L'IA est la grande mode, à ce point incontournable qu'on en oublierait de s'en intéresser sur le fond. Dans un Interview de l'économiste Gilles Raveaud, dans "Le quart d'heure économique" (Chaîne Youtube) vient apporter de l'eau à mon moulin.
Emmanuel Macron a organisé un Sommet pour l'action sur l'IA, le 11 février 2025 à Paris, et nous parle "d'une révolution technologique et scientifique pour l'humanité..." Il est bon, de temps en temps, de s'arrêter sur cette "machine à fantasmes" et d'y mettre quelques perspectives. Gilles Raveaud prend l'exemple de l'entreprise Vancorex pour y voir plus clair, au moins d'un point de vue économique. Il s'agit d'une entreprise plus que centenaire (1916), près de Grenoble, forte de 450 emplois hautement spécialisés, en état de quasi faillite et menacée d'être reprise par un entrepreneur chinois après licenciement de 400 techniciens sur 450 ! Vancorex transforme le sel gemme en plusieurs "comburants" essentiellement utilisés dans les centrales nucléaires et les missiles de la Défense nationale : donc des emplois extrêmement qualifiés, essentiels pour l'autonomie industrielle nationale, sans compter des quantité d'usines spécialisés utilisant les sels produits par Vancorex, à la pointe de la technologie et de la recherche. Or, l’État ne souhaite pas venir à la rescousse de cette entreprise. C'est pourtant de l'industrie de pointe autant que l'IA, les mêmes enjeux de production, d'innovation et d'emplois. Pourquoi une nationalisation temporaire, à peu de frais au niveau de l’État (300 millions d'€), est-elle refusée ?... C'est totalement stupide, inconséquent, contraire à tous les discours sur la compétitivité, la souveraineté industrielle, la recherche, etc. Si l'entreprise est en difficulté, ce n'est pas en raison d'une mauvaise gestion ou d'une stratégie commerciale puisque son seul et unique client c'est l’État, mais en raison de la concurrence déloyale de l'entrepreneur chinois, faisant les même produits mais 30% moins chers et comme par hasard, le seul repreneur possible.
Pourtant, le gouvernement nous dit soutenir l'IA et veut que la France en devienne le cœur névralgique. Des milliers d'acteurs du secteur venus de 100 pays ont été conviés à ce Sommet. Il est de bon ton, dans les discours politiques, de parler de l'IA en terme de "nouvelle révolution industrielle" mais surtout pas de sauver ce qui existe déjà.
Pour Gilles Raveaud, une révolution technologique, c'est toujours l'introduction de machines qui réduit le nombre d'emplois pour un même travail et donc en baisse le coût et modifie totalement les modes de vie (révolution du charbon, puis du pétrole, puis de l'électricité et enfin de l'informatique). Une révolution industrielle, c'est essentiellement des gains de productivité, avec pour contre partie une consommation d'énergie toujours plus importante. Ces révolutions changent le quotidien (machines industrielles, chemin de fer, voitures, etc.) L'IA répond bien à cette notion de révolution artificielle : un gain de temps et d'emplois, une dépense d'énergie croissante. Mais c'est sans doute la première fois qu'une révolution industrielle touche l'ensemble des aspects de la vie, autant dans le monde du travail que dans la sphère privée. L'IA est en train de révolutionner des pratiques professionnelles, la médecine par exemple. En plus, l'IA ne se contente pas de stocker des données mais elle apprend à s'en servir. Le seul bon côté, c'est que l'IA va permettre des économies d'énergies, de gaspillage (voir la gestion des déchets dans les restaurants où des logiciels IA prévoit en fonction de centaines de données la quantité de repas à préparer chaque jours, bien mieux et plus vite que les meilleurs restaurateurs !)
A contrario, l'IA c'est une industrie lourde, un gouffre en matières souvent rares (métaux lourds, produits raffinés...), en eau pour la construction et en énergie pour le fonctionnement. Une seule requête sur l'IA requière 50 cl d'eau, plus beaucoup d'électricité. C'est une catastrophe écologique. Le solde est très négatif. Un chercheur mondialement reconnu dans l'IA a déclaré : « Faire une requête sur l'IA pour avoir une recette de cuisine, c'est comme utiliser un Airbus pour accompagner ses enfants à l'école ! » Le problème de l'IA, c'est que c'est intéressant, attractif et utile à l'échelle individuelle, mais une véritable catastrophe à l'échelle collective !...
Quand au problème de l'emploi, le forum de Davos a annoncé que 85 millions d'emplois vont disparaître en quelques années, mais que 97 millions de nouveaux emplois vont être créés sur la même période par l'IA. Gilles Raveaud répond qu'à chaque innovation technologique on a fait la même erreur de sous-estimer les pertes d'emplois et de sur-estimer les créations. La technologie apporte toujours des gains dans les bénéfices, des pertes dans les emplois, au mieux limitées par la réduction du temps de travail. En outre, l'économie fait toujours la même erreur de ne s'intéresser qu'aux données quantitatives, jamais aux données qualitatives. La fracture numérique qui est toujours restée insoluble, va être suivie d'un gouffre insondable entre ceux qui savent utiliser l'IA et les autres.
Puisque l’État français privilégie les discours et les Sommets tout en évitant toute initiative concrète, il appartient à chacun de s'en faire une idée et de prendre ses responsabilités, en consommant ou pas autant qu'un Airbus en un clic...
Ce que je conclus de tout cela, c'est qu'il va falloir apprendre à faire avec l'IA. Jamais une technologie émergente n'a été abandonnée. Mes enfants enseignants, l'une en collège, l'autre en lycée, constatent déjà que la plupart des devoirs faits à la maison sont directement copier à partir de Chat GPT ou Mistral. La génération née avec ces plate-formes ne s'en passeront plus. Nous avons là une technologie catastrophique collectivement, mais très attractive individuellement. Ce qui s'est passé avec le smartphone va se reproduire avec l'IA, encore plus rapidement et avec encore plus d'addictions. Nul ne sait comment changer l'homme et ses comportements, mais on sait comment les usages peuvent radicalement changer avec la pression sociale. Les cinq ou six grandes révolutions industrielle (machine à vapeur, chemin de fer, avion, électricité, automobile, informatique...) ont toutes changé rapidement les modes de vie, les relations sociales, la sociologie, l'art, etc. Si donc il y a une chance de ne pas perdre ses outils fabuleux sans qu'ils nous entraînent vers l'extinction de masse, c'est évidemment de changer la structure sociale et non pas l'humanité. Quelle est l'alternative qui actuellement puisse opérer un tel changement, sinon celle d'un monde postmonétaire ?...
« Il y a une grande différence entre le traitement tel qu'il devrait être fait et ce qui est possible. Ce que l'on devrait absolument faire pour le maintient de l'habitabilité de la planète Terre, ne sera probablement pas fait. C'est techniquement et physiquement jouable, mais politiquement, culturellement, comportementalement, économiquement, géopolitiquement impensable. »
Cette déclaration d'Arthur Keller lors d'un interview nous dit en clair que nous allons subir un effondrement global de l'ensemble du système social actuel, de notre civilisation thermodynamique, et que nous ne pourrons qu'aménager cette crise dans l'urgence, le chaos, et très partiellement. Il est déjà trop tard pour espérer une transition douce vers un autre système. Et pour affirmer cela, Arthur Keller propose un simple exemple, celui des deux courbes figurant l'empreinte humaine sur la planète (en rouge) et la biocapacité terrestre à se régénérer (courbe bleue).
La seule issue pour échapper au drame, c'est que la courbe rouge qui ne cesse de monter soit inversée et redescende en-dessous de la courbe bleue qui elle ne changera jamais (sauf une nouvelle glaciation ou une irruption solaire, ce qui de toute façon rendrait la planète inhabitable. Or, personne ne sait raisonnablement ce qui pourrait inverser l'ascension de la courbe rouge, quel que soit l'engagement des humains pour ce faire. Donc, traduit dans mes termes non scientifiques, il n'y a pas d'alternatives à l'effondrement, et la seule ressource qui nous reste est de penser un système qui soit totalement centré sur les conditions de survie imposées par ce simple schéma....
Pour les optimistes qui aurait du mal à croire à ce scenario, il faut compléter ceci par les 9 limites planétaires déterminées par le GIEC, dont 6 (en rouge) sont déjà irrémédiablement passés :
- Le réchauffement climatique,
- L'intégrité de la biodiversité ,
- L'acidification des océans,
- Les cycles biochimiques azote et phosphore ,
- Stérilisation des terres arables (artificialisation, intrants chimique, désertification)
-l'usage de l'eau douce,
- La consommation d'eau verte (destinée à la production industrielle et les services
- Introduction de nouvelles entités dans la nature (métaux lourds, plastiques, composés radioactifs...)
- la couche d'ozone
Chacune de ces limites en rouge va engendrer des cascades de catastrophes. Pour exemple, la montée des mers et océans d'un seul petit mètre représente l'inondation des principales villes et sites industriels, des millions de réfugiés climatiques un peu partout, un choc économique insurmontable , des conflits de territoires insolubles (même dans l'eau de mer!). Autre exemple, la perte d'une seule espèce animale entraîne inévitablement des dérèglements en chaîne dans les autres espèces, anciennement consommées par l'espèce disparue, et la prolifération anarchique de ce que l'espèce éradiquée consommait (plantes invasives ou bactéries par exemple).
A l'évidence, et sans faire de catastrophisme, il est clair que l'effondrement, généralement perçu sous l'angle d'un seul de ces dépassements, viendra beaucoup plus vite que l'on croit et qu'aucun système de sortie de crise n'est pensable s'il n'intègre pas le pire des scenarii dans son propre scénario.... Il me semble alors que les postmonétaires (scientifiques ou amateurs) sont les mieux placés pour construire un mode de société capable de résilience dans un cadre d'effondrement. C'est un atout qu'il nous faut mettre en avant, que les gens l'accepte par conviction ou par simple prudence. Une vieille blague juive disait après la seconde guerre mondiale que « les juifs optimistes se sont retrouvés à Auschwitz et que les juifs pessimistes à Wall-Street ! »
« Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve... »
Freidrich Hölderlin, poète allemandA méditer !!!