La modernité contemporaine nous pousse à penser le monde, non plus par catégorie (point de vue politique ou économique ou environnemental ou autre…) mais comme un ensemble complexe, dans une réflexion systémique. Les risques d'un effondrement global peuvent arriver à tout moment et par des quantités d’événements différents s'enchaînant dans un rapide effet domino. Toutes les solutions classiques qui nous sont présentées, tant par les médias que par les scientifiques, sont généralement analytiques (un problème une solution) et non systémiques (vues dans leur ensemble pour anticiper l'effet domino).
Il est donc bon de recenser ces risques, toujours en lien les uns avec les autres, et d'imaginer une solution qui permette de tout régler en même temps. Et dans ce cas, la face du monde changerait autant qu'il a changé dans les grandes révolutions systémiques qui ont ouvert de nouvelles ères. Il y a environ 13 000 ans, la découverte de l'agriculture et de l'élevage a fait sortir l'humanité du néolithique. Les perpétuels migrants chasseurs-cueilleurs se sont sédentarisés, ont fondé des villages fixes, créé des villes, ce qui change tout, et sont entrés dans la préhistoire. Entre -3000 et -1500, différentes écritures ont été inventées qui, à chaque fois nous ont fait changer radicalement de période pour entrer dans l'histoire. Pratiquement dans le même temps, on invente l'écriture qui change radicalement la communication entre les humains. À l'oral s'ajoute l'écrit qui laisse des traces, permet de se parler à distance, qui fige des règles dans le marbre, et ce n'est pas rien !
L'invention de l'imprimerie a été tout aussi importante en faisant passer l'Europe du Moyen Âge à la renaissance, en entraînant une considérable accélération de la culture, des arts, la réforme et les guerres de religion. L'invention de la machine à vapeur nous a fait entrer dans l'époque moderne et a induit plusieurs autres évolutions radicales avec le pétrole, l'électricité, le nucléaire. Toutes ces innovations techniques ont peu ou prou suivi le même schéma de transition. Après ce bref et non exhaustif exposé des changements de périodes, comment imaginer que nous soyons immunisés contre une nouvelle transition tout aussi radicale ? Comment certains ont-ils pu croire au mythe de "la fin de l'histoire" ?
Si l'Histoire ne se répète pas, à l'évidence elle reproduit des schémas identiques, simplement adaptés à des circonstances particulières. A chaque fois, quand on constate que tout à changé, c'est en se référant à la vision du temps, de l'espace, des relations entre humains, du rapport à l'environnement. Alors changent aussi et simultanément, les mentalités, les théories explicatives du monde, les philosophies, les religions, les habitus, etc. Quand on dit tout, ce n'est pas une figure rhétorique, c'est tout !
Les intellectuels qui envisagent la transition à venir sur la même échelle du temps que celle de la période moderne, se plantent. S'il y a une différence notoire entre ces "révolutions coperniciennes", c'est sur la durée des différentes périodes qui raccourcissent visiblement et sur la vitesse du changement. Il a fallu plusieurs millénaires pour passer de la préhistoire à l'histoire, quelques siècles pour passer du Moyen Âge à l'époque moderne, et il n'est pas fou de penser que l'époque moderne se terminera d'ici peu et que la bascule dans l'époque "postmoderne" se fera en quelques années Et là aussi cela changera tout, la situation est inédite et seule une ou deux générations vivront le changement.
On peut comparer ce saut dans l'inconnu au mouvement des plaques tectoniques qui se rapprochent, l'une finissant pas passer sur celle qui s'enfonce. Le mouvement peut être lent, la période A passe sous la période B, et cela ne se fait pas sans irruptions volcaniques et tremblements de terre brutaux et instantanés. La tectonique des périodes fonctionne ainsi. La période moderne disparaît, peu à peu enfouie sous la période postmoderne, mais il y aura sans doute une courte période de crises, de bruits et de fureur. Ensuite, le paysage ne sera plus du tout le même...
Ce qui est commun à tous les changement de période, c'est l'ancienne disparaît peu à peu en laissant derrière elle des "scories" et la nouvelle apparaît peu à peu, d'abord balbutiante et incertaine, intégrant des nouveaux usages, un autre vocabulaire, une autre grammaire. Les scories, ce sont parfois de simples expressions: si l'on dit encore "passer l'arme à gauche" pour "mourir", c'est qu'au Moyen Âge, sur les blasons, les armes du seigneur étaient à droite, celles de son épouse à gauche. Au décès du seigneur, l'ordre était inversé, "ses armes passaient à gauche"! Plus étonnant encore: si les huitres et les oeufs se vendent par douze, c'est que les mésopotamiens de l'Antiquité comptaient sur une base soixante, donc divisée en 30 ou 12. Nous avons gardé cette habitude pour les angles, les heures, et les oeufs!... Des nouveaux mots apparaitront dans une société postmonétaire mais nous continurons sans doute à dire qu'untel "ne vaut pas un sou"!
Aujourd'hui, nous pensons tous avec les outils de l'époque moderne, mais pour anticiper sur l'époque postmoderne, il faut inventer, créer des concepts, les mots du quotidien, changer l'intégralité du dictionnaire (dans la bibliothèque du site, vous trouverez un "dictionnaire postmonétaire" qui est une simple tentative d'anticipation d'une société sans argent...
Les alternatives ne sont jamais que des "pièces de rechange". Si la batterie de ma voiture ne se recharge plus, l'ensemble du système-auto est hors service. Mais avec une batterie neuve, tout fonctionne à nouveau. Cette métaphore s'adapte aussi à une société humaine : si un élément du système social dysfonctionne et produit des inégalités, des exclusions, de la pollution ou des crises sociales, il peut arriver que l'ensemble du "véhicule social" se bloque, faute d'une pièce de rechange et qu'il faille changer de véhicule. C'est ce qui nous pend au nez si une hyperinflation mondialisé, si arrive une pénurie de matières (cuivre par exemple) ou d'énergie (fin du pétrole abondant et peu cher), si un blocage des moyens de transport empêche les marchandises de circuler (les grandes villes n'ont que trois jours de survie alimentaire).
Actuellement, le système n'envisage pas de tels blocages et se contente des pièces de rechange (le QE4P1 pour la finance par exemple qui sauve les banques, une guerre qui relance la production et réduit le chômage)... Planche à billet ou guerre sont le genre d'alternatives propres aux gouvernements, les pièces de rechange qui évitent l'effondrement..., momentanément. C'est reculer pour mieux sauter, recharger une énième fois la batterie obsolète ! Abandonner sa vieille voiture pour en acquérir une neuve, c'est changer DE système et non plus changer LE système. C'est aussi une alternative, mais en plus radical.
Pour changer DE système économique global ou sauver la planète qui devient inhabitable, il y aura toujours des inconscients qui croiront inventer un nouveau capitalisme vert, à visage humain, un capitalisme en partie réparé. C'est ce qu'ont cru les pays dits communistes qui on fait une révolution sociale en passant de l'économie de marché au capitalisme d’État. Ils ont obtenu un "capitalisme communiste", sans voir qu'ils tombaient dans l'oxymore.
La pratique de l'oxymore, c'est le syndrome de Gribouille qui sautait dans la mare pour ne pas être mouillé par la pluie. Ça paraît fou, mais c'est commode l'oxymore...., inutile mais rassurant ! Une banque éthique, ça fait chic, mais si elle réalise des profits elle n'est plus éthique, si elle est éthique elle fait faillite. C'est un bel oxymore ! En plus, à l'oxymore on ajoute souvent le pléonasme pour faire plus sérieux ou pour embrouiller le petit peuple. Pourquoi la NEF dit-elle qu'elle est « sociale et solidaire » ? Y aurait-il une démarche sociale qui ne soit pas solidaire ? Y aurait-il une démarche solidaire qui ne soit pas sociale ? C'est du même niveau que "sortir dehors ", un parfait pléonasme !
Les mots ont toujours leur importance, même à notre insu, même quand on les utilise pour tromper son monde. Ainsi une "Démocratie représentative", c'est un oxymore doublé d'un pléonasme. C'est une formule inventé en septembre 1789 par un député de la Convention, Emmanuel-Joseph Sieyès, pour que l'on ne soit pas en démocratie..., « ce que la France ne saurait être », disait-il ! Si une démocratie est représentative, le pouvoir du peuple est abandonné au profit de représentants, c'est un donc un oxymore. Ceux qui en ont conscience, parlent alors de "démocratie directe ", ce qui est un pléonasme. Ça laisse entendre qu'on pourrait être en démocratie sans en avoir le pouvoir direct, comme si on pouvait sortir ailleurs que dehors ! Un parfait "pléonasme oxymorique", donc...
La plupart des alternatives peuvent être aussi séduisantes que possible, mais tombent toutes dans le panneau. Emmaüs, c'est au départ quelques milliers de Sans-Abris. Résultat, ils sont des millions de SDF et de mal logés, bravo ! Les Restos du cœur, c'est 8 millions de repas servis en 1985, 170 millions en 2022-23 et, en 2024, les Restos tiraient la sonnette d'alarme car ils ne pouvaient plus fournir les longues files d'attente... La courbe des dégâts causés par le système augmente toujours plus vite que celle des généreuses alternatives, et en plus, elles exonèrent le gouvernement de prendre les mesures qui s'imposent.
Il n'est pas sain de réparer ce qui nous détruit, comme il n'est pas sain de s'adapter à une société malade. La seule justification entendable pour les initiatives diverses et variées (SEL, monnaies locales, espaces de gratuité, groupes de solidarité, etc.), c'est leur usage pédagogique. Quiconque organise un SEL doit s'attendre qu'à terme une minorité de membres soient débordés par les demandes de services et qu'une majorité soient incapables de rendre ces services. Une monnaie locale, a tous les travers d'une monnaie nationale mais en plus petit, et justifie en outre l'existence du système bancaire international. Le seul intérêt c'est qu'à terme, le trésorier s'aperçoit qu'il n'est rien d'autre qu'un agent de change (transformant des euros en sol, points, bitcoin...), que la caisse locale tient des comptes comme toute banque, que le SDF qui ne peut guère attendre une aide financière à la hauteur de la monnaie d’État, que les commerçants du réseau économisent les frais de cartes de fidélité ! Un magasin gratuit est toujours un lieu éminemment pédagogique, mais ne sera jamais sans argent. Il faut payer le local, trouver des produits gratuits qui ont nécessairement coûté de l'argent à d'autres, fonctionne avec des bénévoles qui ne peuvent l'être que parce qu'ils disposent d'un salaire, d'une retraite ou d'un capital....
Une alternative, c'est comme une ZAD, elle sert de lieu d'expérimentation et répond à des urgences, c'est bien, mais elle ne peut être que temporaire, locale et ne changera jamais la structure sociale qui l'a suscité par ses désordres...
Arrêtons de réparer des épaves rouillées, aux pièces obsolètes et qui refont sans cesse les mêmes pannes. Changeons de véhicule !.... Arrêtons de nous intéresser au capital, abolissons-le au profit du libre accès au biens, services et savoirs....
1. QE4P : « quantitative easing for people » ou « monnaie hélicoptère », on fait tourner la planche à billet....