Voix des membres

Un espace dédié à l’expression individuelle des membres de l’ONG, où chacun peut partager ses idées, critiques, analyses et projets postmonétaires. Découvrez des perspectives variées et des réflexions originales qui enrichissent le débat et alimentent notre vision collective d’une société sans argent.

La bascule, le toboggan..., et après?...

          Une civilisationpoint-de-bascile_2cda2.jpg est un système complexe qui peut évoluer lentement mais peut aussi basculer en bloc dans un autre système. C'est généralement ce qui s'est passé avec les sauts qualitatifss induits par des technologies innoventes. On est passé du paléolithique au néolithique avec l'invention de la pierre taillée, de la préhistoire à l'histoire avec l'invention de l'écriture, du Moyen Âge à la Renaissance avec le l'héliocentrisme et l'imprimerie, puis à l'Époque Moderne avec les irruptions de la machine à vapeur, du chemin de fer, de l'automobile, du numérique. Il semble évident, pour beaucoup de scientifiques, que cette période moderne se termine et que nous entrons à petits pas dans une époque postmoderne, encore balbutiante, mais inéluctablement. Or, le temps s'accélère. Il a fallut 90 ans pour que l'effet piezoélecrique soit démontré par Pierre et Jacques Curie en 1880 et que ses applications entrent dans la vie courante. Les montres à quartz ont été commercialisées pour la première fois en 1970! En revanche, les premiers smarphones commercialisés sont apparus en 2007 et il y en aurait 6,6 milliards en circulation dans le monde de 2025, soit 18 ans plus tard ! A ce rythme, la bascule d'un monde à l'autre risque d'être rapide et périlleuse.toboggan_80e47.jpg
         La question est de savoir si la bascule dans l'autre monde n'est pas en train de virer au syndrome du toboggan. Nous glissons doucement vers la société postmonétaire mais le propre du toboggan c'est que la vitesse de glissade augmente de façon exponentielle selon la longeur de la piste. Plus on descend et plus il est difficile de freiner. N'importe quel gamin de n'importe quel square vous le dira! Ce n'est pas par hasard que l'on mette du sable sous les petits tobbogans et de l'eau sous les grands. La chute pourrait être mortelle. Mais dans la vie réelle, et quand il s'agit d'une population mondiale qui glisse, la moindre des prudences serait d'anticiper, de se ménager un atterrissage autre que le suicide collectif ou la survie d'une minuscule minorité traumatisée et désemparée. 
         Après la bascule, le toboggan, voilà bien ce qui est propre à donner de l'écoanxiété aux trois quarts de l'humanité, à plonger le quart restant dans un carpediem débridé avant la chute, les rescapés de ce quart dans un survivalisme à la Rambo après la chute. Arthur Keller est administrateur de l'association  Adrastia, ce qui signifie en grec ancien "auquel on ne peut échapper". Ce même mot en grec moderne se traduit par "inactivité". Voilà une étymologie intéressante! Si l'on ne fait rien, il est évident que nous n'échapperons pas à la chute et qu'elle sera mortelle à quelques exceptions près.
            Loin de moi l'idée de me réjouir d'une telle "opportunité" et je ne crierai pas Vive la Crise! Mais, il est possible de considérer la bascule d'une période à l'autre comme une acmée, l'approche passionnante d'un point culminant. C'est le moment où jamais d'imaginer tout ce dont on pourrait se débarrasser sans douleur et d'inventer tout ce dont on a rêvé sans pouvoir y croire, coincés que nous étions dans les chaînes du système monétaire et marchand. Aujourd'hui l'argent empêche bien plus souvent qu'il ne permet. On voudrait bien un monde sans guerre, mais les armes se vendent si bien! On voudrait bien que tout le monde ait de quoi manger et se loger correctement, mais quel serait le profit des pourvoyeurs de pains et de toits? On voudrait bien maîtriser les outils, les institutions, les objectifs  qui nous sont assignés, mais comment prendre le pouvoir des milliardaires, des politiques, des experts, comment reprendre la maîtrise de tous nos usages.  Tous nos usages sont normés par les marchands. Quand ils nous cèdent un pouvoir, c'est toujours au profit de leurs propres intérêts. Quand c'est gratuit, c'est que nous sommes réduits au statut de produit! 
             Heureusement, il y a des marges, comme dans toute page, et dans lesquelles nous pouvons écrire nos propres phrases, inventer des espaces de liberté et d'autonomie. Il y a des lieux que nous pouvons créer, des choses à inventer dans lesquelles nous serions les maîtres, des îlots, des ZAD, des écolieux, des villages amonétaires, des entreprises locales et autogérées, des municipalités libres et démocratiques, des magasins gratuits, des systèmes de mutualisation d'outils, d'achat, de voitures, de services, des fablabs pour réparer gratuitement l'obsolescence programmée des marchands... Le jour de la bascule nous pourrions être prêts, dotés de "parachutes et d'airbags". 
             Heureusement, il n'y a pas encore d'impôts sur le rêve et de coyright sur l'imagination. Pour l'aprés bascule bascule, il est encore temps de se raconter demain, d'imaginer coment serait une société sans argent, sans échanges marchands. On pourrait se faire des récits dans lesquels nous serions acteurs, scénaristes, producteurs et utilisateurs. Les arbres se parlent entre eux pour s'éviter d'être broutés par les herbivores, les fourmis pratiquent la division du travail quand il y a des tâches importante à réalisé pour le bien-être de la fourmilière, les carnivores ont su s'imposer des limites à leurs prédations, sinon ils n'y aurait plus ni sardines ni chèvres dans la nature. Il n'y aurait d'ailleurs ni lions ni requins, tous mort de faim,  comme cela nous arrivera si nous ne sommes pas au moins aussi prudent qu'eux. 
              L'histoire de nos prédécesseurs a été écrite par et pour les puissants et l'Histoire qu'on nous apprend n'est jamais celle des petits, des humbles, des sujets, des fourmis... Notre histoire de lapins, c'est le fruit de l'écriture des chasseurs. N'est-ce pas passionnant et jouissif de commencer à écrire notre propre histoire? Qu'allons-nous léguer à nos enfants à défaut d'une planète propre, fertile et exempte de polluants éternels? Et pourquoi pas un récit de pionniers, d'inventeurs de civilisation. Imaginons qu'un jour, nos enfants racontent à leurs petits enfants les exploits de leurs Grand-père et Grand-mère qui ont connu la grande bascule et créé l'époque postmoderne, malgré le bruit et la fureur.... Elle sera peut-être postmonétaire, forcément écologique et a minima sans croissance, mais pourquoi pas heureuse, n'en déplaise aux "dystopiqueurs" holliwoodiens et aux Cassandres capitalistes....   JFA.                   

L'accès aux biens, libre ou conditionnel ?

 

accès 575f4        Il est de notoriété publique que, parti de là et arrivé ici, le chemin parcouru représente "notre mérite", lequel procure et justifie des avantages. Le mérite est expliqué par le talent propre au méritant, par son travail. L'idéologie du travail est adossée à l'idéologie du mérite. "J'ai bossé donc je mérite" !
       Or, nous héritons d'une culture et d'une capacité de travail. Cet héritage nous est transmis par la position sociale de la famille, l'école, la génétique, les hasards de la vie… En admettant qu'il y ait une part de "personnel" là-dedans, c'est encore un héritage de l'ancien temps. La noblesse tenait sa supériorité de son sang supérieur. Les paysans vivant au grand air avaient la peau hâlée, tannée. Les nobles se distinguaient par leur peau fine et blanche qui laissait apparaître leurs veines "bleues".  Les paysans les appelaient les "sang-bleus" et les nobles en ont fait un "signe divin". Les bourgeois arrivant au pouvoir ont remplacé le privilège du sang-bleu par le mérite et le travail, ces deux valeurs bourgeoises, et ils les ont imposées à tous. Or, la capacité de travail n'est en rien un acquis personnel. C'est un héritage qui n'induit aucun mérite. Donc, en aucun cas, on ne peut organiser la distribution des richesses par rapport à la participation au bien commun, à l'utilité, au mérite, à la "réussite". C'est sans doute l'énoncé le plus subversif que l'on puisse opposer au capitalisme, au système monétaire. Tout l'édifice social reposant sur cette hypothèse du mérite, cet édifice est totalement à revoir.
       Voilà qui va sérieusement embarrasser les postmonétaires qui veulent conditionner l'accès aux biens et services à la participation plus ou moins importante à la vie sociale, au mérite acquis par l'effort produit pour le bien commun. C'est un réflexe acquis dans le vieux monde et qui n'a pas de place dans le nouveau. Il est difficile de se départir d'un préjugé aussi ancien, et en outre, corroboré par l'Église au nom du mythe de la création (tu travailleras à la sueur de ton front). Ce travail biblique s'est imposé à tout, y compris à l'oeuvre de reproduction : on dit d'une femme qui accouche qu'elle est en travail ! Un comble pour une telle oeuvre... Le communisme à suivi le chemin biblique, mais au nom de l'émancipation du prolétariat! Un comble pour la prostitution qui consiste à vendre ses muscles ou son cerveau pour gagner son pain...  Faute d'une connaissance historique des préjugés, nous sommes capables de reproduire, même sans argent et sans salaires, les inégalités sociales et donc la lutte des classes. L'accès ne peut répartir les richesses en fonction du mérite mais selon les besoins individuels et collectifs, et selon les contraintes physique en ressources et énergies. L'égalité étant la reconnaissance de besoins différents selon les individus (jeunes-vieux, artisans-écrivains, valides-handicapés…) mieux vaudra alors parler d'équité. La seule alternative au capitalisme est la réorganisation de la distribution des richesses en fonction de critères tout autres que le mérite.
       L'école a été "le chef-d'œuvre de la méritocratie". Certes, elle a permis de briser la fatalité de naître et mourir pauvre. Elle a redistribué les cartes et permis à un fils d'ouvrier de devenir médecin. Mais la contrepartie, c'est que celui qui est au chômage mérite aussi de l'être. "Il n'avait qu'à travailler à l'école!" Nous admettons tous qu'un handicapé n'a pas de chance de l'être et que nous devons fournir un effort supplémentaire en sa faveur pour qu'il ait une vie sociale à peu près correcte. De même, celui qui a pour talent une chose qui n'est pas valorisée sur le plan marchand (la poésie, le soin des plus faibles, le maraîchage, le balayage..) est, dès le départ, un handicapé social dans un cadre capitaliste! Celui qui a "le commerce dans le sang" est assuré d'un bel avenir. Où est le mérite là-dedans? Il était donc inévitable que l'enfant doive s'adapter à l'école, ce qui dispense l'école de s'adapter aux enfants. 
        Une société postmonétaire ne sera viable que si nous éradiquons ce type de postures héritées de l'argent, de la marchandisation. Le mérite fait partie de ces multiples préjugés soigneusement occultés et capables de pourrir tout projet révolutionnaire, aussi soigneusement construit soit-il.
        Dans ce genre de préjugés, on peut aussi penser à la nature de la domination du plus fort sur le plus faible. Personne ne peut être tenu pour responsable d'être né homme ou femme, d'être plus fort.es physiquement, d'être plus beau ou belle que les autres. Las de croire qu'une jolie femme mérite sa beauté, l'auteur Pierre Sansot en a même fait un livre: "La beauté m'insupporte." L'actualité a mis en exergue la domination de l'homme sur la femme, avec les dénonciations de harcèlements, de viols, de violences. C'est tout neuf, l'irruption de "#Me Too" date de 2007 et ne s'est vraiment vulgarisé qu'en 2017. Les médias se divisent entre ceux qui cherchent à banaliser, voire occulter, ces actes délictueux, et ceux qui exigent des sanctions exemplaires. Ces deux postures antagonistes usent de tous les arguments possibles, des plus hypocrites aux plus opportuns, mais j'entends rarement évoquer "la culture du pouvoir par le mérite", si bien ancrée dans les mentalités et si bien récupérée par le capitalisme pour justifier les positions dominantes. Or, il faut bien reconnaître que cette "culture du pouvoir" a été largement enkystée dans nos esprits par le capitalisme, via toutes les institutions qui le soutiennent. L'école apprend très vite aux petits humains que chacun occupe une place selon sa position dans la hiérarchie du pouvoir. Le maître sait tout, ordonne ce qu'il veut, organise sa classe comme il l'entend et peut punir quiconque lui résiste. C'est vécu comme une évidence et il n'est pas loin le temps où la punition était doublée: celle du maître d'abord, celle des parents ensuite, indignés que leur enfant puisse s'opposer au maître.
      Pire encore, les notes, le classement, les diplômes, tout concourt à donner du pouvoir à l'un et à recommander l'obéissance à l'autre. Une culture, aussi ancienne et si tôt acquise, se retrouve partout et finit par sélectionner, dans quantités de domaines, celui qui a développé un goût pour le pouvoir jusqu'à la pathologie. C'est vrai dans les couples, en politique, comme dans le monde du travail. Les femmes tendent à choisir le plus puissant du troupeau, ce qui fait douter, malgré Aragon, qu'elle puisse être l'avenir de l'homme en  capitalisme. Les hommes tendent naturellement à cultiver de pouvoir. Comment s'étonner qu'un député, un ministre, un chef d'entreprise se laisse aller à abuser de son pouvoir quand on sait la compétition qui a permis à ces individus d'accéder à de tels postes de pouvoir? Comment peuvent-ils échapper à l'idée que l'étalon ait lui seul le droit d'accéder aux femelles, puisque c'est ainsi dans la nature autant que dans les Institutions humaines ? Pourquoi un riche, persuadé que son argent est le fruit de son mérite, s'interdirait d'abuser de la nature, de polluer, déforester, extraire tout ce qu'il peut du sous-sol ? Aller contre peut vite passer pour de la rébellion, de l'insubordination, voire du terrorisme…
       Il est donc évident que la mutation proposée par les Postmonétaires mettrait tous les malades du pouvoir dans une position si désagréable qu'ils ne se laisseraient pas faire sans violence. La violence, c'est une chose qu'ils connaissent, qu'ils maîtrisent, qui leur donne une illusion de valeur. L'argent est un système "pervers-narcissique", symptôme dont on sait qu'il est difficile à soigner et auquel il est plus simple d'opposer des interdits fermes et non négociables. Qu'il s'agisse d'abus de pouvoir sexuel, politique ou économique, le problème est le même, systémique et non moral, structurel et non individuel! On ne peut qu'inciter ceux qui découvrent l'idée d'une possible abolition de l'argent que cela induit aussi l'inconditionnalité de l'accès aux biens, services et savoirs que cette abolition impliquerait. Une société a-monétaire dans laquelle il faudrait justifier d'un droit au logement, à la nourriture, à la santé pour survivre, ne serait ni plus équitable, ni plus libre, ni plus fraternelle que le capitalisme...