentralisation des actions et relocalisation périphérique des écologies enfin devenues mesure de toute vie. Il n'y a plus qu'à expliquer que "la seule mesure de nos vies" c'est aujourd'hui l'argent, que l'échange marchand nous met en concurrence et donc nous ôte toute décence, que tout système monétaire, toute financiarisation nécessite la centralité du pouvoir et donc la perte du nôtre et que les seules issues sont soit d'abolir l'argent, soit le rendre peu à peu obsolète et le remplaçant par la gratuité, l'accès libre aux biens et savoir, comme seul moyen de "redonner aux usagers la maîtrise de leurs usages"
      Faire sécession Déconcentration urbaine, décentralisation politique, relocalisation économique, autonomisation sociale, anthropologie écologique sont en fin de compte les piliers d'un dessein d'autodétermination par le "déménagement du territoire", c’est-à-dire une réorganisation en unités géographiques alternatives capables de progressivement se délier des visées de croissance, d'économie de marché, du commandement des autorités, et disons-le tout net, faire de la communauté biotique une communauté éthique et politique et du vivant l'imaginaire instituant d'un agir collectivement décent…. C'est beau mais cela demande à être un peu mieux incarné dans le concret…
       Il ne reste plus à Guillaume Faburel, à la veille de la veillée funéraire de la terre orchestrée par la ville, qu'à faire clairement le lien entre la ville et l'argent: l'argent tend mécaniquement à concentrer la richesse entre les mains d'une ploutocratie de plus en plus restreinte et la richesse accumulée n'est utile que dans un cadre urbain. Métropole et argent sont les deux faces d'une même médaille qui s'alimentent l'une et l'autre par capillarité…

Citation en forme de conclusion: 

                «Autonomes et fiers de notre anonymat, nous sommes les artisans d'un retour au vivant qui résonne aux confins de l'univers. Nous mettrons fin au calcul égoïste et à la servitude qui ont fait de la Terre une vallée de larmes. Nous créerons un monde où l'être humain ne mourra qu'au seuil de sa plénitude, dans l'éclat de ses potentialités satisfaites, bien que non assouvies en leur totalité. » (Raoul Vaneigem, philosophe Belge, 1934-, "Retour à la vie", éd. L'insomniaque, 2022)
          En arrivant à cette conclusion, on peut franchement classer Guillaume Faburel dans la catégorie "du pas suspendu de la cigogne". Il a un pied levé dans l'attente du grand soir mais n'ose sauté le pas. Il n'est pas le seul intellectuel aussi proche d'une vraie solution systémique, mais ne le dit pas franchement. Il faudrait le rencontrer pour savoir si, à défaut de le dire, il le pense vraiment…           

 

Le genre du Capital, Céline Bessière & Sibylle Gollac

Edition La Découverte, 2020, 324p.

Bessière-Gollac.jpeg4ème de couverture: On sait que le capitalisme au XXIe siècle est synonyme d'inégalités grandissantes entre les classes sociales. Ce que l'on sait moins, c'est que l'inégalité de richesse entre les hommes et les femmes augmente aussi, malgré des droits formellement égaux et la croyance selon laquelle, en accédant au marché du travail, les femmes auraient gagné leur autonomie. Pour comprendre pourquoi, il faut regarder ce qui se passe dans les familles, qui accumulent et transmettent le capital économique afin de consolider leur position sociale d'une génération à la suivante. Fruit de vingt ans de recherches, ce livre analyse comment la société de classes se reproduit grâce à l'appropriation masculine du capital. Les autrices enquêtent sur les calculs, les partages et les conflits qui ont lieu au moment des séparations conjugales et des héritages, avec le concours des professions du droit. Des mères isolées du mouvement des Gilets jaunes au divorce de Jeff Bezos et MacKenzie Scott, des transmissions de petites entreprises à l'héritage de Johnny Hallyday, les mécanismes de contrôle et de distribution du capital varient selon les classes sociales, mais aboutissent toujours à la dépossession des femmes.

Céline Bessière, née en 1977, sociologue française spécialiste de la famille dans ses dimensions économiques, enseignante à Paris-Dauphine, depuis 2017 directrice de recherche à l'EHESS.
Sybille Gollac,  sociologue et chercheuse au sein du CNRS. Ses recherches portent sur les mobilités sociales et le rôle du patrimoine dans la reproduction des rapports sociaux de classe et de sexe, ainsi que sur la place de l’économique et du juridique dans les relations de parenté et les inégalités de genre.

«La famille est une institution ruineuse pour les femmes. […] Tout au long de leur vie familiale, les femmes sont lésées…»      Il n'y a rien de neuf sous le soleil et les féministes ont depuis longtemps dénoncé les méfaits du patriarcat et l'inégalité sociale des sexes. En revanche, les deux autrices entrent dans le détail, mais cette fois dans une optique résolument économique. C'est l'accumulation des symptômes qui donnent sens au sexiste capitaliste. Quand elles parlent de la famille comme d'une institution ruineuse pour les femmes, c'est à propos de l'inégalité de salaire, des successions, des notaires qui jouent si bien le jeu des mâles, du travail gratuit non reconnu (tâches ménagères et parentales), faiblesse des prestations compensatoires, montant des pensions alimentaires en cas de séparation, prestations sociales individuelles qui prennent en compte les revenus du conjoint, ridicule des pensions de reversions, etc. Seule l'AAH a été "déconjugalisée" depuis 2023, et après un long combat. Le  droit formellement égalitaire est devenu "un mythe de l'égalité déjà là"… 
       On se demande pourtant comment ces deux autrices font pour produire une telle analyse sans déclarer clairement que le système monétaire est intrinsèquement machiste et qu'il n'y aura pas d'égalité des genres tant qu'il y aura de l'argent… Le vrai combat ne porte pas sur un supposé sexisme des hommes, pas dans leur peur de perdre des prérogatives de pouvoir et de puissance au profit des femmes, mais bien dans le système qui fait d'eux des agents économiques soumis à la concurrence. Comment hommes et femmes pourraient coexister dans l'entraide et la coopération si un cadre aussi contraignant leur impose la concurrence et la loi du plus fort? Au mieux, nous pouvons observer des "hommes féministes" qui, dans leur quotidien vont partager équitablement les tâches ménagères et parentales, qui vont veiller à n'empiéter en rien sur la liberté de leur partenaire, mais qui parallèlement et souvent "à l'insu de leur plein gré" vont éliminer une collègue de travail, ou s'empresser d'aider une femme comme on le ferait avec une enfant… On peut lutter contre soi-même, lutter sur le terrain des idées, militer pour des juridictions équitables, mais de là à lutter pour s'échapper un système global  qui nous formate depuis des siècles…, la bataille est inégale!

                Nul doute que ces deux brillantes intellectuelles sont encore dans "le pas suspendu de la cigogne" mais que tôt ou tard, elles finiront pas sauter le pas…   On se demande souvent comment on peut être écologiste sans être postmonétaire, socialiste tout en préservant le capital, décroissant sans éliminer l'échange marchand, mais rarement comment l'on peut être authentiquement féministe et trouver acceptable l'argent, la valeur, l'État, le marché, le salariat, la marchandise… S'il est étonnant que si peu d'hommes font le lien entre l'argent et la condition féminine,  mais il est pltôt étrange que si peu de femmes posent le problème du patriarcat en ces termes!           

                

L'île des naufragés, Louis Even

 

Une fable qui fait comprendre le mystère de l'argent (1936)

Louis EEven portraitven: 1885-1974, philosophe et religieux canadien resté célèbre pour avoir introduit le Crédit Social au Québec. Ce court texte (8 pages papier format tabloïd) a été traduit en français, anglais, espagnol, italien, allemand, polonais et portugais. Mis en vidéo il y a une dizaine d'années. Voir le texte ici 

L'intérêt de ce texte est surtout historique: écrit en 1936, il prouve que l'idée d'une remise en cause fondamentale de l'argent n'est pas une nouveauté, mais que depuis toujours elle paraît assez folle (ou utopique) pour que la réflexion s'arrête en chemin et nous fasse refuser le dernier pas mental, celui de penser une abolition pure et simple du système.

Résumé: Libérés des contraintes sociales et politiques par le naufrage sur une île déserte, les personnages ont "carte blanche". Ils n'ont absolument plus besoin d'argent pour survivre, l'île étant riche et suffisante. Ils ont des savoirs-faire pour exploiter les ressources de l'île. Ils se sentent solidaires les uns des autres. Tous les éléments sont là pour organiser une micro société idéale. Mais un jour arrive un autre naufragé, un certain Martin Golden, banquier de son état, qui leur fait miroiter les nombreux avantages d'une monnaie qEven imageui réglerait tous les problèmes d'échanges, de dettes mutuelles au sein de leur micro société.  Les naufragés se laissent se laissent avoir, par un discours bien élaboré mais quand ils s'en aperçoivent, c'est trop tard. Le banquier créateur de monnaie les tient en otages par les intérêts de la dette qu'il a lui-même créé. Pour se libérer de l'emprise du banquier,  ils inventent alors un autre système monétaire, le "Crédit Social". Cette alternative semble logique mais il est évident que système de Martin finira à terme par faire de lui le seul propriétaire de l'île et de ses ressources, que les prix vont augmenter, qu'ils seront contraint de travailler plus qu'avant: d'abord pour produire les biens nécessaire à leur survie, ensuite pour payer les intérêts à Martin qui continue à détenir la monnaie...                  

     Presque un siècle après la publication du texte de Louis Even, la grande majorité de nos contemporains espèrent encore éviter l'abolition de l'argent en instaurant une économie sociale et solidaire, une monnaie juste, une planification écologique, n'importe quoi qui évite de sauter le pas… C'est illogique, contraire à toute analyse systémique, pratiquement utopique, mais rien n'y fait. Si nous prolongeons la métaphore de Louis Even, il faudra attendre l'effondrement global, la désertification de l'île ou son engloutissement sous la montée de l'océan, pour admettre que l'argent est mortifère…  Visiblement, Louis Even n'avait pas encore pressenti les effets mécaniques de l'argent qui, indépendemment de toute régulation et de toute moralisation,  induisent les inégalités sociales, les guerres économiques, la destruction de l'environnement. Even aujourd'hui penserait certainement que la vie serait plus belle sur "l'île des naufragés" sans le banquier Martin et sa monnaie de singe!....        

                

Une révolution politique, poétique et philosophique , Aurélien Barrau

Editions Zulma, 2022, 31 p.

Barrau.jpegSeulement 31 pages pour dire autant de choses, cela mérite bien une heure ou deux pour le lire attentivement. Il n'y a que des faits bruts et indiscutables, suivis de réflexions pour le moins" utiles". Pour être sûr que ce livret n'échappe pas au plus grand nombre, je l'ai réduit à 4 pages, en espérant que la "traduction" ne soit pas une "trahison" mais qu'elle incite à recourir à l'original.                

                « L'idée d'un effondrement est correcte. Nous sommes en plein dedans! Nous avons éradiqué  -sur des échelles de temps différentes- plus de la moitié des mammifères sauvages, des poissons, des insectes et des arbres. C'est fait. Chaque année, 800 000 personnes meurent de la pollution en Europe et un rapport récent évoque une cause environnementale pour un nombre voisin de décès annuels dans le bassin méditerranéen.  Le discours catastrophique nbarrau_0b56b.jpge relève pas d'une crainte pour l'avenir mais d'un constat quant au présent. Il s'agit d'une réalité qu'on pourrait dire factuelle. » Difficile, alors, de ne pas penser qu'un autre système, résilient et non destructeur, est non seulement nécessaire mais urgemment!

                «Ce courant de pensée [la collapsologie] ne doit simplement pas être confondu avec sa caricature annonçant la disparition imminente de l'espèce humaine. Préparer la chute de la civilisation thermo-industrielle fait sens! »    Si la situation semble dramatique, il ne faudrait pas qu'elle nous conduise à la tétanisation. Il reste des choses à faire, à imaginer, à construire. Tout le monde a droit de se tromper et l'on veut bien admettre que la thèse postmonétaire est une erreur, mais alors trouvez-en une autre aussi radicale et globale! 

                «Ce n'est pas l'effondrement  en temps que tel qui serait dystopique : un effondrement différentiel pourrait être parfaitement acceptable, et sauver le "monde tel qu'il est", avec ses injustices délirantes et son architecture néocoloniale, ne me semble pas particulièrement souhaitable. Le problème tient à ce qu'il est possible que les structures de solidarité s'effondrent plus vite et plus fort que les schèmes de prédation. De toute façon, la situation actuelle ne peut physiquement pas perdurer… »   On se demande vraiment pourquoi Aurélien Barrau se refuse à donner ouvertement quelques clefs de compréhension d'un monde possible autant que souhaitable, fondé sur la solidarité plutôt que sur la prédation. 

                «Les "petits gestes" et autres "initiatives individuelles" sont certainement bienvenus. Mais un problème systémique ne peut avoir de solution que systémique. Dans un jeu où nous sommes sûrs de perdre, il n'est pas utile de faire un bon coup, il faut changer les règles. Le reste relève du détail ou du "cache-misère"…» A défaut d'un discours clairement postmonétaire, voilà au moins deux scientifiques qui posent le problème en termes systémiques, Barrau et Arthur Keller. Les "alternatives classiques" font partie du système et doivent a minima être d'urgence revisitées.   

                « Le champ lexical importe. Je suis las de l'emploi quasi systématique de termes édulcorés pour désigner des drames majeurs tandis qu'une diabolisation immodérée de toute subversion se déploie parallèlement (migrants pour réfugiés par exemple). Le concept "d'anéantissement biologique global" émane de chercheurs spécialistes […] L'espèce humaine n'est ni plus ni moins singulière que chaque autre espèce. Il ne fait aucun doute que du point de vue des poissons, les pieuvres sont tout à fait singulières! Dans ce cas, voir et comprendre la continuité entre vivants relève de la rigueur et de l'humilité…» Changer de type de société, abolir un paradigme aussi central que l'argent, nécessite une recherche lexical qui actualise le sens de certains mots (banque, crédit…), en range d'autres au rayon des antiquités (mafia, monnaie…), en invente des nouveaux…    

                 « Le retournement nécessaire ne passera pas par les structures politiques usuelles. Moins encore par les réseaux  sociaux ou les ouvrages -pullulant ces derniers temps!- où la narration de l'anecdote personnelle s'exhibe en lieu et place d'une analyse théorique approfondie. Il va falloir être enfin un peu sérieux, audacieux, séditieux. Si la direction ne change pas, le chemin suivi importe peu. » Il faudra surtout que s'instaure une réflexion transversale ne négligeant aucun champs de connaissance ni aucune forme sociale. L'élite intellectuelle a autant besoin de la société civile ordinaire, que l'inverse et quel que soit les niveaux de culture ou de pratiques professionnelles… 

                 « Même si les cadres s'évertuent à nous le faire oublier, ce que nous avons élaboré est contingent. Tout pourrait être autre. Nous ne sommes pas obligés de faire ce que nous faisons. Nous donnons des pouvoirs immenses à des dirigeants, certes éduqués et raffinés, celui de perpétuer -avec distinction et savoir-vivre- un système d'aliénation et d'exploitation mortifère…Nous serions des Sisyphe condamnés à rouler sans fin la pierre du consumérisme. Ça n'a aucun sens. De même, il existerait des "réalités économiques". C'est faux. Il ne s'agit que de conventions, très aisément déconstructibles. Nous ne pouvons plus nous permettre le luxe du sentiment d'innocence dans la culpabilité. Notre génération est celle d'un "crime contre l'avenir"...» C'est le problème de toute révolution "copernicienne" qui exige un niveau d'élaboration et de conceptualisation, sans lequel la révolution n'est guère possible…, à moins que les humains y soient contraints par les événements et dans l'urgence extrême…

                «… Il ne faut pas renoncer à la croissance, il faut la redéfinir. Il y a quelque chose de profondément débile à nommer croissance une éradication systématique de la vie sur Terre. L'amour, la créativité, l'entraide, la connaissance, les explorations artistiques et scientifiques peuvent évidemment croître. Elles le doivent. Mais la production délirante d'objets inutiles, devenue une fin et non plus un moyen, doit être nommée pour ce qu'elle est: une maladie. S'il faut la nommer croissance, alors voyons-la comme une croissance tumorale. » Ce qui nécessite d'entraîner une majorité dans l'élaboration des questions fondamentale (que faisons-nous? Pour quoi? Pour qui? Comment? A quel prix? Dans quel cadre? Qu'acceptons-nous de perdre d'un côté et d'innover de l'autre?...). Et ce avant toute recherche de "solutions".

                «Que les délinquants en costume osent qualifier de "progrès" le délire techno-nihiliste qui consiste à attendre le bus en parcourant son mur Facebook et sa galerie Instagram à proximité d'une poubelle connectée alors même que les chants d'oiseaux ont presque disparu et que lire devient une quasi-anomalie relève de l'aliénation. L'enjeu n'est pas de se restreindre: il consiste à s'interroger sur ce qui est désirable et à s'enivrer, sans réserve, de nouveaux enchantements. On arrête tout, on réfléchit et ce n'est pas triste! Les bouffons ne sont pas ceux qu'on croit! »    Mais les bouffons ont parfois pignon sur rue et ne seront pas facile à déplacer dans des secteurs où ils n'auront pas les moyens de nuire… 

                «La question de fond est simple : ce monde mérite-il d'être sauvé? S'il s'agit de se poser en gardien de la société telle qu'elle est, la réponse est négative. Le défit consiste à fonder un autre monde, à empêcher ce monde-ci de fonctionner sans quoi aucune révolution ne peut advenir. Il est temps de désenchanter Prométhée et qu'un nouvel Eschyle conte sa connivence secrète avec l'aigle caucasien…»[1] Et pour l'instant Prométhée à de nombreux "followers", l'Eschyle postmonétaire est bien seul!....

                «Qu'il soit possible de sereinement considérer que la mort de millions d'espèces et de milliards de milliards d'individus sensibles soit sans importance parce que quelques ultra-riches sans scrupules  pourraient s'en sortir, dépasse littéralement mon entendement. Musk et Bezos sont les exemples archétypaux de voyous nuisibles, cyniques et dangereux. Ils parviennent à maculer le dernier refuge que l'on pensait encore sacré et intouchable: le ciel nocturne et sa sidérante beauté… » Heureusement, les Musk et Bezos sont des colosses aux pieds d'argile, aussi proches de leurs chute que le cadre capitaliste qui les a produits…

                «Le climat n'est qu'un petit aspect du problème. Même sans le moindre degré d'élévation de température nous demeurerions dans la sixième extinction massive de la vie sur Terre. Sauver le climat sans revoir totalement nos valeurs et notre manière d'habiter l'espace n'aurait aucun intérêt. Disposer d'une source d'énergie inépuisable et propre -par exemple avec la fusion nucléaire (projet ITER)- constituerait la pire catastrophe possible, le coup de grâce. Le seul problème réside dans ce que nous faisons de l'énergie, pas dans son origine. Que la forêt soit détruite avec une énergie propre (des bulldozers et des tronçonneuses électriques) ou non est secondaire si elle est in fine rasée. Tant qu'un parking  construit en lieu et place d'un espace gorgé de vie sera un progrès, le bilan carbone n'aura guère d'importance…  » Ce qui rejoint l'idée précédente que les questions sont plus importantes que les solutions, ou toutefois, le préalable à tout le reste. Un problème insoluble vient si souvent d'une question mal posée!...

                « Le mot "environnement" est une horreur. Comme si la vie non humaine n'était qu'un grand parc de loisirs destinée à notre distraction…Comme si la forêt n'était qu'un organe ayant pour fonction de nous faire respirer. Elle est une large partie du monde lui-même. Il n'est pas rare que de longues discussions d'universitaires, dédiés à l'écologie, oublient purement et simplement les non-humains, les réifient, les effacent. L'idée d'un "développement durable" est scientifiquement intenable. Une croissance exponentielle relève en physique d'une "instabilité" et cela mène au crash du système considéré.» D'où ma remarque sur la sémantique et le travail sur les mots.

                « De quel développement parle-t-on? Le temps a-t-il été pris de s'interroger sur la direction que nous considérons comme méliorative. Durable ou pas, la "snapchatisation"[2] du monde est-elle vraiment un développement? Cette question n'est pas sans lien avec celle de la réversibilité: comment la mort de milliers de milliards d'êtres vivants sensibles pourrait être réversible?» Développement, progrès, réversibilité.... Les mots valises, qui peuvent prendre le sens que veut bien lui donner le lecteur, n'aide en rien à la compréhension du système aussi complexe que la civilisation... On gagnerait beaucoup à crecruter un linguiste dans l'équipe... 

                «Albert Camus a raison: Le travail sur le langage est vital. Ne serait-ce que pour décoder ce que nous dit le président Macron en intitulant son ouvrage programmatique Révolution! Nous nous sommes fait voler les mots. Ils sont dénaturés, dévoyés, mutilés. Reste le choix d'être poète (exigeant, intransigeant, exploratoire), ce que nos adversaires ne savent pas faire. A ce jeu de la vie, ils ont déjà perdu. » Aurélien est bien optimiste quand il dit que nos adversaires ne savent pas... S'ils ne sont pas poètes, ce qui reste à prouver, ce sont au moins des communiquants doués et bien formés. Ils savent dénaturer, dévoyer, mutilés les mots pour que l'on prenne nos vessies pour des lanternes... 

                «L'art a un rôle essentiel à jouer en tant que machine de guerre totale contre l'univocité du sens. Il ne s'agit plus de commenter ou de comprendre le réel : il s'agit de produire du réel ! C'est beaucoup plus important. Nous avons plus besoins d'artistes que d'ingénieurs face au désastre en cours : notre problème n'est pas technique, il est axiologique et ontologique. Il est temps de trahir l'héritage qui interdit l'ailleurs. Si la science peut évidemment aider en tant qu'outil diagnostique, elle ne peut pas, à mon sens, être au cœur de l'inchoatif[3] révolutionnaire. Réagencer entièrement le rhizome du réel est une tâche bien trop lourde pour elle. » L'axiologie, c'est la science des valeurs sociales, morales, philosophiques. L'ontologie, c'est de qui nous défini en tant qu'être, mais tout autant les éléments de la nature et les objets à qui l'on donne une signification, une description de ce qu'ils sont. Opposer artistes et ingénieurs est sans doute un peu réducteur mais il n'a pas tort. Mais utiliser des mots comme inchoatif, connus de quelques rares érudits et n'ayant pour seul synonyme ingressif, aussi peu usité, ne facilite pas la compréhension du monde...

                «Je ne suis pas convaincu par les arguments évolutionnistes. L'échec auquel nous faisons face n'est pas l'échec de l'humanité mais d'une petite part de l'humanité qui emporte beaucoup d'autres dans sa chute. D'innombrables cultures humaines ont développé des rapports au monde très différents de celui de la modernité occidentale.» Si révolution il doit y avoir, elle devra être claire sur les responsabilités, bien dégagées des conditionnements au système, comme devront être prises en compte toutes les expériences, toutes les conventions humaines ayant existé ou existant encore ailleurs, ce qui nécessite de sortir à la fois de l'égotisme, de l'anthropomorphisme et de l'occidentalocentrisme…   

                «Le nouveau mythe doit s'écrire rapidement. Dans une fulgurance qui n'est pas sans risque. Le philosophe L.L. Nancy a écrit que le mythe est le nom de cosmos se structurant en logos. Dans la mythologie grecque, Cosmos est le petit-fils de Chaos. Logos, c'est le cœur du cœur de la métaphysique occidentale. Pour le meilleur et pour le pire mais ce n'est pas le concept unique de la pensée humaine. Parfois, il me semble tout étriqué, presque mesquin ou chétif devant la Maät égyptienne[4]… » Soit, construire un nouveau mythe serait une bonne chose. Comment les Grecs anciens ont-ils procédé pour construire tant de mythes qui résistent encore au temps ?... 

                «Le mantra de la non-violence est fatigant. La question est : qu'est-ce qu'on fait de deux violences qui s'opposent? Laisser faire la violence muette ne relève-t-il pas d'une violence insidieuse plus terrible encore? Mandela a longuement expliqué qu'une stratégie pacifique ne fonctionnait que tant que l'ennemi utilisait la même approche. Que fait-on quand la violence impensée obère la liberté la plus fondamentale, celle de vivre?  » La non-violence n'a d'utilité qu'en tant qu'elle déstabilise les seuls adversaires pensant hors cadre commun. Mais le conflit restera permanent ce qui nous fait dire que la politique (au sens noble du terme), non violente ou pas reste un mode de résolution de ces conflits (au moins dans l'intention...).   

                « Qu'un système de prédation généralisée contribue à exacerber une certaine indifférence à la vie, cela semble assez évident. La crise sanitaire a révélé la caricature de l'Occidental gâté et tellement endoctriné par l'idée que "tout lui revient" que la moindre prise en compte de l'altérité lui est insupportable: archétype de l'individualisme mortifère érigé en mauvaise religion.[…] Il est beaucoup plus simple et naturel de craindre un bouleversement majeur et de s'atteler à ce que l'essentiel reste en place quand on occupe une position privilégiée dans l'architecture sociétale. Comme toujours. En revanche, la mise en place de systèmes de surveillance de masse devient extraordinairement inquiétante. Les lois françaises sur la sécurité globale et les fantasmes autour des prétendus séparatismes m'inquiètent au plus haut point. » Il est en effet évident qu'un monde uniquement fondé sur l'argent et la marchandise est par nature concurrentiel et guerrier. Pour beaucoup, il en va de leur survie que le monde soit simple, binaire, évident. S'il l'idée d'une abolition du système monétaire reste aussi rare, c'est sans doute en raison de l'argent dont l'usage est devenu totalement abusif, bien qu'aucun humain n'ait commencé même à le regarder pour ce qu'il est et non plus pour ce que des experts ont en dit... 

                « On peut grossièrement imaginer trois avenirs à court termes concernant les questions qui nous occupent ici: la continuation du scenario en cours ; une réforme substantielle ; une révolution. Le cas 1 est le plus probable. Les hypothèses 2 et 3 demeurent de pures virtualités. Le risque du scénario 1 est résumé par l'ONU: "menace existentielle directe". Le scénario 2 est plus spéculatif. Il repose sur l'espoir dépourvu de fondement, qu'un infléchissement doux des valeurs et des comportements permettrait d'éviter une instabilité globale. Ce scenario se focalise sur le maintien de la stabilité sans intégrer qu'un système puisse être parfaitement stable quoique terriblement violent. Le scenario 3 présente le risque d'une révolution qui puisse être brutale (l'Histoire ne manque pas d'exemples). Il nous laisserait néanmoins une chance, le nous étant encore à définir: les humains, les mammifères, les vivants…»    Les trois scénarios dont parle Barrau recoupent assez bien les hypothèses que les postmonétaires ont élaborées: 1° Il y a de fortes probabilités pour que le système global s'effondre sous ses propres contradictions, comme s'est effondré l'Empire Romain. Les risques majeurs s'empilent et s'alimentent mutuellement: crise financière + crise climatique + puissantes migrations + guerres + élites politiques et intellectuelles dépassées + pandémie... L'effondrement de Rome a été suivi de la longue nuit régressive du haut Moyen-âge. Le même scénario aujourd'hui provoquerait une "nuit" rapide, profonde, et incontrôlable au point de devenir une "opportunité" pour un changement radical de système, subi bien plus que choisi. 2° Le scénario d'une transition douce et progressive est certainement celui qui est le plus "souhaitable mais le moins probable. 3° La révolution est un événement qui ne se décide pas, qui est disruptif par définition. Elle nécessite de nombreuses conditions: une volonté populaire puissante, un symbole qui serve de bannière, un récit qui donne envie de s'y adonner, un affaiblissement des forces contraires et conservatrices, et enfin, un catalyseur qui la déclenche. Face à la complexité du problème et le peu de leviers qui soient à notre portée, mieux vaut envisager, comme dans toute stratégie, l'éventualité de ces trois hypothèses, ce qui pour l'instant ne semble se dessiner que dans les recherches postmonétaires…   

«Quels verrous à la bifurcation? L'illusion d'une transition en cours ; le mirage d'un miracle scientifique à venir ; la peur de l'inconnu qui l'emporte sur le confort du connu ; le sentiment d'inéluctabilité qui érode les velléités d'exploration ; l'espoir d'une erreur généralisée des scientifiques ; les tracas du moment ne permettant pas de se soucier du plus long terme ; l'excuse de l'inaction des uns cautionnant l'inaction des autres ; le "progrès" étant défini à partir du connu ; l'idée que les pays du sud semblent souhaiter légitimement accéder aux scenarios 1 ou 2 ; la catastrophe globale vue sur sa seule dimension climatique induisant des solutions d'ingénierie… »  Nous sommes en effet très loin des "lendemains qui chantent" auxquels on pouvait adhérer dans les siècles précédents. Pour ne prendre qu'un exemple particulièrement parlant, le progrès  très logiquement suivait une évolution scientifique, des découvertes technologiques, des améliorations du niveau de vie global, l'expérience concrète que nos enfants seraient mieux lotis que nous. C'est aujourd'hui l'inverse, les parents sont dans le déni, les enfants dans l'écoanxiété!... 

«L'essentiel des verrous relève d'une incapacité sociétale structurelle à intégrer la contingence des constructions et donc à envisager la possibilité même d'un autre monde. La modalité d'action la plus efficace consiste à travailler sur les symboles, les valeurs et les désirs (à ce niveau, les poètes sont bien plus efficaces que les économistes). »   Les postmonétaires ont souvent été des conteurs d'histoires, des prophètes visionnaires (voir dans l'onglet Bibliothèque, Edward Bellamy pour le social, Piotr Kropotkine pour l'écologie…)

«Le système représentatif des démocraties ne permet pas de faire face à la situation. Il est donc certainement vain de chercher une modalité pérenne et durablement saine. La démocratie directe pilotée par référendum est socialement tentante mais reste tributaire de l'incompétence et du populisme. Il semble que la voie la plus prometteuse soit celle des assemblées citoyennes, à condition qu'elles soient dotées d'un pouvoir législatif. N'ayant aucun intérêt politique à choisir des mesures démagogiques et court-termistes, formées sur le point considéré  et présentes en nombre suffisant, quelques dizaines ou centaines de personnes aléatoirement choisies se révèleraient vraisemblablement en mesure de définir les cadres. Ce temps exige plus que tout autre l'entraide et la solidarité, c'est presque une question pratique plus que morale. »     Il est quasiment impossible de créer une situation pré-révolutionnaire dans un système de démocratie représentative qui tend logiquement à confisquer la parole et le pouvoir au profit d'une petite classe aristocratique et ploutocratique. Il est quasiment impossible de renverser cette classe puissante sans un peuple éduqué et expérimenté dans la pratique démocratique directe. Le serpent se mord la queue!....

«Une question reste ouverte : un système peut-il permettre sa propre refondation en autorisant la révolution qui le récuserait? Rien n'est moins sûr.  » Rien n'est moins sûr, et c'est une raison de plus pour attaquer le système de toutes parts et de trouver un levier suffisamment puissant pour soulever cette énorme masse d'énergie statique que représente le capitalisme actuel. Le levier le plus efficace, celui qui s'appuie sur le point le plus sensible et le plus impactant, est celui de l'argent. Le bras de levier le plus long, qui donc donne le plus de puissance, est fourni par les désastres que le système crée lui-même. Penser la révolution comme la construction d'un levier est sans doute la seule issue…       

 

[1] Prométhée a donné le feu aux hommes, c’est-à-dire à la technologie. Eschyle, le dramaturge grec de l'Antiquité, a été tué par une tortue tombée du ciel du Caucase. C'est un rapace qui l'aurait laissée tomber ayant confondu, vu du haut, le crane d'Eschyle avec une pierre. 

[2] Snapchatisation: tendance à la généralisation des "snapchats": applications gratuites de partage de photo et vidéos crées par la société Snap Inc sur les mobiles.

[3] Inchoatif: forme verbale indiquant que l'action est envisagée soit dans son commencement soit dans sa progression (en- dans s'endormir, -ir dans verdir).

[4] Maât: déesse égyptienne de l'ordre, la justice et la vérité. Elle est le Ka (la reine) de Ra (le dieu soleil), son énergie vitale.