L'État providence, c'est sans doute l'un des clivages politiques les plus souvent évoqué. Pour les uns, généralement à droite de l'échiquier, c'est la mort de l’État lui-même qui dépense l'argent des contribuables pour corriger les excès des masses populaires, plus enclines à boire, fumer, jouer au loto qu'à travailler. Pour les autres, c'est le modèle français dont on peut être fier et qu'il faut défendre contre les assauts répétés des libéraux qui veulent réduire ledit État à ses strictes fonctions régaliennes.
Si on est de droite, il faut reculer l'âge de la retraite, refuser le RSA aux "mendiants professionnels" comme on disait au temps des Rois... Si on est de gauche, il faut ponctionner dans les insolents profits des plus riches pour aider les plus pauvres. De la décapitation de Louis XVI au règne de Macron Ier (dit Jupiter), la lutte n'a jamais cessé, un point de détail gagné par-ci, et par-là reperdu après une lutte syndicale ou une émeute.
La plupart des chroniqueurs politiques de notre temps répètent les invectives de droite ou de gauche avec une constance qui frise la pathologie obsessionnelle après 235 ans d’échauffourées ! Pourquoi le problème de fond n'est-il jamais posé, le choix jamais tranché définitivement ? Il n'y a pas d'autre raison rationnelle qu'une contradiction interne au système qui fait des deux options des postures idéologiques, la marque du réalisme pour les uns, de l'utopie pour les autres.
Une rencontre m'a fait mettre en perspective une anecdote : Monsieur F. a 54 ans et, suite à un accident du travail a perdu son emploi. Étant très régulièrement perclus de douleurs et cloué au lit, il a demandé une pension d'invalidité afin d'obtenir le droit à des horaires aménagés. L’État providence a bien entendu prévu le cas. La MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées) fournit des pensions d'invalidités pour compléter les temps de travail. Il suffit de remplir deux petits dossiers (un médical et l'autre administratif) d'une vingtaine de pages chacun et d'y joindre tous les justificatifs (anciens bulletins de salaire, relevés professionnels des caisses de retraites, compte-rendus des examens médicaux, opérations, traitements, descriptions des dommages collatéraux, etc.). La complexité de ces deux dossiers est telle qu'une personne non cultivée ne peut arriver à les remplir correctement. Même aidé par l'assistante sociale locale et un médecin généraliste complaisant, c'est au mieux une chance sur deux d'obtenir une réponse positive.
Monsieur F., avec mon aide et celle de son médecin traitant, a obtenu en 6 mois un taux d'invalidité supérieur à 50% (renseignement exactement précis..., à 50% près !). A commencé alors l'évaluation de sa situation au vu de ce taux par la MDPH et les Services des demandeurs d'emplois en vu d'obtenir la qualification de travailleur handicapé (RQTH).
Résultat : une pension de 797,80€ par mois. Il aurait en plus le droit de travailler pour compléter ses revenus..., à hauteur de 17,50 heures par mois ! Formidable : un rapide compte des frais contraints, donc inévitable, de Mr F. lui laissera au mieux 100€ par mois pour se survivre. Quant à trouver un emploi de moins de deux heure par jour ouvrable, c'est mission impossible !
En parlant de cette situation à quelques connaissances, j'ai eu des remarques curieuses... - Ducon : Pourquoi ne déménage-il pas vers une plus grande ville où il pourra plus facilement trouver un emploi stable ? Parce qu'ici il a un réseau social susceptible de l'aider et que, de toute façon, il n'aura pas de quoi payer la caution pour louer une chambre puisque personne ne se portera garant là où il n'est pas connu, Ducon!...
- Duclown : Il n'a qu'à travailler au noir, ce n'est pas le boulot qui manque, c'est les travailleurs ! Avec les contrôle qu'il y a dans la région, il a une chance sur deux de se faire épingler, ce qui lui vaudrait une lourde amende plus le remboursement de la pension qu'il aura perçu depuis le début. Retour à la case prison garantie, Duclown !!!
C'est ça l’État providence en 2024 ! Et dire que dans une société sans argent, cet homme rendrait quantité de services. Il a exercé plein de métiers différents, il déprime dès qu'il n'a plus d'activité, il aime le travail bien fait et ne rechigne devant aucun effort. Se rend-il compte que dans une société de libre accès, il n'aurait plus la honte d'avoir des dettes, d'être redevable à d'autres qui l'aident de temps en temps, il n'aura plus la crainte d'être à découvert et de payer en plus des agios à la banque..., voire d'être interdit bancaire ? Non, la vie pour lui a été trop dure pour qu'il arrive à imaginer que plus rien ne soit payant, qu'une abolition de l'argent soit une chose possible...